JEAN-PHILIPPE RAMEAU (1683-1764)
Castor et Pollux,
tragédie en musique en un prologue et cinq actes
Livret de Gentil-Bernard
(Version de 1737 – Extraits)
I. Ouverture (prologue)
II. Chœur de Spartiates : “Que tout gémisse“ (acte I)
III. Air très gai (acte I)
IV. Entrée d’Hébé et sa suite (acte II)
V. Chœur de la suite d’Hébé : “Connaissez notre Puissance“
(acte II)
VI. Deuxième Air d’Hébé et ses suivantes (acte II)
VII. Entrée des Démons (acte III)
VIII. Chœur des Démons : “Brisons tous nos fers“ (acte III)
IX. Deuxième Air des démons (acte III)
X. Entrée des Ombres (acte IV)
XI. Chœur des Ombres : “Qu’ils soient heureux comme nous“
(acte IV)
XII. Entrée des Astres
XIII. Chaconne
XIV. Chœur des Astres : “Que les cieux, que la terre, et l’onde“
ENTRACTE
WOLFGANG AMADEUS MOZART (1756-1791)
Concerto pour clarinette en la majeur, KV 622
I. Allegro
II. Adagio
III. Rondo : Allegro
Symphonie n° 31, “Paris“, en ré majeur KV 297 (300a)
I. Allegro assai
II. Andante
III. Allegro
Orchestre de l’Opéra de Lyon
Chœur et Maîtrise de l’Opéra de Lyon
William Christie, direction musicale
Jean-Michel Bertelli, clarinette
Dimanche 10 juin 2007 à 17 heures
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JEAN-PHILIPPE RAMEAU
Castor et Pollux (extraits)
On à peine à imaginer, aujourd’hui, l’effet saisissant de modernité que
produisirent, à leur création, les opéras de Rameau. Le compositeur avait
cinquante ans lorsqu’il apparut sur la scène lyrique, avec sa tragédie en
musique Hippolyte et Aricie (1733). Ce premier chef-d’œuvre déclencha
une violente querelle esthétique, opposant les défenseurs de cette musique
hardie et imaginative (les ramistes) et les tenants du modèle imposé par
Jean-Baptiste Lully un demi-siècle plus tôt (les lullistes). Cette bataille
n’épargna pas le second ouvrage lyrique de Rameau, l’opéra-ballet Les
Indes galantes, jugé trop bruyant et difficile. Elle se fit de plus en plus
âpre, atteignant son paroxysme à la création de Dardanus, en 1739.
Castor et Pollux ne fut pas en reste, si l’on en juge par exemple par
ce compte rendu inclus par le duc de Luynes dans ses Mémoires au
lendemain de la création, le 24 octobre 1737, à l’Académie royale de
musique, à Paris.
Rameau, fameux musicien, qui a déjà fait trois opéras, vient de donner le
quatrième, qui est Castor et Pollux. Cet opéra n’a point réussi, et a donné
même occasion aux vers ci-joints, qui n’ont point été faits par un poète, mais
par un homme du monde :
Contre la moderne musique
Voici ma dernière réplique :
Si le difficile est le beau,
C’est un grand homme que Rameau ;
Mais si le beau, par aventure,
Etait la simple nature,
Dont il doit être le tableau,
C’est un sot homme que Rameau.”
Il semble que l’accueil ait été plus partagé. Eu égard au retentissement des
ouvrages précédents, Castor et Pollux était attendu par le public autant que
par la critique. Comme à l’habitude, les “anciens” s’épouvantèrent, tandis
que les “modernes” acclamaient la virtuosité orchestrale, les dissonances
audacieuses, les accompagnements fournis qui grignotent la préséance
du chant. Le succès, au moins de scandale, fut toutefois au rendez-vous
puisque l’œuvre tint l’affiche pour vingt représentations jusqu’à la fin de
1737. Elle disparut ensuite durablement de la scène.
C’est en 1754 que Castor et Pollux fit son retour, non moins fracassant.
Rameau était suffisamment fier de cet ouvrage pour le choisir, alors,
comme porte-étendard de la musique française dans la nouvelle querelle
À PROPOS DES ŒUVRES
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esthétique qui faisait rage, la querelle des Bouffons. Pour l’occasion,
il remania considérablement l’ouvrage, supprima le prologue que les
nouvelles circonstances avaient rendues obsolète, redécoupa les scènes
et les actes en bousculant un peu l’intrigue, s’appuyant sur un livret
modernisé dans son propos autant que dans son expression. Le triomphe
fut complet, réalisant la prophétie d’André Campra découvrant Hippolyte
et Aricie en 1733 : Il y a dans cet opéra assez de musique pour en faire
dix ; cet homme nous éclipsera tous.
Castor et Pollux reprend un mythe grec bien connu, qui célèbre la fraternité
indéfectible unissant deux jumeaux jusqu’au sacrifice, fléchissant
finalement Jupiter qui leur offre l’immortalité sous la forme de deux astres,
les étoiles les plus brillantes de la constellation des Gémeaux.
L’opéra de Rameau repose sur un livret de Pierre-Joseph Bernard, dit
Gentil-Bernard. Dans sa version originale, il s’ouvre sur un champ de
ruines : la guerre a dévasté toute beauté sur terre (les Arts) et dans les
cieux (les Astres). Minerve, protectrice des Arts, s’en émeut et demande
à Vénus d’intervenir. L’Amour, d’une flèche, soumet le belliqueux Mars à
la belle déesse, et le prologue s’achève sur de bruyantes réjouissances,
célébrant la paix revenue.
Le contraste est brutal avec le chœur initial de l’acte I, “Que tout gémisse”,
l’une des pages les plus émouvantes et novatrices de la partition. Les
Spartiates pleurent la mort de leur héros, Castor, tué par Lincée. Dans Gil
Blas du 2 février 1903, après avoir entendu les deux premiers actes de
Castor et Pollux présentés à la Schola Cantorum sous la direction de Vincent
d’Indy, Debussy fait le récit pittoresque de cette entrée en matière : Après
une ouverture, bruit nécessaire pour permettre aux robes à panier d’étaler
la soie de leur tour, s’élèvent les voix gémissantes d’un choeur célébrant les
funérailles de Castor. Tout de suite on se sent enveloppé d’une atmosphère
tragique, qui, quand même, reste humaine, c’est-à-dire que ça ne sent pas le
peplum ni le casque. Simplement des gens qui pleurent comme vous et moi.”
Ce chœur est en fa mineur, tonalité dont Rameau dit, dans son Traité de
l’harmonie, qu’elle convient à la tendresse et aux plaintes”. Le prélude
de ce chœur plonge l’auditeur en plein cœur du drame, avec ses lignes
chromatiques descendantes qui se tuilent. Le chœur proprement dit, tout
de majesté, n’est pas moins poignant. Rameau fit ce commentaire : Les
intervalles chromatiques, qui abondent en descendant, peignent pour lors
des pleurs et des gémissements causés par de vifs regrets.”
On apprend que Pollux a vengé son frère en tuant Lincée. Deux Athlètes
célèbrent cette victoire, qui donne lieu à trois airs de danses enjoués.
Le troisième, l’Air très gai, est particulièrement vivifiant malgré sa
tonalité étrange d’ut mineur, réputée obscure et triste”, pour reprendre
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la description des tonalités que fit Marc-Antoine Charpentier. L’un des
points qui avaient semé la discorde parmi les mélomanes était le caractère
général des danses de Rameau. Non que compositeur bourguignon
ait remis en cause la place primordiale de l’art chorégraphique dans
l’opéra français : à l’instar de ceux de Lully, ses ouvrages regorgent de
ballets bigarrés, propres à mettre en valeur l’excellence du corps de
ballet de l’Académie royale de musique. Mais, alors que chez Lully ces
parenthèses divertissantes restaient toujours d’une exquise courtoisie,
Rameau n’hésite pas à insuffler dans ses propres numéros dansés la même
inventivité harmonique, rythmique et mélodique que dans ses plus belles
scènes chantées. Ses danses séduisent autant par leur vitalité que par leur
invention, et cette danse des Athlètes, comme celles qui vont la suivre, en
est l’exemple frappant.
Pollux est amoureux de Télre, la veuve de son fre. Il lui clare sa flamme
et, en échange, elle obtient de lui qu’il aille chercher Castor aux Enfers.
Au début de l’acte II, Pollux confie son hésitation. Puis il prend sa
décision : il ira prendre la place de son frère au royaume des morts. La
dernière scène de l’acte est un brillant divertissement. Debussy décrit :
Hébé danse à la tête des Plaisirs célestes, tenant dans leurs mains des
guirlandes de fleurs dont ils veulent enchaîner Pollux. Jupiter a voulu
l’enchantement de cette scène afin d’arracher Pollux à son désir de la
mort. Jamais la sensation d’une volupté calme et tranquille n’a trouvé
de si parfaite traduction ; cela joue si lumineusement dans l’air surnaturel
qu’il faut toute l’énergie spartiate de Pollux pour échapper à ce charme, et
penser encore à Castor. (Je l’avais oublié depuis un bon moment.)Dans
cette vaste scène de séduction, on découvre notamment l’Entrée d’Hébé
et de sa suite, le chœur “Connaissez notre puissance !” (dont les paroles
seront complètement changées en 1754) et le Second Air pour Hébé et ses
suivantes (une sarabande). La tonalité de mi mineur, qui est celle de ces
trois morceaux, est décrite par Charpentier comme effemmé [efféminé],
amoureux et plaintif ”. Quant à Rameau, il en dit qu’à l’instar de mineur,
elle convient à la douceur et à la tendresse”. La nostalgie qu’elle induit
traduit le trouble de Pollux à l’idée de son sacrifice prochain.
L’acte III voit Pollux à l’entrée des Enfers. Phébé, qui l’aime, tente en
vain de le faire renoncer. A Télaïre venue le rejoindre, Pollux renouvelle
sa promesse de sauver Castor, provoquant le désespoir de Phébé. Des
monstres infernaux surgissent des flammes dans l’une de ces vives
peintures dont Rameau a le génie. Le noyau de cette scène est formé par
le chœur de Démons “Brisons nos fers”, que flanquent deux Airs des
Démons. La permanence d’une pulsation obsédante figure l’encerclement
des trois personnages par les hordes déchaînées. Rameau écrit une
musique proprement effrayante, traduisant les efforts des horribles
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engeances pour faire reculer Pollux : blocs sonores entrechoqués, traits
instrumentaux zébrant les airs, syllabes martelées, couleurs sombres
(les dessus sopranos sont absents du chœur). Mais Pollux combat
héroïquement les Démons, secouru finalement par Mercure qui les frappe
de son caducée. Tous deux s’abîment dans le gouffre infernal.
A l’acte IV, on découvre Castor aux champs Elysées. Malgré l’agrément du
lieu, son âme s’attriste à la pensée de Télaïre. Les Ombres s’emploient à
le divertir, avec notamment deux morceaux tout de grâce champêtre : l’Air
pour les Ombres, et le chœur “Qu’il soit heureux comme nous”, qui en
est une paraphrase. Après de touchantes retrouvailles, Pollux explique le
but de sa venue. Castor, qui a compris que Pollux aimait Télaïre, finit par
accepter son sacrifice à une seule condition : qu’il ne retourne sur terre
que pour une journée, le temps de revoir une dernière fois sa bien-aimée,
et revienne ensuite libérer son frère.
L’acte V s’ouvre sur la fureur vengeresse de Phébé, furieuse à la vue de
Mercure ramenant Castor sur terre. Puis on retrouve Télaïre et Castor, dont
la joie s’assombrit bientôt lorsque Castor explique qu’il doit retourner en
enfer le soir même. Dans son désespoir, elle tente de le retenir. Le tonnerre
retentit alors : c’est Jupiter qui descend. Il annonce que Castor est libéré
de son serment et obtiendra l’immortalité, ainsi que Pollux et Télaïre,
sous la forme d’un astre. La dernière scène a pour décor le Zodiaque,
les Astres, Planètes, Satellites et Dieux accueillent les deux héros.
Le divertissement final décrit la transfiguration de Castor et Pollux au
travers d’une succession de danses et de morceaux chantés. Dans l’entrée
des Astres, on retrouve un motif pointé déjà entendu dans l’ouverture,
traduction en musique du caractère inflexible de la mécanique céleste.
Comme dans tant de tragédies en musique, les deux derniers morceaux sont
une vaste chaconne, apothéose instrumentale de l’ouvrage, et un chœur
qui tire la conclusion. La chaconne accompagne, dans Castor et Pollux, le
ballet majestueux et irréel des corps célestes et des divinités. Dans cette
forme contrainte l’instar de la passacaille, la chaconne consiste en de
multiples variations sur une basse obstinée), Rameau fait toujours preuve
d’une imagination particulièrement fertile. Ici, il ne faillit nullement à
sa réputation. Ce morceau plein de trouvailles et de surprises est en la
majeur (ton, selon Rameau, du chant d’allégresse et de reconnaissance”).
Le chœur final, “Que le ciel, que la terre et l’onde”, célèbre la gloire du
maître du monde, Jupiter, qui invite l’univers à se réjouir.
William Christie dirige ce soir la version de 1737, dont ne subsiste plus que le
chant et la basse continue. Les parties interdiaires ont é reconstituées d’aps
les morceaux correspondants de la version de 1753 ou, en cas de divergence
entre ces deux versions, reconstruites par William Christie et Elisabeth Matiffa.
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