(ACI Nouvelle évangélisation)

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La nouvelle évangélisation :
réalité, enjeux, défis1
François Moog
Directeur de l’ISPC
Lorsqu’il est question de « nouvelle évangélisation », l’urgence première est de préciser de
quoi il est question. Les études et enquêtes réalisées ainsi que la littérature disponible sur la question
montrent que la Nouvelle Evangélisation est une notion encore très abstraite. On en trouve en effet
une foule de définitions dans la littérature secondaire sur la question (notamment dans les journaux
et magazines), et même dans les lineamenta de la prochaine assemblée générale ordinaire du
synode des évêques dans lesquels on compte pas moins de 18 définitions différentes de ce qu’est la
nouvelle évangélisation.
Dans cette diversité, on trouve cependant une constante : la nouvelle évangélisation a
quelque chose à voir avec une prise conscience de l’importance de la sécularisation dans les pays de
vieille chrétienté. C’est ce que dit sans détour le Cardinal Joseph Ratzinger s’adressant aux
catéchistes lors du Jubilé de l’an 2000 : « Nous observons un processus progressif de
déchristianisation et de perte des valeurs humaines essentielles, et ceci est préoccupant. Une grande
partie de l’humanité d’aujourd’hui ne trouve plus, dans l’évangélisation permanente de l’Eglise,
l’Evangile, c’est à dire une réponse convaincante à la question : Comment vivre ? »2.
L’enjeu de la prochaine Assemblée générale ordinaire du synode des évêques est alors
d’apporter une consistance théologique à cette notion pour en faire un concept théologique
opératoire et alimenter les projets pastoraux.
1°) La nouvelle évangélisation : un sens balisé
Cependant, malgré les incertitudes liées à la multiplicité des définitions de ce que pourrait
être la nouvelle évangélisation, il existe un sens assez balisé que l’on peut tirer d’une lecture
minutieuse des textes du magistère sur cette question.
Vatican II
Le décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise, Ad gentes, du deuxième concile du Vatican,
dresse un portrait classique de la mission. Elle commence par une « première annonce » constituée
de la conjonction entre une annonce et un témoignage de vie (AG 11-12) qui se poursuit par
« l’évangélisation », constituée de dialogue au nom de l’Evangile et de dialogue en vue de la
conversion (AG 13). Cette conversion ouvre le chemin du catéchuménat (AG 14) qui favorise la
formation d’une communauté chrétienne (AG 15-16) au sein de laquelle sera organisée une
catéchèse systématique accompagnant la vie chrétienne des baptisés (AG 17). A côté de cette
mission proprement dite, on trouve l’activité pastorale classique qui est le fait des « communautés
1
Conférence donnée lors du Conseil National de l’ACI le 3 mars 2012. Le ton oral de l’intervention a été
largement conservé.
2
Cardinal Joseph RATZINGER, « La nouvelle évangélisation », dans La Documentation Catholique 2240
(2000), p. 91-95.
de foi, de liturgie et de charité » (AG 19). Cette mission pastorale accompagne la vie et la mission du
baptisé et structure davantage la communauté.
Mais cette présentation idéale de la mission n’empêche pas Vatican II d’être très conscient
des évolutions sociales et culturelles en cours. C’est ainsi que dans la Constitution sur l’Eglise dans le
monde de ce temps, Gaudium et spes, on trouve exprimé le souci de la sécularisation, de
l’indifférence religieuse et de l’athéisme, notamment au n° 7 : « des multitudes sans cesse plus
denses s’éloignent en pratique de la religion », ou encore : « cette négation ou cette indifférence ne
s’expriment pas seulement au niveau philosophique ; elles affectent aussi, et très largement, la
littérature, l’art, l’interprétation des sciences humaines et de l’histoire, la législation elle-même : d’où
le désarroi d’un grand nombre ». On est proche du constat que fera plus tard la sociologie Danièle
Hervieu-Léger sous le nom d’ « exculturation » du christianisme3.
C’est la prise en compte de cette sécularisation qui est au cœur de l’appel à une nouvelle
évangélisation, voyons comment cela vient affecter l’ordonnancement idéal de la mission.
Evangelii nuntiandi
Le premier signe nous est donné par Paul VI dans l’exhortation apostolique post-synodale
Evangelii nuntiandi de 1975 lorsqu’il y est question de première annonce : « Si cette première
annonce s’adresse spécialement à ceux qui n’ont jamais entendu la Bonne Nouvelle de Jésus ou aux
enfants, elle s’avère toujours plus nécessaire également, à cause des situations de déchristianisation
fréquentes de nos jours, pour des multitudes de personnes qui ont reçu le baptême mais vivent en
dehors de toute vie chrétienne, pour des gens simples ayant une certaine foi mais connaissant mal les
fondements de cette foi, pour des intellectuels qui sentent le besoin de connaître Jésus-Christ sous une
lumière autre que l’enseignement reçu dans leur enfance, et pour beaucoup d’autres » (§52). C’est le
début de la prise en compte de ceux « qui ont reçu le baptême mais vivent en dehors de toute vie
chrétienne », laquelle prise en compte va venir progressivement bouleverser les schémas les plus
établis.
Avec Jean-Paul II, c’est une nouvelle modélisation de l’évangélisation qui apparaît, ainsi que
la notion de « nouvelle évangélisation », même si elle peine à trouver une consistance théologique
propre.
Catechesi tradendae
Dans l’exhortation apostolique post-synodale Catechesi tradendae de 1979, une nouvelle
manière de concevoir l’évangélisation apparaît dès lors que la catéchèse commence à être reconnue
comme devant irriguer l’ensemble de la mission pastorale de l’Eglise : « […] sans se confondre
formellement avec eux, [la catéchèse] s’articule sur un certain nombre d’éléments de la mission
pastorale de l’Eglise, qui ont un aspect catéchétique, qui préparent la catéchèse ou qui en découlent :
première annonce de l’Evangile ou prédication missionnaire par le kérygme pour susciter la foi ;
apologétique ou recherche des raisons de croire ; expérience de vie chrétienne ; célébration des
sacrements ; intégration dans la communauté ecclésiale ; témoignage apostolique et missionnaire.
Rappelons tout d’abord qu’entre catéchèse et évangélisation il n’y a ni séparation ou opposition, ni
identification pure et simple, mais des rapports étroits d’intégration et de complémentarité
réciproque » (§18).
Ici, chaque élément qui compose la mission pastorale commence à entretenir des relations
directes et permanentes avec les autres. C’est ainsi que Jean-Paul II peut, dans le § 19 de Catechesi
tradendae, tout d’abord rappeler la situation exemplaire : « La spécificité de la catéchèse, distinguée
de la première annonce de l’Evangile qui a suscité la conversion, poursuit le double objectif de faire
3
Cf. Danièle HERVIEU-LEGER, Catholicisme, la fin d’un monde, Paris, Bayard, 2003, 334 p.
mûrir la foi initiale et d’éduquer le vrai disciple du Christ par le moyen d’une connaissance plus
approfondie et plus systématique de la personne et du message de Notre Seigneur Jésus-Christ »
(§19) et immédiatement introduire une nouveauté dans cette exemplarité : « Mais dans la pratique
catéchétique, cet ordre exemplaire doit tenir compte du fait que souvent la première évangélisation
n’a pas eu lieu » (§19). Jean-Paull II prend ici en compte le contexte des pays déchristianisés.
Redemptoris missio
Le terme de cette évolution apparaît avec l’encyclique Redemptoris missio de 1990. Le §33
de l’encyclique expose trois situations devant lesquelles l’Eglise se trouve : 1) des peuples, groupes
humains, ou contextes socioculturels non christianisés qui appellent une évangélisation classique ad
gentes ; 2) des peuples fortement christianisés en lesquels s’exerce l’activité pastorale de l’Eglise ; 3)
des groupes dont les membres sont baptisés mais qui sont éloignés du Christ et de l’Eglise, qui
nécessitent la mise en place d’une « Nouvelle évangélisation »4. Nous retrouvons donc ici les motifs
qui avaient suscité une seconde ou une « nouvelle » manière de concevoir l’évangélisation.
Un principe ancien
La prise en compte de la sécularisation en vue d’un renouvellement des pratiques pastorales
et de l’élan missionnaire n’est pas si nouveau. Déjà au milieu des années 1930, Marie Fargues,
grande figure du catéchisme en France, remarquait : « Mon catéchisme ne fait pas cent mètres dans
la rue avec les enfants », soulignant ainsi le divorce entre la proposition chrétienne et l’expérience
des enfants. Et quelques années plus tard, on se souvient du retentissement du livre des abbés Godin
et Daniel : « France, pays de mission » (1943). C’est également le principe de l’Action catholique telle
que la définissait Pie XI lorsqu’il constate « qu’il est difficile, et même de plus en plus difficile, au
clergé de visiter certains milieux et d’atteindre bien des âmes qui, pourtant, soupirent après la
lumière et la doctrine évangéliques. C’est pour ces raisons qu’aujourd’hui l’Église fait appel aux laïcs
avec une insistance toute particulière. Elle leur demande de s’unir et d’aider la hiérarchie en se faisant
le bras droit du clergé ;… ».
Les impasses
La nouvelle évangélisation désigne donc les ressources contemporaines qui permettront de
faire face à la sécularisation, selon des principes qui sont permanent dans l’Eglise et son histoire. Il
faut cependant clairement indiquer que le terme de « nouvelle évangélisation » ne peut pas
regrouper n’importe quelle réalité. En ce sens, les lineamenta du prochain synode prennent position
en faveur d’un dépassement des débats qui ont marqué les années 1980 autour de l’imaginaire de la
restauration. La Nouvelle Evangélisation ne se présente pas comme une reconquête de l’Occident
chrétien, elle n’invite pas non plus à une accentuation de l’écart entre Eglise et monde ni à un repli
de l’Eglise sur elle-même. Elle entend enfin dépasser les principes d’enfouissement comme de
contre-culture. Le principe fondamental est ici que chacune de ces propositions constitue en fait un
principe qui favorise la sécularisation et est donc contre-productif. La spiritualité de l’enfouissement,
par exemple, a eu lieu alors que les transformations sociales étaient rapides et importantes, elle a
4
L’expression « Nouvelle évangélisation » pour désigner la mission en direction des peuples déchristianisés
apparaît déjà en décembre 1988 dans l’Exhortation apostolique post-synodale Christifideles Laïci de Jean-Paul
II, au §4 : « Ce sécularisme actuel est en vérité un phénomène très grave : il ne touche pas seulement les
individus, mais en quelque façon des communautés entières, comme le notait déjà le Concile : « Des multitudes
sans cesse plus denses s’éloignent en pratique de la religion » (GS §7). Moi même je l’ai répété souvent : le
phénomène de la sécularisation frappe les peuples qui sont chrétiens de vieille date, et ce phénomène réclame,
sans plus de retard, une nouvelle évangélisation ».
donc eu pour effet d’amoindrir la « fonction sociale de l’Eglise comme instance collective et
publique », comme le dit Mgr Gérard Defois5.
La recherche d’une nouvelle manière d’être l’Eglise.
Entre les deux, la Nouvelle Evangélisation recherche une manière d’être l’Eglise du Christ
dans un monde qui change. Les nombreuses définitions de la Nouvelle Evangélisation dans les
lineamenta sont le signe de cette recherche d’une vision organique de la tâche d’évangélisation et ne
sauraient être réduites à des méthodes d’évangélisation.
Si la Nouvelle Evangélisation est une recherche d’un nouveau modèle d’Eglise, elle doit
prendre en compte toutes les initiatives prises par et dans l'Eglise (par des fidèles ou des
communautés) pour annoncer l'Evangile en réponse aux défis de la postmodernité (ou de la
sécularisation). Ce contexte permet le déploiement de potentialités nouvelles (en tant qu'il s'agit de
relever des défis inédits) qui sont reconnues comme naissant du consentement à l'œuvre de l'Esprit.
En ce sens, la Nouvelle Evangélisation implique la conjonction de la mise en œuvre du sensus fidei
des fidèles, du discernement des pasteurs et de l'analyse des théologiens.
La thématique de la Nouvelle Evangélisation a déjà produit un réel renouvellement des
méthodes pastorales, notamment dans des communautés associatives. L’enjeu ecclésial majeur est
qu’elles permettent un renouvellement de ce que les lineamenta appelle la « pastorale ordinaire »
dans les communautés paroissiales. Le danger majeur consiste à opposer ces deux réalités. Les
communautés paroissiales et les communautés associatives ont besoin les unes des autres.
C’est ce que le cardinal Ratzinger appelait de ses vœux dans sa conférence aux catéchistes
pour leur Jubilé en 2000 : l’évangélisation est une action ordinaire de l’Eglise qui doit bénéficier
d’une évangélisation nouvelle pour que la pastorale ordinaire soit renouvelée. La Nouvelle
Evangélisation n’est ni la suppression de la pastorale ordinaire, ni la création d’un champ d’action
parallèle.
2°) La nouvelle évangélisation : principes fondamentaux
Selon le même Ratzinger, le principe fondamental de la nouvelle évangélisation consiste en
l’initiative du Seigneur dans son Eglise : « Le Seigneur et l’Esprit construisent l’Eglise, se
communiquent dans l’Eglise. L’annonce du Christ, l’annonce du Royaume de Dieu, supposent l’écoute
de sa voix dans l’Eglise »6. De fait, la nouveauté de la « nouvelle » évangélisation ne peut venir que
de l’action de Dieu et de la nouveauté de la parole de Dieu qui ne cesse de se faire entendre dans et
par l’Eglise. Il s’agit bien de la nouveauté de l’Evangile qui n’est pas un Evangile seulement proclamé
mais un Evangile qui transforme l’existence lorsqu’il est annoncé, célébré et vécu dans une vie
d’homme et de femme de ce temps, dans ce monde. Alors, c’est bien l’Evangile qui transforme la vie,
c’est l’ensemble de nos actions qui devient témoignage rendu à l’Evangile et qui évangélise le
monde, c’est à dire les personnes, mais surtout les structure et les processus. C’est ainsi que la
nouvelle évangélisation découle de l’initiative même du Christ qui confie à l’Eglise sa mission et la
grâce de pouvoir en être le sujet.
La mission que l’Eglise reçoit du Christ.
Il faudrait ici un volumineux ouvrage pour présenter ce qu’est la mission que l’Eglise reçoit
du Christ. Pour être très synthétique sans être trop schématique, on peut s’en tenir aux trois axes qui
structurent la vie et la mission de l’Eglise et des chrétiens au Concile Vatican II : la mission est
conjointement sacerdotale, prophétique et royale. C’est ainsi que les fidèles du Christ sont qualifiés
5
Cf. Mgr Gérard DEFOIS, L’Eglise, espace d’alliance – Libres propos d’ecclésiologie pratique, Paris, Le Cerf,
2010, p. 14.
6
Cardinal Joseph RATZINGER, « La nouvelle évangélisation », art.cit., p. 92.
en LG 31 : ils sont « faits participants à leur manière de la fonction sacerdotale, prophétique et royale
du Christ » et, à ce titre, « exercent pour leur part, dans l’Église et dans le monde, la mission qui est
celle de tout le peuple chrétien ». Pour dire cette mission, la Lettre aux catholiques de France propose
trois expressions : célébrer le salut, servir la vie des hommes et annoncer l’Evangile.
Cela renvoie à l’expérience croyante des premiers chrétiens, exprimée notamment dans le
récit de la Pentecôte : « Ils étaient assidus à l’enseignement des apôtres et à la communion
fraternelle, à la fraction du pain et aux prières » (Ac 2, 42), comme au ministère du Christ lui-même
qui enseignait, priait et se portait auprès des hommes et des femmes de son temps pour leur
apporter la guérison, la liberté et le pardon.
Le lien entre ministère de Jésus et mission ecclésiale est ici fondamental. La vie et la mission
de l’Eglise sont structurées comme la mission du Christ parce qu’elles correspondent à l’action du
Christ dans son Eglise. On peut le redire ici autrement à partir de l’enseignement du Concile Vatican
II, notamment sur la liturgie : « le Christ est toujours là auprès de son Église » (SC 7). Mais cette
présence n’est pas qu’une proximité, elle est une action au plus intime de l’Eglise, de telle sorte que
« lorsque quelqu’un baptise, c’est le Christ lui-même qui baptise. Il est là présent par sa parole, car
c’est lui qui parle tandis qu’on lit dans l’Église les Saintes Écritures » (SC 7). Ainsi, lorsque l’Eglise
célèbre, c’est le Christ qui « s’associe toujours à l’Eglise, son Epouse bien aimée, qui l’invoque comme
son Seigneur et qui passe par lui pour rendre son culte au Père éternel (SC 7). De la même manière,
c’est le Christ qui s’associe l’Eglise pour annoncer la Bonne Nouvelle du salut et pour servir les
hommes et les femmes de ce temps, surtout les plus pauvres, les plus vulnérables et les exclus.
Célébrer, annoncer, servir.
De quoi s’agit-il ? La fonction sacerdotale (célébrer) renvoie à tout ce qui est du domaine de
la prière, de la célébration des sacrements, de la liturgie. La fonction prophétique (annoncer) à la
familiarité à l’Ecriture, à son étude et à son annonce, de la première annonce à la théologie en
passant par la catéchèse, les groupes de lecture de la Bible,… La fonction royale (Servir) est la plus
complexe à appréhender parce qu’elle recouvre tout aussi bien la charité en actes dans la présence
auprès des pauvres, des malades, des prisonniers, des exclus et, plus largement, le fait de se porter
au service de ses frères, que la fonction de gouvernement ecclésial, notamment en raison de la
question du pouvoir qui est associé à la charge royale. Servir, c’est alors pour l’Eglise « un travail
d’évangélisation des liens », selon la formule d’Etienne Grieu, travail pour lequel l’attention aux
pauvres et aux exclus comme à tout frère est bien central7.
Pour le théologien Louis-Marie Chauvet8, ces trois axes de la mission médiatisent l’action du
Christ dans l’Eglise et sont les éléments d’une structure symbolique et sacramentelle de l’identité
chrétienne. En ce sens, ce sont des portes d’entrée dans l’Eglise, soit au sens d’une conversion
initiale, comme la liturgie pour Paul Claudel et l’Ecriture pour saint Augustin, soit au sens d’une
croissance dans la foi, certains se nourrissant plus par la prière, d’autre par la familiarité avec
l’Ecriture, d’autres encore dans l’action auprès des plus pauvres. Cette conversion comme cette
croissance étant possibles parce que, dans chaque cas, il s’agit bien de consentement à l’action
salutaire du Christ.
Mais, pour conclure cette présentation schématique de la mission de l’Eglise, il faut prendre
conscience d’un risque, celui de considérer les axes dynamiques de cette mission selon un principe
disjonctif et passer à côté du principe de conjonction qui les structure. Cela est tout à fait
déterminant pour notre propos en tant que cela désigne le principe actif qui permet à la mission de
l’Eglise d’être une composante unifiante pour l’ensemble de la vie et de la mission des communautés
éducatives. Ce principe, c’est l’interaction vertueuse qui est au cœur de toute évangélisation.
7
voir Etienne GRIEU, Un lien si fort – Quand l’amour de Dieu se fait diaconie, Montréal/Bruxelles/Paris,
Novalis/Lumen vitae/Atelier, « Théologies pratiques », 2009.
8
Cf. Louis-Marie CHAUVET, Symbole et sacrement – Une relecture sacramentelle de l’existence chrétienne,
Paris, Le Cerf, « Cogitatio fidei » 144, 1987, p. 177 sq.
L’Evangélisation comme interaction vertueuse
En effet, si la mission de l’Eglise est transformante par l’action du Christ qui s’associe à
l’Eglise pour célébrer le salut, annoncer l’Evangile et servir les liens de communion entre les hommes
et les femmes de ce temps, elle l’est selon une interaction vertueuse.
Si l’action de célébrer est isolée du reste de la mission, alors on tombe dans le danger d’une
piété magique. L’altérité du Dieu qui se révèle en Jésus-Christ risque de s’estomper si elle ne repose
plus que sur la force de la ritualité liturgique. La vérité de la prière du chrétien comme de celle de
l’Église entière réside dans sa capacité à être une prière « pour la gloire de Dieu et le salut du
monde », c'est-à-dire ouverte au Dieu qui se révèle en Jésus-Christ et à des hommes à aimer et
servir. Dans le cas contraire, la prière pourrait n’être qu’un exercice narcissique clos, confortable et
chaleureux mais dont les fruits seraient suspects. Ainsi, l’action de célébrer a besoin d’être vérifiée et
nourrie par l’axe de l’annonce et l’axe du service.
De même, l’action d’annoncer ne peut être isolée du reste de la mission sous peine de
transformer la référence à l’Ecriture en fondamentalisme ou en « savoir religieux ». L’accumulation
du savoir ne garantit ni la foi ni la reconnaissance de celui qui se révèle dans le texte biblique.
L’altérité du Dieu en Jésus-Christ risque de s’estomper et de rester lettre morte si elle ne repose que
sur un texte. Ainsi, l’action d’annoncer a besoin d’être vérifiée et nourrie par l’axe de la célébration
et l’axe du service.
L’action de servir, de même, ne peut être isolée du reste de la mission sous peine de verser
dans l’activisme ou le moralisme, voire dans une forme de « pharisaïsme ». La gratuité de la charité
en acte n’est possible que comme don de Dieu qui permet jusqu’à l’amour de l’ennemi (cf. Mt 5, 4344). L’amour ne serait plus que « valeur » s’il ne reposait que sur un volontarisme, même généreux.
Ainsi, l’action de servir a besoin d’être vérifiée et nourries par l’axe de l’annonce et l’axe de la
célébration.
On découvre alors la nécessité de cette interaction entre les trois éléments, une interaction
qui a comme vertu première de garantir l’action de Dieu et la primauté de son initiative.
Quelle nouveauté ?
Après ce rappel de ce qu’est la mission que l’Eglise reçoit du Christ, il peut être légitime de se
demander quelle est la nouveauté que l’on peut attendre d’une « nouvelle évangélisation ». Celle-ci
est triple.
Elle est d’abord la nouveauté qui dépend de l’initiative de Dieu. Car il est certain que
l’Evangile ne peut être annoncé, célébré et vécu que par l’action de Dieu dans l’Eglise et dans le cœur
des baptisés. Cette nouveauté est celle qu’apporte sans cesse le mystère pascal actualisé dans
l’Eglise et dans le monde.
Il s’agit de plus d’une nouveauté ecclésiologique en ceci que l’ensemble de la mission de
l’Eglise dépend de l’action de l’ensemble des membres de l’Eglise. La nouvelle évangélisation est
donc bien le fait de tous dans le peuple chrétien, et notamment des fidèles laïcs, premiers
évangélisateurs au cœur du monde. Il s’agit là d’un défi d’importance qui touche à la nécessaire
conversion missionnaire des communautés chrétiennes, trop habituées à être des communautés de
consommation et non des communautés de mission.
Il s’agit enfin de la nouveauté des fruits que l’on peut en attendre. Il peut être intéressant
alors, en guise de conclusion, de se tourner une dernière fois vers les lineamenta du prochain synode
qui appellent à un « discernement des changements qui touchent la vie chrétienne dans les
différentes sphères culturelles et sociales » il s’agit pour l’Eglise d’un travail de discernement qui
passe par une relecture conjointe de la tradition et des conditions actuelles de l’évangélisation. C’est
ce travail de discernement qui permettra à l’Eglise d’affronter les défis qui sont les siens afin de « les
habiter et les transformer en des lieux de témoignage et d'annonce de l'Évangile ».
Ces défis, ils sont culturels, touchant à la sécularisation, à l’individualisme,… Ils sont sociaux,
économiques, technologiques ou politiques. Il s’agit alors pour l’Eglise d’accepter de se mesurer à ces
défis et d’avoir l'audace de mettre la question sur Dieu au sein de ces problèmes. Ce qui est ici en
jeu, c’est la capacité pour l’Eglise d’être force de proposition pour de nouvelles pratiques sociales9.
La nouvelle évangélisation consiste alors à « insérer la question de Dieu parmi les problèmes
de l'homme d'aujourd'hui ». Cette insertion vise à contrer le détachement de la foi dont font preuve
nos contemporains. Elle vise surtout à témoigner d’une espérance inouïe au nom de l’Evangile
célébré, annoncé et vécu.
9
Je me permets de renvoyer à ma contribution : François MOOG « L’Eglise comme proposition crédible de lien
social vertueux », dans J.-L. SOULETIE (Dir.), Une théologie en post-modernité, Paris, Bayard, « Theologia »,
2011, p. 203 sq.
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