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LES INTERVIEWS D'ALTAÏR THINK TANK
Jacqueline CHABBI
Spécialiste de l'islam de la première période
Jacqueline CHABBI est historienne, agrégée d'arabe, docteur de troisième cycle, spécialiste de l'histoire du monde musulman
et docteur ès Lettres. En retraite de l'université Paris VIII où elle a enseigné près de trente ans, elle a publié deux livres sur la
période des origines de l'islam : Le Seigneur des tribus, l'islam de Mahomet, Paris, Noésis, 1997, réed CNRS, 2010, 2013 et
Le Coran décrypté, Figures bibliques en Arabie, Fayard Paris, 2008 réed Cerf 2014. Son troisième livre, Les Trois piliers de
l'islam, lecture anthropologique du Coran, va paraître début avril 2016, Seuil, Paris.
LES DJIHADISTES ET LES SALAFISTES PRETENDENT SOUVENT IMITER LES
PIEUX ANCETRES, LES SALAFS, MUSULMANS DES PREMIERES GENERATIONS. EN
QUOI CETTE COMPARAISON PEUT-ETRE HISTORIQUEMENT AVEREE OU REFUTEE
?
Ce qu'on appelle l'islam s'est construit dans l'histoire, c'est-à-dire dans une chronologie et cette inscription dans
l'histoire a été progressive. L'islam ne s'est pas construit d'un bloc mais progressivement à la faveur d'évolutions
mais aussi d'effacements. L'islam a été constamment de son époque, c'est-à-dire qu'à chaque moment de
son histoire il s'est adapté aux conditions sociales et culturelles de chaque période et de chaque conjoncture
sociale qu'il a traversées. Cela n'a rien d'une originalité. Toutes les religions millénaires ont vécu la même chose.
Un passé inventé de toutes pièces par les djihadistes
Dans le salafisme ou le djihadisme (idéologiquement c'est équivalent, le premier pouvant servir facilement de
tremplin au second) on est dans une totale illusion quant au rapport à l'histoire réelle. Là non plus ce n'est
pas une originalité, d'autres grandes croyances collectives -y compris se revendiquant comme non
religieuses comme les marxismes- ont vécu des phases d'idéologisation intense qui leur ont fait perdre
presque tout lien avec la réalité de leur époque pour tenter d'y substituer un fantasme qu'elles se sont
acharnées à tenter de faire passer dans la société de gré ou de force contraignant les populations à se plier à leurs
diktats. Quand une idéologie prend le pas sur le réel au quotidien d'une société pour prétendre la transformer en
répondant au modèle fantasmatique qu'elle s'est fabriquée, cela se fait forcément dans une grande violence. Au
XXème siècle cela a été le cas dans le stalinisme et le nazisme, plus récemment dans le maoïsme puis chez les
khmers rouges et encore maintenant en Corée du Nord. Depuis peu, c'est au tour de l'islamisme djihadiste de
vouloir imposer son fantasme globalisant.
Muhammad, un acteur politique respectueux du cadre de sa société
Le contresens fondamental de l'idéologie tant salafiste que djihadiste (qui est le versant en acte de la même
idéologie) est de penser que l'islam premier a inventé une société musulmane alors qu'anthropologiquement (1)
et historiquement c'est exactement le contraire, l'islam premier s'est moulé dans une société qui lui
préexistait. Si celui qui était son prophète à Médine n'avait pas scrupuleusement respecté les règles de socialité
(2) existantes que ce soit dans l'organisation interne de son milieu de vie ou dans les actions extérieures qu'il a
menées, son action aurait été immédiatement vouée à l'échec. Le Muhammad médinois n'a pas mené une action
religieuse mais une action politique dans le cadre de la société de son époque.
Le Coran, seule référence avérée
La socialité de ce temps et de ce lieu était de type tribal ce qui implique un mode de fonctionnement spécifique
sur lequel s'est calqué l'islam premier, celui auquel donne écho le texte du Coran. Pour bien comprendre les
spécificités de ce moment initial, il importe d'éviter soigneusement tout anachronisme. Il est totalement proscrit
de mélanger les époques. Le corpus textuel qui doit servir de référence est le seul Coran. Il est donc essentiel
de ne pas y mêler les corpus postérieurs que ce soient ceux de l'historiographie de la fin du VIIIème siècle ou
celle de la sîra qui met en scène une vie déjà très idéalisée de Muhammad qui devient prophète en tout ce qu'il
fait, masquant largement son statut réel d'homme de tribu du début du VIIème siècle en Arabie.
Il s'agit bien moins encore du corpus de la tradition dite prophétique, le hadîth qui ne se compile qu'à partir du
milieu du IXème siècle, voire dans le chiisme au siècle suivant. Cela se fait dans des sociétés qui,
géographiquement (Iran oriental et Asie centrale), ethniquement, culturellement n'ont plus rien à voir avec la
société de l'origine, la société tribale de la péninsule arabique.
Les « compagnons du prophète », à l'opposé des salafistes
Les hommes de la société tribale première n'ont été ni les pieux compagnons que l'on imagine dans ces
corpus postérieurs ni les salafs (le sens est les "anciens") que l'on prétend imiter mais simplement des
hommes de tribu de leur temps. La société d'origine ne reconnaissait d'autorité qu'au chef de famille vis-à-vis
des siens. Quant aux clans et à la tribu, les décisions prises ne pouvaient l'être que de manière consensuelle et
au cas par cas. Nul ne pouvait contraindre un clan à faire ce qu'il estimait ne pas être dans l'intérêt des siens.
Mourir pour une cause ou pour gagner un paradis aurait été considéré comme pure folie. Toute action
devait produire des effets ici et maintenant. Si ce n'était pas le cas, si on n'avait rien à y gagner dans le présent ou
si on risquait d'y perdre la vie on se gardait bien d'y participer, car mourir c'était d'abord affaiblir son clan.
Le Coran, un livre qui reflète l'époque à laquelle il est né
Le Coran rend parfaitement compte en nombre de ses passages de cette mentalité utilitariste qui fait écho
à la vie dans des sociétés de tribus dans un environnement aride particulièrement dangereux. L'avenir était
toujours incertain en fonction de la pluie qui serait tombée ou pas d'une année sur l'autre ou du cataclysme qui
s'abattrait brutalement. Il faut savoir que l'Arabie occidentale est une zone de volcanisme actif tout comme en
face la rive africaine. La dernière grande coulée de lave échappée d'un volcan proche de Médine date de 1256.
Nombre de traits du Coran tiennent au fait qu'il se dit dans ce contexte d'une économie de survie. Il va sans dire
que dès lors que le texte est adopté par les sociétés postérieures qui sont extérieures à l'Arabie, tout cet arrièreplan disparaît. Il n'est plus perçu par les populations qui s'approprient le texte.
L'imaginaire premier tout axé sur le rapport à cet environnement difficile qui modèle la socialité subit un
effacement complet pour se voir remplacé -évidemment de façon totalement invisible- par l'imaginaire collectif
des populations nouvelles qui font du Coran leur texte sacré de référence. C'est évidemment aussi le cas de tous
les autres textes sacrés qui voyagent à travers les lieux et la temporalité. Mais on peut dire en ce qui concerne le
Coran que le contraste est particulièrement frappant entre un avant et un après, dans la mesure où le milieu
arabique d'origine était particulièrement spécifique et non transposable dans un autre environnement, ne
serait-ce que celui pourtant proche géographiquement du Proche-Orient. Il était donc attendu que les musulmans
non tribaux soient infidèles au passé premier de l'espace coranique et qu'ils en produisent une lecture à peu près
totalement fictionnelle et cela dès les premiers siècles de l'islam.
L'islam des premiers temps n'a pas cherché à convertir
Il faut savoir encore que pendant près d'un siècle et demi après la sortie des tribus d'Arabie, à la faveur de leurs
razzias conquérantes, l'islam tribal était resté non convertisseur. Pour devenir musulman il fallait parvenir
à se rattacher à un clan issu d'une tribu de la péninsule arabique dont on devenait le mawlâ, autrement dit le
membre rattaché. Il fallait donc se tribaliser car le religieux était vécu comme l'appartenance à une alliance,
le wala' qui passait d'abord par les hommes avant d'autoriser le rattachement à un dieu.
Ce verrou anthropologique ne saute qu'après la chute de l'empire omeyyade qui avait dominé les terres conquises
pendant 89 ans de 661 à 750. C'est sous leurs successeurs, les Abbasides (pourtant eux aussi d'origine mekkoise),
que s'effectue la sortie du tribalisme et que se construit (du IXème au Xème siècle) l'islam-religion sur le
modèle des religions proche-orientales préexistantes, produisant à la fois un ritualisme, un juridisme, et une
spiritualité qui correspondaient aux attentes des sociétés non tribales.
Ce déroulement historique complexe lié à des contextes anthropologiques très différents est totalement
ignoré dans le monde musulman actuel, aussi bien malheureusement qu'en dehors de lui. La mythification
du passé domine donc à peu près partout la représentation des origines de l'islam que ce soit chez ceux qui
veulent voir un islam premier spirituel et pacifique, chez ceux qui le voient marqué par une violence intrinsèque,
ou encore chez ceux qui, comme dans le cas des djihadismes actuels, l'érigent en modèle dogmatique qu'il
conviendrait d'appliquer et de diffuser par tous les moyens y compris par la terreur.
HISTORIQUEMENT EN QUOI LE CALIFAT EVOQUE PAR
ABU BAKR AL-BAGHDADI RESSEMBLE OU NON AUX PRECEDENTS CALIFATS DE
L'ISLAM ?
Alors non! Le supposé califat de l'état islamique ne ressemble en rien à ce qu'a été le pouvoir tribal des
successeurs de Muhammad dont on ne pense d'ailleurs pas que, historiquement, ils aient été nommés des
califes et encore moins des "califes bien dirigés", râshidûn, selon l'expression laudative inventée postérieurement
qui les désigne.
Le prétendu califat d'al-Baghdadi n'a jamais existé aux premiers temps de l'islam
Il n'y a pas eu d'Etat musulman primordial et exemplaire, ni du temps de Muhammad ni sous ses quatre
premiers successeurs. Selon les normes politiques du temps et du lieu, ce qui a été mis sur pied, c'est une
confédération tribale classique qui, forte de la confiance qu'elle faisait à son allié divin, n'a fait que se livrer à des
razzias qui ont conduit les tribus hors des limites de leur champ d'action habituel. Il ne s'agissait pas de convertir
le monde à une religion qui n'existait que comme alliance tribale mais simplement de poursuivre des avancées
profitables qui, de façon tout à fait inattendue, ont réussi à bousculer tous les obstacles.
Des conquêtes qui limitent les destructions et la pression religieuse
Il n'y a nul miracle musulman là-dedans mais une conjoncture historique qui a permis ces conquêtes comme
ailleurs ont eu lieu de grandes invasions tribales. Il suffit de penser aux Huns d'Attila au Vème siècle ou aux
mongols de Gengis Khan et de ses fils au XIIIème siècle. La différence est que les razzias ont été contrôlées, non
par de purs nomades, mais par les tribus sédentaires de l'Arabie occidentale qui ont su réguler les appétits de
leurs alliés bédouins en limitant les destructions et en laissant en place l'appareil économique et
administratif des pays conquis, tout en s'abstenant d'exercer sur eux la moindre pression religieuse
puisque la conquête n'avait d'objectifs que matériels (le butin et le tribut) et pas de visée idéologique.
Un califat, tel que l'entendent les djihadistes d'aujourd'hui, n'a jamais existé. C'est une pure fiction. Elle
est basée sur l'historiographie des VIIIème et IXème siècles qui s'écrit dans la société abbaside détribalisée qui se
donne un passé fondateur autour de la figure magnifiée de Muhammad Prophète en y ajoutant dans une sorte de
grand bricolage toutes sortes d'éléments tirés des corpus juridiques de différentes époques qui vont des courants
qui se mettent en place durant le premier siècle de la période abbaside, hanafisme, malikisme, chafiisme puis
hanbalisme. Leurs corpus d'avis juridiques, les fatwas, commencent à se constituer au IXème siècle pour se
prolonger ensuite dans leurs courants, institutionnalisés seulement à partir de la fin du XIème siècle.
L'islamisme radical, un produit issu de l'alliance entre colonialisme et wahhabisme
Le corpus wahhabite est beaucoup plus récent puisqu'il émane d’Ibn 'Abd al-Wahhâb (m. 1792),
idéologue extrémiste, particulièrement décrié de son temps par les autres courants juridiques y compris le
sien (le hanbalisme). Ce courant ne doit sa notoriété actuelle qu'à une conjoncture politique, son alliance avec le
pouvoir saoudien. Sa virulence et son intolérance l'amenant à massacrer les chiites et à déclarer apostats
(takfirisme) ses contradicteurs avaient amené les autorités ottomanes du début du XIXème siècle à le poursuivre
et à faire exécuter ses chefs. Mais, dans le fracas des crises majeures qui secouent le Proche et le Moyen-Orient
depuis une trentaine d'années, on a assisté à une résurgence erratique de ce mouvement, à travers le califat
auto-proclamé de l'activiste iraquien al-Baghdâdî (2014) qui se tourne même contre le mentor saoudien de son
mouvement et qui tend à récupérer le salafisme de la fin du XIXème siècle, qui lui, est le produit de la
colonisation des pays musulmans de l'Inde au Maghreb, et de la disparition de l'empire ottoman au début du
XXème siècle.
Y A-T-IL UNE DIFFERENCE ENTRE LE DJIHAD EVOQUE DANS LE CORAN, CELUI
QUI A ETE PRATIQUE DANS LES PREMIERS SIECLES DE L'ISLAM ET CELUI
AUQUEL ON ASSISTE ACTUELLEMENT ?
La notion de djihâd dans le Coran renvoie au mode de fonctionnement de la société tribale. Cela n'a rien
de musulman. C'est simplement une modalité de l'action dans une société de tribu. Au sens banal, le mot
signifie simplement "faire tous ses efforts pour aboutir à un résultat". Il n'y a pas non plus là-dedans de
spiritualité comme on l'entend souvent parmi ceux qui se réclament d'un islam pacifique.
Le djihad des premiers temps n'a rien de religieux
Dans le contexte de l'action médinoise (3) de Muhammad, une fois qu'il a été banni de son clan familial et qu'il a
donc dû s'exiler, le djihâd est invoqué pour amener les hommes de tribu à participer aux actions qu'il mène.
La politique de Muhammad qui a pour but d'amener son ancienne tribu à adhérer à l'alliance d'Allah passe
d'abord par des phases de combat selon les modalités de l'époque, la razzia. Il s'agit pour Muhammad de se faire
reconnaître comme interlocuteur crédible.
Négocier pour rallier
Mais la razzia réussie ne vise en fait qu'à ouvrir la voie à la négociation. Elle n'est pas faite pour éliminer
ou tuer mais tout au contraire pour rallier. Cet objectif sera atteint par la conclusion de l'alliance entre
Médine et La Mekke un peu plus deux ans avant la mort de Muhammad en 632 (date présumée). C'est parce que
cette alliance très récente servait les intérêts des deux cités (et non pas pour des raisons de religion) que l'alliance
tient après la mort de son initiateur. C'est la solidité de cette alliance puis le ralliement de l'Arabie Centrale après
un dur combat gagné par les médino-mekkois, qui va servir d'aiguillon aux razzias extérieures qui seront là aussi,
contre toute attente, couronnées de succès.
La prudence et le culte de la vie
C'est dans ce programme politique que s'inscrit la notion de djihâd. Il faut savoir en effet que chaque action
menée nécessitait de faire appel à des volontaires. Ceux-ci ne s'engageaient que si la perspective d'un butin
intéressant s'offrait à eux. S'ils craignaient que leur engagement ne leur soit pas profitable ou que le combat
attendu soit trop dangereux, ils ne s'engageaient pas. Ils refusaient donc le djihâd. En effet, les hommes de tribu
de l'époque craignaient par-dessus tout de manquer à leur clan. S'il y avait des blessés ou des morts le clan se
trouvait affaibli et c'est ce qu'on voulait éviter à tout prix. La répétition coranique de l'engagement du djihâd dans
les actions que programme Muhammad témoigne donc non de l'enthousiasme des volontaires mais du contraire.
Le Coran, dans des passages que l'on oublie de citer, témoigne parfaitement de ces réticences et de cet état
d'esprit très prudent. La répétition des incitations coraniques à s'engager montre que les volontaires ne se
bousculaient pas. Il faut ajouter que dans cette société aucune contrainte d'aucune sorte ne pouvait obliger un
homme de tribu à prendre part à une razzia. Il faut donc remettre en contexte un passage comme celui de 2, 216,
"le combat vous est prescrit mais il vous répugne ...". La prescription en question n'est en aucun cas une
obligation de "guerre sainte" comme le mentionnent complètement à tort certains traducteurs. Ce n'est qu'une
incitation à agir à laquelle on a le choix de répondre ou non, selon son intérêt du moment.
L'obéissance, un contrat temporaire
Quant à la notion d'obéissance, tâ'a, que l'on rencontre également en période médinoise, étant donné ce contexte
anthropologique, il faut savoir que c'est un consentement d'obéir et non une obéissance due. Dans cette société,
l'obéissance est un contrat temporaire que l'on conclut pour mener une action précise. C'est le cas quand on
a besoin de se donner collectivement un chef, lors d'un voyage caravanier ou lors d'un combat. On s'engage
alors, pour la durée de l'action, à suivre ce chef sans partir chacun de son côté, ce que les nomades étaient
néanmoins tentés de faire s'ils se sentaient en danger. La formule coranique médinoise "obéissez à Allah et à son
Messager" comme dans 3, 32 doit donc être comprise en regard de ce contexte anthropologique. On remarquera
d'ailleurs que la sanction qui accompagne cette prétendue obligation est eschatologique (4) et non humaine. C'est
Allah qui est vu comme se chargeant (au Jour du Jugement dernier) de sanctionner celui qui aura tourné les
talons.
Le djihad tardif, un prétexte idéologique
Evidemment quand l'islam aura changé de société et sera devenu une religion du Proche Orient, ces spécificités
tribales ne seront évidemment plus perçues. Quant au fait de savoir si la notion de djihâd évolue ensuite, on peut
dire qu'elle ne le fait pas durant la phase tribale qui recouvre les conquêtes extra-arabiques. L'abondance du butin
attendu avait alors levé toutes les réticences des tribus. Plus tard les pouvoirs musulmans successifs mèneront
des guerres d'expansion classiques avec des armées de mercenaires. Le djihâd devient alors une notion
idéologique agitée de temps en temps, par exemple, par les idéologues du temps de Saladin, au moment des
croisades.
Une anecdote plaisante qui figure dans la littérature du IXème siècle remet les choses à leur place. Elle parle d'un
illuminé qui voulait partir faire le combat sur la frontière de Byzance à la manière de ce qu'il imaginait avoir été
les combats du Prophète. Mal lui en prit. Il fut fait prisonnier et devint chrétien ce qui n'était pas le but recherché.
ON PARLE DE LA VIOLENCE CONTENUE DANS CERTAINS VERSETS DU CORAN.
DANS QUELLE PROPORTION CETTE VIOLENCE SE RETROUVE DANS L'ENSEMBLE
DU CORAN ? COMMENT L'EXPLIQUER ? ET PEUT-ON LA COMPARER A CE QUE
L'ON TROUVE DANS L'ANCIEN TESTAMENT OU D'AUTRES TEXTES RELIGIEUX ?
Il n'y a pas de violence coranique qui ne corresponde pas à la violence de l'action tribale de son époque. On peut
dire que le Coran est en parfaite adéquation avec les modalités de l'action tribale de son temps et les règles
des combats et de la négociation qui y prévalaient.
Pas de violence religieuse, une action politique
Ce n'est donc en aucun cas une violence religieuse, mais celle, mesurée qui s'inscrivait dans un
programme politique, celui de Muhammad qui cherchait à obtenir l'adhésion à l'alliance de son dieu de la tribu
mekkoise qui l'avait rejeté. Ce n'est pas l'extermination de cette tribu qu'il recherchait mais son ralliement et il
finit par y parvenir au prix d'une première razzia réussie (la caravane de Badr), puis d'un échec (la sortie
malheureuse de Uhud) puis d'une confrontation où il refuse le combat (épisode dit du siège de Médine) si bien
que les Mekkois plantés devant Médine finissent par s'en aller. Ensuite ce seront les grandes manoeuvres d'une
suprême habileté (la ruse du pèlerinage qui le conduit devant La Mekke) pour parvenir à négocier. La Mekke
passe enfin sous son contrôle sans combat à l'issue d'une négociation avec le clan dominant de la cité qui y
trouvait son intérêt. Les nouveaux alliés ne se désunissent pas quand ils sont attaqués par la grande tribu
bédouine de la zone (le combat d'abord indécis de Hunayn). Les médino-mekkois l'emportent et la tribu
bédouine se rallie.
Continuer à rassembler
La dernière cité hostile, Taëf, la cité de montagne proche de La Mekke, se rallie à son tour un an plus tard. Il
reste à prendre le dessus sur les derniers petits bédouins de l'Arabie occidentale. Le périmètre contrôlé ne va pas
plus loin, sinon à la faveur de quelques razzias sur la piste du nord de Médine. Alors les petits bédouins locaux
encore réfractaires sont menacés par le verset dit du sabre, 9, 5 qui est en fait un marchandage si on considère la
séquence toute entière. Le texte doit être corrigé il faut lire "combattez "et non pas "tuez" (c'est la même
racine en arabe QTL car le mot qitâl, le "combat" alerte sur le risque non pas de tuer mais d'être tué ce que tout
homme de tribu cherche à tout prix à éviter) car ensuite il n'est question que de discuter et de poser les
termes d'un ralliement.
Le discours et les actes
Face à ce type de texte, il faut toujours mettre en regard le discours et l'action réelle. Ce n'est pas parce
qu'on parle fort que l'on agit fort. C'est même souvent tout le contraire. De cette violence prêtée à tort au
Coran, il reste deux choses à examiner le curieux verset de 5, 33 et le problème des juifs de Médine.
Concernant d'abord le verset, 5, 33, extrêmement violent, qui menace de crucifixion et de mutilation des mains et
des pieds "ceux qui font la guerre à Allah", la tradition historiographique suppose qu'il répondrait à un crime
particulièrement horrible qui aurait été commis. C'est ce qui aurait suscité cette riposte extrême.
Un tel propos ne s'inscrit pas en effet dans la logique des combats tribaux ordinaires avec lesquels le Coran est
constamment en phase. On remarquera par ailleurs que le châtiment invoqué reprend mot pour mot une menace
incluse dans le récit du Pharaon coranique qui en menace les magiciens de sa cour car ils se montrent sensibles
aux arguments de Moïse (26, 49 et 7, 124). Ce verset sur ces châtiments extrêmes succède au passage
coranique sur l'interdiction du meurtre. Il va de soi que les idéologues de Daech ont utilisé le verset 5, 33 en
lui donnant une portée a-temporelle, hors de toute contextualisation, pour justifier leurs crimes.
Les tribus juives
Le problème de la violence exercée envers les juifs médinois est autre. Les trois tribus juives présentes à Médine
faisaient partie de la confédération inter-tribale de la grande oasis qui était partagée entre ces trois tribus juives et
deux tribus arabes. Il était impossible à Muhammad nouvel arrivant, de pouvoir, au nom du Coran,
ostraciser qui que ce soit dans l'oasis. Nouvel arrivant à Médine et fort de la représentation qu'il s'était faite à
La Mekke de recevoir une révélation qui se situait dans la ligne de révélations antérieures faites à Abraham et
Moïse, Muhammad semble avoir cru que les juifs médinois confirmeraient cette conviction et qu'ils
reconnaîtraient l'authenticité de sa prophétie. Cela ne pouvait évidemment être le cas, car les figures bibliques
coranisées répondaient à des objectifs proprement coraniques qui ne pouvaient être ceux des rabbins médinois
face aux rouleaux de la Torah. Après des tentatives de conciliation et de compromis sans qu'aucune issue ne soit
en vue – il ne pouvait pas y en avoir – le discours coranique se fit de plus en plus violent et insultant (la menace
de transformation simiesque, 5, 60 ; 2, 65) et cela d'autant plus que dans la réalité tribale, rien ne pouvait être
fait contre ces membres à part entière de la population de l'oasis. L'occasion pour faire partir d'abord deux
tribus puis pour faire exécuter les hommes de la troisième sous l'inculpation de trahison fut donc politique. La
dernière tribu qui était la plus puissante est accusée d'avoir prêté main forte aux Mekkois venus assiéger l'oasis
(33,26). Là encore il ne s'agit donc pas de violence coranique.
Quant à la violence divine dans le Coran, elle est bien présente mais elle est reportée dans l'eschatologie,
c'est à dire dans l'au-delà. C'est un nouvel indice de l'impossibilité que l'on a de l'exercer contre les
réfractaires de la main des hommes sauf pour une raison compatible avec la coutume et les règles
purement tribales.
Le Coran et l'Ancien Testament
Et alors le Coran et l'Ancien Testament ? Pas plus que le Coran il ne faut soustraire l'Ancien Testament aux
arrière-plans historiques auxquels il renvoie. Mais, tandis que ceux du Coran ne correspondent qu'à une
décennie, 622-632, ceux de l'AT couvrent presque deux millénaires et donnent écho à l'histoire tourmentée du
Proche et du Moyen-Orient. L'Ancien Testament est donc plein de bruit et de fureur. Même si ses contextes
successifs sont plus difficiles à cerner que ceux du Coran, il ne fait pas de doute qu'il faut mettre
l'idéologie de l'AT en rapport avec ses différents contextes historiques pour autant qu'on puisse les repérer.
ET EN CONCLUSION ?
On conclura en disant qu'aucun texte sacré ne saurait échapper à son histoire humaine. Ce sont les
lectures des hommes qui déshumanisent les textes en les inscrivant dans une idéologie décontextualisée
qu'elle se veuille d'ailleurs pacifique ou violente.
Propos recueillis par François ADIBI,
Président d'Altaïr think tank culture médias
[email protected]
Définitions
− (1) Anthropologie : étude des hommes et des groupes humains.
− (2) Socialité : ensemble des liens sociaux découlant de la capacité de l'homme à vivre en société.
− (3) Périodes : mecquoise, de 612 à 622 / médinoise, de 622 à 632.
− (4) Eschatologie : ensemble de doctrines et croyances portant sur le sort de l'homme ou de l'univers après leur
disparition.
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