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Des galaxies défient la théorie de la
matière noire
ACTUALITECLASSE SOUS :MATIERE NOIRE , MOND , GALAXIE
Laurent Sacco, Futura-Sciences
Publié le 15/10/2016
De nouvelles mesures concernant les galaxies font, une fois de plus, pencher la balance du côté de la
théorie Mond. Celle-ci modifie les lois de la gravitation de Newton, au détriment de la théorie de la matière
noire, qui est au fondement du modèle standard de la cosmologie. Mais peut-être faut-il simplement
considérer des modèles de matière noire exotiques, comme nous l'explique l'astrophysicien Benoît Famaey.
Une petite bombe a explosé en astrophysique il y a quelques semaines. Celle-ci aurait peut-être le pouvoir
d'ébranler, voire de révolutionner à terme, les fondements de la cosmologie, et finalement ceux de la
physique fondamentale.
Il s'agit d'une étude réalisée par Stacy McGaugh, de la Case Western Reserve University, en compagnie de
ses collègues Federico Lelli et Jim Schombert. Elle concerne, comme les chercheurs l'expliquent dans un
article déposé sur arXiv et accepté dans Physical Review Letters, les mouvements des étoiles dans 153
galaxies de formes et de masses variées, par exemple des grandes galaxies spirales et des petites galaxies
irrégulières.
Ces mouvements semblent difficilement réconciliables avec le modèle standard de la matière noire. En
revanche, ils s'expliquent bien dans le cadre de la théorie Mond (la théorie de la dynamique newtonienne
modifiée, en anglais Modified Newtonian dynamics), qui propose des modifications de la physique
newtonienne : sa mécanique et sa loi de la gravitation censées être valables avec de faibles vitesses et
accélérations.
Stacy McGaugh est connu pour ses travaux sur les galaxies à faible brillance de surface et ceux sur la
théorie Mond. En comparaison de l'hypothèse de l'existence de la matière noire, Mond rend de mieux en
mieux compte des observations concernant les galaxies, notamment les galaxies naines satellites de la
galaxie d’Andromède (voir aussi à ce propos notre article Faut-il abandonner la matière noire pour Mond ?
L'avis de Benoît Famaey).
Succès et déboires de la théorie de la matière noire
Les résultats qui viennent d'être obtenus en utilisant les observations accumulées durant cinq ans dans
l'infrarouge proche par le télescope Spitzer sont troublants. Ils viennent alimenter le débat entre, d'une
part, les partisans de l'introduction de nouvelles particules pour rendre compte du monde des galaxies, et,
d'autre part, ceux qui préfèrent modifier la loi de la gravitation.
Pour en comprendre les raisons, quelques rappels sont nécessaires.
La matière noire est nécessaire pour faire naître les galaxies et rendre compte de certaines caractéristiques
du rayonnement fossile solidement établies par les mesures du satellite Planck. Aucune autre explication
ne tient actuellement la route.
Par ailleurs, à l'échelle des galaxies, on constate que les vitesses des étoiles ne décroissent pas selon la
distance au centre des galaxies comme elles devraient le faire en fonction de la répartition et de la masse
des étoiles observées. Pour expliquer ce fait, on a tout d'abord postulé l'existence d'une quantité de matière
supplémentaire bien plus importante, mais ne rayonnant pas, donc noire, sous la forme d'un halo quasiment
sphérique entourant chaque galaxie. Nous savons, pour plusieurs raisons, que ce ne peut pas être de la
matière normale. Heureusement, bien des extensions de la physique du modèle standard conduisent
naturellement à l'existence de nouvelles particules encore inconnues sur Terre qui pourraient constituer
cette matière noire. Malheureusement, et contre toute attente, le démarrage du LHC - ainsi que celui de
bien des détecteurs imaginés pour mettre en évidence ces nouvelles particules et qui sont en
fonctionnement (AMS, LUX, etc.) - n'a rien donné depuis une dizaine d'années.
Mond, l'alternative proposée en 1983 par le physicien Mordehai Milgrom, d'abord regardée avec défiance,
prend donc de plus en plus de poids, même si elle échoue quand certains tentent de l'utiliser pour expliquer
les observations de Planck et les grandes structures regroupant les galaxies. Cependant, une version tenant
compte de la théorie de la relativité, encore à découvrir, pourrait bien ne pas avoir le même défaut.
Sur ce schéma, est représentée en pointillés la courbe des vitesses de rotation des étoiles dans
une galaxie déduite de la répartition de ces étoiles dans le disque. Les observations ne valident
pas cette déduction. En effet, les étoiles détectées dans le visible tournent plus vite, tout comme
les nuages d'hydrogène repérés grâce à la fameuse raie à 21 cm. Les vitesses sont ici en km/s et
les distances en milliers d'années-lumière (ly sur le schéma). © Wikipédia, DP
Une nouvelle prédiction de Mond couronnée de
succès
Toujours est-il qu'en utilisant les données de Spitzer, McGaugh et ses collègues ont montré que les valeurs
des accélérations des étoiles, dans un échantillon de 153 galaxies diverses, sont étroitement liées, et, de
plus, de la même façon, aux variations de la répartition de la matière normale sous forme d'étoiles.
Or, ces accélérations, qui traduisent l'action de la force de gravitation, devraient largement être causées et
déterminées par la répartition de la matière noire dans les halos. En effet, celle-ci est bien plus massive que
la matière normale, à en croire les répartitions des vitesses des étoiles interprétées dans le cadre du modèle
de la matière noire. Il ne devrait donc pas exister de corrélations entre les accélérations et la distribution de
matière normale lumineuse... sauf si l'on introduit une nouvelle loi de la gravitation, et non pas de nouvelles
particules, comme le postule Mond.
Faut-il en conclure que le modèle standard de la cosmologie vient d'être réfuté (ce qui n'implique
nullement celui du Big Bang) et que nous savons maintenant que la matière noire n'existe pas ? Pour le
savoir, Futura s'est tourné à nouveau vers l'astrophysicien Benoît Famaey, qui connaît d'ailleurs bien Stacy
McGaugh puisqu'il a rédigé un article de fond sur Mond en sa compagnie pour Living Reviews in Relativity.
L'astrophysicien Benoît Famaey est un spécialiste des galaxies et de Mond. Chercheur au
CNRS, il travaille à l'observatoire de Strasbourg. © Pierre Maraval
Est-ce la première fois que l'on découvre une relation entre la répartition des étoiles dans
les galaxies et leur accélération en dehors du modèle de la matière noire ?
Benoît Famaey : En fait non, ni d'un point de vue théorique ni d'un point de vue expérimental. Dès 1983,
Milgrom avait prédit, dans le cadre de sa théorie, une relation conforme à celle observée aujourd'hui. Elle
émergeait également des mesures de courbes de rotation faites depuis un certain temps. L'incertitude sur le
rapport entre luminosité et masse des étoiles restait néanmoins problématique pour conclure avec certitude.
En 2010, mes collègues et moi avions déjà utilisé les données Spitzer pour 12 galaxies avec la même
conclusion, mais l'échantillon de 153 galaxies utilisé ici ne laisse, enfin, plus aucune place au doute. Cette
relation est réelle.
Faut-il donc maintenant abandonner l'hypothèse de l'existence de la matière noire au
profit de Mond ?
Benoît Famaey : Les choses ne sont pas si simples. Mond est plus un cadre de relations phénoménologiques
décrivant - et même prédisant - les observations qu'une théorie bien précise. On peut construire des modèles
exotiques de matière noire qui conduisent les étoiles à avoir des mouvements semblant contredire les lois
de Newton alors que, fondamentalement, il n'en est rien.
On ne peut pas exclure non plus que tout le monde ait raison et que, pour réconcilier les observations qui
sont contradictoires entre le rayonnement fossile et les étoiles dans les galaxies, il soit nécessaire de
postuler de nouvelles particules ET une nouvelle loi de la gravitation.
Il est difficile, par exemple, d'expliquer les mesures concernant les amas de galaxies faites avec l'effet de
lentille gravitationnelle en utilisant seulement Mond. On peut y arriver en introduisant également de la
matière noire. Ce n'est pas sans problèmes. On a essayé de le faire, par exemple, avec une population de
neutrinos massifs, les neutrinos stériles. Mais l'existence de ces neutrinos conduirait à la formation d'amas
de galaxies qui sont bien plus massifs que ceux observés.
L'astrophysicien Justin Khoury travaille à la frontière entre la cosmologie et la physique des
particules. Il a notamment proposé un nouveau modèle pour la matière noire. © Perimeter Institute
Pouvez-vous donner un exemple de modèle exotique de matière noire qui permettrait de
reproduire les succès de Mond ?
Benoît Famaey : Il y a d'abord le modèle de matière noire avec dipôles gravitationnels proposé par Luc
Blanchet. Il existe aussi une théorie proposée récemment par Justin Khoury qui fait intervenir des particules
décrites par un champ similaire à celui d'un modèle de matière noire souvent étudié, celui des axions. Ces
particules pourraient se comporter comme un superfluide sans viscosité en dessous d'une certaine
température critique. Cette température critique serait d'autant plus élevée que la densité est grande. Cette
transition de phase se produirait justement au niveau des galaxies, lorsque la matière noire est beaucoup
plus froide, un peu comme un gaz qui se condense en donnant des gouttes de liquide.
Des ondes sonores dans ce superfluide sont décrites par des phonons, comme dans le cas des solides, d'un
point de vue quantique. Il est alors possible de montrer que ces phonons peuvent interagir avec la matière
normale comme si la force de gravité était modifiée en donnant précisément les phénomènes que l'on
trouve dans le cadre de Mond.
Au moment où le rayonnement fossile a été émis et au niveau de la formation des amas de galaxies et des
grandes structures qui les regroupent, la matière noire est, bien sûr, non relativiste mais quand même trop
chaude pour se comporter comme un superfluide, de sorte que Mond ne s'applique pas.
L'ESA vient de rendre publics les premiers résultats des observations de Gaia. À terme, on
devrait faire un bond de géant dans la connaissance des positions et vitesses des étoiles
de la Voie lactée, qu'elles soient dans son disque, son bulbe ou dans le halo. Pourra-t-on y
voir plus clair sur toutes ces questions, voire confirmer Mond ?
Benoît Famaey : Les résultats déjà obtenus avec Gaia ne nous permettent pas encore de le savoir mais d'ici
quelques années, on aura des contraintes beaucoup plus fortes dans la Voie lactée sur les modèles de
matière noire ou sur ceux qui font intervenir des modifications de la loi de la gravitation. On devrait alors
être en bien meilleure position pour départager, peut-être, ces deux hypothèses et en tester d'autres comme
le modèle de matière noire superfluide. En attendant, on continue de travailler
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