Faut-il en conclure que le modèle standard de la cosmologie vient d'être réfuté (ce qui n'implique
nullement celui du Big Bang) et que nous savons maintenant que la matière noire n'existe pas ? Pour le
savoir, Futura s'est tourné à nouveau vers l'astrophysicien Benoît Famaey, qui connaît d'ailleurs bien Stacy
McGaugh puisqu'il a rédigé un article de fond sur Mond en sa compagnie pour Living Reviews in Relativity.
L'astrophysicien Benoît Famaey est un spécialiste des galaxies et de Mond. Chercheur au
CNRS, il travaille à l'observatoire de Strasbourg. © Pierre Maraval
Est-ce la première fois que l'on découvre une relation entre la répartition des étoiles dans
les galaxies et leur accélération en dehors du modèle de la matière noire ?
Benoît Famaey : En fait non, ni d'un point de vue théorique ni d'un point de vue expérimental. Dès 1983,
Milgrom avait prédit, dans le cadre de sa théorie, une relation conforme à celle observée aujourd'hui. Elle
émergeait également des mesures de courbes de rotation faites depuis un certain temps. L'incertitude sur le
rapport entre luminosité et masse des étoiles restait néanmoins problématique pour conclure avec certitude.
En 2010, mes collègues et moi avions déjà utilisé les données Spitzer pour 12 galaxies avec la même
conclusion, mais l'échantillon de 153 galaxies utilisé ici ne laisse, enfin, plus aucune place au doute. Cette
relation est réelle.
Faut-il donc maintenant abandonner l'hypothèse de l'existence de la matière noire au
profit de Mond ?
Benoît Famaey : Les choses ne sont pas si simples. Mond est plus un cadre de relations phénoménologiques
décrivant - et même prédisant - les observations qu'une théorie bien précise. On peut construire des modèles
exotiques de matière noire qui conduisent les étoiles à avoir des mouvements semblant contredire les lois
de Newton alors que, fondamentalement, il n'en est rien.
On ne peut pas exclure non plus que tout le monde ait raison et que, pour réconcilier les observations qui
sont contradictoires entre le rayonnement fossile et les étoiles dans les galaxies, il soit nécessaire de
postuler de nouvelles particules ET une nouvelle loi de la gravitation.
Il est difficile, par exemple, d'expliquer les mesures concernant les amas de galaxies faites avec l'effet de
lentille gravitationnelle en utilisant seulement Mond. On peut y arriver en introduisant également de la
matière noire. Ce n'est pas sans problèmes. On a essayé de le faire, par exemple, avec une population de
neutrinos massifs, les neutrinos stériles. Mais l'existence de ces neutrinos conduirait à la formation d'amas
de galaxies qui sont bien plus massifs que ceux observés.
L'astrophysicien Justin Khoury travaille à la frontière entre la cosmologie et la physique des
particules. Il a notamment proposé un nouveau modèle pour la matière noire. © Perimeter Institute
Pouvez-vous donner un exemple de modèle exotique de matière noire qui permettrait de
reproduire les succès de Mond ?
Benoît Famaey : Il y a d'abord le modèle de matière noire avec dipôles gravitationnels proposé par Luc
Blanchet. Il existe aussi une théorie proposée récemment par Justin Khoury qui fait intervenir des particules
décrites par un champ similaire à celui d'un modèle de matière noire souvent étudié, celui des axions. Ces
particules pourraient se comporter comme un superfluide sans viscosité en dessous d'une certaine
température critique. Cette température critique serait d'autant plus élevée que la densité est grande. Cette
transition de phase se produirait justement au niveau des galaxies, lorsque la matière noire est beaucoup
plus froide, un peu comme un gaz qui se condense en donnant des gouttes de liquide.
Des ondes sonores dans ce superfluide sont décrites par des phonons, comme dans le cas des solides, d'un
point de vue quantique. Il est alors possible de montrer que ces phonons peuvent interagir avec la matière
normale comme si la force de gravité était modifiée en donnant précisément les phénomènes que l'on
trouve dans le cadre de Mond.
Au moment où le rayonnement fossile a été émis et au niveau de la formation des amas de galaxies et des
grandes structures qui les regroupent, la matière noire est, bien sûr, non relativiste mais quand même trop
chaude pour se comporter comme un superfluide, de sorte que Mond ne s'applique pas.
L'ESA vient de rendre publics les premiers résultats des observations de Gaia. À terme, on
devrait faire un bond de géant dans la connaissance des positions et vitesses des étoiles
de la Voie lactée, qu'elles soient dans son disque, son bulbe ou dans le halo. Pourra-t-on y
voir plus clair sur toutes ces questions, voire confirmer Mond ?
Benoît Famaey : Les résultats déjà obtenus avec Gaia ne nous permettent pas encore de le savoir mais d'ici
quelques années, on aura des contraintes beaucoup plus fortes dans la Voie lactée sur les modèles de
matière noire ou sur ceux qui font intervenir des modifications de la loi de la gravitation. On devrait alors
être en bien meilleure position pour départager, peut-être, ces deux hypothèses et en tester d'autres comme
le modèle de matière noire superfluide. En attendant, on continue de travailler