pour le respect des droits de l`homme sans droit d`ingérence

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POUR LE RESPECT DES DROITS DE L’HOMME
SANS DROIT D’INGÉRENCE
La question du droit d’ingérence est difficile, car il s’agit d’un
sujet sensible où la passion le dispute à la controverse. Se trouvent
mêlées à ce concept, des considérations d’ordre politique, stratégique, économique, éthique, morale et juridique. L’enchevêtrement
est tel que même sur le plan sémantique la notion d’ingérence se
confond avec l’intervention. Selon le Petit Robert, s’ingérer : c’est
s’introduire indûment, sans en être requis ou en avoir le droit.
Entendue en ce sens l’ingérence n’existe pas en droit international,
ou plus précisément le droit international interdit toute immixtion
ou intrusion dans les affaires intérieures des Etats. Si le droit international ignore donc l’ingérence, il connaît, en revanche, l’intervention.
L’intervention est dite matérielle lorsqu’elle se concrétise par une
opération physique sur le territoire d’un Etat étranger, elle est
immatérielle, en cas de simple appréciation sur un régime politique
donné ( 1). De même, l’intervention peut être licite ou illicite ; elle est
licite lorsqu’elle respecte le cadre juridique dans lequel elle doit se
dérouler, elle est illicite dès lors qu’elle s’opère en marge de la légalité sur la base de mobile politique.
Une réflexion juridique s’impose pour tenter d’élucider un sujet
sans cesse entouré d’une « atmosphère » confuse ( 2), et enveloppé
d’une certaine incertitude.
La question qui se pose est de savoir dans quel cas on peut intervenir sur le territoire d’un Etat étranger. La réponse peut paraître
simple prima facie : à chaque fois que l’Etat en cause donne son
consentement à cette intervention. Lorsque les autorités locales
donnent explicitement leur accord à l’intervention, celle-ci est licite.
Le problème ne se pose donc qu’en cas de refus de l’Etat. On considère, en droit international que chaque Etat est libre dans son ordre
(1) Dans l’Affaire des activités militaires et para-militaires au Nicaragua et contre
celui-ci, la Cour internationale de justice affirme que : « ... si les Etats-Unis peuvent
certes porter leurs appréciations sur les situations des droits de l’homme au Nicaragua, l’emploi de la force ne saurait être la méthode appropriée pour vérifier et assurer
le respect de ces droits », Rec., 1986, p. 14.
(2) Comme le dit fort justement Max Weber : « Ce n’est pas parce que la réalité
est ambiguë que nos concepts doivent être confus ».
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juridique interne. Selon la Cour permanente de justice internationale : « dans l’exercice de ses compétences territoriales chaque Etat
reste libre d’adopter les principes qu’il juge les meilleurs et les plus
convenables » ( 3).
Mieux, il y a une présomption de légalité de tout acte édicté par
un Etat sur son territoire. Ayant une compétence générale, l’Etat
peut tout faire sur son territoire sauf bien entendu à répondre de ses
engagements internationaux (Par exemple protéger les diplomates
qu’il accueille sur son territoire, mais il reste libre de ne pas établir
des relations diplomatiques).
Il faut s’attaquer à la délicate question : en cas de violation des
droits de l’homme ( 4) peut-on intervenir pour faire cesser ses vio(3) C.P.J.I, arrêt du 7 septembre 1927, Affaire de Lotus, série A, N o 10. La Cour
européenne des droits de l’homme, par une décision du 19 décembre 2001, Bankovic
et autres contre Belgique et autres, a décidé, que le recours de victimes yougoslaves des
bombardements de l’OTAN sur Belgrade, était irrecevable. Selon cette jurisprudence
il faut entendre par « qui relève de leur juridiction », qui relève de leur juridiction territoriale : « en ce qui concerne le » sens ordinaire « des termes pertinents figurant dans
l’article 1 de la Convention, la Cour considère que, du point de vue du droit international public, la compétence juridictionnelle d’un Etat est principalement territoriale. Si le droit international n’exclut pas un exercice extraterritorial de sa juridiction par un Etat, les éléments ordinairement cités pour fonder pareil exercice (nationalité, pavillon, relations diplomatiques et consulaires, effet, protection, personnalité
passive et universalité, notamment) sont en règle générale définis et limités par les
droits territoriaux souverains des autres Etats concernés... L’article 1 de la Convention doit passer pour refléter cette conception ordinaire et essentiellement territoriale
de la juridiction des Etats, les autres titres de juridiction étant exceptionnels et
nécessitant chaque fois une justification spéciale, fonction des circonstances de l’espèce ». La Cour ajoute : « La Convention est un traité multilatéral opérant, sous
réserve de son article 56 (application territoriale), dans un contexte essentiellement
régional, et plus particulièrement dans l’espace juridique des Etats contractants,
dont il est clair que la République fédérale de Yougoslavie ne relève pas. Elle n’a
donc pas vocation à s’appliquer partout dans le monde, même à l’égard du comportement des Etats contractants. »
(4) La notion même des droits de l’homme est assez ambiguë. On distingue généralement les libertés publiques en droit interne, et les droits de l’homme considérés
comme le statut international des libertés. L’idée des droits de l’homme implique
l’existence de valeurs universelles qui se situent au dessus de la diversité des cultures.
En effet, même si le relativisme culturel consiste à considérer toutes les cultures
comme équivalentes et qu’il n’est pas possible d’établir entre elles une hiérarchie —
Montaigne fut l’un des premiers penseurs à avoir attiré l’attention sur ce caractère
relatif des valeurs culturelles : il faut dit-il, faire preuve d’ouverture d’esprit et de
tolérance vis-à-vis de ceux dont les comportements différent des nôtres — Cependant, poussé dans ses extrêmes limites, le relativisme culturel débouche sur une
impasse, dans la mesure où il conduirait à tout admettre — l’esclavage, le génocide,
les sacrifices humains, etc., d’où l’idée de valeurs universelles incarnées dans les
droits de l’homme qui s’imposent à toutes les cultures.
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lences et soulager les victimes en leur apportant les soins et les
secours nécessaires ? Autrement dit, les droits fondamentaux de la
personne humaine justifient-ils — au cas où ils seraient violés —
une intervention de tout Etat contre un autre Etat, même lorsque
la victime de la lésion n’est pas un national de l’Etat réclamant ?
Après tout comme le dit le Parlement européen dans une Résolution
du 2 octobre 1997 (A4-0274/97) : « Les êtres humains sont de plus en
plus liés les uns aux autres, ce qui se traduit... par l’émergence de
valeurs communes à toute Humanité ». Les droits de l’homme traduisent ces valeurs communes, qui doivent être sauvegardées et
défendues. Les pays occidentaux considèrent généralement qu’en
matière de droits de l’homme un Etat ne peut pas opposer sa compétence nationale. En réalité, le droit positif, ne permet pas aujourd’hui de venir au secours des droits de l’homme bafoués ici ou là ( 5).
La notion « droit d’ingérence » porte en elle-même les germes de sa
contradiction, elle est antinomique. En effet de deux choses l’une :
— ou bien on est en présence d’un droit et ce n’est pas de l’ingérence
— ou bien c’est de l’ingérence et ce n’est pas un droit.
Une double question se pose ici : quels sont les obstacles juridiques à l’ingérence (I) ? ; y a-t-il des actions alternatives au droit
d’ingérence (II) ?.
I. — Le droit d’ingérence :
les obstacles juridiques
Les obstacles juridiques au droit d’ingérence résultent des prescriptions du droit positif d’une part (A) et des décisions de la jurisprudence internationale d’autre part (B)
A. — Le droit positif :
droit coutumier et droit conventionnel
Depuis le traité de Westphalie de 1648, la maîtrise exclusive du
territoire est un attribut traditionnel de la souveraineté. Deux
(5) L’emploi de la force armée en violation de la Charte des Nations Unies est
explicitement exclu par l’article 2 alinéa 2, de la résolution adoptée le 13 septembre
1989 par l’Institut de droit international et intitulée : « La protection des droits de
l’homme et le principe de non-intervention dans les affaires intérieures de l’Etat ».
(Annuaire, 1990, vol. 63-II, p. 338).
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règles notamment ont survécu à ce traité : l’égalité et la souveraineté des Etats ( 6). Le droit positif de la Charte des Nations Unies
affirme dans son article 2, paragraphe 4 : « Les membres de l’organisation s’abstiennent dans leurs relations internationales de recourir
à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de tout autre
manière incompatible avec les buts des Nations Unies » ( 7). La résolution 26 25 (XXV) du 24 octobre 1970 de l’Assemblée générale des
Nations Unies est encore plus explicite : « Aucun Etat ni groupe
d’Etats n’a le droit d’intervenir, directement ou indirectement pour
quelque raison que ce soit dans les affaires intérieures ou extérieures
d’un autre Etat. En conséquence, non seulement l’intervention
armée, mais aussi toute autre forme d’ingérence ou toute menace,
dirigées contre la personnalité d’un Etat ou contre ses éléments
politiques, économiques et culturels, sont contraires au droit international » ( 8). En 1981, l’assemblée des Nations Unies affirme « le
devoir d’un Etat de s’abstenir d’exploiter ou de déformer les questions relatives aux droits de l’homme dans le but de s’ingérer dans
les affaires intérieures des Etats ». De même selon l’acte final d’Helsinki : « En vertu du principe de l’égalité des droits des peuples et
de leur droit à disposer d’eux-mêmes, tous les peuples ont toujours
le droit, en toute liberté, de déterminer lorsqu’ils le désirent et
comme ils le désirent, leur statut politique interne et externe, sans
ingérence extérieure, et de poursuivre à leur gré leur développement
politique, économique, social et culturel » ( 9). Enfin, les chefs d’Etat
(6) Selon Jean Bodin : « La souveraineté est le pouvoir de commander et de
contraindre sans être commandé ni contraint par qui que ce soit sur la terre ».
(7) De son côté la doctrine Monroe — du nom du Président américain de l’époque — affirme « notre politique consiste à ne jamais nous interposer dans les affaires
intérieures d’aucune puissance de l’ancien monde »
(déclaration du 2 décembre 1823).
(8) La résolution 36/103 de l’Assemblée du 9 décembre 1981 abonde dans le même
sens : « Déclaration sur l’inadmissibilité de l’intervention et de l’ingérence dans les
affaires intérieures des Etats ».
(9) La C.I.J considère que cette déclaration a un effet juridique. Selon la Cour :
« Les Etats-Unis ont expressément accepté les principes énoncés dans la déclaration
de l’acte final de la conférence d’Helsinski (1 er août 1975) sur la sécurité et la coopération en Europe, y compris un exposé détaillé du principe de non-intervention. Ces
principes ont été assurément présentés comme s’appliquant aux relations mutuelles
entre les Etats participants, mais on peut considérer que leur texte témoigne de
l’existence et de l’acceptation par les Etats-Unis, d’un principe coutumier universellement acceptable ». (Activités militaires au Nicaragua, Rec. 1986, § 204, p. 107 ; voy
également Moncef Kdhir, « Quelques réflexions sur la nature juridique de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 », Revue de droit international et de droit comparé, 1999, p. 340).
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et de gouvernement, affirment dans leur Déclaration du Millénaire,
adoptée le 8 septembre 2000 aux Nations Unies : « Nous sommes
résolus à instaurer une paix juste et durable dans le monde entier
conformément aux buts et aux principes inscrits dans la Charte.
Nous réaffirmons notre volonté de tout faire pour assurer l’égalité
souveraine de tous les Etats, le respect de leur intégrité territoriale
et de leur indépendance politique, le règlement des différends par
des voies pacifiques et conformément aux principes de la justice et
du droit international, le droit à l’autodétermination des peuples
qui sont encore sous domination coloniale ou sous occupation étrangère, la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats, le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le respect
de l’égalité des droits de tous, sans distinction de race, de sexe, de
langue ou de religion et une coopération internationale en vue du
règlement des problèmes internationaux à caractère économique,
social, culturel ou humanitaire » ( 10). Quant à la doctrine, elle considère que l’ingérence est illicite. Ainsi Rougier considère que « si les
Etats peuvent agir pour défendre leurs droits, ils ne peuvent pas
s’entre — juger, ni s’entre — punir les uns les autres. Au dessus des
Etats, il n’existe ni loi pénale internationale, ni tribunal chargé de
l’appliquer » ( 11). Selon Charles Chaumont ; il existe bien « un corps
de règles suffisantes pour que le principe de la non-intervention, en
tant qu’élément du droit international positif... soit solidement
assuré » ( 12). Enfin François Rigaux affirme : « On ne saurait...
accepter que les violations des droits fondamentaux dont un Etat
est accusé justifient une forme d’ingérence s’accompagnant du
recours à la force » ( 13).
Certes deux résolutions avaient été adoptées, l’une le 8 décembre
1988 (Résolution 43/131), l’autre le 14 décembre 1990 (Résolution 45/100) — La première intitulée « Assistance humanitaire aux
victimes des catastrophes naturelles et situations d’urgence du
même ordre », bien qu’elle pose le principe selon lequel l’accès aux
victimes est indispensable, organise une procédure de subsidiarité
permettant à l’Etat sur le territoire duquel la catastrophe a eu lieu
(10) Déclaration du Millénaire adoptée par les représentants des pays siégeant
aux Nations Unies, lors de l’Assemblée générale du Millénaire (55 e session) qui s’est
tenue à New York du 6 au 8 septembre 2000.
(11) Rougier, « La théorie de l’intervention d’humanité », R.G.D.I.P, 1910,
p. 499.
(12) Ch. Chaumont, « Analyse critique de l’intervention américaine au Vietnam »,
R.B.D.I, 1968/1, p. 63.
(13) F. Rigaux, « Le concept de territorialité : un fantasme en quête de réalité »,
In Liber Amicorum M. Bedjaoui, Kluwer Law International 1999, p. 221.
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d’avoir la priorité des actions à entreprendre : organisation, coordination et mise en œuvre de l’assistance humanitaire, sauvegardant
ainsi la souveraineté de l’Etat affecté ( 14) — La deuxième mettant
sur pied des « couloirs d’urgence » ou « corridors humanitaires », est
strictement limitée au droit de passage sanitaire à l’exclusion de
toute autre forme d’assistance directe ou indirecte.
Ces deux résolutions ne peuvent en aucun cas être interprétées
comme ayant dégagé une règle coutumière permettant l’accès libre
sur un territoire pour porter secours et assistance aux victimes ( 15).
D’ailleurs la tradition de non-intervention sur le continent américain ne prend pas en compte les résolutions 43/131 et 45/100 ; ainsi
la « Convention interaméricaine pour faciliter l’assistance en cas de
désastres naturels » du 12 juin 1991 prévoit l’accord exprès des parties. Selon son article II : « Les demandes, les offres et les acceptations d’assistances dirigées par un Etat vers un autre, seront transmises par les canaux diplomatiques ou par l’autorité nationale coordinatrice conformément aux circonstances... ( 16) ». De même un
texte présenté le 18 juin 1984 au Conseil économique et social de
l’O.N.U, sur l’accélération de l’acheminement des secours d’urgence
en cas de catastrophe, bien que rappelant le respect de la souveraineté de l’Etat bénéficiaire et de la non-ingérence dans ses affaires
intérieures, n’a pas reçu l’adhésion des Etats membres. Même si la
résolution du 14 septembre 1989 de l’Institut de droit international,
(à Saint-Jacques-de-Compostelle) contient un article 5 selon lequel :
« L’offre, par un Etat, un groupe d’Etats, une organisation internationale ou un organisme humanitaire impartial tel que le comité
international de la Croix Rouge (C.I.C.R), de secours alimentaires
ou sanitaires à un Etat dont la population est gravement menacée
dans sa vie ou sa santé ne saurait être considérée comme une inter(14) Le principe de subsidiarité en vertu duquel l’Etat dont la population est victime d’une catastrophe, a la priorité des secours ; l’aide internationale n’intervient
qu’à la double condition cumulative : son consentement et seulement si ses moyens
s’avèreraient insuffisants. La résolution 46/182 insiste également sur « la souveraineté
des Etats affectés et le rôle premier qui leur revient ».
(15) Pour un point de vue différent voy M. Bettati,: « Un droit d’ingérence ? »,
R.G.D.I.P., 1991, p. 639.
(16) Selon la sous-commission qui prépara la Convention sur les droits et devoirs
des Etats américains, adoptée en 1933, constitue une « intervention et, par conséquent, une violation du droit international, tout acte exercé par un Etat soit au
moyen de représentations diplomatiques comminatoires, soit par la force armée ou
par tout autre moyen coercitif destiné à faire prévaloir sa volonté sur celle d’un autre
et d’une manière générale, toute ingérence, interférence ou interposition exercées
directement ou indirectement dans les affaires d’un autre Etat et quel qu’en soit le
motif ». (Guerrero, J.G., « La septième conférence », R.G.D.I.P., 1934, p. 411).
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vention illicite dans les affaires intérieures de cet Etat..., les secours
seront accordés sans discrimination. Les Etats sur le territoire desquels de telles situations de détresse existent ne refuseront pas arbitrairement de pareilles offres de secours humanitaires ». Même lorsque les organes des Nations Unies adoptent des résolutions permettant l’intervention, ils n’hésitent pas à affirmer expressément l’obligation de respecter la souveraineté de l’Etat en cause. Ainsi, la résolution 688 affirme d’ailleurs elle-même « l’engagement pris par tous
les Etats membres de respecter la souveraineté, l’intégrité territoriale et l’indépendance politique de l’Irak et de tous les Etats de la
zone » ( 17).
De même, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté, le
18 décembre 1990 une résolution consacrée « au renforcement de
l’efficacité du principe d’élections périodiques et honnêtes » (Résolution 45/150). Sa portée se trouve atténuée par l’adoption, le même
jour, de la Résolution (45/151) consacrée au « respect des principes
de la souveraineté nationale et de la non-ingérence dans les affaires
intérieures en ce qui concerne les processus électoraux » ( 18). D’ail-
(17) Cette résolution adoptée en faveur des Kurdes d’Irak, reste limitée dans le
temps et dans l’espace. Elle se réfère à l’article 2, § 7 de la Charte des Nations Unies
et se fonde sur le maintien de la paix et de la sécurité internationale.
(18) L’organisation d’élections ne tient pas lieu, en soi, de démocratie, nombreux
sont les Etats qui tentent de satisfaire au rituel électoral sur un plan purement formel dans le seul dessein d’offrir au monde une image de respectabilité qui ne résiste,
d’ailleurs pas longtemps, puisqu’elle tombe « généralement » avec les résultats de ces
élections (99,99 %). La tentative d’imposer le principe de la « légitimité démocratique » est assez ancienne. On peut retracer notamment les périodes suivantes : — au
XIX e siècle, la tentative de la Sainte-Alliance d’instituer, la légitimité monarchique
n’a pas réussi. — En 1907, Tobar, ministre des Affaires étrangères de l’Equateur,
avait proposé la doctrine, selon laquelle « aucun gouvernement ne pourrait être
reconnu avant sa confirmation par des élections démocratiques ». Cette doctrine a été
consacrée par une Convention du 20 décembre 1907, modifiée par la Convention de
Washington de 1923, mais elle a été dénoncée par les parties contractantes. Après
la Deuxième Guerre mondiale, la doctrine de la « coexistence pacifique » fondée sur
l’acceptation mutuelle de régimes politiques et sociaux contradictoires a porté un
coup de canif à la réalisation du principe de légitimité démocratique. Aujourd’hui,
on considère que chaque Etat est libre de choisir son régime politique, économique,
social et culturel, sans aucune ingérence extérieure. Ainsi le choix du système politique, est librement abandonné au système juridique interne de chaque Etat sur le fondement du principe de souveraineté, d’égalité et du non-ingérence. Même si certaines
juridictions avaient tenté de définir la démocratie ; ainsi par exemple, la Cour
suprême des Etats Unis considère que la démocratie est un « marché aux idées » (market-place of ideas) ; de son côté la Cour européenne des droits de l’homme estime que
« la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et vaut même pour les idées qui heurtent, choquent ou inquiètent ». (Arrêt
Handyside du 7 décembre 1976).
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leurs, l’assistance électorale des Nations Unies suppose l’accord des
diverses parties intéressées, d’où le refus de donner suite, parfois, à
une demande qui émanerait des membres de l’opposition sans l’accord du gouvernement légal ( 19).
On est loin du Traité de Maastricht selon lequel (art. 6) « l’Union
est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que
de l’Etat de droit, principes qui sont communs aux Etats membres »
et l’article (7) institue un mécanisme de sanctions en cas de « violation grave et persistante » de ces principes.
B. — La jurisprudence internationale
La Cour internationale de justice, estime dans l’affaire du Détroit
de Corfou qu’entre « Etats indépendants, le respect de la souveraineté territoriale est l’une des bases essentielles des rapports internationaux » ( 20). Selon la Cour « le prétendu droit d’intervention ne
peut être envisagé par la Cour que comme une manifestation d’une
politique de force, politique qui, dans le passé, a donné lieu aux
abus les plus graves et qui ne saurait, quelles que soient les déficiences présentes de l’organisation internationale, trouver aucune
place dans le droit international... ; réservée par la nature des choses
aux Etats les plus puissants, elle pourrait aisément conduire à fausser l’administration de la justice internationale elle-même » ( 21).
Dans l’affaire du lotus, la Cour permanente de justice internationale
affirme que « la limitation primordiale qu’impose le droit international à l’Etat est celle d’exclure — sauf l’existence d’une règle permissive contraire — tout exercice de sa puissance sur le territoire d’un
autre Etat ». Un Etat ne peut accomplir un acte de coercition physique sur le territoire d’un autre Etat, sauf consentement de ce dernier. Dans son arrêt du 27 juin 1986, la Cour de justice internationale a admis que « la fourniture d’une aide strictement humanitaire
à des personnes ou à des forces se trouvant dans un autre pays...
ne saurait être considérée comme une intervention illicite, si elle a
un caractère strictement humanitaire et est prodiguée sans discrimi-
(19) Selon l’Assemblée générale (résolution du 18 décembre 199045/150) sur le
« renforcement de l’efficacité du principe d’élections périodiques et honnêtes », « il
n’existe aucun système politique, ni aucune méthode électorale qui puisse convenir
également à toutes les nations et à tous les peuples ».
(20) C.I.J., Rec., 1949, p. 35, voy également, Moncef Kdhir, Dictionnaire juridique de la C.I.J., 2 e éd, Bruylant, Bruxelles, 2000.
(21) C.I.J. arrêt du 9 avril 1949, Rec., p. 35.
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nation » (Rec., 1986, § 242, pp. 124-125). L’aide humanitaire doit se
limiter à « prévenir et alléger les souffrances des hommes et protéger
la vie, la santé et faire respecter la personne humaine » (Rec., 1986,
§ 243) ( 22). Selon la Cour « l’adhésion d’un Etat à une doctrine particulière ne constitue pas une violation du droit international coutumier ; conclure autrement reviendrait à priver de son sens le principe fondamental de la souveraineté des Etats sur lequel repose tout
le droit international, et la liberté qu’un Etat a de choisir son système politique, social, économique et culturel » (arrêt du 27 juin
1986, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre
celui-ci, Rec. 1986, p. 133). « Chaque Etat a la politique de ses
moyens ; les grandes puissances ont de tout temps une pratique
impériale. Les petits Etats tentent de s’abriter derrière les barrières
de protection du droit international articulant leur système de
défense, principalement, sur des principes, telle que l’égalité souveraine des Etats le non recours à la violence ou l’illiciété de l’intervention directe ou indirecte ( 23). »
Mais les grands Etats se considèrent de facto, doté d’un statut privilégié, exorbitant du droit commun et qui consiste dans un « droit
sur mesure, utilisable contre les autres, mais non pas contre
soi » ( 24). Max Huber écrivait dans un rapport du 23 octobre 1924 :
« ... il est incontestable qu’à un certain point, l’intérêt d’un Etat de
pouvoir protéger ses ressortissants et leurs biens, doit primer le respect de la souveraineté territoriale, et cela même en l’absence d’obligations conventionnelles. Ce droit d’intervention a été revendiqué
par tous les Etats : ses limites seules peuvent être discutées » ( 25) :
Cette théorie doit être écartée, car le droit international prévoit
dans ce cas précis d’une part que la protection des ressortissants
d’un Etat se trouvant à l’étranger relève de la responsabilité de
l’Etat d’accueil ; celui-ci engage sa responsabilité internationale en
cas de manquement à cette obligation de protection. D’autre part
l’Etat dont le ressortissant est le national peut exercer la protection
(22) Les Conventions de Genève de 1949 affirment que : « Les hautes parties
contractantes s’engagent à respecter et à faire respecter la présente Convention en
toutes circonstances ». Selon la C.I.J. l’obligation en cause « ne découle pas seulement
des conventions mais des principes généraux du droit humanitaire dont les conventions ne sont que l’expression concrète ». (Aff. Activités militaires et paramilitaires au
Nicaragua, arrêt du 27 juin 1986, § 220, p. 114.)
(23) Moncef Kdhir, Les micro-Etats dans la société internationale — aspects juridiques et politiques, 1989, p. 265.
(24) G. De Lacharriere, La politique juridique extérieure, Economica, 1983,
p. 188.
(25) Recueil des sentences arbitrales, 1924, II, p. 641.
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diplomatique en prenant fait et cause pour son citoyen s’il y a
absence ou insuffisance de la réparation due à la suite d’un dommage matériel ou même moral. Certes, les Etats dont les ressortissants sont victimes des violations du droit international, ont légitimement le droit d’agir mais en utilisant les procédures légales. Il
existe donc des « clefs » pour résoudre ce type de problèmes. Dire
que ces Etats ont le droit de violer directement le territoire de
l’Etat en cause, c’est aller à l’encontre de la légalité internationale ( 26). La thèse du « droit d’ingérence » séduisante en apparence,
peut conduire finalement à davantage d’anarchie et de violence. Si
elle était appliquée, il faudrait intervenir dans la quasi totalité des
pays de l’Afrique, du Moyen-Orient, de l’Asie... où les droits de
l’homme sont quotidiennement bafoués. La formule de Tite-Live
peut se vérifier « la guerre est juste pour ceux à qui elle est nécessaire ». Le droit d’ingérence n’existe pas en droit international positif ( 27). Il ne faut pas aborder la question de l’ingérence avec des
stratégies inadaptées juridiquement. Kelsen l’a affirmé avec force,
la compétence du juriste réside dans la description objective du
droit et non dans la proposition de solutions à un problème politique ( 28). Parce qu’il a les yeux rivés sur le corpus des normes de
droit, le juriste, ne peut pas cautionner des démarches politiques
approximatives qui tentent de couvrir « le droit d’ingérence » avec
le vernis de la légalité. Le comportement des Etats doit être apprécié à la lumière du droit qui lui est contemporain. On n’est plus à
l’époque où Kant estime que dans le droit des gens, « tout Etat est
juge de sa propre cause ». L’unilatéralisme est désuet et inactuel. Si
les Etats ont placé leurs relations sous l’empire de la Charte des
Nations Unies et du droit international, ils doivent observer scrupu(26) L’intervention d’humanité permettant de mettre en œuvre la force armée
d’un Etat pour « arracher » ses nationaux aux violences qu’ils subissent sur le territoire d’un Etat étranger, doit relever du Conseil de sécurité, organe permanent qui
peut prendre immédiatement les mesures qu’impose la situation dont il est saisi.
(27) Pour un point de vue différent, voy. M. Bettati, « Un droit d’ingérence ? »,
R.G.D.I.P., 1991, p. 639.
(28) Il suffit dit-il « de jeter un coup d’œil sur la science du droit traditionnelle,
telle qu’elle s’est développée aux XIX e et XX e siècles, pour apercevoir clairement
combien il s’en faut qu’elle satisfasse à ce postulat de ‘ pureté’. Sans aucun esprit critique elle a mêlé science du droit d’une part, psychologie, sociologie, éthique et théorie politique d’autre part. Et certes, un tel amalgame peut s’expliquer par le fait que
le second groupe de sciences se rapporte à des objets qui sont assurément en relation
étroite avec le droit ; la théorie pure du droit n’ignore pas ni ne songe nier cette relation; si elle entreprend de délimiter nettement la connaissance du droit de ces autres
disciplines, c’est parce qu’elle cherche à éviter un syncrétisme de méthodes qui obscurcit l’essence propre de la science du droit et qui rend floues et vagues les bornes
qui lui sont assignées par la nature de son objet : le droit. »
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leusement les prescriptions de leurs engagements et proscrire le
recours à la force pour régler leurs différends. Rousseau l’a affirmé
avec force : « La première des lois est de respecter les lois ». Il faut
regretter que le raisonnement juridique soit aujourd’hui en
« panne », car encombrer d’éléments factuels souvent très éloignés de
la science du droit et de la rigueur scientifique. Une « rage » a-juridique s’est emparée des doctes en mal de célébrité médiatique ( 29). Il
est possible de proposer quelques pistes de réflexions pour que le
respect des droits de l’homme ne reste pas un simple discours vide
« enrobé » d’hypocrisie. Ce propos peut sembler naïf, car s’il y avait
des remèdes aux violations des droits de l’homme, les Etats « démocratiques » n’hésiteraient certainement pas à les mettre en œuvre.
Je soutiens cependant, qu’il existe bien des actions alternatives au
droit d’ingérence ( 30).
II. — Le droit d’ingérence :
les actions alternatives
L’auteur de ces lignes se contentera de soumettre à la discussion
quelques possibilités d’agir, sans prétention quant à l’efficacité pratique sur le terrain. La mise en mouvement de ces actions théoriques méritent une expérimentation dans le « monde réel » pour
mesurer leurs pertinences et pourvoir éventuellement aux ajustements nécessaires. Il faut envisager ici l’hypothèse d’une ardente
volonté d’agir dans le cadre d’une application rigoureuse du droit
international et de la légalité.
Les actions alternatives s’inscrivent dans le cadre des Nations
Unies (A) et même dans le cadre étatique (B)
A. — Dans le cadre des Nations Unies
Le 11 septembre... 1990 devant le congrès américain le Président
Bush (père) affirmait : « Désormais, l’organisation des Nations
(29) Alors que, Aristote déjà, nous a livré une réflexion sur le juriste, sur le prudent. Ah la vertu de prudence, le propre même du juriste, si oubliée par les juristes
des temps médiatiques. De son côté Kant assigne au juriste un rôle qui s’apparente
à celui du mathématicien dont « la tâche véritable... consiste à déduire des théorèmes
à partir d’hypothèses admises à titre de postulats... ; en tant que tel, la question de
savoir si les axiomes qu’il se donne sont effectivement vrais ne le concerne pas ».
(30) Cependant comme le dit Saint-Augustin : « Si je me trompe, je suis. Car,
certes celui qui n’est pas ne peut pas se tromper, et j’existe par le fait même que je
me trompe ».
912
Rev. trim. dr. h. (2002)
Unies accomplit sa destinée de Parlement mondial de la paix », et
de nous annoncer « une ère nouvelle, moins menacée par la terreur,
plus forte dans la recherche de la justice et plus sûre dans la quête
de la paix... un monde où la primauté du droit remplace la loi de
la jungle » ( 31). La Charte des Nations Unies prescrit aux Etats
membres d’observer « le respect universel et effectif des droits de
l’homme » (art 55-C).
Les membres des Nations Unies doivent se conformer aux dispositions de la Charte. En cas de manquement à ces obligations, on peut
recourir à l’article 6 de la Charte selon lequel « si un membre de l’organisation enfreint de manière persistante les principes énoncés
dans la présente Charte, il peut être exclu de l’organisation par l’Assemblée générale sur recommandation du Conseil de sécurité ». Souvenons-nous de Montesquieu dénonçant l’ineffectivité des textes :
« Qu’on examine la cause de tous les relâchements, on verra qu’elle
vient de l’impunité des crimes, et non pas de la modération des
peines ». Est-il audacieux de demander l’application des textes à
l’Etat qui viole les droits de l’homme ? Comme je l’ai écrit ailleurs,
il ne peut pas y avoir de paix à l’intérieur d’un Etat sans respect
des droits de l’homme et « la paix intérieure est le meilleur garant
de la paix extérieure » ( 32).
La Charte des Nations Unies octroie au Conseil de sécurité le
pouvoir en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationale. Le Conseil dispose en vertu de l’article 34 de la Charte
du droit « d’enquêter » de sa propre initiative sur toute situation
qui peut menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationale. De même l’article 35 précise que tout membre de l’organisation internationale peut attirer l’attention du Conseil sur une
situation susceptible d’intéresser la paix et la sécurité internationale. Cette possibilité est étendue même aux Etats non membres
de l’organisation. Je cite ces articles à dessein pour souligner que
la Charte a prévu tous les cas de figure en interdisant le recours
à la guerre et en imposant le règlement pacifique des différends
(art. 33). Avec la Charte — s’il y a une réelle volonté de l’actionner — la société internationale dispose d’un système complet et
(31) Voy Moncef Kdhir, « Le droit international bafoué », Le Monde, 23 avril
1999, p. 15.
(32) Moncef Kdhir, La méthode de travail du juge international, coll. Droit et justice n o 17, Nemesis/Bruylant, 1997, p. 31.
Rev. trim. dr. h. (2002)
913
cohérent pour faire face à toute détresse humaine ( 33). Voilà pourquoi toute ingérence unilatérale en marge de la légalité devient
nuisible et problématique et ne peut engendrer qu’anarchie et
désordre. Les Etats membres des Nations Unies se sont engagés
sur le fondement de l’article 25 de la Charte d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité. Celles-ci peuvent donc,
déboucher sur une intervention licite pour maintenir ou rétablir la
paix et la sécurité internationale. Le Conseil de sécurité dans le
cadre du chapitre VII, est allé jusqu’à rétablir la légalité interne
suite à un coup d’Etat. La résolution 940 du 31 juillet 1994
affirme que « le but de la communauté internationale consiste toujours à restaurer la démocratie en Haïti ». C’est pourquoi il fallait
assurer le retour du président Aristide au pouvoir. Il s’agit là d’un
pouvoir qui est à la limite de la légalité : en effet, le Conseil de
sécurité ne peut agir que dans le cadre des pouvoirs spécifiques
que la Charte lui accorde ; il ne peut juridiquement pas créer de
nouvelles compétences sauf à démontrer la naissance d’une règle
coutumière qui vient compléter la Charte constitutive. L’attribution par le Conseil des pouvoirs quasi-judiciaires dans l’affaire de
Lockerbie sont en marge de la légalité puisqu’ils ne trouvent
aucune source expresse dans le dispositif de la Charte de 1945 ( 34).
De même le Conseil n’est pas habilité à prendre des mesures générales et impersonnelles puisque le texte fondateur ne l’investit pas
de telles compétences ( 35). La licéité de l’intervention reste dans le
(33) Les « sept » pays les plus industrialisés se sont engagés à Londres le 16 juillet
1991, à « rendre les Nations Unies plus fortes et plus efficaces en vue de protéger les
droits de l’homme, de sauvegarder la paix et la sécurité pour tous et de dissuader
l’agression ».
(34) La différence d’appréciation du Conseil de sécurité n’est pas très logique sur
le plan juridique. Ainsi le Conseil de sécurité a fixé pour le Soudan (accusé d’une tentative d’assassinat sur le Président égyptien) — 90 jours après l’adoption le 16 août
1996 de la Résolution (1070) sur l’embargo — l’entrée en vigueur de cette résolution,
alors que pour la Libye la Résolution 748 du 30 mars 1992 devait s’appliquer le
15 avril suivant.
(35) Ainsi par exemple la Résolution 1373 du 28 septembre 2001, adoptée par le
Conseil de sécurité, suite aux attentats du 11 septembre 2001, n’est juridiquement
pas légale en ce sens qu’elle édicte une réglementation générale sans limitation dans
le temps et dans l’espace. Le Conseil ne peut se prononcer par avance et une fois pour
toutes sans examiner concrètement la gravité d’une situation eu égard à son incidence sur la paix internationale. Le Conseil de sécurité n’a pas le pouvoir juridique
aux termes mêmes de la Charte, d’exercer les pouvoirs d’un « législateur » doté d’une
compétence générale. Il n’a qu’une habilitation d’attribution pour maintenir la paix.
Seuls les Etats disposent de prérogatives générales par un pouvoir conventionnel qui
n’a de limite que leur propre volonté.
914
Rev. trim. dr. h. (2002)
droit actuel, conditionnée par l’existence d’une requête émanant
de l’Etat en cause ou d’une décision du Conseil de sécurité, même
si ces procédures s’accommodent mal des situations d’urgences
auxquelles, parfois, doivent faire face les organisations humanitaires ( 36) Il reste que le Conseil de sécurité — véritable clé de
voûte du système onusien — peut entreprendre, en observant la
légalité de la Charte, toute mesure nécessaire au maintien de la
paix et de la sécurité internationale notamment contre les Etats
qui violent les droits de l’homme. De même, le Comité des droits
de l’homme, dans le cadre du Pacte des Nations Unies relatif aux
droits civils et politiques, peut donner davantage de publicité aux
rapports périodiques que les Etats doivent lui communiquer sur la
manière dont ils assurent le respect de leurs obligations : état de
leur législation, jurisprudence, pratique administrative relative
aux droits de l’homme, même si, les Etats sont très souvent, en
retard, dans le dépôt de leur rapport et que le contenu de certains
d’entre eux est trop sommaire pour donner lieu à un examen
approfondi ( 37). Cependant la publicité de tels documents — même
imparfaits — est judicieuse, compte tenu du rôle que joue l’opinion publique dans les relations internationales. L’action au sein
des Nations Unies peut être complétée, le cas échéant, individuellement par chaque Etat. Le passage de l’une à l’autre action, loin
de remettre en cause les prérogatives du Conseil de sécurité, correspond à une habilitation juridique normale de l’Etat et permet
(36) Les organisations humanitaires rencontrent souvent des difficultés face aux
objections du gouvernement légal. On peut notamment mentionner : affaires du Biafra en 1967-1969, du Cambodge depuis 1979, du Soudan et de l’Ethiopie à la fin des
années 1980, de la Somalie ou du Rwanda dans les années 1990...
(37) Le Pacte prévoit également un contrôle par voie de requête étatique et individuelle, mais ce système reste purement facultatif et le Comité n’a pas le pouvoir
juridique de prendre une décision. De ce point de vue la Convention européenne des
droits de l’homme reste l’instrument suprême et le plus performant en matière de
protection internationale des droits de l’homme. La Cour européenne des droits de
l’homme peut être saisie, non seulement par les Etats membres mais par « toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation de la Convention » (art. 34). La Cour rend
des arrêts obligatoires et interprète la Convention « à la lumière des conditions de vie
actuelles » ; autrement dit elle est davantage exigeante aujourd’hui que dans le passé.
De son côté l’article 6, § 2 du Traité de Maastricht de 1992 affirme que « l’Union respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome
le 4 novembre 1950, et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, en tant que principes généraux de droit communautaire ».
Rev. trim. dr. h. (2002)
915
deux compétences décisionnelles séparées, successives ou mêmes
concomitantes. Il s’agit d’un gain permettant de contraindre l’auteur de la violation des droits de l’homme, et d’enrichir la palette
des moyens d’actions contre lui.
B. — Dans le cadre de la conduite
unilatérale de l’Etat
A l’hypothétique « droit d’ingérence » sauvage des « nouveaux
barbares », je préfère opposer, un riche arsenal juridique diversifié
et efficace, qui peut être immédiatement et pacifiquement mobilisé pour tenter de mettre fin aux scandaleuses violations des
droits de l’homme. Des mécanismes existent, en effet, que tout
Etat peut entreprendre, encore faut-il être armé d’une ardente
volonté. Il ne saurait évidemment être question de donner ici,
une réponse exhaustive à l’interrogation lancinante : comment
trouver une solution pour obliger un Etat à observer les droits de
l’homme ? Tout au plus, peut-on poser les éléments d’une problématique servant de grille de réflexion, afin de dépasser les
« réponses sommaires et rapides » des Etats « démocratiques » ; et
de dissiper, ce que Nietzsche appelle, la stupide disposition à
« croire » les hypothèses précipitées, les affabulations, par manque
de méfiance. Depuis la deuxième Guerre mondiale, l’idéologie des
droits de l’homme n’a pas, partout, triomphé. Aucun Etat au
monde, ne respecte scrupuleusement les droits de l’homme. On a
souvent tendance à l’oublier : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique,
la France (pour torture) et la Suisse entre autres ont été condamnées à plusieurs reprises par la Cour de Strasbourg, pour manquement à la Convention européenne des droits de l’homme. Il n’en
reste pas moins, qu’on pourrait dire — pour simplifier — que la
société internationale, est aujourd’hui divisée, entre les Etats
« démocratiques » et les Etats dictatoriaux. Les premiers ont su
attacher une valeur juridique contraignante à des droits fondamentaux constitutionnellement proclamés et imposés dans la pratique par le juge. Quant aux seconds, ils ne bénéficient de cette
protection que formellement quand elle existe dans des textes
morts-nés. Les dirigeants de ces pays violent, de façon manifestement délibérée les droits de l’homme. Ils soumettent leurs populations aux crimes les plus atroces, les plus obscurs et aux pires
châtiments. Toute velléité de liberté est considérée comme un
crime de lèse-majesté.
Les Etats à régime autoritaire et policier sont dans la situation
où l’Histoire les a placés. Leurs populations ne sont pas destinées
916
Rev. trim. dr. h. (2002)
à vivre une éternité de malheur. Est-il possible de rester indifférent
à leurs souffrances ?
Il y a longtemps déjà, Marc Aurèle nous avait prévenus : « On est
souvent plus injuste en s’abstenant d’agir qu’en agissant ».Ils méritent notre aide dans leur devoir de résistance à l’oppression ( 38).
Le Haut-commissaire des Nations Unies pour les droits de
l’homme, souhaitait plus que tout que « la conférence mondiale...
qui s’est tenue... en Afrique du Sud, ne produise pas que des mots
mais qu’elle engage véritablement les participants » ( 39). Mais pourquoi attendre, alors qu’on peut agir immédiatement et pacifiquement. Même l’entrée en vigueur, le 1 er juillet 2002 ( 40), de la
Convention de Rome du 17 juillet 1998, créant la Cour pénale internationale, ne peut pas résoudre les difficultés ; car d’une part, les
grands Etats (Etats-Unis ( 41), Russie, Chine...) ne l’ont pas ratifiée ;
d’autre part, la Cour pénale ne sera compétente que pour les crimes
les plus graves : crimes d’agression, crimes de guerre, crimes contre
l’Humanité et crimes de génocide ( 42). Mais surtout ce « cadeau de
l’espérance pour les générations futures » selon les termes du secrétaire général des Nations Unies, prévoit que le Conseil de sécurité
peut ordonner au Procureur de suspendre ses investigations pour
une période de douze mois renouvelable indéfiniment. Dans ces
(38) Saint-Thomas ne considère-t-il pas que « toute loi est ordonnée à l’intérêt
commun des hommes et, pour autant, elle obtient force et raison de loi. Mais dans
la mesure où elle manque à cette fin, elle perd la vertu d’obligation » ?
(39) Le Monde, 10-11 décembre 2000, p. 15.
(40) L’entrée en vigueur de cette Convention était subordonnée à sa ratification
par au moins soixante Etats. La soixantième ratification est intervenue le 11 avril
2002. (Au 2 juillet 2002 soixante-treize Etats l’ont ratifiée). La France a été le huitième Etat à la ratifier ; selon le Conseil constitutionnel, la France peut consentir
« aux limitations de souveraineté nécessaires à l’organisation et à la défense de la
paix ». Rentre dans ce cadre une convention prévoyant « la création d’une juridiction
internationale permanente destinée à protéger les droits fondamentaux appartenant
à toute personne humaine, en sanctionnant les atteintes les plus graves qui leur
seraient portées, et compétente pour juger les responsables de crimes d’une gravité
telle qu’ils touchent l’ensemble de la communauté internationale ». (Décision n o 98408, DC du 22 janvier 1999, cons. 12).
(41) La nouvelle institution se heurte à l’hostilité farouche des Etats Unis, ceux-ci
demandent au Conseil de sécurité d’adopter une résolution protégeant des poursuites
de la Cour, tous les participants à des opérations de maintien de la paix sous mandat
de l’O.N.U., sous peine, d’opposer leur droit de veto à la création, ou à la prolongation de telles opérations. (Voy. Le Monde, 1 er juillet 2002, p. 2).
(42) La date du 1 er juillet 2002 marque le début de la compétence de la Cour dans
le temps : les crimes qui seraient commis à partir de cette date pourront lui être soumis, s’ils entrent dans le champ de sa juridiction.
Rev. trim. dr. h. (2002)
917
conditions que peut-on attendre du traité du 17 juillet 1998 ?
D’autres réformes et conférences sont annoncées ( 43).
De frivoles prétextes ne sont pas compatibles avec l’urgence de la
situation. Aussi un Etat « démocratique » déterminé à faire cause
commune avec l’Humanité et à agir pour réclamer l’observation des
droits de l’homme peut entreprendre notamment les mesures suivantes :
1. Exercer la compétence universelle
Il s’agit, pour reprendre les termes de Vattel, de réprimer les
actes qui « attaquent et outragent toutes les nations, foulant aux
pieds les fondements de leur sûreté commune » ( 44).
La compétence universelle est la possibilité pour un Etat de juger
une personne présumée capable de certains crimes graves lorsque ce
suspect se trouve sur son territoire (quels que soient la nationalité
de la personne et le lieu de la commission des actes incriminés.)
Dans l’affaire Barbie, la chambre criminelle de la Cour de cassation considère que les crimes contre l’Humanité « ne relèvent pas
seulement du droit interne français, mais encore d’un ordre répressif
international auquel la notion de frontière et les règles traditionnelles qui en découlent sont fondamentalement étrangères » ( 45).
La compétence universelle suppose que l’Etat sur le territoire
duquel se trouve un individu, dont les agissements sont passibles de
la compétence universelle, doit le poursuivre et le juger ou l’extrader ( 46). C’est ce qui en ressort des Conventions de Genève de 1949 :
« Chaque partie contractante aura l’obligation de rechercher les personnes prévenues d’avoir commis, ou d’avoir ordonné de commettre
l’une ou l’autre de ces infractions graves, et elle devra les différer
à ses propres tribunaux, quelque soit leur nationalité. Elle pourra
aussi, si elle le préfère, et selon les conditions prévues par sa propre
(43) La pratique du passé l’a assez bien montré, la proclamation de réformes sous
la pression irrésistible d’une crise reste généralement sans lendemain. L’Histoire des
relations internationales est jonchée de projets de réformes enlisés dans les « sables »
mouvants de la négociation, lorsqu’ils accèdent à ce stade.
(44) Vattel, Le droit des gens ou les principes de la loi naturelle, 1758.
(45) Cass. crim. 8 juillet 1983, R.G.I.P., 1984, p. 607.
(46) Il est à noter que dans une loi du 16 juin 1993, transposant les Conventions
de Genève de 1949, la Belgique considère que ses juridictions sont compétentes en
matière de compétence universelle « même dans le cas où l’auteur présumé de l’infraction ne se trouve pas sur le territoire belge ».
918
Rev. trim. dr. h. (2002)
législation, les remettre pour jugement à une autre partie contractante intéressée à la poursuite pour autant que cette partie contractante ait retenu contre les dites personnes des charges suffisantes... » ( 47). Le droit international reconnaît à un Etat une compétence universelle pour certaines infractions extrêmement graves,
il en est ainsi par exemple de la piraterie. Cette règle coutumière a
été codifiée dans la Convention de 1982 sur le droit de la mer selon
l’article 105 : « tout Etat peut, en haute mer ou en tout autre lieu
ne relevant de la juridiction d’aucun Etat, saisir un navire ou un
aéronef pirate, ou un navire ou un aéronef capturé à la suite d’un
acte de piraterie et aux mains de pirates, et appréhender les personnes et saisir les biens se trouvant à bord. Les tribunaux de l’Etat
qui a opéré la saisie peuvent se prononcer sur les peines à infliger,
ainsi que sur les mesures à prendre en ce qui concerne le navire,
l’aéronef et les biens, réserve faite des tiers de bonne foi ». Il peut
paraître nécessaire d’édicter un texte assez court dans lequel tous
les chefs d’Etats et de gouvernement de la planète sache (à l’occasion de la cérémonie de la prise du pouvoir par exemple), qu’à l’issue de leurs mandats en cas de violations du droit humanitaire, ils
seront poursuivis où qu’ils se trouvent pour être — s’ils sont reconnus coupables — sévèrement châtiés.
Dans son arrêt du 14 février 2002, qui oppose la République
démocratique du Congo à la Belgique, la Cour internationale de justice estime que « les fonctions d’un ministre des Affaires étrangères
sont telles que, pour la durée de sa charge, il bénéficie d’une immunité de juridiction pénale et d’une inviolabilité totale à l’étranger ».
Selon la Cour l’immunité « protège... l’intéressé contre tout acte
d’autorité de la part d’un autre Etat qui ferait obstacle à l’exercice
de ses fonctions ». « L’acte d’autorité » peut être une simple procédure qui ne se traduit pas forcément par une mesure coercitive : « le
simple fait qu’en se rendant dans un autre Etat ou qu’en traversant
celui-ci un ministre des Affaires étrangères puisse être exposé à une
procédure judiciaire peut le dissuader de se déplacer à l’étranger
lorsqu’il est dans l’obligation de le faire pour s’acquitter de ses fonctions ». Cette règle est transposable aux chefs d’Etats et de gouvernements. Puisque selon la Cour, « il est clairement établi en droit
(47) Selon la Résolution 374 de l’Assemblée générale des Nations Unies,
3 décembre 1973, « les crimes de guerre et les crimes contre l’Humanité, où qu’ils
aient été commis et quel que soit le moment où ils ont été commis, doivent faire l’objet d’une enquête et les individus contre lesquels il existe des preuves établissant
qu’ils ont commis de tels crimes doivent être recherchés, arrêtés, traduits en justice,
et s’ils sont reconnus coupables, châtiés ».
Rev. trim. dr. h. (2002)
919
international qu’un ministre des Affaires étrangères, comme les
autres personnes occupant un rang élevé dans l’Etat, jouit dans les
autres Etats d’une immunité de juridiction civile et pénale ». Mais
l’immunité ne signifie pas impunité. D’autre part un ministre ou un
chef d’Etat peut être jugé par son juge national ou même par un
juge international s’il y a lieu ; d’autre part l’immunité ne couvre
que la période pendant laquelle l’intéressé est en fonction, de sorte
que l’immunité dont peuvent bénéficier les personnes protégées « ne
saurait les exonérer... de toute responsabilité pénale » notamment à
la fin de leurs activités. En effet, selon la Cour « à condition d’être
compétent selon le droit international, le tribunal d’un Etat peut
juger un ancien ministre », d’où la formule de la Cour : « la compétence n’implique pas l’absence d’immunité et l’absence d’immunité
n’implique pas la compétence ». En tout cas dans cet arrêt, la cour
ne juge pas la compétence universelle comme illicite.
2. Exiger l’application de l’article 55 c. de la Charte des Nations
Unies pour les Etats membres de l’organisation, c’est-à-dire « le respect effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales
pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion ». D’ailleurs l’article 56 de la même Charte stipule que : « les
membres s’engagent en vue d’atteindre les buts énoncés à l’article 55, à agir, tant conjointement que séparément... ». Plus généralement, selon le droit international, un Etat reste lié par ses obligations juridiques dans ses relations avec le ou les Etats qui sont parties aux engagements internationaux auxquels il souscrit. Par ailleurs, l’article 60, § 5 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969
relative au droit des traités, stipule que « la violation même substantielle par un Etat contractuel des droits de l’homme n’autorise
pas les autres parties contractantes à mettre fin aux traités ou à en
suspendre l’application ».
3. Négocier directement avec l’Etat qui méconnaît les droits de
l’homme, en lui faisant comprendre que : violer les droits de
l’homme c’est « blesser » toute la société internationale et que le respect des droits des gens est une garantie pour la paix intérieure
mais aussi pour la paix extérieure ( 48). Les simples critiques verbales
(48) Un Etat peut négocier par le truchement de sa mission diplomatique. Selon
la Cour internationale de justice « l’institution de la diplomatie s’est avérée un instrument essentiel de la coopération efficace dans la communauté internationale qui permet aux Etats, nonobstant les différences de leurs systèmes constitutionnels et
sociaux, de parvenir à la compréhension mutuelle et de résoudre leurs divergences
par des moyens pacifiques », ordonnance 15 déc. 1979, § 39.
920
Rev. trim. dr. h. (2002)
ou offres de négociations ne constituent pas une ingérence dans les
affaires d’un Etat.
4. Limiter la coopération commerciale, technique et scientifique ;
et pour les Etats de l’Union européenne mettre en œuvre la procédure des sanctions aux violations des droits fondamentaux par les
Etats tiers, prévue à l’article 228 A du Traité C.E. ( 49) ;
5. Substituer à l’aide libre une aide liée (on peut d’ailleurs se
demander, pourquoi les dirigeants des Etats donateurs et leurs
homologues des Etats bénéficiaires, sont à l’unisson pour préférer
les aides libres sous forme de sommes d’argent ?). Si l’Etat bénéficiaire refuse l’aide liée, juridiquement, la décision pour un Etat de
cesser une aide économique qu’il versait régulièrement à un autre
Etat, est légale.
6. Rappeler son chef de mission diplomatique (ambassadeur).
7. Eviter toute visite ou réception officielle (pourquoi dérouler le
tapis rouge pour les ennemis du genre humain ?).
8. Raréfier, s’il y a lieu, la clientèle touristique à destination de
ces Etats, par des campagnes d’informations appropriées.
9. Utiliser les importations comme un outil de « dissuasion ». (Les
pays « démocratiques » disposent ici d’une « arme » économique efficace pour empêcher un Etat de violer les droits de l’homme) ( 50).
10. Si ces initiatives et pressions ne suffisent pas, avoir le courage
de prendre une mesure très grave : la rupture des relations diplomatiques.
Alors pourquoi les Etats « démocratiques » ne décident-ils pas de
tels actes ? Pourquoi ne mettent-ils pas leurs discours sur les droits
de l’homme en actes ? Il serait présomptueux de répondre à de telles
questions, tant le « monstre » froid est versatile et changeant. Mais
l’observation de la vie internationale enseigne que l’un des obstacles
majeurs à la conduite de cette procédure, reste le mobile économi(49) La conditionnalité « droits de l’homme » pratiquée par l’Union européenne
dans ses relations extérieures, englobe la lutte contre le racisme. Voy. sur cette question Jean-François Flauss, « L’action de l’Union européenne dans le domaine de la
lutte contre le racisme et la xénophobie », Rev. trim. dr. h., n o spécial 46, 31 mars
2001, p. 487.
(50) La dépendance d’un Etat vis-à-vis de son partenaire qui lui achète ses produits, fournit un outil puissant de « dissuasion » pour l’observation des droits de
l’homme. Cela suppose que soient ajustées les règles de l’organisation mondiale du
commerce.
Rev. trim. dr. h. (2002)
921
que qui est pour les Etats, qu’on le veuille ou non, hiérarchiquement supérieur à la dignité de l’homme et au respect de ses
droits. Dans la mise en balance de ses intérêts, l’Etat fait prévaloir tout d’abord des préoccupations mercantiles, politiques ou
stratégiques avant toute considération intéressant les droits de
l’homme. Il ne faut pas oublier que la place d’un Etat dans les
relations internationales est d’abord déterminée par sa puissance
militaire et économique. C’est l’axe principal de l’affrontement
entre Etats. Les droits de l’homme sont secondaires et purement
idéalistes. Ils ne peuvent être sérieusement invoqués que comme
élément stratégique servant de prétexte à une « intervention » dont
le but — non avoué — est de servir l’intérêt de celui qui l’entreprend. Les droits de l’homme sont dans ce cas la « camisole juridique dorée » qui fournira le vernis de la légalité à « l’intervention »
projetée.
Lorsqu’il n’y a pas de plus-value économique à attendre — car il
y a des Etats pauvres qui violent les droits de l’homme — l’indifférence et la négligence expliquent la passivité coupable des Etats
« démocratiques ». Dans ces conditions, tous les gouvernements qui
dénoncent les violations des droits de l’homme, par un discours vide
basé sur une simple rhétorique diplomatique, invoquent toujours de
« bonnes raisons » afin de ne pas se saisir de ces possibilités pour promouvoir réellement les droits de l’homme.
Je suis conscient qu’il n’est pas facile pour un Etat seul de
prendre de telles mesures. (Pourquoi doit-il se priver d’un
« marché », ou simplement froisser ses relations avec le pays en
cause, alors que son voisin n’a pas d’état d’âme). Mais rien n’empêche les Etats « démocratiques » de se consulter pour agir de
concert d’une part, et d’autre part, même seul, un Etat peut faire
montre d’une certaine audace en donnant l’exemple pour montrer
le chemin. Il ne faut pas perdre de vue qu’en droit interne, la revendication des droits de l’homme était au départ, un rêve fou
d’hommes isolés et « marginaux » en avance sur leur temps. Antigone a dit non à Créon il y a plus de 25 siècles, et en Pennsylvannie,
les quakers protestants ont excluent de leur communauté tous ceux
qui pratiquaient l’esclavage, avant que celui-ci ne soit officiellement
supprimé aux Etats Unis en 1863.
Un Etat, en prenant les mesures ici suggérées, ne supporte pas un
fardeau, mais accomplit une mission dont l’investit sa volonté de ne
922
Rev. trim. dr. h. (2002)
pas perdre « son âme » et de rendre sa valeur à toute personne
humaine ( 51).
L’utilisation du potentiel offert par le droit international tel qu’il
est aujourd’hui, permet donc, de donner sa solution aux problèmes
des violations des droits de l’homme ( 52). La société internationale
peut mettre les objectifs souhaités en rapport avec les contraintes
juridiques appropriées.
Mais il ne faut pas se faire d’illusion, les Etats sont réticents à
prendre de telles mesures pour des raisons mercantiles, politiques,
stratégiques ou autres ( 53). Dans ces conditions comme le dit Schopenhauer : « ... Il n’y aura pas davantage un progrès vers une situation moins misérable de l’Humanité, et bien moins encore un audelà meilleur ».
Pour « conclure », il aurait fallu épuiser le sujet traité, ce qui
serait prétentieux dans le cadre de cette étude. La conclusion principale que l’on peut dégager est la suivante : à une époque où les violations des droits de l’homme dans le monde demeurent nombreuses
et graves et, sans masquer les difficultés notamment politiques et
économiques, je peux, sans doute dire, que chaque Etat — doué de
volonté — a les moyens de revendiquer juridiquement — par la
mise en œuvre d’une panoplie de mesures — le respect des droits
fondamentaux indérogeables de l’homme partout où ceux-ci se trouvent bafoués ( 54). Les outils juridiques en vigueur aujourd’hui, permettent, sur des bases fermes et sûres, d’agir sans délais et pacifiquement; afin de trouver des amorces de solutions aux multiples
problèmes qui assaillent la société internationale, sans oublier l’enseignement de Blaise Pascal : « La justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique ».
(51) « Dire que le mot homme signifie quelque chose, c’est-à-dire une seule chose,
c’est dire que dans tout homme, ce qui fait qu’il est homme et que nous l’appelons
ainsi; c’est toujours une seule et même essence ». P. Aubenque, Le problème de l’être
chez Aristote, essai sur la problématique aristotélicienne, Paris, P.U.F, 1962, 3 e éd,
1972, p. 128.
(52) La production pléthorique de déclarations et l’augmentation exponentielles
des textes en matière de protection des droits de l’homme, sous des apparents bienfaits, dissimule en réalité confusion, pis-aller normes « boiteuses » et insécurité juridique. Voy. Moncef Kdhir, « Vers la fin de la sécurité juridique ? », Revue administrative, 1993, p. 538.
(53) En tout cas la mise en œuvre de toutes ces initiatives mérite d’être tentée,
s’il y a une ardente volonté d’agir pour la dignité humaine.
(54) Même au niveau des individus on peut agir dans sa consommation quotidienne, chaque citoyen, peut par exemple, opter pour l’achat de produits respectueux
de l’environnement et des droits de l’homme.
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Rev. trim. dr. h. (2002)
Epuré de la mauvaise foi des acteurs étatiques et de leurs hypocrisies, le droit international positif et la postulation de son ordre
juridique, permettent donc bien le respect des droits de l’homme
sans droit d’ingérence. Ce qui était à démontrer.
Imaginons maintenant pour terminer, une utopie en renversant la
problématique : un Etat « démocratique », engagerait sa responsabilité internationale, du fait de la violation des droits de l’homme
dans un Etat qui les bafoue, sur le fondement de la négligence, de
la carence, de l’abstention d’agir. La perspective est ici très claire :
l’Etat auteur des violations des droits de l’homme est bien entendu
le principal responsable, l’Etat « démocratique » est poursuivi ici à
titre secondaire par ricochet, pour son inaction (ne pas agir c’est
agir). Il aurait dû entreprendre des actions en agissant unilatéralement en saisissant la Commission des droits de l’homme, un juge,
un arbitre, une organisation internationale en exerçant la compétence universelle, ou tout autre moyen légal, pour mettre fin aux
violations commises dans un autre Etat. Son égoïsme, son intérêt
purement mercantile, sa carence, son imprudence, sa négligence,
l’en empêchent, il doit répondre.
La Cour permanente de justice internationale a déjà reconnu
qu’un Etat peut engager sa responsabilité pour son inaction, dans
la mesure où cette abstention cause un dommage à un autre Etat.
Dans l’hypothèse que je dégage, l’idée est de permettre de poursuivre un Etat qui n’a pas poursuivi, alors qu’il aurait dû poursuivre l’Etat coupable, afin d’élargir l’assiette de la protection des
droits de l’homme. C’est une nouvelle perception ; il s’agit d’une responsabilité étendue, par rebond, qui modifie la définition classique
du dommage direct. Il s’agit d’une utopie ? sans doute aujourd’hui
mais... demain ?
Il n’est pas interdit d’avoir ce long terme à l’esprit pour l’anticiper... Comme le disait Pascal : « l’utopie n’est qu’une vérité prématurée ».
Moncef KDHIR
Maître de conférences à l’Institut
d’études politiques de Lyon,
Directeur du Centre de recherche
et d’études en droit international
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