LE COUPAGE

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Rigobert LAPESS MUNKENI
LE COUPAGE
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Une pratique d'allocation des ressources
dans le contexte journalistique congolais
Collection Comptes rendus
L'Harmattan-RDC
LE COUPAGE
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Une pratique d'allocation des ressources
dans le contexte journalistique congolais
@ L'Harmattan,
2009
Paris: 5-7, rue de l'Ecole polytechnique; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
[email protected]
harmattan [email protected]
Kinshasa: 1025 Avenue By Pass
Kinshasa/Lemba, RDCongo
ISBN: 978-2-296-07049-3
EAN : 9782296070493
À Eliane,
Incomparable compagne de vie,
sans qui cet ouvrage n'aurait pas été entrepris...
À Prisca, Gaëtan et Christian,
Manifestations vivantes de mon bonheur de père,
pour leurs précieuses contributions à l'achèvement de ce /ivre...
Sommaire
Préface
Introduction
7
9
Première partie:
Cadre conceptuel de l'étude
15
Deuxième partie:
Problématisation de la pratique de coupage
25
Chapitre 1 : Approche factuelle
Chapitre 2 : Points de vue des personnes-ressources
Chapitre 3 : Typologie du coupage
Troisième partie:
Construction de l'objet coupage
27
39
45
73
Chapitre 4 : Eléments contextuels du coupage
Chapitre 5. : Recours au paradigme constructiviste
Chapitre 6: L'objet reconstruit
75
121
129
Troisième partie:
Modélisation, théorisation et explication de l'objet coupage
217
Chapitre 7 : Le meta-travail, conceptexplicatifet opératoireducoupage
Chapitre 8 : Construction du modèle de la pratique de coupage
Chapitre 9 : Application du modèle
219
237
245
Conclusion
bibliographie indicative
253
259
Préface
DE JEAN-CHRÉTIEN D. EKAMBd
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Le phénomène sous étude a une appellation locale: le coupage. Quoique
francisé, il aurait pu s'écrire aussi kupage. Car, lit-on dans cet ouvrage, le
néologisme dérive du nom de Mr. François Kupa, décédé il y a peu
d'années, ancien secrétaire d'Etat congolais aux Finances du gouvernement
de Cyrille Adoula en 1963. François Kupa fut rendu célèbre en qualité de
prodigieux bienfaiteur des journalistes, ses « amis ».
Le phénomène est cependant loin de se suffire d'une existence si
localisée, voire résiduelle. Rigobert Munkeni Lapess en ramasse les traces
un peu partout en Afrique, et même au-delà de ce continent. Et, outre cette
extension spatiale, le communicologue congolais en révèle également la
profondeur temporelle. Comme pour dire brièvement que, en matière de
largesses consenties aux hommes des médias, au grand jour ou dans le noir,
c'est l'humanité entière qui se retrouve concernée. Dans son roman Bel Ami
(1885), l'écrivain français Guy de Maupassant (1850-1893) dressait déjà un
portrait peu reluisant du métier de journaliste: homme sans scrupules,
opportuniste, vénaL.. Là résident précisément le défi et les enjeux des études
de haut niveau menées par les universitaires d'Afrique. Ici se livre
l'inspiration que me suscite l'agréable lecture de cet ouvrage.
D'une part, ces intellectuels d'Afrique sont invités, sinon obligés, à se
hisser inévitablement au diapason du flux universel des connaissances qui
circule au sein de la filière choisie. Qu'il parte de l'observation d'un trivial
objet ou d'un morceau choisi dans une littérature spécialisée, chacun de leurs
travaux en arrive ainsi à élargir l'angle d'approche. Ce serait de la courte vue
que de refuser d'éclairer le phénomène de coupage par des savoirs fécondés
ailleurs par des voisins collègues ayant étudié, par exemple, le fait de la
corruption: les moralistes, les éthiciens, les philosophes ou autres
cosmologues. Munkeni ne pouvait s'y dérober.
D'autre part, toutefois, il serait une réelle cécité d'occulter le « cadre »,
comme le dit l'américain Erving Goffman, ou le «contexte », comme le
souligne le français Alex Mucchielli. Et c'est en cela que Rigobert Munkeni
innove. Puisant aux ressources du bien vieil élan inductif, il engrange étape
après étape des données, avec une rigueur tout à fait remarquable dans la
conduite méthodologique. Cerise sur le gâteau, sa longue pratique
journalistique vient conférer aux connaissances produites une signifiance
qu'aurait félicitée Charles W. Rights qui, dans L'imagination sociologique
(Maspéro, 1968), lançait cet inusable enseignement: « vous devez apprendre
à utiliser au profit du travail intellectuel l'expérience acquise dans la vie ».
Ce n'est donc qu'au bout de ce fin et laborieux travail de préparation
empirique que le chercheur s'autorise à décoller et viser l'orbite théorique
1
Jean-Chrétien D. Ekambo est recteur de l'Institut facultaire des sciences de l'infonnation et
de la communication de Kinshasa.
7
supérieure des sciences sociales et humaines. La rupture épistémologique
s'est opérée alors avec assurance et beaucoup de réussite. Le coupage est
réévalué à la lumière du concept de « travail ». Tout comme il est critiqué au
départ du concept de «contrat ». La voie est désormais ouverte pour
conduire à des propositions d'une théorie nouvelle solidement fondée.
La méthode ainsi construite par Rigobert Munkeni répond aux besoins de
recherche que j'ose qualifier d'« afro logique ». L'afrologie serait le logos de
l'Afrique, science et discours. Elle serait donc l'étude de l'Afrique, de ses
sociétés, où l'hier et l'aujourd'hui se mettent en fusion dynamique pour
conférer à son individu une identité continentale irréductible. Ni un passé
magnifié, ni un futur angélisé. D'une part, une approche «afrologique»
s'interdira d'étudier les sociétés d'Afrique et les phénomènes qui s'y
déploient uniquement comme des faits de dysfonctionnement. La norme
serait logée loin des sites où s'aperçoivent les manifestations de l'anormalité.
Inutile de revenir d'ailleurs sur un tel débat, surtout après l'écrit inaltérable
d'actualité produit par Marc Augé (Fayard, 1994), sous le titre si évocateur
de Le sens des autres. Le peu qui me reste à ajouter est simplement que, à ce
jour, le chercheur africain est appelé à relever le défi d'une science qui ne se
ferait plus par procuration, au nom de quelque tuteur lointain, comme tend à
le laisser croire le courant actuel de la« formation à distance ».
D'autre part, l'approche que je préconise se doit d'être « afro-logique ».
En effet, le chercheur lancé sur des faits émergeant en sociétés africaines est
tout naturellement convié à une quête du corps de règles gouvernant la vie
des phénomènes sous examen. Rigobert Munkeni en a démontré la
pertinence et en a administré la preuve. L'auteur commence par se pénétrer
du code inhérent à la cohérence du champ théorique de la communication
interpersonnelle, dont relève le coupage. Il convoque alors tous les vieux
maîtres: Gregory Bateson, Ray Birdwhistell, Dell Hymes... Il en retient que
le sens se trouve enfoui à la croisée des deux contextes: horizontal
(l'empirie) et vertical (le cadre-contexte). A partir de là, la logique ne peut
s'offrir au chercheur qu'en terme de corrélat, et non plus en celui de substrat.
La nouvelle perspective théorique devient dès lors d'une grande fertilité.
Effectivement, ce croisement a permis au communicologue congolais à
mettre sur pied une typologie suffisamment heuristique, qui traduit la
logique interne à chacune des praxis. Le coupage est ainsi manifesté sous
différents modes: occasionnel, circonstancié, ratifié, « proximisé ».
Grâce à cette catégorisation, tout observateur scientifique extérieur se
trouve doté de clés qui donnent accès à l'intelligibilité du phénomène
coupage. Perçu dès lors comme phénomène social total, le coupage se prête
à une prise en charge correcte par l'approche communicationnelle. Rappel:
cette approche est celle qui ne néglige aucune donnée incluse dans les deux
contextes consubstantiels de tout fait de communication que sont: le
contexte horizontal et le contexte vertical. L'œuvre de Rigobert Munkeni
Lapess informe autant qu'elle forme. Elle trouve sa bonne place dans la
panoplie des produits recommandés aux jeunes communicologues.
8
Introduction
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La pratique de «coupage» dans l'espace médiatique congolais peut être
comparée à un serpent qui lentement se fraie un passage sur une surface
sinueuse, se construit et développe à sa manière un relief qui se dessine et se
précise peu à peu dans l'espace médiatique congolais.
La prise de conscience de ce relief est contenue dans un certain nombre
de réflexions et positions émises par les journalistes eux-mêmes ou leurs
corporations. Une étude réalisée en 1999 sur« La situation de l'information
et de la communication en République Démocratique du Congo»1 relève
que «la misère dans laquelle évoluent les journalistes est souvent à l'origine
de manquements à la déontologie» et en conclut que «dans ces conditions,
la majorité des professionnels des médias privés sont exposés à une
insécurité chronique»2 autant que leurs collègues des médias d'Etat qui
«font réellement figure de parents pauvres voire de mendiants ».
La corporation des journalistes congolais elle-même juge sévèrement la
situation dans laquelle évolue le professionnel des médias en République
démocratique du Congo, (RDC). L'Association des journalistes congolais
Presse Ecrans Amitié Congo-Europe (PEACEi qui se présente comme une
structure de défense des intérêts d'amitié entre les journalistes congolais et
européens, révèle dans un dossier publié en 1999, qu'en République
démocratique du Congo de «nombreux journalistes recourent à des
pratiques de divers ordres pouvant les aider à nouer les deux bouts du
mois »4. Cette association fait observer que l'une de ces pratiques est
le coupage.
Dans un article de presse que nous avons nous-même publié en 1992,
nous considérions déjà le coupage comme une pratique qui « empoisonne les
milieux de la presse congolaise et caractérise l'état d'esprit mercantiliste du
professionnel des médias »5. Cependant, PEACE comme bien d'autres
observateurs de l'espace médiatique congolais réduisaient cette pratique au
niveau des journalistes communément appelés quados, ces reporters des
maisons de presse dont la plupart étaient formés sur le tas. PEACE les décrit
comme «des personnes qui n'ont pas fait des études classiques de
journalisme. Certains ont commencé par des métiers connexes au
1
IFASIC-UNICEF, La situation de l'information et de la communication en République
démocratique du Congo, Kinshasa, IFASIC, 1999, p. 76.
2
Idem.
3PEACE, Situation générale du journaliste congolais, Kinshasa, 1999, inédit, pp. 7-8.
4 PEACE, Ibidem, p.5.
5 MUNKENI, L., « Presse nationale: le journaliste face à ses responsabilités », in quotidien
Le Potentiel, n0236, Kinshasa, 20 octobre 1992, p. 2.
9
journalisme - photographes, distributeurs de journaux - avant de se retrouver
dans la profession, attirés par les avantages et facilités qu'elle procure »1.
Le surnom peu envieux de quado que la corporation de la presse
congolaise a collé à ces journalistes fait référence au terme de quado qui
désigne ce réparateur des pneus d'automobile dont les échoppes pullulent le
long des artères des villes congolaises, particulièrement à Kinshasa.
L'analogie tient au fait que l'un et l'autre remplissent des tâches ingrates
que ce soit au sein de la rédaction d'une maison de presse ou au coin des
artères fréquentées par les automobiles.
Dans les rédactions des maisons de presse, les « quados-journalistes » se
recrutent dans les rangs des reporters qui abordent le métier par le bas de
l'échelle. On les reconnaît facilement à travers les conditions difficiles dans
lesquelles ils exercent leur métier. Chaque jour, ils parcourent de longues
distances à pied, à la recherche des informations, se nourrissant souvent au
gré des réceptions qu'ils couvrent. Ils sont modestement vêtus, car leurs
revenus modiques ne leur permettent pas de s'habiller avec recherche. Mais,
parfois ils sont tirés à quatre épingles « pour cacher notre pauvreté »,
expliquent-ils. En les voyant alors, l'on ne peut comprendre qu'ils vivent
seulement du métier peu rémunérateur de journalisme qu'apparemment ils
exercent pourtant avec passion.
S'agit-il simplement d'apparence? Sûrement pas, car il suffit de les
approcher pour se convaincre qu'ils aiment leur métier, se sentent bien dans
leur peau, même s'ils affichent souvent cet air de débrayés, de contestataires
ou de désordonnés pour lesquels tout va mal sur cette terre des hommes et
qui rêvent de changer le monde.
Mais quelle récompense tirent-ils finalement d'un métier aussi ingrat,
incapable de nourrir son homme? Vivent-ils seulement d'eau fraîche pour le
seul bonheur de rendre compte des faits et des événements? Le journalisme
dans ce pays ne serait-il qu'un art exercé pour l'art? Dans ce cas, comment
celui qui l'exerce satisfait-il les multiples besoins sociaux qui s'imposent à
lui, en tant que chef de famille, époux, parent... ?
Ce journaliste-là qui fait l'objet de la présente étude existe bel et bien. On
le côtoie chaque jour dans les rues des villes congolaises, principalement à
Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo qui se trouve
être un véritable microcosme social. Ce journaliste-là nous intéresse,
principalement dans sa situation ambivalente. Car, il vit chaque jour un
paradoxe: autant il aime et exerce un métier, autant ce dernier ne le nourrit
pas sinon très peu. Comment comprendre autrement pareil paradoxe sinon en
pensant qu'il s'est doté de mécanismes de récupération ou de substitution,
susceptibles de combler les revenus que son métier ne peut lui procurer et
qui lui sont nécessaires pour la satisfaction de ses besoins et de ceux de sa
famille? En effet, il y a lieu de se demander comment un journaliste peut
I
PEACE, op. cil., p. 8.
10
vivre dans un milieu urbain toujours plus exigeant pour autant qu'il ne
dispose pas de ressources suffisantes et régulières.
A cette question, une réponse peut être trouvée à travers la
débrouillardise que pratiquent bon nombre de salariés congolais. Celle-ci est
une formule adoptée par de nombreux salariés congolais consistant à nouer
les deux bouts du mois et à combler l'insuffisance des ressources en exerçant
un second emploi, en dehors de l'activité principale. Un second emploi dans
le commerce, l'agriculture ou autres petits métiers. Elle consisterait
également, selon l'entendement commun, en ce qui concerne
particulièrement le journaliste, à s'allouer une rétribution supplémentaire
auprès des tiers.
Cependant, lorsqu'on fréquente les milieux des professionnels des médias
congolais, l'on découvre non seulement que les journalistes s'adonnent
comme tout le monde à la débrouillardise, allant d'une activité secondaire
exercée en plus de l'activité principale qu'est le journalisme, aux mécanismes
d'allocations de ressources supplémentaires auprès des tiers, qu'ils soient
membres de famille ou autres connaissances. Mais on remarque, en plus, que
les journalistes se sont constitués d'autres mécanismes, cette fois de
rétribution des revenus supplémentaires. Ces derniers mécanismes qui ont
pris une place importante dans la pratique congolaise du métier de
journaliste tirent apparemment leurs origines non seulement de la modicité
du salaire qui lui est alloué mais également des conditions difficiles
généralisées dans lesquelles il exerce la profession d'informer.
Toutefois, à la différence du système de la débrouillardise et de l'emploi
secondaire, les mécanismes de rétribution supplémentaire du journaliste
puisent leurs ressources d'une certaine conviction socialement entretenue
dans le pays qui veut que la précarité des hommes et des femmes des médias
soit prise en charge par toute la société congolaise. La conviction s'appuie
sur plusieurs considérations enracinées dans la conception que le journaliste,
le pouvoir politique et le consommateur des médias congolais, se font du
rôle de la presse dans la société congolaise.
En effet, durant la Deuxième Républiquel, les dispositions légales,
réglementaires et même corporatistes, dont certaines encore en vigueur
aujourd'hui, considéraient le journaliste comme <<une courroie de
transmission entre la base et le sommet de la vie nationale, et inversement
ainsi que comme mobilisateur et sensibilisateur pour des objectifs d'intérêt
collectif» 2.Le journaliste de l'époque de la République du Zaïre apparaissait
et se faisait passer ainsi «comme l'une des pièces centrales du processus
d'éducation, d'information, de mobilisation et de formation de la masse dans
1 Durant une période de près de 25 ans, allant de la prise de pouvoir du président Mobutu Sese
Seko, le 24 novembre 1965, à l'ouverture de son Régime au processus démocratique, le 24
avri11990.
2 MUNKENI, L., Le journaliste sportif et l'éthique projèssionnelle, exposé présenté sur le
même thème, à l'occasion de la journée de sensibilisation de la presse sportive de Kinshasa,
Kinshasa, 7 novembre 1989, p.l.
11
le cadre du développement national »1.Aussi, devait-il se donner les moyens
de cette mission, à défaut de se les voir allouer par son employeur. La
naissance des mécanismes susmentionnés s'inscrit donc dans cette logique.
Ces mécanismes que l'on peut découvrir facilement lorsque l'on
fréquente de plus près les milieux de la presse congolaise se résument en un
phénomène de gratifications. Il s'agit de cette récompense qui naguère était
accordée de manière informelle au journaliste pour l'encourager à publier ou
à gele? une information, ce qui est rendu presque obligatoire aujourd'hui.
Grâce à cette pratique habituellement désignée sous le vocable évocateur de
coupage, le journaliste congolais continue à exercer son métier, sans trop se
plaindre de sa condition, en complétant ses revenus formels avec les rentrées
informelles que lui procure cette pratique.
En retour, il s'emploie à veiller sur les intérêts informationnels de ses
donateurs ou plutôt de ses parrains, pour emprunter une expression qui a fait
recette en son temps3. Ces parrains-donateurs se recrutent dans les rangs des
sources potentielles ou effectives, ponctuelles ou permanentes et desfaiseurs
de nouvelles. Ils appartiennent à diverses couches de la société mais
occupent principalement la sphère de ceux qui ont quelque chose à dire à
travers la presse. Ce sont des personnalités politiques ou du monde des
affaires et du spectacle, des responsables religieux, des dirigeants sportifs,
des artistes, des vedettes... Ils ont pour particularité de détenir des nouvelles
et autres éléments que le journaliste recherche pour faire des informations.
Ils ont donc besoin du journaliste pour qu'il diffuse des informations les
concernant ou taise celles qui leur sont préjudiciables.
Autant donc le journaliste a besoin de parrains, autant ils ont besoin du
journaliste. Le premier parce que les éléments d'information obtenus auprès
des sources lui permettent de faire son papier et donc de justifier son statut,
étant entendu que c'est sur base de sa production qu'il est coté et apprécié.
Les seconds, en tant que producteurs ou sources d'information, ont besoin du
journaliste parce que le papier qu'il publie sur eux leur permet de se faire
connaître, de présenter au public une activité ou un projet, de faire passer un
message ou une opinion. Les sources ont également besoin du journaliste
pour qu'il bloque une information qui viendrait à l'encontre de leurs activités
ou de leurs projets. Entre le journaliste et ces bienfaiteurs-parrains naissent
ainsi des rapports de type plutôt utilitaire, allant parfois jusqu'à l'affectif,
lorsque ces derniers deviennent comme des parents ou des amis.
Dans leur entourage, le journaliste est à quelque différence près considéré
comme l'enfant de la maison qui fréquente tout le monde et est connu des
I
Idem, p. 2.
2 La pratique ici englobe plusieurs actes que peut poser le journaliste et qui vont de la
suppression pure et simple de l'information qu'il désire produire ou qu'un confrère est sur le
point de publier, à sa rétention, en passant par son monnayage au plus offrant.
3 Cfr, in L'Analyste, « Débat sur la presse », Kinshasa, 1987, Ce débat entre les journaux
L'Analyste, Elima et Salongo, en novembre 1987 a révélé au grand jour plusieurs pratiques de
subordination de la presse congolaise aux pouvoirs politique et de l'argent.
12
proches: du bureau au domicile, en passant parfois par la sphère intime du
bienfaiteur, formée de la deuxième ou de la troisième femme. A ce stade, les
intérêts de l'un et de l'autre semblent se confondre. Aussi, verra-t-on un
journaliste défendre avec acharnement au sein de sa rédaction, en usant
parfois d'argumentaires affectifs ou émotionnels, la publication ou la
rétention d'un papier concernant un parrain. Le coupage apparaît ainsi
comme le prix à payer pour l'entretien de ces rapports.
Dans le cadre de cette étude, nous nous proposons d'analyser cette
pratique, désignée de diverses manières dans les milieux de la presse de la
République démocratique du Congo, mais dont la dénomination la plus
usitée est coupage. Le but de notre analyse n'est certes pas de faire le procès
d'une pratique au sujet de laquelle la société congolaise en général, les
milieux de la profession journalistique, en particulier, portent déjà des
jugements en sens divers: tantôt favorables, tantôt défavorables.
Notre étude ambitionne modestement de démonter les différents
mécanismes qui ont fait naître et qui tendent à perpétuer cette pratique.
Adoptant une épistémologie particulière, nous commencerons par la
compréhension que le sens commun a de cette pratique; ensuite notre
démarche tentera de prendre distance avec cette perception et enfin nous
nous efforcerons d'appréhender en profondeur le coupage.
Dans ce processus de production des connaissances, l'idée soutenue ici
est que le sens (du coupage) ne peut avoir été donné au départ, et ne pourra
résulter que d'un chapelet d'interprétations sur cette pratique. Le paradigme
qui fonde notre recherche est donc celui de la complexité, initié par Edgard
Morin qui le conçoit comme un mode de pensée s'interdisant d'appréhender
la réalité de manière linéaire. C'est pourquoi, Daniel Bougnoux rapproche le
paradigme de la complexité de Morin au paradigme du tourbillon d'Escher
qui «suggère qu'il ne faut pas penser la vie comme l'application d'un
programme qui préexisterait à son exécution mais comme la rétroaction du
déterminé sur le déterminant et de l'effet sur la causel.
Couplé au point de vue compréhensif, le paradigme de la complexité
procède du même principe directeur qui fonde l'analyse de toute réalité sur
la circularité des déterminants, en dépassant l'appréhension basée sur le
modèle linéaire et monocausal de cause à effet. Nous fondant sur ce
paradigme, nous postulons également que la pratique de coupage, étant une
réalité de micro-société de la presse congolaise, et comme toute réalité
s'inscrivant dans la complexité, ne se donne mieux en compréhension que
lorsque les éléments qui la déterminent sont intégrés dans un mouvement de
perception et d'analyse circulaire.
Cela étant, nous formulons la question générale de notre recherche de la
manière suivante: comment la pratique de coupage est-elle appréhendée au
I
BOUGNOUX, D., Sciences de l'information et de la communication, textes essentiels, Paris,
Larousse,
1993, pp. 484 et 485
13
sein de la société congolaise? Cette question globale appelle deux sousquestions qui permettront de spécifier notre recherche. Primo, quel rôle le
coupage joue-t-il dans les milieux de la presse congolaise et de ceux qui
l'entretiennent? Secundo, comment les acteurs du coupage présentent-ils et
se représentent-ils cette pratique?
Mais, dans une première partie, nous commencerons par déployer le
cadre conceptuel général dans lequel s'insère notre étude.
14
PREMIERE PARTIE:
CADRE CONCEPTUEL DE L'ETUDE
~-~--_._--------_.._._-----.----
Nous commencerons par poser par hypothèse que le coupage est
considéré par les acteurs de l'espace médiatique congolais comme une
rétribution, un moyen financier ou matériel, accordé aux professionnels des
médias par des sources d'information pour leur permettre d'accomplir leur
métier. Dans cette hypothèse, la rétribution est donc une variable
indépendante, les variables dépendantes étant: la corruption et la motivation.
C'est à travers l'articulation de ces variables que va se construire
l'explication du phénomène sous examen.
Notre recherche se singularise sur trois axes, théorique, méthodologique
et pratique.
Sur l'axe théorique, elle entreprendra de rendre compte, dans un effort
explicatif et compréhensif de ce qu'est l'objet coupage, en réponse aux
options heuristiques que nous aurons prises. Le but ultime de notre démarche
théorique sera de rechercher une compréhension plus approfondie de la
pratique de coupage, au départ de la conception largement répandue et
intuitive qui la considère comme un fait né de la précarité du professionnel
des médias congolais et du micro-milieu de la presse du pays.
Cette conception, on le sait, tend à accréditer le raisonnement selon
lequel, une fois cette précarité éradiquée, notamment par l'allocation de
revenus plus substantiels et de meilleures conditions de travail au journaliste,
la pratique de coupage ne pourrait que disparaître. Or, il se fait
paradoxalement que même les journalistes congolais qui bénéficient de
conditions sociales et professionnelles acceptables se livrent aussi à cette
pratique, allant jusqu'à élaborer des mécanismes de plus en plus performants
pour son ancrage dans le milieu de la presse congolaise. Cela montre
qu'autant à l'intérieur qu'en dehors du micro-milieu des professionnels et
des médias congolais, la pratique de coupage trouve du répondant et est
confortée par des acteurs et des ressorts aussi nombreux que diversifiés.
Cette inadéquation dans l'appréhension intuitive de la pratique de
coupage nous pousse à rechercher et à enrichir sa compréhension à travers
une démarche théorique appropriée dont nous préciserons plus loin les
contours et que nous concevons d'emblée, à l'appui de Jean LohisseI,
comme une «tentative de représenter abstraitement un réel toujours
insaisissable dans son intégralité ».
L'axe méthodologique de notre recherche se propose de rompre avec la
conception linéaire et monocausale qui présenterait le coupage comme fondé
1
LOHISSE, J., La Communication, de la transmission à la relation, Bruxelles, éd. De Boeck
Université,
p. Il.
15
essentiellement sur la seule action des acteurs-professionnels des médias.
Nous privilégierons plutôt une conception circulaire et pluricausale, prenant
en compte d'autres acteurs et s'appuyant sur d'autres ressorts de
l'environnement médiatique congolais qui sont autant de paramètres
conduisant à une compréhension plus élaborée de cette pratique. Pour ce
faire, nous utiliserons la démarche inductive qui, au départ de nombreuses
données sur ladite pratique et de leur catégorisation permettra de formuler un
ordonnancement, pouvant organiser « la compréhension du fonctionnement
globall.
Cette approche méthodologique présente plusieurs avantages dont deux
sont particulièrement intéressants pour notre étude. Premièrement, elle place
le chercheur dans l'obligation de découvrir un schéma explicatif qu'il ne
connaît pas d'avance et vers lequel il s'efforcera de cheminer. La pratique de
coupage gagnerait ainsi à être appréhendée par cette approche, sa
compréhension ne se donnant pas à première vue et doit être découverte à
travers un cheminement explicatif. Secundo, le recueil des données par cette
approche se fait en interprétation, au départ du sens que les acteurs et la
réalité observée donnent au phénomène.
Ce qui permet d'échapper ainsi à une compréhension monocausale de
l'objet d'étude. En effet, le coupage, tel qu'appréhendé intuitivement
apparaissait comme le résultat d'une seule cause: la précarité des conditions
sociales et professionnelles du journaliste, et donc comme une pratique
linéaire. Il se fait que sur le terrain concret de la manifestation de cette
pratique, plusieurs paradoxes se bousculent qui relativisent ce type
d'appréhension. La compréhension de la pratique de coupage s'enrichirait
donc à cheminer différemment, notamment au départ du sens que les acteurs
eux-mêmes en donnent.
Cette lecture théorique et méthodologique du coupage nous permettra
enfin de réunir les éléments nécessaires à une compréhension de cette
pratique et à des enseignements concrets et applicables concernant cette
pratique.
Nous avons recouru à diverses techniques. Le recueil des éléments,
conduisant à l'élaboration du modèle de coupage, sera réalisé suivant
plusieurs techniques: l'observation interne avec une variante participante et
non participante, les entretiens non directifs, la collecte des données de récits
ou encore la consultation des documents. Toutes ces techniques sont
assimilées par DeI Bayle à « l'enquête de terrain» qu'il définit comme « un
contact direct et immédiat du chercheur avec la réalité étudiée »2.
Concrètement, nous procéderons comme le suggère cet auteur, en
recherchant les informations nécessaires à notre étude par nos « sens, vue et
ouïe particulièrement, éventuellement complétées par la mise en oeuvre de
1
MUCCHELLI, A., La nouvelle communication, Paris, A. Colin, 2000, p 51.
2 LOUBET DEL BAYLE, J. L., Initiation aux méthodes des sciences sociales, Paris:
L'Harmattan, 2000, p. 37.
16
procédés d'investigation documentaire ou par entretien qui se trouve dans
certains cas facilitée par le contact direct (. . .) avec la réalité» I.
L'observation
interne
Autrement
désignée
participation-observation2,
cette
forme
d'observation fait appel aux acteurs concernés par le coupage, qui
deviendront eux-mêmes observateurs de leur propre pratique, sous la
conduite du chercheur-observateur. La caractéristique de cette observation
est qu'elle se déroule dans le contexte interne du phénomène observé où
chercheur et observateurs sont d'une manière ou d'une autre et à un moment
ou à un autre, partie prenante et acteurs de la vie de la communauté sous
étude. L'avantage de cette observation interne est que les observateurs, en
même temps qu'ils fournissent des informations, sont eux-mêmes observés
par le chercheur qui lui-même se retrouve observateur. Tous occupent une
double position de collaboration: ils recueillent et fournissent des données.
Cela stimule chacun et le pousse à réunir le plus d'éléments d'information,
se sachant engagé dans un processus d'observation interne. Il est vrai que
cette forme d'observation comporte certains risques de biais. Car, les
observateurs étant eux-mêmes observés peuvent en faire trop ou trop peu
pour se donner une image auprès du chercheur-observateur ou pour éviter
d'être jugés. La diversité des données fournies, qu'il appartiendra au
chercheur de trier et l'observation des observés par ce dernier, permettent de
détecter les écueils et d'atténuer ces biais.
a)
Observation
interne non participante
Une première variante de cette observation interne apparentée à
l'observation non participante laisse aux observateurs-observés, en
l'occurrence n'importe quel professionnel de média congolais, praticien du
coupage, le soin de conduire l'observation, en fournissant au chercheur les
éléments de la pratique que ses sens enregistrent. Cette forme d'observation
est une variante de l'observation interne. Elle permet d'obtenir des
informations sur le coupage, en ne prenant pas directement part à cette
pratique mais plutôt en observant les praticiens du coupage, eux-mêmes
observateurs de leur pratique. Cette observation, tout en étant non
participante pour le chercheur, premier observateur, est participante pour les
acteurs du coupage, qui à leur tour observent leur propre pratique. La
particularité consiste au fait que l'observateur, en l'occurrence nous-même
de par notre propre statut de journaliste congolais, tout en étant acteur
interne du coupage, se place momentanément en dehors, pour mieux
observer sa pratique. Cette variante de l'observation interne convient le
mieux pour observer des éléments d'une communauté que les observateurs1
Ibidem.
2Idem, p. 43.
17
observés, pris dans la dynamique de leur propre observation, ne pourront pas
fournir naturellement. Il s'agit par exemple, de certains comportements, du
mode de vie des acteurs du paysage médiatique congolais, des rituels, de
l'organisation sociale et professionnelle dans son ensemble...
b)
Observation
interne participante
La deuxième variante de l'observation interne, à laquelle nous nous
proposons de recourir s'apparente à l'observation participante externe. Elle
consiste pour nous de conduire l'observation de l'intérieur de la pratique, en
qualité d'acteur potentiel du phénomène observé. Cette dernière variante
prend la forme à la fois de l'observation actuelle que de l'observation
rétrosrective, selon la distinction qu'en établit Jean Louis Loubet DeI
Bayle. Dans le premier cas, le chercheur nous serons nous-même, en même
temps acteur et observateur de la pratique telle qu'elle s'accomplira au
moment où nous effectuerons nos propres reportages; dans le second cas, le
chercheur décrit les aspects du phénomène qu'il a connus. Pour notre part,
nous décrirons les situations passées du coupage, auxquelles nous avons pris
part ou qui nous ont été rapportées par des observateurs-ressources.
Cette observation de type ethnographique est « recommandée pour
étudier une communauté (en l'occurrence, les acteurs de l'espace médiatique
congolais) durant une longue période »2, en prenant part à sa vie collective.
Jean-Paul Colleyn renseigne que cette technique est particulièrement
indiquée pour observer des communautés qui présentent manifestement un
« écart entre la lettre et le fait, entre le dire et le geste; et partout où des
milieux fermés sur eux-mêmes suivent des modèles différents de ceux de la
société globale »3. Elle est également indiquée pour appréhender, dans nos
sociétés, des faits insuffisamment maîtrisés, se déroulant dans des secteurs
de la vie, pourtant connus. Ainsi, la pratique de coupage se prête mieux à
cette forme d'observation car, quoique connue de la société congolaise, elle
demeure l'apanage des milieux de la presse. Elle reste ainsi fermée aux non
initiés et les informations, écrites ou orales, la concernant ne sont pas
toujours disponibles. C'est également en procédant nous-même au recueil
des données sur le terrain, sans nous adresser aux sujets concernés que nous
pourrons obtenir les éléments d'information que les acteurs observés, euxmêmes observateurs ne livreront pas d'emblée.
1
Idem,
p. 44.
2 QUIVY., R., et VAN CAMPENHOUDT, L., Manuel de recherche en sciences sociales,
Paris, Dunod, Bordas, 1988, p. 188.
3
COLLEYN, J-P., Eléments d'anthropologie sociale et culturelle, Bruxelles, 3è éd., de
!'ULB, arguments et documents, 1982, p. 43.
18
Les entretiens
Pour réaliser cette étude, nous aurons recours également à la technique
d'entretien. Nous concevons l'entretien comme un processus qui met en
contact direct le chercheur et ses interlocuteurs, en l'occurrence des
personnes-ressources. Tout au long de ce processus, l'interlocuteur que nous
aurons choisis parmi les personnes ayant fait l'expérience de la pratique de
coupage exprimera« ses perceptions d'un événement ou d'une situation, ses
interprétations ou ses expériences tandis que, par ses questions ouvertes et
ses réactions, le chercheur facilitera cette expression, évitera qu'elle
s'éloigne des objectifs de la recherche et permettra à son vis-à-vis d'accéder
à un degré maximum d'authenticité et de profondeur »1.
En rapport avec cette variante, nous adopterons les deux types
d'entretiens que Luc Albarell02 a catégorisés en entretien informatif et
qualificatif.
a)
Entretien informatif
Le premier consistera à obtenir des personnes, reconnues par nous
comme détentrices d'informations intéressant notre recherche, des données
sur tel ou tel aspect de l'étude. A cette forme d'entretien correspondant
plutôt à un recueil des données indicatives sur ces aspects, nous associerons
un type plus élaboré d'entretien que cet auteur nomme entretien qualificatif
ou entretien de recherche.
b)
Entretien qualificatif
Luc Albarello le définit comme « un entretien entre deux personnes, un
interviewer et un interviewé, conduit et enregistré par l'interviewer: ce
dernier ayant pour objectif de favoriser la production d'un discours linéaire
de l'interviewé sur un thème défini dans le cadre d'une recherche »3. Ce type
d'entretien peut être utilisé pour recueillir des informations de plusieurs
natures. Dans le contexte de cette étude, nous y recourrons pour obtenir
notamment des informations sur les actions passées de coupage, sur les
représentations que les acteurs se font de cette pratique, notamment à travers
les rituels et également sur les argumentaires développés par ces acteurs pour
qualifier et justifier ladite pratique.
Cet entretien prendra essentiellement la forme de rencontres individuelles
que nous organiserons avec des personnes-ressources. Il pourra également se
dérouler de manière informelle avec un petit nombre de praticiens du
1
QUIVY., R., et VAN CAMPENHOUDT,
L., op. ci!., p. 184.
2 ALBARELLO, L., Apprendre à chercher, Paris-Bruxelles, De Boeck Université, 1999, pp.
61 et ss.
3
Idem,
p. 62.
19
coupage, sans que l'entretien ne prenne la forme systématique d'un focusgroup. Le but visé dans les entretiens individuels et collectifs informels est
d'obtenir des personnes-ressources qu'ils s'expriment sans contrainte, avec
plus de liberté de parole, dans un contexte où ils s'adressent à nous, seuls ou
en présence d'un petit groupe d'autres praticiens qui leur sont familiers. Cet
entretien sera semi-directif, c'est-à-dire qu'au départ d'un guide d'entretien
reprenant quelques thèmes concernant le coupage, nous chercherons à
obtenir auprès des personnes-ressources, directement ou par enquêteurs
interposés, des informations concernant leurs expériences de cette pratique.
c)
Les Récits d'activité
Il s'agit d'une autre forme complémentaire de la technique d'entretien
que nous a inspiré le récit de vie, catégorisé par Luc Alberello et qui
consistera à demander à l'un ou l'autre acteur du coupage de décrire dans
son propre langage le déroulement de ses activités, durant une semaine, tel
qu'il les a vécues et tel qu'il les interprète. Le récit de vie peut être assimilé
au récit des activités des acteurs, en l'occurrence ceux du coupage, que
Lalive d'Epinay] conçoit comme un «produit subjectif et symbolique» qui
«fournit tous les matériaux nécessaires à l'étude des systèmes de
significations et de valeurs propre au récitant, en tant qu'être social. Car, en
effet c'est ce système que le conteur a mobilisé pour réaliser, produire son
récit (premier niveau de subjectivité) et guisque ce récit concerne sa propre
vie, en ['occurrence ses propres activités (second niveau de subjectivité) ce
système s'incruste en filigrane dans la trame du récit lui-même. (...) » Il en
conclut que ce récit «doit être considéré dans sa subjectivité car au plus
profond de cette subjectivité se trouve enfouie la réalité sociale et collective
incorporée par le sujet ».
Dans la présente étude, nous procéderons en demandant à des acteurs de
la pratique de coupage, de nous décrire, dans une sorte de rapport d'activité,
leurs journées types. De ces récits, nous retirerons les expressions, les
comportements et autres opinions se présentant comme des indicateurs
exprimant l'une ou l'autre dimension subjective de la pratique de coupage.
4.3.
La recherche documentaire
La dernière technique à laquelle la présente étude aura recours est celle
de la recherche documentaire, communément désignée « technique
documentaire ». Celle-ci est définie par Jean-Louis Loubet DeI Bayle3
comme une forme d'observation qui ne recourt pas à un «contact immédiat
entre l'observateur et la réalité» mais « qui s'effectue à travers un élément
1
LALIVE D'EPINA Y, « Récit de vie et projet de connaissance scientifique », in Recherches
Sociologiques, Louvain-la-Neuve, Vol. XVI, n02, 1985, pp. 247 et 248
2
C'est nous qui soulignons.
3 LOUBET DEL BAYLE, J-L., op. cit., p.l13.
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