jardin révolutionnaire de zarathushtra, réflexion sur les révolutions

IDEA – Studia nad strukturą i rozwojem pojęć filozoficznych
XXIV Białystok 2012
MAŁGORZATA GRYGIELEWICZ
(Paryż)
JARDIN R´
EVOLUTIONNAIRE DE ZARATHUSHTRA,
R´
EFLEXION SUR LES R´
EVOLUTIONS DE COULEUR
OU DES FLEURS
« On peut peut-ˆetre forcer la nature, mais non pas la contraindre »
Goethe, selon Nietzsche dans « Seconde Consid´eration Inactuelle »
C’est le jardin d’Epicure, qui a forc´ement inspir´e Nietzsche `a dessiner le
« jardin du monde » de Zarathushtra. Avant de nous faufiler dans les m´eandres
de son jardin, de visiter ses plantations et goˆuter `a ses fruits, rappelons que
la philosophie de Zarathushtra est une philosophie lumineuse du monde. Elle
encourage `a marcher vers le monde qui nous attend, le monde semblable `a un
jardin. « Qui sait respirer l’air de mes ´ecrits sait que c’est l’air des altitudes, un
souffle rude. Il faut ˆetre bien fait pour lui si on ne veut pas y prendre froid.
La glace est proche, la solitude formidable – mais que tout est calme dans la
lumi`ere! »1En parlant de jardin, Nietzsche ressort l’id´ee du mariage, qui apparaˆıt
sous la forme d’une m´etaphore nouvelle. Le philosophe sublime l’id´ee du mariage
hasardeux en jardin construit, o`u les hommes comme les plantes grandissent et
s’´el`event. « Tu dois construire plus haut que toi-mˆeme. Mais il faut d’abord que
tu sois construit toi-mˆeme, carr´e de la tˆete `a la base. Tu ne dois pas seulement
propager ta race plus loin, mais aussi plus haut. Que le jardin du mariage te serve
`a cela. »2Dans ce jardin du mariage les hommes comme les plante grandissent et
sont ´elev´es. « Il ne faut pas seulement vous multiplier, mais vous ´elever – ˆo mes
1–, Ecce Homo, fg. 3, de Pr´eface, traduit de l’allemand par Alexandre Viallete.
2–, Ainsi parlait Zarathoustra, Premi`ere partie, De l’enfant et du mariage, Tous les cita-
tions des œuvres de Nietzsche viennent de traduction de Henri Albert, sauf indiqu´es autre-
ment. Œuvres compl`etes de Fed´eric Nietzsche publi´ees sous la direction de Henri Albert dans,
http://fr.wikisource.org/wiki/Auteur.
316 MAŁGORZATA GRYGIELEWICZ
fr`eres, que vous soyez aid´es en cela par le jardin du mariage. »3Son jardin poss`ede
les murs bien ´edifi´es qui s´eparent des vieilles choses, des habitudes des vieilles
gens, qui croient en un seul dieu, et de leur foi qui seule sauve ce vieux dieu.
Zarathushtra accuse ce dieu de ne pas s’occuper de ses enfants, qui sont devenus
les veilleurs de la nuit et ennemis de la lumi`ere. « Et quelques-uns d’entre eux
se sont mˆeme fait veilleurs de nuit : ils savent maintenant souffler dans la corne,
circuler la nuit et r´eveiller de vieilles choses endormies depuis longtemps. J’ai
entendu hier dans la nuit, le long des vieux murs du jardin, cinq paroles `a propos
de ces vieilles choses : elles venaient de ces vieux veilleurs de nuit tristes et grˆeles.
“Pour un p`ere, il ne veille pas assez sur ses enfants : des p`eres humains font cela
mieux que lui !” “Il est trop vieux. Il ne s’occupe plus du tout de ses enfants”, (...)
– Ainsi parl`erent l’un `a l’autre les deux veilleurs de nuit, ennemis de la lumi`ere,
puis ils souffl`erent tristement dans leurs cornes. Voil`a ce qui se passa hier dans la
nuit, le long des vieux murs du jardin. »4Stendhal disait que « la seule excuse de
Dieu, c’est de ne pas exister. »5A la diff´erence du vieux dieu Zarathushtra existe
et prend soin de ses enfants, il les aime v´eritablement, et le consid`ere comme les
arbres ´erig´es dans son jardin. « Car seul on aime du fond du cœur son enfant et
son œuvre ; et o`u il y a un grand amour de soi, c’est signe de f´econdit´e : voil`a
ce que j’ai remarqu´e. Mes enfants fleurissent encore dans leur premier printemps,
les uns aupr`es des autres, secou´es ensemble par le vent, ce sont les arbres de mon
jardin et de mon meilleur terrain. Et en v´erit´e ! O`u il y a de tels arbres, les uns
aupr`es des autres, l`a il y a des Iles Bienheureuses ! Mais un jour je les d´eplanterai
et je les placerai chacun pour soi : afin que chacun apprenne la solitude, la fiert´e
et la prudence. »6
Zarathushtra d´esire toujours entendre parler de ses Iles Bienheureuses, ha-
bit´es par ses enfants. Dans son jardin poussent ses enfants comme les arbres, dont
les arbres de la vie, qui seuls donnent l’espoir. « Parlez-moi donc de mes jardins,
de mes Iles Bienheureuses, de ma belle et nouvelle esp`ece, – pourquoi ne m’en
parlez-vous pas ? J’implore votre amour de r´ecompenser mon hospitalit´e en me
parlant de mes enfants. C’est pour eux que je me suis fait riche, c’est pour eux
que je me suis appauvri : que n’ai-je pas donn´e, – que ne donnerais-je pour avoir
une chose : ces enfants, ces plantations vivantes, ces arbres de la vie de mon plus
haut espoir ! »7
3Ibidem, Troisi`eme partie, Des vieilles et des nouvelles tables, fg. 24.
4Ibidem, Troisi`eme partie, Des transfuges.
5Stendhal, cit´e par Nietzsche dans Ecce homo dans fg. 3 de pourquoi j’en sais si long, traduit
de l’allemand par Alexandre Viallete.
6–, Ainsi parlait Zarathoustra, Troisi`eme partie, De la b´eatitude involontaire.
7–, Ainsi parlait Zarathoustra, Quatri`eme partie, La salutation.
JARDIN R´
EVOLUTIONNAIRE DE ZARATHUSHTRA, R´
EFLEXION... 317
Le jardin de la terre accompagne son jardinier dans l’aventure de la connais-
sance de l’avenir. Zarathushtra comme p`ere des plantations vivantes, de ses arbres
de la connaissance reconnait leur avenir. Mˆeme situ´es dans le jardin bien dessin´e
et enclos ses habitants savent ce qu’il y a dehors. Prot´ees de la sauvagerie de
la nature, derri`ere les remparts du dicible, ils grandissent et s’´el`event dans la vo-
lupt´e. « Volupt´e – c’est pour les cœurs libres quelque chose d’innocent et de libre,
le bonheur du jardin de la terre, la d´ebordante reconnaissance de l’avenir pour le
pr´esent. Volupt´e – cependant je veux mettre des clˆotures autour de mes pens´ees
et aussi autour de mes paroles : pour que les cochons et les exalt´es n’envahissent
pas mes jardins ! »8
Le jardin du monde paraˆıt comme un jardin des d´elices pour les bˆetes et
un oean formidable pour les poissons. « Et lorsque j’ai demand´e du miel, c’´etait
une amorce que je demandais, des ruches dor´ees et douces et farouches dont les
ours grognons et les oiseaux singuliers sont friands : – je demandais la meilleure
amorce, l’amorce dont les chasseurs et les pˆecheurs ont besoin. Car si le monde
est comme une sombre forˆet peupl´ee de bˆetes, jardin des elices pour tous les
chasseurs sauvages, il me semble ressembler plutˆot encore `a une mer abondante
et sans fond, – une mer pleine de poissons multicolores et de crabes dont les dieux
mˆemes seraient friands, en sorte qu’`a cause de la mer ils deviendraient pˆecheurs
et jetteraient leurs filets : tant le monde est riche en prodiges grands et petits ! »9
Le bonheur est dans le jardin. Zarathushtra n’y attend pas la r´ecompense par
le droit venant de l’effort ´ethique – comme chez Kant, o`u seule la vertu rend digne
d’ˆetre heureux. La question est ici de savoir ce qu’est «l’au-del`a» du «paradis».
Ou bien : quel est le lieu r´eel du bonheur d´esign´e par ces images ? Le bonheur
est-il dans le jardin ? Alors, les images cit´ees recouvrent la terre et le monde
qui est ici-bas. Nous pouvons comprendre l’id´ee du paradis comme la d´esignation
m´etaphorique d’un pr´esent historique. Le salut n’est pas une promesse qui pourrait
s’inscrire pour l’humanit´e dans l’avenir. L’au-del`a ne serait qu’une repr´esentation
imaginaire d’ici-bas. Id´ee tr`es f´econde pour une compr´ehension contemporaine de
la nouvelle religion, pour laquelle Nietzche prˆechera tout au long de sa vie. Car le
Nietscheanisme nous demanderait alors d’œuvrer pour le pr´esent de l’humanit´e,
pour le d´eveloppement durable de soi-mˆeme, de surhomme.
Le monde come un jardin n’attend qu’un homme, son jardinier, le surhomme
qui y ´el`evera ses enfants, ses œuvres. Dans le jardin du monde on ne discute ni se
dispute, on y babille, comme les enfants babillent entre eux. Ce jardin est un lieu
du passage avec lequel apparaˆıt le lieu o`u va le passant – l’homme qui enseigne
8–, Troisi`eme partie, Des trois maux.
9–, Quatri`eme partie, L’offrande du miel.
318 MAŁGORZATA GRYGIELEWICZ
Zarathoustra, en tant qu’il est le porte-parole de la vie, de la souffrance, du cercle,
et qui est aussi le maˆıtre qui enseigne `a la fois le Retour ´eternel et le Surhomme.10
« “O Zarathushtra, dirent-ils, voici sept jours que tu gis ainsi les yeux appe-
santis : ne veux-tu pas enfin te remettre sur tes jambes ?
Sors de ta caverne : le monde t’attend comme un jardin. Le vent se joue des
lourds parfums qui veulent venir `a toi ; et tous les ruisseaux voudraient courir
`a toi. Toutes les choses soupirent apr`es toi, alors que toi tu es rest´e seul pendant
sept jours, – sors de ta caverne ! Toutes les choses veulent ˆetre m´edecins ! Une
nouvelle certitude est-elle venue vers toi, lourde et charg´ee de ferment ? Tu t’es
couch´e l`a comme une pˆate qui l`eve, ton ˆame se gonflait et d´ebordait de tous ses
bords. – “– O mes animaux, r´epondit Zarathoustra, continuez `a babiller ainsi et
laissez-moi ´ecouter ! Votre babillage me r´econforte : o`u l’on babille, le monde me
semble ´etendu devant moi comme un jardin. »11 Dans un jardin du monde on
y danse on y danse et on y chante. « elas ! d´egoˆut ! d´egoˆut ! d´egoˆut !” – Ainsi
parlait Zarathoustra, soupirant et frissonnant, car il se souvenait de sa maladie.
Mais alors ses animaux ne le laiss`erent pas continuer. “Cesse de parler, conva-
lescent ! – ainsi lui r´epondirent ses animaux, mais sors d’ici, va o`u t’attend le
monde, semblable `a un jardin. Va aupr`es des rosiers, des abeilles et des essaims
de colombes ! va surtout aupr`es des oiseaux chanteurs : afin d’apprendre leur
chant ! »12
Dans les « Consid´erations inactuelles » il utilise une m´etaphore pour parler
du jardin d’histoire : « Comme si, en promeneur hˆatif dans les jardins de l’histoire,
on pouvait apprendre des choses du pass´e, leurs proed´es et leurs artifices, leur
eritable revenu vital. Comme si la vie elle-mˆeme n’´etait pas un m´etier qu’il
faut apprendre `a fond, qu’il faut r´eapprendre sans cesse, qu’il faut exercer sans
m´enagement, si l’on ne veut pas qu’elle donne naissance `a des mazettes et `a des
bavards ! » Comme exemple d’une soci´et´e programm´ee, il cite Platon qui « tenait
pour n´ecessaire que la premi`ere g´en´eration de sa nouvelle soci´et´e (dans l’´
Etat
parfait) fˆut ´elev´ee `a l’aide d’un vigoureux mensonge pieux ; les enfants devaient
apprendre `a croire qu’ils avaient tous d´ej`a v´ecu dans un rˆeve sous terre, pendant un
certain temps, et qu’ils y avaient ´et´e etris et form´es par le maˆıtre de la nature.
Impossible de s’insurger contre ce pass´e, impossible de l’opposer `a l’œuvre des
dieux. Une loi inviolable de la nature affirme que celui qui est n´e philosophe a de
l’or dans son corps, s’il est e garde, ce sera de l’argent, s’il est n´e ouvrier, du
fer et de l’airain. De mˆeme qu’il n’est pas possible de mˆeler ces m´etaux, explique
10 Martin Heidegger, Essais et conf´erences : Qui est le Zarathoustra de Nietzsche ?, Gallimard,
Paris, 2003, p. 129.
11 –, Ainsi parlait Zarathoustra, Troisi`eme partie, Le convalescent.
12 Ibidem.
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EFLEXION... 319
Platon, de mˆeme il serait `a jamais impossible de renverser l’ordre des castes. La
foi en la erit´e ´eternelle de cet ordre est le fondement de la nouvelle ´education
et par l`a du nouvel ´
Etat. »13 Nietzsche compare la foi de Platon en l’´education
`a l’Allemagne moderne. Il constate que les deux croyances tombent en ruine et
qualifie la culture Allemande d’une fleur sans racine ni tige. Seul le respect
de la nature qui est le maˆıtre absolu peut promouvoir la grandeur de l’homme.
A la fin de sa vie Nietzsche qui veut toujours se lib´erer de la prison histo-
rique tente une r´evolution. La rupture de la perspective historique peut ˆetre la
evolution mais laquelle ? Dans les fragments posthumes pour Zarathoustra la
figure du jardin apparaˆıt doublement. L’importance de la solitude pour la vie
d’esprit dans le jardin avec le d´epassement et la transgression de jardin nous
´etonne. Le jardin ne suffit plus, et le philosophe-jardinier encourage pour la
evolution. Mais quelle evolution ? Est-ce qu’il s’agit d’un changement, nomm´e
par Deleuze « changement nomade », inscrit dans la eo-philosophie qui pro-
clame « devenir r´evolutionnaire sans avenir de r´evolution ».14 Quand Deleuze re-
marque que depuis toujours on sait que les r´evolutions se terminent mal, Nietzsche
a toujours ajout´e que les grandes batailles ne sont que le fruit des ecits historiques.
Nietzsche pr´etend en effet briser l’histoire de l’humanit´e. Mais il veut toujours,
`a d’autres endroits, fonder un nouveau jardin d’Epicure, s´epae du reste du monde
avec des communaut´es de grands hommes. Un endroit distinct, encore une fois,
comme `a l’´epoque hell´enistique, r´eserv´e `a des philosophes, qui ne s’occupent pas
de basse politique.
Une id´ee utopique d’une soci´et´e `a venir apparaˆıt dans ses derni`eres esquis-
ses. Nietzsche m´enage une nouvelle communaut´e, qui comme toute les utopies
pr´ec´edentes, dont celles de Platon, Campanelle et Morus se basent sur le prin-
cipe de cr´eation d’une noblesse par s´election. Nous y trouvons encore une fois la
n´egation du mariage hasardeux, remplac´e par les c´er´emonies pour la fondation
des familles. L’id´ee d’agˆon grec y surgit, car la lutte est consid´er´ee comme un
principe. Aussi y apparaˆıt l’importance de la solitude ´epicurienne pour la vie de
l’esprit dans le jardin. « La solitude est n´ecessaire pour un temps afin que l’ˆetre
s’amplifie et s’impr`egne – qu’il gu´erisse et qu’il devienne dur. Nouvelle forme de la
communaut´e s’affirmant d’une fa¸con guerri`ere. Autrement l’esprit s’affaiblit. Non
point seulement des “jardins” et la “fuite devant les masses”. La guerre (mais
sans poudre !) entre des id´ees diff´erentes ! et les maˆıtres de ces id´ees ! Nouvelle
noblesse par la s´election. Les c´er´emonies pour la fondation de familles. Diviser
13 –, Seconde Consid´eration Inactuelle, De l’utilit´e et de l’inconv´enient des ´etudes historiques
pour la vie.
14 Gilles Deleuze, L’Ab´ec´edaire, Editions Montparnasse, Regards, Paris, 2004, DVD 2, –
G comme Gauche.
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