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1. INTRODUCTION
Vaste réforme institutionnelle, la plus importante depuis les indépendances selon de nombreux analystes, la décentralisation
est aujourd’hui une lame de fond qui couvre les 31 millions km2 de l’Afrique et son milliards d’habitant. Conçu comme étant
une stratégie politique de fourniture de services publics locaux au plus grand nombre, la décentralisation est confrontée à
deux défis : la croissance rapide de la population (> 2,5 % par an en moyenne) qui est par ailleurs caractérisée par son extrême
jeunesse (âge médian, 20 ans) et composée d’une mosaïque de peuples utilisant une pluralité de langues ; une urbanisation
rapide, le taux d’urbanisation se situant entre 40 à 70 %, avec un fort développement de métropoles de plus d’un million
d’habitants (au nombre de 34) confrontées, à des degrés divers, à une certaine paupérisation des banlieues, à la déficience des
infrastructures, des transports publics et de la fourniture de services urbains de base.
Le contexte économique de la décentralisation n’est pas des plus reluisants. En effet, après près de trente années de mise en
œuvre des politiques d’ajustement structurel, les pays africains retrouvent une santé financière avec un taux de croissance
annuel positif situé entre 4 % et 6 % en moyenne. Malgré ces signes positifs, l’Afrique reste une région économiquement peu
développée : elle ne représente que 2 % du commerce mondial et ne capte que 3 % des investissements directs étrangers (alors
qu’elle représente 15 % de la population mondiale). Sur les 47 pays les moins avancés identifiés par les Nations unies de par le
monde, 18 sont situés en Afrique subsaharienne. Le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) n’a pas
encore été en mesure de drainer des flux significatifs d’aides et d’investissements vers le continent ni de mobiliser l’épargne
africaine dont les experts estiment que 40 % s’investissent hors d’Afrique. Toutefois, certaines dispositions prises par la com-
munauté internationale, notamment l’initiative pour les pays pauvres très endettés (PPTE), devraient permettre d’accroître les
capacités financières et d’intervention des pouvoirs publics et des collectivités locales de certains pays, en particulier dans la
lutte contre la pauvreté, l’accès aux services et l’amélioration des conditions de vie des populations. Mais la crise financière
qui s’est installée depuis 2008 et ses conséquences sur l’économie réelle ont fragilisé la base économique de bien de pays.
Les fluctuations récurrentes du coût des matières premières ainsi que certains chocs naturels (inondations, sécheresses,
etc) ont annihilés bien d’efforts de développement dans de nombreux pays africains.
Le contexte politique de la décentralisation n’est pas non plus des plus positifs. Certes on note une progression impor-
tante du nombre de régimes politiques démocratiques sur le continent, contrairement à ce qui se passait au cours des
deux décennies qui ont suivi les indépendances, mais les coups d’Etat existent encore. Les pays « fragiles » connaissant
une instabilité politico-institutionnelle sont encore trop nombreux au goût des africains : en Afrique centrale (Répu-
blique démocratique du Congo, Centrafrique, Tchad), en Afrique de l’Ouest (Mali, Côte d’Ivoire, Liberia, Guinée- Bissau,
Sierra Leone, Togo) et en Afrique de l’Est (Ethiopie, Erythrée, Somalie, Soudan). De manière générale, les systèmes politiques
consacrent le multipartisme et le suffrage universel comme modalités du choix des dirigeants même si cette règle n’est pas
générale en ce qui concerne les élus locaux. Dans certains pays encore, on, assiste à des situations où les dirigeants locaux sont
nommés par le pouvoir central et où le cycle des élections locales est interrompu souvent durant de longues années. Cepen-
dant, la décentralisation est renforcée par la logique du désengagement de l’Etat et de l’administration centrale, même si cette
tendance s’avère en réalité problématique, voire contreproductif, en l’absence de transfert réel des compétences et des moyens
financiers et en raison de la persistance de l’emprise des pouvoirs centraux sur les finances et la fiscalité locales et sur les aides
et financements étrangers.
Mais indéniablement, la décentralisation a connu un saut qualitatif. Alors qu’elle était longtemps perçue comme une simple
technique administrative dans la grande majorité des Etats, et ce, pour diverses raisons historiques, politiques et sociologiques ;
elle implique aujourd’hui des pouvoirs de décision autonomes accompagnés d’une consolidation progressive de la légitimité
électorale et d’un renforcement de la crédibilité des autorités décentralisées, même si cette évolution semble contrastée et,
dans certains pays, remise en cause. D’autre part, on observe aussi un peu partout sur le continent, une croissance sensible et
continue, depuis les indépendances, du nombre des collectivités locales couvrant ainsi de plus en plus largement les territoires,
en particulier les tissus urbains africains. On observe également une diversification et une hiérarchisation plus affinée et parfois
plus complexe des structures et des échelons territoriaux de la décentralisation. De nos jours, l’Afrique compte près de 12 000
collectivités locales dont plus de 4 000 en Afrique du Nord, 3 000 en Afrique de l’Ouest, 1 000 en Afrique Centrale, 2 000 en
Afrique de l’Est et 1 300 en Afrique Australe.
LE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE LOCAL EN AFRIQUE, MISE EN ŒUVRE, CONTRAINTES ET PERSPECTIVES | 2015