Pédagogie La socialisation : un long fleuve tranquille

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Pédagogie
La socialisation :
un long fleuve tranquille ?
Jérôme CROZAT, professeur certifié de SES aux lycées Balzac et Jean-Monnet de Tours,
et Paul VINACHES, professeur agrégé de SES au lycée Monteil de Rodez
Autour et à partir du film d’Étienne Chatilliez, La Vie est un long fleuve tranquille,
un projet destiné à élaborer un cours de sociologie en classe de première
a été expérimenté pendant trois ans. Ce travail a permis de motiver les élèves
et de rendre plus facilement accessible une certaine réalité sociale.
S
orti dans les salles en 1988,
le premier film d’Étienne
Chatilliez, La Vie est un long
fleuve tranquille…, a bénéficié d’un
réel succès public. L’expression
« c’est lundi c’est raviolis » est restée
dans toutes les mémoires.
À la fois tendre et décapante, drôle
et sévère, caricaturale mais minutieusement observée, la situation imaginée par les scénaristes permet de
faire voler en éclat deux cellules
familiales figées. Le film, riche en
dérision, raconte l’histoire de deux
familles du Nord : les « Le Quesnoy », bourgeois, catholiques, conservateurs, et les « Groseille », chômeurs, athées et débrouillards. Alors
même que tout les sépare leurs destins vont se trouver mêlés. Par dépit
amoureux, Josette, la sage-femme qui
accouche successivement Mmes Le
Quesnoy et Groseille, tente une expérience singulière. Constatant l’inégalité des chances à leur naissance,
elle intervertit les enfants des deux
familles.
La suite du film raconte les péripéties qui vont marquer, douze ans plus
tard, le retour du fils Le Quesnoy
dans sa famille biologique, la vie des
Le Quesnoy et celle des Groseille…
Souvent drôle, parfois cruelle, réactionnaire pour certains, bien vue pour
d’autres, cette fiction nous a paru être
un outil original et efficace pour aborder certaines notions du programme
de première. Au cœur de notre
démarche, une conviction : la projection d’un film de fiction ne saurait
jouer un simple rôle d’illustration de
thèmes traités dans un chapitre mais
elle peut en constituer un véritable
appui. Le film nourrira le cours en
permettant d’aborder et d’illustrer
certaines notions et mécanismes puis
de vérifier s’ils ont été correctement
saisis. Pour ce faire, certains plans,
dialogues, anecdotes ou métaphores
vont faire l’objet d’une décomposition. Bien plus, d’un bout à l’autre
du film, la trajectoire des principaux
personnages sera reconstituée à travers différents exercices.
Ce travail, mené depuis trois ans, a
fait l’objet de nombreuses discussions, il s’enrichit chaque année
d’idées et de critiques nouvelles.
Nous vous livrons ici sa philosophie
et son contenu, forcément provisoires.
LA DÉMARCHE
Observations et constat
Quel que soit le jugement porté sur
ce postulat, la télévision fait partie
de notre quotidien et nos élèves ont
une véritable culture télévisuelle. Au
moment où l’on promet l’ère du multimédia, la télévision et plus largement l’audiovisuel n’ont qu’une place
réduite, illustrative mais souvent statique. L’image continue d’être considérée ou utilisée comme un réservoir
d’informations parcellaires ou comme
une « boîte à spectacles ». Cependant, nier l’existence de la télévision
revient à lui laisser le monopole des
sphères sociales extérieures à l’école.
Inversement, laisser intacte la logique
du document audiovisuel diffusé
aboutit à un résultat insatisfaisant.
Démarche
Trois idées principales ont guidé nos
réflexions :
– la première refuse le cloisonnement
des activités s’appuyant sur l’audiovisuel dans l’enseignement des
sciences économiques et sociales.
Au-delà de l’intérêt illustratif, se
contenter d’agrémenter un cours avec
quelques images est certes « pratique » mais insatisfaisant, une simple
juxtaposition étant faite par les élèves
entre le document et la partie de cours
qui s’y rapporte. En tentant de dépasser la frontière entre « forme traditionnelle » du cours et séquence
audiovisuelle, nous avons essayé de
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. 15
faire jouer à un film de fiction un rôle
central dans la construction du cours
et non plus un jeu d’appoints souvent
perçu par les élèves comme un simple
moment de distraction ;
– la deuxième idée est relative à la
spécificité du document audiovisuel
utilisé. Le choix d’un film de fiction
repose sur quelques hypothèses de travail, en grande partie vérifiées par la
mise en pratique du projet. Prendre
ses distances avec le film documentaire, souvent reflet d’une situation
assimilée à une certaine « réalité
sociale », semble plus judicieux qu’on
ne pourrait le penser a priori. Si l’analyse des documents d’information
requiert souvent un travail de décryptage de l’image et de questionnement
sur les effets de la construction de l’information (un travail essentiel qui
retient souvent notre attention), notre
objectif était plutôt d’intégrer un document audiovisuel au cours.
Le choix d’un film de fiction, souvent
connu et apprécié de nos élèves, présentait au moins deux avantages :
- le parti pris caricatural de la mise en
scène permet, grâce à l’humour et au
comique déployés, de se distancier
davantage de situations difficiles que
peuvent vivre certains de nos élèves
et dont la mise en exergue par le travail sociologique peut s’avérer douloureuse. En effet, une fiction n’a pas
pour ambition première de faire pénétrer l’actualité dans la classe, elle est le
résultat de la mise en scène d’une histoire constituée de situations particulières et de valeurs issues d’un ou de
plusieurs systèmes culturels. Le réalisateur veut montrer sa propre perception de la réalité ; contrairement
aux reportages, documentaires et
autres journaux télévisés, le film ne
prétend pas à l’objectivité ou du moins
n’est pas présenté comme tel,
- l’analyse d’une situation fictive est
renforcée par la dimension caricaturale du film qui ne trompe pas les
élèves (le bilan écrit effectué à la fin de
la séquence ne laisse aucun doute sur
ce point).
En ne cherchant pas la véracité des
faits, la déconstruction des principales logiques sociales à l’œuvre dans
16 .
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le film est facilitée, (un travail sur le
dossier de presse du film permet de
plus d’aborder en fin de séquence la
critique du scénario et de ses sousentendus) ;
– enfin, la troisième idée tient à la
dialectique image/écrit. En effet, tout
se passe comme si l’audiovisuel restait prisonnier d’une logique de
l’écrit. Tant que l’image est utilisée
comme une illustration, elle est vécue
par les élèves comme une échappatoire aux formes habituelles de l’enseignement. La production d’un travail écrit à l’issue de la diffusion du
film peut permettre à l’élève de considérer l’image et le texte comme des
moyens d’apprentissage et non
comme une fin. L’élaboration d’un
travail de ce type, pas nécessairement
individuel, renforce aussi chez certains élèves les capacités d’initiative
et/ou de valorisation du travail scolaire notamment pour ceux qui n’intériorisent en général qu’échecs et
déceptions. Le rapport à l’image étant
proche de leur univers, ils prennent
plus facilement la parole.
Remarques et limites
de la démarche
La transposabilité de ce travail n’est
pas automatique, l’ordre de traitement des thèmes variant selon la
méthode de chacun.
La conception et la mise en œuvre
d’un travail de cette nature demandent beaucoup de temps ; la systématiser semble donc difficile.
Bien que l’audiovisuel nous semble
devoir mériter une meilleure place
dans notre enseignement, il ne s’agit
pas pour autant d’en faire l’apologie.
La multiplication des séquences
audiovisuelles ne résoudrait aucun
problème si elles étaient reléguées au
statut de « boîtes à exemples ».
Enfin, comme souvent, certaines
notions ou mécanismes mis en valeur
suite au travail sur le film peuvent se
voir réduit aux exemples que développe É. Chatilliez (travers que l’on
retrouve également avec d’autres types
de documents). À nous de veiller à
élargir et diversifier les exemples.
Conditions
de réalisation du projet
L’intégration du film dans le chapitre
consacré à la socialisation est un choix
délibéré. L’étude des cultures et des
hiérarchies sociales abordée dans le
film ne sera traitée que plus avant dans
le cours. Il nous a semblé important
de bien séparer le travail autour du film
des cours relatifs à l’analyse des classes
sociales situés plus loin dans le programme. Ceci afin d’éviter tout risque
d’amalgame entre les familles dont le
mode de vie est traité dans la fiction
et les classes sociales en général, le
mode de vie des Groseille ne devant
pas être assimilé par les élèves à la
culture ouvrière dont nous savons
qu’elle a des caractéristiques bien
différentes.
DÉROULEMENT
DE LA SÉQUENCE
La durée totale de réalisation du projet
varie entre six et huit heures. Il est
envisageable (en ayant préalablement
présenté le synopsis) de ne sélectionner
que les principaux passages du film,
notamment ceux décrivant le mode
de vie des deux familles. On pourra
éventuellement les visionner plusieurs
fois avant la réalisation de l’exercice
ou après, pour confronter les réponses
avec l’extrait choisi1.
Le processus
de socialisation
Analyse du processus
de socialisation
Cette partie a pour objet le traitement
du processus de socialisation entendu
dans une acception large2. Il s’agit
d’aborder sa dynamique grâce à l’utilisation d’exemples tirés du film. Le
but est de cerner au mieux un processus qui est souvent saisi de façon
partielle sans le contenir dans une
❚
1. Sur les problèmes spécifiques des droits d’auteur,
cf. DEES, n° 94, décembre 1993, p. 56.
2. Sur les problèmes relatifs au concept
de socialisation et à sa présentation, cf. DEES,
n° 108, juin 1996, p. 52.
définition trop étroite. Il s’agira alors
de rendre compte des différentes
conceptions de la socialisation et
notamment de son aspect permanent
et non mécanique.
Aborder la définition de la socialisation peut conduire à traiter les notions
de statut, norme, rôle et valeurs 3.
La socialisation suppose l’intériorisation de normes et de valeurs
● Premier exercice
Objectif
Les élèves ne doivent pas se conten-
ter de connaître la définition des principales notions rattachées au processus de socialisation mais sont amenés à les manipuler. Ce premier
exercice doit permettre l’apprentissage des notions de statut, rôle, valeur
et normes.
Activité
Complétez le tableau suivant en précisant si les exemples cités correspondent plutôt à la définition de statut, rôle, valeur ou norme (les
réponses sont en italique).
Exemples
Notion
Mme Groseille est mère de famille.
Statut
Les enfants Le Quesnoy doivent
se laver les mains avant
de passer à table.
Norme
Ahmed est l’épicier de quartier
des Groseille.
Statut
Le curé prône la fraternité.
Ahmed et Maurice entretiennent
des relations d’amitié.
Rôle et valeur
Valeur
M. Le Quesnoy initie Maurice
à la voile.
Rôle que lui confère
son statut de père
Second exercice possible
Objectif
Cet exercice requiert la maîtrise
des notions de valeur, norme, statut
et rôle.
Activité
Les réponses sont données en italique
après chaque question.
– Les parents Le Quesnoy sont très
attachés à certaines valeurs. Citez
●
celles qui vous paraissent les plus
importantes pour eux.
Charité, ordre, fidélité…
– Quel est le statut de M. Groseille ?
Un statut de père de famille mais il
ne joue pas le rôle souvent attaché à
ce statut.
– Après avoir distingué les principales valeurs et normes dans chaque
famille, expliquez pourquoi ces deux
notions sont interdépendantes.
Exemple pour les Le Quesnoy :
– ordre (valeur) → hygiène, ponctualité (normes)
– réussite sociale (V) → caractère
impératif du travail scolaire (N)
– morale chrétienne (V) → participation aux activités religieuses.
Les normes et les valeurs intériorisées : les rôles
Objectif
La distinction entre statut et rôle n’étant
pas toujours facilement assimilée, il
semble opportun de souligner qu’à un
statut spécifique ne correspond pas un
ou des rôles définis a priori.
On pourra à ce sujet montrer que les
définitions du mécanisme de la socialisation diffèrent selon les traditions
sociologiques. Une vision qualifiée
de déterministe mettra l’accent sur le
conditionnement inhérent au processus. D’autres approches s’efforcent
de dépasser les clivages traditionnels
et « considèrent la socialisation
comme une transaction entre des systèmes définis par des règles et des
valeurs, et des individus développant
leur propre stratégie »4.
❚
3. Il semble opportun d’insister sur « Le rôle comme
composante dynamique du statut », cf. Jean
Étienne, Dictionnaire de sociologie, Hatier, 1995.
4. Cf. C. Dubar, La Socialisation, construction des
identités sociales et professionnelles, A. Colin,
1991. Cités in G. Férréol et alii, Dictionnaire de
sociologie, Cursus, 1991.
Lieu
Comportements attendus
Comportements effectifs
Dans la famille Groseille
Débrouillardise/Affection…
Débrouillard
Une fois chez
les Le Quesnoy
Adaptation à de nouvelles pratiques
(langage, manière de se tenir à table,
etc.)
Bonne volonté
Respect des règles : ordre, propreté,
respect.
Modification de son comportement,
de son langage, etc. en fonction et
conformément aux règles prescrites
par sa nouvelle famille.
Mais maintien d’un comportement déviant
par rapport à ces nouvelles normes:
vol, escapades au bord de la rivière,
absorption de boissons alcoolisées.
À l’école
Rigueur, ponctualité, attention respect…
– Quand Maurice est Groseille :
école buissonnière, irrespect.
– Quand Maurice est Le Quesnoy :
il se met dans la peau (pour se conformer
à son nouveau rôle) de l’écolier modèle
sans montrer qu’il n’y adhère pas.
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Activité
Pour les différents milieux que Maurice fréquente, vous préciserez ce
qu’on attend de lui selon vous, et comment Maurice se conforme ou non à
ces attentes. Utilisez le tableau page
précédente (les réponses figurent en
italique).
Le cas de Maurice semble tout
désigné pour répondre à l’objectif fixé
et pour aborder l’importance de l’interprétation. On pourra, par exemple,
commenter la scène ou Maurice
change sa coiffure quand il revient
dans les beaux quartiers et qu’il va
réinterpréter le rôle du petit Le Quesnoy5.
(Ce point sera développé plus systématiquement par la suite.)
On peut également réaliser un exercice sur les comportements attendus
et les comportements effectifs face
aux différents acteurs du système
éducatif.
Instance de socialisation
et formes d’apprentissage
Les instances de socialisation :
repérage
Objectifs
Cette partie a pour objet de repérer
les différentes instances de socialisation perceptibles dans le film et de
mettre en évidence la prééminence
de certaines dans les premières
périodes de la vie.
Démarche
Il est tout à fait possible de demander aux élèves quels sont les différents milieux dans lesquels évoluent
Bernadette et Maurice.
La période de socialisation dite primaire repose essentiellement sur la
famille et l’école. Il semble d’ailleurs
opportun de préciser que « la prise
en charge par l’école d’un âge auparavant laissé entièrement à l’inculcation familiale ne signifie pas nécessairement la dépossession de la
famille. Le groupe primaire de socialisation peut néanmoins être étendu
à d’autres instances (groupes de pairs
médias) qui, sans jouer un rôle prééminent, participent à la construction
de l’identité »6.
Les instances de socialisation ne sont
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pas, de plus, étanches les unes par
rapport aux autres. Insister sur ce
« décloisonnement » semble donc
nécessaire si l’on veut éviter une
vision réduite et mécanique de cette
période de socialisation primordiale.
Activité
Répondez aux questions suivantes de
manière argumentée (réponses en
italique).
– Quels sont les différents milieux
dans lesquels évoluent les enfants Le
Quesnoy, les enfants Groseille ?
Famille, école, groupe d’amis, association de la paroisse, etc.
Si la socialisation secondaire s’appuie sur des formes d’apprentissage
qui ne se confondent pas avec celles
qui caractérisent particulièrement la
socialisation primaire (voir infra), il
semble important de ne pas cloisonner socialisation primaire et secondaire.
(N.B. La famille joue d’ailleurs un
rôle important au cours des différentes périodes de la vie, y compris
du point de vue économique ; ces
rapports intergénérationnels créent
de nouveaux liens qui facilitent les
transitions entre les différentes
tranches de vie.)
Ce faisant, on insiste sur la permanence du processus de socialisation.
– Quels sont les groupes qui ont un
poids déterminant sur la vie des
enfants dans le film ?
Insistez sur l’influence de la famille,
sur l’attitude vis-à-vis du milieu scolaire ou associatif, des pairs. (Commentaire sur la scène de la baignade.)
– (Éventuellement) Discutez cette
citation « L’éducation consiste en une
socialisation méthodique de la jeune
génération » (Émile Durkheim).
On pourra montrer, dans le commentaire, l’aspect déterministe et
volontariste de la définition de Durkheim en la replaçant dans son
contexte. Sa conception de la socialisation est autoritaire : sa fonction
essentielle vise à perpétuer et renforcer l’homogénéité de la société.
Le sociologue, profondément républicain, voulait arracher l’enfant à
sa famille et donner la primauté dans
l’éducation à l’école.
Complémentarité et/ou spécificité
des formes d’apprentissage selon
les instances de socialisation
Objectif
Il s’agit de montrer qu’en dépit du
rôle joué par la famille, agent principal de socialisation utilisant certains modes d’apprentissage spécifiques (contrainte, répétition…)
durant l’enfance, il n’existe pas un
moyen d’apprentissage réservé à une
instance de socialisation particulière.
Démarche
Après avoir expliqué les deux principaux modes de socialisation, explicite et implicite, on demande aux
élèves de dégager les types d’actions
ou d’influences des familles puis de
l’école et des groupes de pairs pour
faciliter l’intégration de leurs enfants
à la société.
On pourra, à ce sujet, revenir sur les
débats relatifs au mécanisme de la
socialisation : socialisation = inculcation chez un agent passif, socialisation = processus interactif qui comporte une part de résistances et
d’innovations.
Activité
– Quels sont les moyens qu’utilisent
les familles pour modifier ou
influencer le comportement de leurs
enfants ?
Classez les réponses selon qu’elles
correspondent plutôt à des modes
d’actions manifestes ou plutôt à des
actions plus implicites.
N.B. On entend par « socialisation
explicite » les formes d’apprentissage
qui privilégient le renforcement et le
conditionnement, qui sont manifestes.
La « socialisation implicite » met
davantage l’accent sur les capacités
d’interprétation et d’innovation suite
à l’importance de l’observation et de
l’accommodation, elle est davantage
latente.
Utilisez le tableau suivant (les
réponses sont données en italique).
Cet exercice peut être poursuivi en
❚
5. À ce sujet, on pourra faire référence aux travaux
d’E. Goffman.
6. Cf. F. Teulon, Sociologie et histoire sociale,
Puf Major, 1996.
Lieu
Socialisation « explicite »
Famille Le Quesnoy
Contraintes : se laver les mains, ordre,
ponctualité…
Dialogue : discussion avec Maurice sur
les visites chez les Groseille.
Observation/imitation :
Maurice à table.
Imprégnation/accommodation :
vouvoiement envers le père.
Apprentissage de la boisson
au contact avec les Groseille.
Les enfants semblent davantage livrés
à eux-mêmes
mais leur éducation valorise
l’apprentissage d’un système D.
Observation/imitation : langage.
Système D : résulte d’un conditionnement
familial certes, mais qui les prépare à
innover dans de nombreuses situations
Famille Groseille
prenant appui sur d’autres instances
de socialisation : école, groupes
d’amis, etc.
– À partir du moment où Maurice
intègre sa « famille biologique »,
qu’est-il obligé de faire ?
De se conformer à de nouvelles
règles de vie.
– Comment fait Maurice pour paraître
relativement à l’aise dans son nouvel environnement ?
Justifiez votre réponse en la reliant
directement à l’exercice précédent,
utilisez les termes de valeur, normes
et rôles.
Maurice intègre très vite les normes
de la famille Le Quesnoy pour mieux
les contourner. Ayant compris que
« l’affaire » a créé un séisme chez
les Le Quesnoy, il joue un double rôle
presque parfait. Il a en effet bien saisi
les différences de valeurs entre les
deux familles et les attentes qu’elles
peuvent avoir à son égard.
L’impact
de la socialisation
dans la construction
des modes de vie
Cette seconde partie est toujours centrée autour des items relatifs à la
socialisation. Elle peut également permettre d’aborder certaines notions du
programme notamment « Genre et
style de vie » contenu dans l’item
relatif aux phénomènes culturels.
Quel impact ?
L’étude portera sur le lien entre
milieu social et modes de vie dans la
Socialisation « implicite »
construction de l’identité.
Des pratiques différentes
Objectif
Cette partie a pour ambition d’analyser l’influence du groupe primaire
sur la construction de la personnalité
sociale de l’individu et de mettre en
particulier l’accent sur l’usage et la
perception des pratiques de la vie
courante suivant le milieu social
École
Piano
Jeux de cartes
TV
Cours particulier
Famille Le Quesnoy
Initiation voile
Fête religieuse
TV
familles.
d’appartenance.
Démarche
Il est demandé aux élèves de distinguer les pratiques et les comportements observés dans les deux familles
et de chercher la signification de pratiques semblables ou identiques.
Activité
Indiquez les pratiques et comportements observés dans les deux
Famille Groseille
Sorties au
supermarché
Vol
Coiffure, maquillage
Des usages sociaux différents
Objectif
L’objectif est atteint si les élèves, audelà de la distinction qu’ils font des
pratiques entre les deux familles, perçoivent les différences dans l’usage
social des pratiques.
Activité
Y a t-il des pratiques apparemment
semblables ?
Qu’est-ce qui les différencient ?
On pourra prendre l’exemple de la
télévision. Elle est présente dans les
deux familles mais avec des programmes très dissemblables
(TF1/France 3 région) qui traduisent
des usages sociaux, des fonctions
bien différentes attribuées au média.
On peut également développer
DEES 109 / OCTOBRE 1997
. 19
d’autres exemples comme celui de
l’usage du magnétoscope qui permet
à certains une consommation TV plus
sélective et à d’autres une consommation plus intensive.
D’autres exercices peuvent être effectués sur les styles de vie et leurs attributs en utilisant par exemple des
photos du film. Il est possible d’en
trouver dans les articles de presse
parus à l’époque (voir infra) ainsi que
dans certains de nos manuels (Belin
1re, p. 146, 147, 190).
On peut pousser plus loin l’analyse
en montrant la convergence au-delà
des apparences entre les rôles des
deux mères toutes deux très présentes
dans leurs univers familial où le statut des deux pères dépendant d’elles.
Le débat inné/acquis
Présentation
Cette partie boucle la séquence proprement dite en revenant sur un débat
qui fait réapparaître le terme polysémique de culture.
Cf. à ce sujet la définition qu’en
donne Clyde Kluckoln7 : « Une culture est acquise par des individus du
fait qu’ils appartiennent à un groupe
donné ; elle constitue cette partie du
comportement acquis que l’on partage
avec d’autres. Elle est notre héritage
social, opposé à notre hérédité organique. Elle est un des facteurs importants qui nous permet de vivre
ensemble dans une société organisée,
en nous fournissant des solutions
toutes prêtes à nos problèmes, en nous
aidant à prédire la conduite des autres,
en mettant les autres à même de savoir
ce qu’ils peuvent attendre de nous. une
culture est donc un ensemble de techniques qui doivent permettre de
s’adapter à la fois au milieu extérieur
et aux autres hommes. »
Cette définition diffère donc bien
d’autres visions plus biologiques de
l’inné : « Ce que l’on porte en soi à la
naissance, avant toute expérience de
la vie » 8.
Les comportement des enfants
Le Quesnoy / Groseille :
inné/acquis ?
Objectif
Travailler sur le débat inné/acquis en
montrant quelle thèse est valorisée
dans le film. Le travail critique peut
être abordé ici, il servira de support
pour la conclusion de la séance.
Activité
– On peut partir d’une réplique du
film, notamment celle où le médecin
accoucheur face aux deux enfants
lance : « Les deux Jésus, ils ne partent
pas avec les mêmes chances dans la
vie », et demander aux élèves de l’interpréter.
On pourra mettre l’accent sur
l’inégalité des chances, l’importance
de la famille, mais aussi de manière
plus positive, le sujet pouvant être
délicat, sur le rôle de l’école, ou sur
la vision déterministe de la réplique.
Cf. phase finale du travail.
20 .
DEES 109 / OCTOBRE 1997
– Y a-t-il des événements, des situations dans le film qui vous semblent
valider la thèse de l’inné ?
Qu’en pensez-vous ?
Attitude de Bernadette lorsqu’elle se
maquille. (Sur ce point très critiquable, voir l’interview de l’auteur
dans la dernière partie du travail).
L’attitude de Maurice qui reproduit
le même tic (mouvement de l’épaule)
que son père (particulièrement perceptible lors du premier contact entre
le père biologique et le fils)
Si la première attitude fait référence
à la culture, elle est sociale, la
seconde se veut davantage un clin
d’œil à la nature (elle est « biologique »).
– À quels moments voit-on que le
comportement de Maurice reste
imprégné, marqué par la première
famille qu’il a connu ? (famille Groseille)
L’absorption de bière, baignade,
escapade de l’école, vente du service
de table…
– Cherchez des signes d’adaptation de
Maurice à son nouvel environnement.
Langage/posture à table.
En guise de conclusion
Avant l’évaluation du travail et en
guise de conclusion, il nous semble
possible d’aborder avec les élèves le
concept d’habitus9.
Épilogue
Objectif
Avant de clore le travail, il nous a
paru important de porter avec les
élèves un regard critique sur le film et
les idées qui le soustendent mais aussi
sur l’intérêt qu’ils ont trouvé à l’exer-
❚
7. Initiation à l’anthropologie, Dessart, 1966.
8. J.-C. Gehanne, Dictionnaire thématique
de sciences économiques et sociales.
9. Désireux de dépasser l’alternative classique
qui considère l’individu comme le simple support
d’une structure sociale préétablie ou qui érige
l’acteur en stratège rationnel, le concept d’habitus,
tel que le développe la sociologie de P. Bourdieu,
permet de rendre compte comment l’ensemble
des dispositions et des pratiques à l’œuvre
dans la vie quotidienne peuvent être le produit
d’une histoire individuelle mais aussi collective
que chacun d’entre nous a pu intérioriser
lors du processus de socialisation.
cice.
Une telle évaluation semble offrir
plusieurs avantages :
– elle favorise d’abord un dialogue
qui permet aux élèves en nous livrant
leur vision de se réapproprier une partie du savoir ;
– elle permet également d’exercer un
indispensable travail de critique sur
le support utilisé, travail qui permet
de montrer aux élèves les précautions
que doit prendre le sociologue par
rapport au matériau dont il dispose.
Démarche
Cette activité a été réalisée lors d’une
séance de module. Un groupe était
chargé de trouver des arguments afin
de critiquer la vision de la réalité
sociale développée par le film et les
limites du travail mené. Un autre
groupe devait trouver des éléments
de défense.
La recherche de l’argumentaire est
facilitée par la taille restreinte de l’effectif en module (les élèves prennent
plus facilement la parole). Afin de
compléter leurs arguments, un dossier documentaire où sont insérés critiques du film et interviews du réalisateur a été fourni aux élèves.
Dossier documentaire
Quelques critiques du film
I
l y en a du ça de l’inné et de l’acquis en déroute dans La Vie est un
long fleuve tranquille ! Le plus étonnant est qu’on l’on en rie sans la
moindre arrière-pensée amère. Sans le
sentiment culpabilisateur de se défouler. Non, La Vie est un long fleuve tranquille est une comédie aux sarcasmes
qui n’insultent pas. Chaque séance
en contient un, mais, effet du montage
sec et elliptique, il ne dégouline pas en
méchanceté complaisante.
Françoise Aude, Positif,
mars 1988
C
hatilliez, pris dans son propre
piège, s’enlise à force d’accumuler et use, trop vite, l’effet qu’il
croyait pouvoir faire durer […] Deux
[acteurs] Mme Le Quesnoy et le petit
Momo pourraient nourrir le film de
leur ambiguïté. Mais la caricature de
l’une et la fadeur de l’autre font
échouer l’entreprise. Dommage que
Étienne Chatilliez, victime de sa virtuosité, ait tant de mal à les rendre
attachants, à briser leur moule. Lorsqu’il y parvient, notamment dans la
belle séquence de la baignade des
gosses dans la rivière, il laisse espérer
que sa mutation cinématographique
est proche.
F.S., Cahiers du cinéma,
mars 1988
le film] l’hypocrisie est vain[Dans
cue par la roublardise, la culture en brosse envahie par les hautes
Arguments défavorables
Danger d’assimilation
classe ouvrière/Groseille.
Vision réactionnaire.
Vision trop caricaturale.
Vision trop dure vis-à-vis
des Groseille.
Risque d’assimilation : « les
pauvres sont sales et intéressés ».
Film difficile car on peut se
reconnaître dans certains
personnages.
herbes de la nature en friche et l’acier
du devoir miné par la paille du plaisir.
Ça à l’air drôle et en plus c’est très
marrant.
Alain Schifres,
Le Nouvel Observateur, n° 2228
T
out est vrai et tout est trop […] Les
Le quesnoy et les Groseille ne sont
pas des personnages qui ressemblent
à des gens. Ce sont des gens qui ont
l’air de personnages. […] Pas des
cadres ni des travailleurs, mais des
bourges et des prolos, des vatala et
des lumpen, c’est-à-dire quasiment des
mythes pour l’immense classe
moyenne qui fait le public des cinémas.
Gérard Lefort, Libération,
3 février 1988
U
ne exploration tout en subtilité
qui finit par sortir ses griffes
quand il s’agit de mettre bas les petites
Arguments favorables
Le réalisateur défend le métissage.
C’est un film, la caricature
et l’humour permettent de prendre
de la distance.
L’auteur, en faisant de Momo
le héros, défend le métissage.
Le film n’est pas moral,
il critique tout le monde.
CONCLUSION
Enseigner la socialisation n’est pas un long fleuve tranquille ! Le processus
soulève de nombreuses questions et suscite des débats d’autant plus passionnés qu’ils renvoient à nos conceptions de la liberté et à la place que nous
accordons au libre arbitre. L’exercice proposé n’est sans doute pas exempt de
prénotions. Cependant, au-delà du travail qu’il permet de produire, la projection du film et les activités développées ont occasionné des moments
réjouissants qui augurent bien d’une année à passer ensemble ! ■
DEES 109 / OCTOBRE 1997
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