Le processus de différenciation au sein du prolétariat lors du passage de sa forme
élémentaire chimiquement pure à un état organisé qui requiert forcément des prises en
considération d’éléments internes et externes et qui réduit son rayon d’action, se reflètent dans
l’éloignement des principes les plus radicaux et les plus universels et dans la consécration de
l’idéologie de parti
. L’attractivité du révisionnisme ne peut pas être due seulement à
l’influence de la soi-disant aristocratie ouvrière ; elle est aussi la conséquence de l’intégration
et de la claustration constamment croissantes du prolétariat dans des organisations qui se sont
coagulées de manière de plus en plus bureaucratique de sorte que, quand l’heure a sonné et
que le rideau de la scène révolutionnaire se lève, les associations qui remplacent le prolétariat
comme acteur historique ont déjà perdu beaucoup de leur zèle révolutionnaire, abordent la
situation révolutionnaire sur la base de critères d’opportunité à court terme et cherchent à
assumer leur consolidation comme un problème d’administration et de politique quotidienne
.
Nous devons naturellement ajouter que le poids spécifique de tels événements n’est pas le
même dans tous les bouleversements révolutionnaires. Ils n’ont eu leur importance cruciale
que dans les 100 à 150 dernières années lorsque les associations, les unions, les partis, etc., se
sont disputés les premières places dans les confrontations sociales.
Nous pouvons donner maintenant une réponse à la question posée plus haut. Le sens et
le but véritables plus larges de la modification de l’idéologie révolutionnaire sous la forme de
l’idéologisation est, au début, l’endiguement, et à la fin, la déconsidération des revendications
d’émancipation d’importance historique, qui sont inhérentes à toutes les révolutions, au
moyen de leur adaptation aux conditions générales dans chaque cas. Bien sûr, la classe ou la
fraction qui s’est emparée de la révolution soutient inlassablement qu’elle n’a pas trahi les
masses, qu’elle a fait en fin de compte de son mieux et qu’elle met en place le régime optimal
correspondant aux circonstances. Et c'est précisément cette stratégie de légitimation qui pose
les fondements du mécanisme vital pour elle de la tromperie et de la fiction
. Sur la base de
cet examen, nous sommes maintenant mieux à même de saisir les questions de l’affinité, de la
continuité et de l’appartenance, des formes d’idéologie révolutionnaires historiquement
spécifiques. Toutes les idéologies révolutionnaires ont contesté toute parenté avec les
précédentes et la raison en est facile à comprendre. La reconnaissance de l’incapacité de
l’ancienne pensée révolutionnaire à mettre en application dans la pratique ses exigences
d’émancipation ferait en effet se lever des doutes fondés sur les chances de réalisation des
efforts présents. C'est pourquoi, toute idéologie révolutionnaire se voit obligée de sensibiliser
La question de la différenciation des classes prolétariennes a préoccupé à plusieurs reprises et depuis
longtemps la pensée marxiste. « […] l’histoire connaît un assez grand nombre des dictatures révolutionnaires.
Mais étaient-elles de la même nature que celles dont Marx a rêvé ? Le prolétariat doit bon gré mal gré
s’organiser pour exercer le pouvoir. Mais toute organisation n’entraîne-t-elle pas aussi avec elle une déformation
de sa nature originelle ? Un prolétariat politiquement organisé est-il un prolétariat au sens propre du mot ?
L’introduction de rapports de dépendance politiques dans le corps prolétarien, des rapports qui renvoient
justement à son degré croissant d’organisation, ne met-elle pas en danger son existence immédiate en tant que
corps homogène et ne provoque-t-elle pas, en raison de l’asymétrie sociale qui en résulte, la reproduction de
l’injustice et de l’exploitation économique ? » (G. Platon, Le socialisme en Grèce dans le devenir social, Paris,
1895).
C'est de cette façon que les bolcheviks ont estimé la révolution. Afin de consolider leur position de pouvoir, ils
se sont débarrassés de leur caractère prolétarien. Rosa Luxemburg défend la position contraire. Dans son
opuscule : Un regard critique sur la Révolution russe, elle condamne la politique bolchevique et dans son
célèbre essai : L’ordre règne à Berlin, elle laisse entendre que le prolétariat doit prendre en main l’exercice du
pouvoir et appliquer sans compromis son programme même si, à cause des rapports qui ne sont pas mûrs, il y
risque son naufrage politique.
Pour les caractères généraux essentiels de ce mécanisme dans tous les systèmes d’exploitation et de son
perfectionnement dans le système d’exploitation capitaliste, voir Manoli Lampridproblima ton ideoligion, in :
Martyries, th. 10, novembre 1964, pp. 10-18.