ANC / FOCALE 2015-2016
LA RÉSURRECTION DU CRUCIFIÉ
C
HRIST EST RESSUSCI
,
IL EST VRAIMENT RESSUSCITÉ
1. Textes bibliques fondateurs
a) Vocabulaire biblique de la résurrection du Christ
Il n’existe pas de terme hébreu ou grec pour dire la résurrection du Christ. Les premiers
chrétiens ont puisé dans le vocabulaire disponible (et dans les images présentes dans le judaïsme) pour
exprimer la nouveauté de l’événement de la résurrection du Christ.
Le substantif “résurrection”
- Aucun mot hébreu traduit par la TOB par “résurrection”. La Torah ne parle quasiment pas de
résurrection.
- Quand la TOB emploie le mot résurrection”, elle traduit le grec anastasis, employé 2 fois dans
l’AT grec (dans le 2
ème
livre des Maccabées : 2 M 7,14 et 2 M 12,43) et 43 fois dans le NT.
- Quelques grands textes :
La controverse entre Jésus et les sadducéens au sujet de la résurrection des morts (Mt 22 //
Lc 10)
Le discours de Jésus en Jn 5
Le dialogue entre Marthe, sœur de Lazare, et Jésus en Jn 11
1 Co 15
Le verbe “ressusciter
La TOB utilise 109 fois le verbe “ressusciter” : 1 fois dans l’AT hébreu (Es 26,19), 3 fois dans l’AT
grec (2 M 7, 9.14 et 2 M 12, 44) et 105 fois dans le NT.
Ce verbe traduit deux verbes grecs.
1
ère
conception de la résurrection de Jésus
- Le verbe egeirô qui signifie : faire lever, d’éveiller, s’éveiller.
Il y a 156 occurrences de ce verbe dans le NT, traduit 72 fois par ressusciter”, et dans
d’autres textes par lever, relever, réveiller…
- Le verbe anistêmi qui signifie : lever, faire se lever.
Il y a 173 occurrences de ce verbe dans le NT, traduit 31 fois par ressusciter”, et dans
d’autres textes par lever (53 fois)…
On trouve ce verbe dans d’autres textes que ceux déjà cités :
Dans les annonces de la Passion et résurrection dans la bouche de Jésus
Quand les Actes des apôtres et Paul parlent de Jésus “ressuscité”.
On est dans un schéma avant / après (il était mort, il est ressuscité), un schéma temporel. La
résurrection est comprise comme un retour à la vie. Il y a continuité entre Jésus de Nazareth et le Christ
ressuscité.
C’est ce vocabulaire, le plus présent dans les récits évangéliques, qui décrit les rencontres avec le
Ressuscité, celui qui mange avec ses disciples par exemple, celui que les disciples reconnaissent, le
Ressuscité est “le même” que Jésus de Nazareth.
Le verbe “exalter” ou “élever”
Le verbe grec hupsoô ou huperupsoô qui signifie : exalter, élever, exprime également la
résurrection du Christ, par exemple en Ph 2, 9, en Ac 2, 33 (« exalté par la droite de Dieu, il a donc reçu du
Père l’Esprit Saint promis et il l’a répandu »), et Ac 5,31. Il est utilisé dans le verset de Jn 12,32 (« pour moi,
quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes ») qui peut donner lieu à plusieurs
interprétations. Une deuxième conception de la résurrection de Jésus, l’exaltation ou ascension.
On est dans un schéma bas / haut, un schéma spatial. La résurrection de Jésus est interprétée
comme une entrée dans la gloire de Dieu, une exaltation ou ascension. Il y a discontinuité entre Jésus de
Nazareth et le Christ ressuscité.
- 2 -
Le Christ ressuscité est du côté de Dieu, il est “autre”, il passe à travers les murs… les disciples ne le
reconnaissent pas au premier coup d’œil.
Il y a deux types de textes, et d’expériences, dans les Évangiles, pour parler de la résurrection de
Jésus, les récits dits du “tombeau vide” et les récits d’apparition du Ressuscité à un ou plusieurs de ses
disciples. Dans les premiers, le Christ est absent, dans les seconds le Christ est présent et donne lui-même
le sens de l’événement. L’absence du cadavre atteste la possibilité de la résurrection, mais l’expérience de
la rencontre avec le Ressuscité est plus fondamentale. Ce qui est premier, c’est l’expérience pascale des
disciples et de l’Église.
b) Le tombeau vide en Mc 16,1-8
Texte biblique
Voir commentaire sur feuille à part.
c) L’apparition à Marie de Magdala en Jn 20,11-18
Texte biblique
Voir commentaire feuille à part.
Extraits d’un sermon de Maitre Eckhart
2. Représentations iconographiques de la résurrection du Christ
a) Des scènes évangéliques
Duccio : les femmes au tombeau,
Marie de Magdala et le Ressuscité (“noli me tangere”),
deux scènes évangéliques, le tombeau vide et la rencontre avec le Ressuscité.
b) La descente aux enfers
La descente aux enfers (icône traditionnelle). Lire le sermon de St Épiphane.
c) Résurrection et Ascension
La résurrection du retable d’Issemheim : on note les marques des clous, les gardes endormis, le
Christ à la fois ressuscitant et en ascension.
d) La croix de Tibhirine
La croix de Tibhirine
Nous avons ici une icône de la Croix, pas un crucifix.
Remarquons que l’inscription qui figure sur le bois de la croix n’est pas le traditionnel écriteau
« le roi des juifs » en latin, en grec ou en hébreu, mais il est écrit en arabe : « il est ressuscité », salutation
traditionnelle des chrétiens orientaux le jour de Pâques : « il est vraiment ressuscité ».
Une homélie de Christian de Chergé sur la croix glorieuse affirme qu’il existe une croix de
derrière et une croix de devant. Cette croix de devant est celle qui vient de Dieu, qu’elle a été créée par
Dieu. Cette croix, c’est cet homme qui a les mains étendues pour embrasser et pour aimer.
Que dit le prieur de Tibhirine de cette « croix de devant » dans d’autres homélies ou prises de
parole ?
Si la croix de derrière est instrument de supplice, cette croix de devant est « croix de chair créée
pour l’amour à l’image de Dieu »
1
. Cette croix de chair nous la voyons bien, avec cet homme droit, les bras
étendus, dans « le geste invaincu de l’Amour embrassant le monde »
2
, un geste d’accueil, d’ouverture, une
attitude d’amour et de pardon.
1
Homélie du 22 juin 1986
2
Homélie du vendredi saint 1 avril 1983
- 3 -
Le corps de Jésus est cette croix de chair, où « la verticale de la Croix exprime aussi parfaitement la
réponse de l'homme à toutes ces prévenances de Dieu : Je te bénis, Père… Jésus, c'est la "bénédiction de
Dieu faite chair" ; mais c'est aussi "l'homme fait bénédiction", remontant tout entier vers le Père en
louange de gloire. »
3
Déjà les pères grecs l’avaient magnifiquement dit, on pourrait citer Irénée ou Athanase parmi les
nombreuses méditations sur les bras étendus sur la croix.
Verbe tout-puissant de Dieu, sa présence invisible s’étend à la création tout entière et en soutient la
longueur, la largeur, la hauteur et la profondeur : tout est gouverné par le Verbe de Dieu. Il a été crucifié, lui
le Fils de Dieu, en ces quatre dimensions, lui dont l’univers portait déjà l’empreinte cruciforme […] Car
c’est lui qui illumine les hauteurs, c’est à dire les cieux, qui scrute les profondeurs de la terre ; il parcourt
l’étendue de l’Orient à l’Occident, il atteint l’immense espace du Nord au Midi, et appelle à la connaissance
de son Père les hommes partout dispersés.
4
Car c’est seulement sur la croix que l’on meurt les mains étendues. Aussi convenait-il que le
Seigneur subît cette mort et étendit les mains : de l’une il attirerait l’ancien peuple, de l’autre les Gentils,
et il réunirait les deux en lui. Et cela, lui-même l’a dit, en indiquant par quelle mort il rachèterait tous les
hommes : « Quand je serai élevé, je les attirerai tous à moi » (Jn 12,32)
5
Le point d’appui de cette théologie est le verset de l’Évangile de Jean : « pour moi, quand j’aurai été
élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes »
6
. La plupart des commentateurs de ce verset, comme
l’Évangile lui-même, entendent que Jésus a été élevé sur la croix, c’est là le lieu de sa glorification, et le lieu
de notre salut.
La croix de chair élevée
Regardons mieux cette croix de chair sur l’icône de Tibhirine.
Que voyons-nous ?
Un homme debout, pas affaissé ou arqué comme chez Cimabue ou Giotto, mais droit
verticalement, et les bras étendus à l’horizontale.
A la place habituelle des clous, nous voyons des étoiles de lumière cf. l’homélie de la croix
glorieuse : « c’est l’amour, et non les clous, qui le tenait fixé à ce gibet que nous lui avions taillé ». Il n’a pas
de trace de blessure ou de souffrance, pas de sang qui s’écoule.
Un homme vêtu avec une tunique blanche et un drapé rouge. Le seul vêtement blanc pourrait
évoquer la transfiguration. Le drapé rouge est plutôt signe de la royauté de celui qui s’est laissé revêtir par
le Père de gloire et d’honneur
7
. Il y a aussi une allusion à l’habit des noces, et il faut étendre les bras pour se
laisser vêtir de cet habit
8
.
Un homme vivant
9
, avec les yeux ouverts et les mains tournées vers le haut. Il semble nous
regarder et nous accueillir comme le Père du prodigue.
Il n’est pas cloué sur la croix, mais tient-il sur ses pieds ? Ou est-il élevé ?
On a donc la représentation d’un Christ de type byzantin, pas seulement glorieux ou triomphant,
mais ressuscité, élevé !
Et en effet, en allant chercher dans les écrits de Christian de Chergé à quels endroits il parlait de la
croix, je suis arrivée à des sermons sur l’Ascension
10
! Notons que pour lui, l’Ascension est
« consommation en gloire du Verbe incarné »
11
, autre façon donc de dire la résurrection ou l’exaltation du
Christ.
3
chapitre du 28 avril 1994
4
Irénée de Lyon La prédication des apôtres et ses preuves 34, DDB 1977 page 43
5
Athanase d’Alexandrie De l’incarnation 25
6
kagw ean uqwyw ek thv ghv pantav elkusw prov emauton (Jn 12,32 IGNT)
7
Chapitre du 28 octobre 1987
8
cf. en particulier l’homélie du 14 octobre 1984
9
« Le gibet prend vie dans l’élan du corps vivant qui s’en détache » homélie du 22 juin 1980
10
En particulier le 20 mai 1982 et le 28 mai 1992
11
Chapitre du 14 mai 1994
- 4 -
En effet, le prieur de Tibhirine utilise ce thème des bras étendus dans des homélies du jour de
l’Ascension. Par exemple : « Un double mouvement qui révèle la
CROIX
telle qu’elle préexiste dans le cœur
de Dieu, dans le cœur du Christ, où vibrait un double
ÉLAN
: mettre le feu à la terre et aller vers le Père.
Tourné vers le Père et livré à la multitude
12
».
Christian de Chergé superpose la croix de chair de la crucifixion et le Christ qui monte aux cieux de
l’Ascension. Le Christ crucifié est aussi celui qui a éélevé (autre langage pour dire la résurrection cf. Ph
2,9
13
), et celui qui est élevé a toujours les bras étendus. Finalement celui qui est au premier plan est le
ressuscité. Ce ne sont pas les deux faces du mystère pascal dos à dos ou côte à côte (cf. Grünewald qui fait
deux tableaux différents sur son retable), mais les deux moments sont superposés dans la théologie de
Christian de Chergé comme sur l’icône de la croix de Tibhirine. C’est le même mystère d’amour qu’il nous
est donné à contempler : « pour moi, quand je serai élevé, j’attirerai à moi tous les hommes ». Le Christ
livré pour la multitude attire tous les hommes et introduit l’humanité dans la gloire de Dieu.
La fresque de la résurrection dans la chapelle orthodoxe de l’atelier St Jean
Damascène : la résurrection est en même temps descente aux enfers, c'est-à-dire liée à notre
libération. On note que le Christ va chercher Adam, qu’il le tire par le poignet, pas par la main car
alors on pourrait penser qu’Adam s’accroche au Christ, mais c’est bien le Christ qui a l’initiative et
qui tire Adam des enfers (cf. sermon de St Epiphane).
3. Récapitulatif : il est, il était et il vient
a) La résurrection, un événement historique ?
Il n'y a aucun témoin de l'événement, du moment de la résurrection. Aucun récit évangélique ne
nous montre Jésus en train de ressusciter (sauf les évangiles apocryphes qui aiment le merveilleux). « Jésus
ne s’est pas montré ressuscitant, il a appris aux siens à le reconnaître ressuscité.
14
»
En un sens la résurrection n’est pas un fait historique. L’événement de la surrection n’est pas
justiciable de la preuve historique, il ne peut pas être reconnu scientifiquement par des historiens.
Il n’y a pas de témoin immédiat, et il ne pouvait pas en avoir, car Jésus passe au delà des limites de
notre histoire, sa résurrection est sortie de l’espace et du temps.
Mais cet événement est historique au sens où c’est un événement réel arrivé à un homme de notre
histoire, Jésus.
Il est également historique par les traces qu’il a laissé dans l’histoire, en particulier le témoignage
des apôtres. Les disciples ont eu la certitude que leur maître était vivant. Les apôtres qui se cachaient après
la mort, crient maintenant au grand jour que Jésus est ressuscité, qu'il a vaincu la mort, qu'il est leur
Seigneur et que cette résurrection leur ouvre un avenir. Depuis 2 000 ans, des hommes et des femmes
continuent de le crier au grand jour et d’en vivre, et cela c’est historique !
b) Un acte de foi
Il est frappant de constater que les plus anciens textes du NT affirmant la surrection ne sont
pas les récits évangéliques du tombeau vide ou les apparitions du Ressuscité, mais les confessions de foi
(1 Co 15,3-5 par exemple) ou les hymnes (Ph 2,6-11). La résurrection est d'abord objet de foi, elle n'est pas
démontrable ni racontable. Les “signes” ne sont des signes que pour les croyants.
La reconnaissance de la résurrection est un acte de foi, une conversion à la foi qui est un acte de
liberté. Chaque croyant s’engage pour affirmer la résurrection et le sens de ce fait pour sa propre vie.
12
Homélie de l’Ascension 28 mai 1992
13
9
C’est pourquoi Dieu l’a souverainement élevé et lui a conféré le Nom qui est au-dessus de tout nom,
9
dio
kai o yeov auton uperuqwsen kai ecarisato autw onoma to uper pan onoma (Philippiens 2,9 TOB-IGNT)
14
F. VARILLON . Joie de croire, joie de vivre, page 89
- 5 -
Cette résurrection ne peut pas faire l’objet de reportage, mais de témoignage seulement. Nous
sommes certains que Jésus est vivant et qu’il nous ouvre les portes de la Vie véritable, et nous sommes
capables d’en témoigner jusqu’au bout, jusqu’au martyre pour certains (martyre = témoignage).
c) La parousie ou « il viendra dans la gloire » :
La prédication des apôtres commence par annoncer le retour”, plus exactement la “venue” de
Jésus. Les deux premiers écrits du NT, les lettres aux Thessaloniciens, ne parlent que de ce retour, il s’agit
d’attendre cette venue que les premiers chrétiens imaginaient imminente. L’Apocalypse annonce le Dieu
qui est, qui était et qui vient. Paul dans la 1
ère
lettre aux Corinthiens commente ainsi le récit de l’institution
de l’eucharistie : « Car toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous
annoncez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il vienne. » (1 Co 11, 26). Et on proclame dans l’anamnèse dans
la liturgie eucharistique : Nous proclamons ta mort, Seigneur Jésus, nous célébrons ta résurrection, nous
attendons ta venue dans la gloire, ou une formule similaire à trois temps, la mort, la résurrection, la venue.
En termes théologiques, on appelle cette venue la parousie. La parousie n’est pas un retour, le
Christ n’a rien quitté, il est descendu au cœur du monde. Jésus de Nazareth ne peut pas être présent à tous
et à tous les moments, seul le Christ monté aux cieux, qui a disparu aux yeux de ses disciples peut être
présent au cœur du monde. Cette présence de Jésus dans les “apparitions” vient de la fin des temps. Jésus
hèle l’homme à lui. Jésus se rend présent au monde en l’amenant à sa plénitude : il vient en faisant venir,
apparaît en donnant de le voir
15
.
La mort seule aurait rejeté Jésus hors de l’histoire, la résurrection comme enlèvement au ciel aurait
aussi coupé Jésus de la terre et de l’histoire, il faut ce troisième terme ou temps, la parousie, pour ouvrir
l’avenir.
En distinguant résurrection et exaltation, résurrection et parousie, l’Église parle du passé (« Dieu l’a
ressuscité ») et d’un futur, d’un avenir plus exactement (« Il viendra dans la gloire »), pour dire le Christ
comme début et terme de l’histoire.
Remarques sur le mot “gloire”
La gloire, doxa = ce qui se montre, ce qui apparait.
Dans le grec biblique, le mot doxa a été choisi pour traduire la densité, la manifestation de l’être de
Dieu qui se donne à voir. La gloire de Dieu est l’être de Dieu tel qu’il se donne à voir, tel qu’il est
manifesté en Jésus et donaux hommes. Cf. Jn 1. La gloire, c’est la participation à la filiation divine de
Jésus, Jésus tient de Dieu son être filial et nous offre de le recevoir. Le fils nous invite à participer à sa
gloire.
15
François-Xavier Durwell, La résurrection de Jésus, mystère de salut, p. 106.
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