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Etymologie termes anciens
LES DESSOUS ETYMOLOGIQUES DE
LA SAGE–FEMME
Michèle Lenoble-Pinson (1) et Fernand Leroy (2)
(1) Philologue, professeur aux Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles.
(2) Gynécologue obstétricien, professeur honoraire à la Faculté de Médecine de
L’Université libre de Bruxelles.
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Introduction
La gynécologie obstétrique a ceci de particulier que, depuis ses origines préhistoriques, cette activité
a été essentiellement aux mains des femmes et ce pratiquement jusqu’au XVIIe siècle. La grossesse
et l’enfantement aussi bien que les maladies propres à la gent féminine se géraient dans un monde
relativement fermé de matrones qui transmettaient leur savoir de génération en génération d’une
façon exclusivement orale. Les hommes n’étaient que rarement impliqués, lorsque s’imposait l’une ou
l’autre manœuvre de force qui dépassait les possibilités physiques féminines. Depuis des temps
reculés l’élément masculin était systématiquement écarté comme l’indique, par exemple, le « Conte
de enfants de Rê » relaté dans le papyrus égyptien dit de Westcar (1700 av. J.C.) où le mari se voit
claquer au nez la porte de la chambre d’accouchement.
Quoi d’étonnant dans ces conditions que ces femmes aient développé un vocabulaire particulier pour
désigner les éléments particuliers de leurs activités.
A titre d’exemple, nous citerons, sans toutefois l’analyser en détail, le libellé d’un constat de
défloration établi au 16e siècle par trois sages-femmes parisiennes, qui en dit long sur le caractère
ésotérique des termes anatomiques qui avaient cours dans ce contexte :
« Nous, Marion Teste, Jeanne de Meus, Jeanne de la Guigans & Magdeleine de la Lippüe, Matrones-Jurées de la
ville de Paris, certifions à tous qu'il appartiendra, que le 14e jour de Juin 1532, par l'ordonnance de Monsieur le
Prévôt de Paris, ou son lieutenant en ladite ville, nous nous sommes transportées en la rue de Frépaut, où pend
pour enseigne la Pantoufle où nous avons vu et visité Henriette Pélicière, jeune fille âgée de quinze ans ou
environ, sur la plainte faite par elle en Justice contre Simon le Bragard, duquel elle a dit avoir été forcée &
déflorée. Et le tout vu & visité , au doigt et à l'œil, nous trouvons qu'elle a (1) les barres froissées, (2) le haleron
démis, (3) la dame du milieu retirée, (4) le pouvant debiffé, (5) les toutons dévoyés, (6) l'entrechenart retourné,
(7) la babole abattue, (8) l'entrepet ridé, (9) l'arrière fosse ouverte, (10) le guilboquet fendu, (11) le lippion
recoquillé, (12) le barbidaut tout écorché, (13) le lipendis pelé, (14) le guilhivard élargi, (15) les balunaus
pendans. Et le tout vu & visité feuillet par feuillet, avons trouvé qu'il y avait trace de ... Et ainsi, nous dites
Matrones, certifions être vrai, & à vous Monsieur le Prévôt, au serment qu'avons à ladite ville"; (traduction: 1:
l'os pubis ou Bertrand, 2: les Nymphes ou petites lèvres, 3: l'hymen, 4: la partie féminine appelée le pouvant
parce qu'elle peut tout (?), 5: la gorge flétrie, 6: les membranes qui lient les caroncules les unes aux autres, 7: les
nymphes, 8: le périnée, 9: l'orifice interne de la matrice, 10: le col de la matrice, 11: le poil, 12: le clitoris, 13: le
bord des grandes lèvres, 14: le vagin, 15: les lèvres de la vulve ) » (Laurent Joubert,1578).
Il convient de remarquer qu’aucun de ces termes anatomiques n’est retrouvé dans les traités de
l’époque, publiés en français par divers chirurgiens barbiers intéressés par l’art des accouchements et
les maladies des femmes (cfr Ambroise Paré, 1584 ; Jean Liebaut, 1617 ; Charles Guillemeau, 1642).
Il nous a paru justifié, dès lors, de nous livrer à un recensement et, dans la mesure du possible, à une
analyse étymologique, des termes anciens et obsolètes qui prévalaient autrefois dans la
nomenclature gynéco-obstétricale.
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Dans ce premier article seront abordés les termes qui désignaient en français les protagonistes
féminines et ensuite les professionnels masculins dans ce domaine, tout en débordant d’ailleurs
quelque peu sur leurs équivalents dans diverses autres langues d’origine latine ou germanique.
Les bases étymologiques
Depuis le XIIe siècle, comment appelle-t-on la femme et ensuite l’homme dont la profession est de
pratiquer des accouchements ? Que signifient ces noms ? Quelle est leur histoire ?
Au fil des siècles, la même réalité est désignée de manières différentes. En outre, dans l’usage
certains mots conviennent et vivent, d’autres déplaisent et disparaissent. Le français dérive, non pas
du latin classique de César, Cicéron ou Tite-Live, mais bien du latin vulgaire que parlaient les soldats,
marchands et artistes romains. Le français est aussi la langue romane la plus éloignée du latin et la
plus différente des autres langues romanes, car son évolution est plus longue et plus avancée que
celle du sarde, du roumain ou du castillan.
Pendant très longtemps néanmoins, le latin est resté la langue savante de la science, de la médecine,
des princes de l’Eglise, de la justice, de l’université, de la diplomatie et des traités. Ainsi, les deux
ouvrages attribués à maestra Trotula, femme-médecin de l’école de Salerne au XIe siècle, sont-ils
rédigés en latin sous les titres : De ornatu mulierum (Comment rendre les femmes belles) ou Trotula
minor et De passionibus mulierum ante, in et post partum (Les maladies des femmes avant, pendant
et après l’accouchement) ou Trotula maior (Leroy, Histoire de Naître, 2002, pp. 103-104).
En revanche, en tant que langue populaire, l’ancien français disposait d’un vocabulaire très riche,
surtout dans les domaines de la vie courante, sociale, militaire et des sentiments. Il n’est donc pas
étonnant de trouver dans les textes français, dès le XIIe siècle, des mots qui expriment la naissance
et ce qui l’entoure.
Accoucher - accouchement - accoucheuse
Comment s’appelaient les femmes qui accouchaient ? Lorsque le nom d’une personne qui agit, donc
un « agent », dérive d’un verbe, il convient de commencer par l’examen de ce verbe. En l’occurrence,
c’est le verbe accoucher qui s’impose.
Bien que le verbe intransitif accoucher existât en français depuis le XIIe siècle (vers 1160), il ne
s’employait pas pour la naissance. Jusqu’au XVIe siècle, accoucher n’a signifié que « se coucher,
s’aliter ». Couche, d’abord écrit culche (vers 1170), désignait le lit. Ensuite seulement, le verbe
accoucher a pris le sens de « s’aliter pour mettre un enfant au monde » - ce qui paraît un peu curieux
si l’on songe que l’accouchement proprement dit se passait le plus souvent en position assise ou
accroupie (Leroy, op.cit. p. 92) (Figure 1). Quoi qu’il en soit, accoucher supplante alors l’ancien verbe
gésir et la locution être en gésine. La construction transitive accoucher une femme au sens d’«aider
une femme à accoucher » est encore postérieure et date du XVIIe siècle (1671).
Le nom accouchement, qui date lui aussi du XIIe siècle (vers 1190), a connu la même évolution que
le verbe accoucher. Il a désigné d’abord la seule « action de s’aliter » (1447) pour évincer ensuite le
terme gésine et prendre le sens obstétrical que nous lui connaissons.
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Gésir d’un enfant, être en gésine
Dès le XIIe siècle (vers 1180), sont attestés dans les textes la locution gésir d’un enfant, qui signifie
«accoucher d’un enfant », et le composé agésir. En ancien français, on rencontre aussi la locution en
gésine, signifiant « en train d’accoucher ». Tous ces mots appartiennent donc à la famille du verbe
« gésir ».
Le verbe gésir dérive du latin classique jacere, « lancer, jeter ». Sa famille comporte une racine indo-
européenne qui signifie « jeter ». Gésir signifie proprement « être dans l’état d’une chose jetée »,
d’où « être couché, être étendu ». Mais dans le vocabulaire de la naissance, la construction gésir d’un
enfant, désigne une action qui s’exprimerait par « jeter, se délivrer » (d’un enfant). La position de la
parturiente ne serait donc pas impliquée. L’usage de gésir d’un enfant et de « être en gésine » ne
disparaîtra qu’en français classique, c’est-à-dire au XVIIe siècle.
Accoucheuse - ventrière
Au XVIIe siècle, lorsque s’installe de verbe accoucher, apparaît le nom de l’agent, c’est-à-dire le nom
de la personne qui agit, qui accouche la femme. Dérivé du verbe, le nom est d’abord attesté au
féminin : accoucheuse existe en français depuis 1671. L’équivalent masculin accoucheur sera
enregistré quelques années plus tard (1677).
Ventrière fut le premier nom français de la sage-femme. Ventrière et ventrée sont de très anciens
mots français. Dérivés du latin venter, qui désigne le « ventre », ils sont apparus en français dès le
XIIe siècle. Ainsi, « Les premières sages-femmes officiellement reconnues dont on a pu retrouver
l’identité furent Mabille la Ventrière et Emeline Dieu la Voie, désignées matrones jurées du prieuré de
Saint Martin des Champs en 1333 » (Leroy, op.cit., pp. 107-108). Avant elles, en 1292, sous Philippe
le Bel, il y eut aussi, Michièle la ventrière.
Ventrière s’est dit pour sage-femme pendant près de trois siècle, de 1200 à 1480 environ (FEW, XIV,
250 a). Sous Louis XI (1423-1483), ventrière s’emploie conjointement avec matrone : « Icelle Perette
declaira lors qu’elle estoit grosse, par quoi fut de rechief differé de l’executer ; et fut fait visiter par
ventrières et matrosnes, qui rapporterent à justice qu’elle n’estoit point grosse » (Chron. Scand. de
Louis XI, p.6). Au XIVe siècle, au dernier étage de l’Hôtel-Dieu de Paris, une section dénommée
« Office des accouchées » comportait vingt-quatre lits. Dans chaque lit se trouvaient deux ou trois
femmes, chacune avec son bébé. Leurs accouchements avaient été pratiqués par « des matrones
désignées à l’époque comme ventrières. Vers la fin du XIVe siècle, oeuvraient ainsi à l’Hôtel-Dieu une
maîtresse et une ventrière de accouchées (Leroy, op.cit., p. 106).
Quant à ventrée, il se disait du fruit du ventre d’une femme, en particulier du ou des « enfants dont
une femme a accouché en une seule grossesse » : « Voilà deux enfants jumeaux, qui sont d’une
même ventrée (Antoine Furetière, Dictionnaire universel, 1690). Cet exemple sera recopié dans le
Dictionnaire dit de Trévoux jusqu’en 1771. « C’est une fable que ce qu’on dit d’une Comtesse de
Hollande qu’elle a eu 365 enfants d’une ventrée » (Ibid.) (Note : ce cas est probablement celui d’une
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môle hydatiforme dont chaque vésicule représenterait un enfant). « Esaü et Jacob sont frères
engendrez de mesmes parens, d’une mesme ventrée » (attestation du XVIe siècle, citée par Littré
dans son Dictionnaire de la langue française). Il s’agit en l’occurrence de faux jumeaux car, d’après la
Bible, Esaü était poilu et vigoureux tandis que Jacob avait la peau lisse et était de constitution plus
fragile.
Sage-femme - matrone - obstétricienne
Sages -femmes
On appelle sage-femme celle dont la profession est d’assister les femmes en couches. Sage vient du
latin sapiens en passant, au XIIe siècle, par les formes saige et saive. Sapiens, dérivé du verbe
sapere, « savoir », désigne donc celle ou celui « qui a la connaissance des choses ». Le mot sage
signifie donc en l’occurrence « experte, habile dans son art ». Sage-femme existe en français depuis
1375.
Au XIVe siècle, « pour devenir sage-femme accréditée, il fallait passer un examen devant certaines
de ses paires déjà reconnues en présence de deux représentants de la municipalité et des guildes
pour prêter ensuite serment d’allégeance aux règles de la profession (…). En 1424, à Bruxelles, il y
avait cinq sages-femmes principales chargées de la formation et de l’examen des sages-femmes
jurées ordinaires. (…) Pour être reconnue, trois années d’apprentissage auprès d’une sage-femme
expérimentée étaient requises » (Leroy, op.cit. pp. 107 et 108).
Du XIVe au XVIe siècle, des sages-femmes sélectionnées sont accréditées et rémunérées pour
effectuer des expertises à caractère médico-légal telles que constat de viol ou certificat de virginité. La
virginité de la pucelle d’Orléans fut ainsi attestée par des sages-femmes. Le langage obscur du
constat de viol cité dans l’introduction montre combien la médecine de la femme est cantonnée dans
un monde à part qui n’est accessible qu’aux initiées.
« Les identités de nombreuses sages-femmes des XVIe et XVIIe siècles, en particulier lorsqu’elles avaient reçu
leur formation à l‘Hôtel-Dieu de Paris, nous sont connues. La plus célèbre d’entre elles est incontestablement
Louise Bourgeois (1563-1636) qui fut l’accoucheuse de Marie de Medicis, épouse d’Henri IV (figure 2) (…).
Elle est connue pour avoir été la première sage-femme auteur d’écrits obstétricaux de quelque intérêt » (Leroy,
op.cit., p. 170). Voulant écarter la foule des courtisans du lit de la reine qui venait de mettre au monde le
dauphin (futur Louis XIII), elle s’entendit dire par le Vert-Galant : « Tais-toy, tais-toy, sage-femme, ne te
fasches point ! Cet enfant est à tout le monde, il faut que chacun s’en réjouisse ! »
Matrones
Matrone vient du latin mater, matris qui signifie « mère ». Dans le sens de « sage-femme », le mot
matrone existe en français depuis le XIVe siècle. Il est attesté pour la première fois en 1340 dans Le
Miracle de Nostre Dame et sera encore usité dans ce sens à la fin du XVIIe siècle. Madame de
Sévigné l’emploie dans une lettre datée du 6 septembre 1671.
En 1690, dans son Dictionnaire Universel, Antoine Furetière introduit les termes de gynécologie par
« en termes de matrone ». Voici comment il définit le mot matrone lui-même : « Matrone est aussi le
nom de celle qu’on appelle proprement Sage-femme, qui a estudié en Anatomie, qui est examinée par
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