LES ANIMAUX ET LEUR IMPORTANCE
Place des animaux chez les Bahunde
Par lAmbassadeur Jean-B. MURAIRI Mitima
- Les animaux interviennent beaucoup dans la vie socio-économique des humains. C’est
particulièrement le cas chez les Bahunde tant précoloniaux que des temps modernes.
- Le fait que les Bahunde soient un peuple sédentaire, les animaux occupent chez eux un rôle
différent mais non moins important que chez les éleveurs nomades. De prime abord, il faut
souligner ou rappeler que les Bahunde étaient des grands chasseurs. Et à leur tête leurs grands
chefs. Parmi les attributs du Roi, il y avait celui de ‘Maître de la chasse’. A ce titre, il laissait
à des sujets le soin de l’élevage de ses troupeaux. Et ‘le chien de chasse du Roi jouissait
d’une particulière considération.
On peut ainsi établir une distinction entre les animaux sauvages et les animaux domestiques
I. Les animaux sauvages
- Les Bahunde ne vivaient pas en symbiose avec les animaux sauvages. Mais leur proximité
géographique et le bénéfice qu’ils retiraient de la chasse imposent qu’on inclue les bêtes
sauvages parmi les animaux utiles. Il convient de relever que la création par le pouvoir
colonial, des parcs nationaux des Virunga, de Kahuzi Biega et de Maïko, illustre bien une
sorte de partage du même milieu entre les humains et les dits animaux. Car avant cette
mesure, les habitants faisaient la chasse à ces bêtes non seulement pour des besoins
alimentaires mais aussi pour la protection des hommes et de leurs bétails et cultures.
Les principaux animaux concernés sont :
- L’éléphant (ncopfu ou ndêmbo) : le plus gros prédateur des cultures vu ses énormes
besoins en ration alimentaire quotidienne. Mais en contrepartie, il est le gibier le plus valable
recherché pour sa viande, l’ivoire, les poils rigides du bout panaché de sa queue, etc. Si
généralement sa viande était répartie entre les villageois, l’ivoire allait garnir les trésors
royaux, tandis que les poils de la queue (mikăli) intervenaient dans la fabrication des bitale
colliers-monnaie : le fabricant y enroulait le fil de cuivre, comme expliqué ailleurs (cf Article
sur l’Economie). La chasse à l’éléphant est très dangereuse : animal très rancunier et à la
mémoire d’éléphant’ (c’est le cas de le dire), il ne lâchait pas le corps du chasseur avant de lui
avoir extrait le cœur et les poumons qu’il accrochait dans les branches d’arbres. Dès lors les
hommes préféraient recourir à des trappes (mahya) ou à un piège appelé kālūngu ou būtsìwū
(tronc d’arbre suspendu verticalement et soutenant une lame pour pouvoir s’abattre sur sa
nuque).
- L’hippopotame (kiboko ou shere), limité dans son biotope proche de l’actuel Parc des
Virunga, autre grand ennemi des champs, était chassé pour sa viande, son cuir très solide et
pour ses dents.
- Le buffle (mbŏwo) avait le tort de fréquenter les cultures et de ressembler à la vache. Il
était recherché pour sa viande, sa peau et ses cornes dont on fabriquait des trompettes.
- L’antilope (ngâbi) spécialement pour ses cornes, et les gazelles (fumbiri) complétaient le
lot des gros gibiers herbivores.
- Mais le sanglier (shênge) occupait une place à part à cause de la haute qualité de sa chair.
Celle-ci provenant d’un animal qui devait beaucoup lutter dans la nature pour obtenir sa
nourriture était moins grasse que celle de son cousin de l’élevage, le cochon.
- Le gorille (mûhûmba), le chimpanzé (shiko) ou le babouin (kχu) ne sont pas chassés pour
leur viande, sinon plutôt à cause du danger qu’ils représentent pour les habitants quand ceux-
ci se rendent aux champs ou en forêt. Par contre plusieurs types de singes (ngîma) sont
recherchés pour leur chair.
- Ensuite viennent les petits mammifères, tels le porc-épic (mukumbe), le pangolin
(kanga), certains grands rongeurs. De leur côté la plupart des oiseaux font l’objet d’une
chasse et d’un piégeage intense. Certains volatiles sont écartés systématiquement de l’assiette
des Bahunde soit parce que leur chair est supposée toxique (corbeau kikôna, bergeronnette,
kâsêse), soit parce qu’annonciateurs de mauvaises nouvelles (le cas du hibou, bwitsi-bukuhu)
- Et la place privilégiée des abeilles (nsûki). Les Bahunde ont été gagnés à l’idée d’en
faire des insectes de compagnie, comme on verra plus bas. En effet, depuis les temps les plus
reculés ils ont tout fait pour les visiter, les regarder produire du miel, leur fabriquer des ruches
et mener une folle publicité pour ledit produit.
- Il existe aussi des chenilles et insectes comestibles : les grosses chenilles du tronc du
palmier raphia. Et les sauterelles : les mutêndepfŭla, petites sauterelles survenant après les
pluies ; et bien sûr les nzīē (nzīghē), de la famille des criquets mais à couleur verte. Parmi les
souvenirs de jeunesse, maints Bahunde se rappellent la chansonnette "Mutêndepfŭla
ndûbatubire, ndahikyâ mueni ngakalaka" (Chère gentille sauterelle, favorise ma recherche
de provisions, afin que recevant un visiteur je ne sois pas dans le besoin). Et bien entendu,
l’épisode préhistorique de la lutte contre l’invasion des sauterelles nzīē qui ravagèrent les
jeunes plantes des céréales des Bahunde sur les rives du lac (nom actuel ‘Lac Edouard’) au
bord duquel ils venaient de s’établir. D’où le nom Lac Lwita-Nzīē, du verbe iwita nzīē (tuer
des sauterelles), signifiant lac au bord duquel on dut tuer et manger les sauterelles.
- Dans les eaux, les poissons, les anguilles et crabes font l’objet d’activité aussi ancienne que
intense.
Les fauves :
A la différence des herbivores, les carnivores et autres charognards sont particulièrement
craints et combattus. Le lion (ndâle) est le plus craint, mais heureusement assez éloigné des
villages. On lui fait rarement la chasse. Quand on en tue un, on exploite sa peau, ses dents et
ses griffes. Par contre, la vraie bête noire, –c’est le cas de le dire –, est le léopard (nîna
ndokolo) qui rôde constamment autour des villages et fait d’énormes ravages dans les
élevages. Le lion se contente, semble-t-il, de sa ration suffisante, tandis que le léopard
n’épargne aucune bête dans un enclos au-delà de ses besoins. Plus que pour le lion, la peau,
les griffes et les dents du léopard trouvent un important débouché. Pour tuer ces fauves, on ne
prenait pas de risques, on recourait à un piège appelé kalŭnga (une trappe, -avec appât-, qui
se refermait sur le fauve), à charge pour les hommes de venir l’achever sans abîmer sa
peau. En principe les Bahunde ne mangent ni le lion ni le léopard. Leur chair est délaissée aux
chiens, aux sorciers ou à certains guérisseurs. Dans ce cas les épouses (de ces sorciers et
guérisseurs) refusent de la leur préparer. L’hyène, le chacal, la civette, le renard, la mangouste
ne se mangent pas non plus. Seule leur peau est conservée en vue de certains rites cultuels.
Les Bahunde ne mangent pas de serpents et autres reptiles. Seul leur venin est parfois
recueilli à des fins médicales. Mélangé à la cendre, il est frotté dans une incision sur le
poignet ou la cheville en guise de vaccin anti-venin. Il faudrait cependant en vérifier
l’efficacité. Quant à la chaire des serpents, on a rapporté des cas de mangeurs de serpents,
personnes considérées comme des marginaux. Néanmoins certains cas suscitent l’émotion et
imposent l’indulgence. Ainsi, vers 1947, un ancien combattant de la guerre 1940-1945 qui
venait de tuer une vipère cornue (muûsha), réquisitionna des élèves de l’internat de la Mission
de Mutongo pour la lui préparer. Le pauvre homme voyait partout des scènes des batailles de
Gambela et de Saïo en Abyssinie (Ethiopie), intervenues 6 ans plus tôt, en 1941.
II. Les animaux domestiques
Ce sujet a été traité en grandes lignes dans l’Article sur l’Economie du pays des Bahunde
en pages 12-14
- On va juste insister sur le fait que même si très peu de Bahunde possédaient des vaches, cet
animal n’est pas d’importation récente, encore moins à partir d’un certain pays voisin de l’est.
En effet, la vache était connue dans l’ancien Royaume du Kitara pré-cwezi de la dy nastie
bantoue des Batembuzi du milieu du Ier millénaire de notre ère. Selon un récit semi-
légendaire, Isanza le dernier monarque tembuzi aurait été porté disparu pour avoir poursuivi
sa belle vache jusque dans l’au-delà. On connaît les origines hunde liées à cette dynastie,
comme expliqué dans l’Article "QUI SONT LES BAHUNDE ?". Seulement les chefs et
dignitaires hunde se sont comportés aussi durement que les autres en empêchant les Baûnda
(simples citoyens) de posséder librement ce précieux capital. De plus, le bovidé ne pouvait
prospérer que dans les régions hautes du pays des Bahunde, soit sur moins de la moitié de la
dite région. La pratique du pâturage par la culture de la luzerne, appelée mûnyu-mbêne (‘le
sel des chèvres’), plante dont les ruminants raffolent, est une autre manifestation de cet
élevage séculaire.
La vache, signe de richesse, intervenait dans de grosses transactions et dans la dot entre
dignitaires. Les Bahunde ne sont pas de gros consommateurs de lait, mais de véritables
amateurs de la viande. De la vache abattue, on obtenait la viande mais aussi la peau qui,
tannée, servait de tapis, de couvercle de tambour, et parfois d’habillement. Ses cornes
n’atteignaient pas la qualité de celles des buffles et des antilopes.
Le gros de la population pratiquait surtout l’élevage des chèvres, des moutons et des
volailles. La plupart des transactions ainsi que la dot se réalisaient en nombre de chèvres. La
dot dans une famille moyenne s’évaluait en mbêne mâlînda’biri, (deux-fois-sept chèvres, soit
14 chèvres). La chèvre était un véritable messager. Dès qu’on voyait quelqu’un se présenter
avec une chèvre (et de la bière), on comprenait qu’il avait une importante communication à
faire : demande d’une fille en mariage, souhait de passer un pacte de sang, etc.
Le mouton, même fréquent chez les Bahunde, n’avait pas la même diversité de fonctions
que la chèvre. Du reste, certains clans n’en mangent pas pour des raisons totémiques.
Les poules, encore plus fréquentes, et dans une moindre mesure les canards, intervenaient
tout autant que la chèvre mais dans des transactions de moindre valeur, comme certaines
amendes pour bagarre ou mauvais comportement. Autrefois, il était interdit aux femmes et
aux grandes filles de manger des poules et des oeufs, et évidemment aussi des canards, alors
que c’étaient elles qui les préparaient. Certains prétendent que c’était pour qu’elles ne privent
pas les maris ou papas des meilleurs morceaux. Mais cette explication ne paraît pas suffisante.
L’élevage de cochons serait d’introduction assez récente, mais il se répand rapidement.
Certains milieux en louent la viande par l’expression en swahili ‘kamushengere mukubwa wa
meza(viande de porc, championne de la bonne table). Mais cette affirmation n’engage pas
les Bahunde du terroir qui continuent à préférer la viande de sanglier. Inutile de dire que le
cochon ne figure pas dans la transaction de la dot. Tout au plus il pouvait servir à payer
certaines amendes, par exemple en cas de vol d’un autre cochon.
Des jeunes élevaient des cobayes, dites aussi cochons d’Inde, tout comme des lapins. Cette
activité est encore plus récente que l’élevage du porc.
Animaux de compagnie :
Ici il s’agit essentiellement des chiens, lesquels étaient utilisés pour la chasse du gibier,
tout comme pour la protection des personnes. Selon ses fonctions le chien portait des noms
différents : ndôcho : chien expert dans la chasse ; ndâusha : chien adroit qui attrape des
morceaux mais aussi des agresseurs. A la différence des autres animaux, le chien porte
souvent un nom propre : Kipfo, Simba, etc. Une chienne de Bincha près de Mweso, appelée
Kîtakorêka, était réputée pour sa pugnacité et sa capacité à affronter tout danger menaçant son
patron et les siens. Ce qui confirme la proximité sociale du chien vis-à-vis de son maître ou de
la famille de celui-ci. Au sommet de tout, il y avait ‘le chien du Roi’, remplissant souvent
ces deux fonctions de chasse et de protection de son maître. Il assistait, comme les deux
vaches royales, à l’investiture du nouveau roi. Dans ce but-là, certains chiens ont pu affronter
des léopards jusqu’à les mettre en fuite, ou se sacrifier pour donner aux siens le temps ou
l’opportunité de contre-attaquer ou de se mettre à l’abri.
Parmi les meilleurs poèmes chantés des Bahunde figure celui, émouvant, du drame de la
principale épouse royale à qui le mari confia son chien officiel, affirmant qu’elle était la seule
digne de confiance pour cette tâche. Le chien l’ayant accompagnée au champ, la stressa, -
sans doute par un long regard accusateur-, au point qu’elle le frappa mortellement avec un
gros morceau de bois. Devant ce crimeet dans sa complainte, l’épouse royale ne cessait de
se demander comment elle allait trouver un chien de remplacement, vu que son propre père
n’élevait pas de chiens.
Le chat n’atteignait aucune de ces performances ou sympathies. C’est vrai que son rôle de
débarrasser les maisons des souris n’était pas négligeable. Certaines ménagères aimaient les
chats pour qu’ils mangent les būkūngo, les restes raclés des fonds des casseroles.
Dans certains cas particuliers, on rencontrait d’étonnants animaux de compagnie : le
taureau royal Rusanga et la vache royale Rwabami lesquels étaient associés, comme le chien
royal, à la cérémonie d’investiture du Roi. Ils partageaient tellement son sort qu’ils ne
devaient pas lui survivre : à son décès, ils étaient mis à mort. Les nouveaux animaux du
nouveau Roi recevaient à leur tour le même nom. Il existait également le bélier (kīkōlyo)
et/ou le bouc (bûhâlwa) de la famille, ceci pour des raisons cultuelles et rituelles. Ils
représentent en effet l’esprit protecteur de la dite famille, laquelle ne peut le manger. Quand il
est malade ou trop vieux, la famille le vend et le fait remplacer par un autre plus jeune ou plus
vigoureux.
Sans vraiment parler d’abeilles de compagnie, il s’agit ici des rares insectes
domestiqués. Et en face d’elles, des gens qui leur aménagent des lieux de résidence et de
travail, les ruches (bihēmbo) et exploitaient délicatement les māhēmbo rayons de miel. Ce
qui crée une certaine complicité entre l’homme et ces hyménoptères. L’homme ne les tue pas,
et elles ne le piquent pas, même si à l’occasion les ouvrières doivent défendre la reine et le
produit de leur si industrieux travail.
III. Record mondial des défenses déléphant :
Il est agréable et légitime de terminer cet Article par le record mondial des pointes
d’éléphant détenu par la région des Bahunde. Record ainsi décrit : « Un grand record mondial
peu connu vient du pays des Bahunde, Bwito. C’est celui des plus grandes et plus longues
défenses d’éléphant au monde. Trophée conserà l’entrée de l’IRSAC-Lwiro. La Monographie
de la province du Sud-Kivu, p. 66, précise : « C'était à Lwiro étaient exposées les deux pointes
d'ivoire les plus longues et les plus lourdes à ce jour. Elles provenaient d'un éléphant abattu en
1943 au Bwito, dans l'actuel Parc National des V irunga, (N.B. en réalité, dans la vallée de la
Haute Mweso, rive droite) par un certain Jean Bormans (N.B. qui vivait près du principal lac
Mukoto, du Kishali, Masisi). Ces pointes, unique s au monde, mesuraient successivement 3,505
m et 3,304 m; elles pesaient 68 Kg et 61,5 Kg. Elles ont été volées l'une après l'autre, en 1990 et
en 1991; ça se passe de tout commentaire. » (cf. J.B. Murairi : Le Bwito, premier sanctuaire
historique des Bahunde , 2è édition corrigé e et illuste, Kinshasa, octobre 20 09,
p. 19 ).
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