André Wénin
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met à mort (voir aussi 2 R 9,24). Mais comme ce cœur est un organe interne, le
terme qui le désigne renvoie également de manière figurée à diverses réalités
cachées qui ne sont plus d’ordre physique et que parfois Dieu seul peut voir :
« l’humain voit à l’apparence, mais Adonaï regarde au cœur » (1 S 16,7), « lui
qui connaît les secrets du cœur » (Ps 44,22b), un cœur qui, pourtant, est souvent
tortueux, insondable (Jr 17,9)2. En ce sens, le cœur peut être considéré comme
le siège des émotions et des sentiments, mais aussi – ce qui est plus neuf pour
nous – comme le lieu de l’intelligence et de la volonté.
Dans la représentation anthropologique courante au sein du peuple de la
Bible, le cœur est l’endroit où l’on situe un certain nombre d’émotions, d’affects
ou de sentiments. Parmi les émotions, la plus fréquente est la joie – « Aaron te
verra (Moïse), et son cœur se réjouira » (Ex 4,14b) ; « Tu as mis de la joie dans
mon cœur » plus que lorsque déborde le vin (Ps 4,8) ; « Tes paroles ont été pour
moi l’allégresse et la joie de mon cœur » (Jr 15,16)3 – mais aussi le sentiment de
plénitude lorsque la joie s’installe : « ils se réjouissaient, le cœur heureux de tout
le bonheur qu’Adonaï avait fait à David son serviteur et à Israël son peuple »
(1 R 8,66). D’autres émotions intenses emballent le cœur : quand David coupe
le pan du manteau du roi Saül, ou quand il recense le peuple, son cœur se met
à battre (1 S 24,6 ; 1 S 24,10, voir Os 11,8). Car le plus souvent, les sentiments du
cœur sont négatifs. « Le cœur connaît sa propre amertume », dit le proverbe (Pr
14,10) ; « jusqu’à quand (…) aurai-je du chagrin dans le cœur tout le jour ? »,
se lamente le psalmiste (Ps 13,3), le « cœur brisé » (Ps 51,19) ; « J’en suis venu,
moi, à me décourager – littéralement, à désespérer mon cœur – de toute la peine
que je me suis donnée sous le soleil », dira Qohélet (Qo 2,20 ; voir Nb 32,9). La
souffrance aussi peut miner le cœur : « Mon cœur souffre au-dedans de moi »,
se plaint Jérémie (Jr 4,19 ; 8,18), tandis que Dieu affirme qu’il « fait vivre ceux
dont le cœur est opprimé » (Is 57,15). C’est encore sur le cœur que se portent
les émotions fortes que sont la panique et l’angoisse : à l’annonce de l’arrivée
des ennemis, « son cœur [du roi Achaz] et le cœur de son peuple furent agités
comme les arbres de la forêt s’agitent sous le vent » (Is 7,2 ; voir Lv 26,36). La
panique fait trembler le cœur (1 S 4,13) ou le fait fondre comme la cire (Jos 2,11 ; Ps
22,15), tandis que l’angoisse l’envahit (Ps 25,17) et le met sens dessus dessous (Dt
28,67 ; Lm 1,20). Il arrive que la colère affecte le cœur, comme lorsqu’un vengeur
poursuit un meurtrier « parce que son cœur s’est échauffé » (Dt 19,6). La haine
peut encore habiter le cœur : « Tu ne haïras pas ton frère dans ton cœur… » (Lv
2 D’où le parallèle entre « le cœur » et « les reins », autre endroit caché de l’anatomie désignant
aussi le plus secret de l’humain, que Dieu sonde (Jr 11,20 ; Ps 26,2), ainsi que l’usage figuré du mot,
« le cœur du ciel » (Dt 4,11) ou « le cœur des mers » (Jon 2,4, voir Ex 15,8).
3 Négativement, voir Gn 45,26 : le cœur de Jacob reste froid à l’annonce de ce que Joseph est
encore en vie : parce qu’il ne croit pas ses fils, il ne ressent aucune émotion, ne se réjouit pas.