LA PETITE HISTOIRE DU LASER TEA CO2*
par Jacques Beaulieu, O.C., G.O.Q., f.r.s.c.
ARTICLE DE FOND ( ... HISTOIRE DU LASER TEA CO2)
J. Beaulieu <bci@sympatico.ca>,2526 rue Chassé, Sainte-
Foy (QC), G1W 1L9
L'annonce de la découverte du laser en 1960, a révolutionné
le domaine de l'optique. Le premier laser à état solide (rubis) de
Maiman générait des impulsions lumineuses courtes et
cohérentes et fut bientôt suivi du laser à gaz HeNe produisant
une lumière continue. Les premiers intéressés par cette décou-
verte furent les militaires qui y voyaient un équivalent au radar
mais à plus haute résolution et y voy-
aient même une nouvelle arme de
grande précision. La première applica-
tion fut le développement d'un
télémètre optique de grande résolution
permettant de déterminer précisément
la distance des objets. Puis on a voulu
s'en servir pour pointer des cibles et
ainsi guider avec précision vers elles
des armes intelligentes. Les désavan-
tages pratiques étaient le risque de
dommage aux yeux des opérateurs et
les limitations imposées par les condi-
tions météorologiques.
Le Centre de Recherches pour la
Défense de Valcartier (CRDV; alors
connu comme le Canadian Armament
Research and Development Center -
CARDE) a dû partager ces intérêts mil-
itaires et a alors entrepris le projet RAPIDAIM, servant à
améliorer la précision de missiles anti-chars en ajoutant au
lanceur un laser permettant de mesurer la distance des cibles et
corriger la mire de visée pour tenir compte des effets de la
gravité dans la trajectoire du missile. Mais la première applica-
tion et celle préférée des utilisateurs était le télémètre laser pou-
vant mesurer la distance exacte à laquelle se situaient différents
objets, distances que les observateurs estimaient souvent diffi-
cilement. Mais à cause des dangers que ces nouvelles sources
pouvaient représenter pour les yeux des combattants, ces
télémètres furent classés comme 'armes dangereuses' ce qui en
restreignait fortement l'utilisation.
À cette époque, j'étais impliqué dans le développement de
spectromètres micro-ondes se servant de phénomènes quan-
tique tels que la saturation et les phénomènes transitoires reliés
au moment dipolaire des gaz. J'étais fasciné par les premiers
rapports relatant la découverte de phénomènes semblables
obtenus avec les impulsions laser. C'est ainsi qu'en 1962, je par-
tis pour Londres où j'entrepris des études de doctorat en
théorie de l'état solide, afin de mieux comprendre le fonction-
nement des lasers à cristaux tels que le laser à rubis, émettant
dans le visible, et les lasers au néodyme (1.06 mm) qui donnait
une radiation invisible.
De retour de Londres, j'observe que les scientifiques en optique
de Valcartier ne comprennent pas pourquoi en utilisant un
réflecteur 'rooftop' tronqué utilisé comme réflecteur avec une
faible transmission, on obtenait 2 faisceaux. J'ai immédiatement
fait le constat que ceci était un mode TEM01 bien connu dans
les résonateurs micro-ondes mais qui était inconnu des scien-
tifiques étudiant l'optique classique pour qui les ondes
cohérentes étaient un mystère. Le problème fut immédiatement
résolu en changeant de type de miroir. On me donna alors la
mission de former une section de recherche en Électro-optique ;
c'était en 1965. En même temps, Patel du Bell Lab annonce le
laser CO2. Ce laser à gaz qui opérait à une longueur d'onde sûre
pour les yeux, de bonne puissance
moyenne, de bonne pénétration de la
brume, pouvait être déclenché par la
méthode Q-Switch pour générer des
impulsions courtes et était d'une efficac-
ité énergétique beaucoup plus grande
que les lasers à cristaux. Une bonne par-
tie des chercheurs de la nouvelle section
se concentrèrent rapidement sur ces
lasers à gaz carbonique qui devint le
sujet prioritaire.
Une caractéristique des lasers CO2exis-
tant fut découverte expérimentalement.
La puissance du laser est proportion-
nelle à la longueur de la cavité plutôt
qu'à son diamètre. Un laser de 1 cm de
diamètre donnait la même puissance
qu'un laser de 10 cm de diamètre et de
même longueur ayant un volume cent
fois plus grand. Pour expliquer ceci, il fallait comprendre la
dynamique thermique qui voulait que le gaz excité demeure
efficace en autant que la température ne soit pas trop élevée, car
alors il était de plus en plus difficile d'obtenir une inversion de
populations. Le gain optique diminuait brusquement lorsque le
gaz dépassait une température critique. Ainsi lorsque le
diamètre du contenant augmentait, il fallait réduire la pression
des gaz et la puissance de la décharge électrique pour obtenir la
même température d'opération. La température des gaz
dépendait donc de la conductivité thermique qui dissipait l'én-
ergie de stimulation par les parois du tube contenant le gaz. On
pouvait augmenter la puissance en refroidissant les parois par
une circulation d'eau mais cet effet n'était pas très important.
On observa alors que la puissance moyenne obtenue était la
même avec une excitation continue ou une excitation intermit-
tente. Cependant, la puissance optimum était obtenue à une
pression plus élevée et une puissance d'excitation plus forte si
nous utilisions une excitation intermittente. Cette observation
avait été faite accidentellement. Comme les sources de courant
continu étaient rares et dispendieuses, j'avais décidé d'utiliser
des sources à courant rectifié obtenues avec des transformateurs
de haut voltage provenant des surplus d'équipements de nos
anciens travaux sur les radars. Un jour, une des diodes à haut
voltage sauta, ce qui limitait la rectification. La puissance laser
obtenue semblait inchangée mais la pression d'opération avait
augmenté. C'est en analysant la situation que le défaut fut
détecté. La conclusion fut que si on voulait avoir une puissance
pointe maximale (pour faire un radar optique), il était
préférable d'utiliser des décharges à impulsions courtes de
L'annonce de la découverte
du laser en 1960, a révolu-
tionné le domaine de l'op-
tique. La première applica-
tion fut le développement
d'un télémètre optique de
grande résolution permet-
tant de déterminer précisé-
ment la distance des objets.
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* An English version of this article will be available, by 31 January
2004, at http://www.cap.ca/pic/archives/60.1(2004)/source.html
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façon à allumer et éteindre le laser seulement pour la période
où on voulait extraire l'énergie laser. On pouvait ainsi aug-
menter la pression d'opération et la puissance pointe. L'autre
option était de faire circuler le gaz très rapidement de façon à
empêcher le réchauffement du gaz et permettre un meilleur
refroidissement par des échangeurs de chaleur hors de la
région laser. Cette deuxième option impliquait des souffleries à
très haute vitesse qui n'étaient pas compatibles avec les besoins
d'efficacité et de transportabilité des lasers pour des utilisations
militaires. Cependant pour des applications industrielles, cette
option pouvait devenir valable tel que démontré plusieurs
années plus tard par le COFFEE Laser (Carbon Oxide Fast
Flow Electrically Excited Laser).
Encore une fois, les équipements de radar furent mis en serv-
ice, utilisant des thyratrons pour produire des impulsions cour-
tes de courant intense et ainsi augmenter la puissance crête. Les
premiers résultats étaient très encourageants. La pression
d'opération augmentait ainsi que la puissance crête.
Malheureusement, le voltage requis pour stimuler le laser aug-
mentait aussi et nous avons rapidement atteint les limites des
voltages disponibles. Ceci se passait à l'été 1967. Deux ans plus
tard, on apprenait que la Défense américaine avait poursuivi
cette approche qualifiée de méthode brutale en mettant au
point un système de décharge à haut voltage (2 millions de
volts pour un laser d'un mètre). Ce procédé était des plus dan-
gereux. En effet, deux techniciens avaient été électrocutés par
cet appareil. Et ceci sans parler des problème d'interférences
électriques causée par ces décharges à très haut voltage.
Un des objectifs visés était de pousser la technologie de façon à
atteindre un pression d'opération égale à la pression atmo-
sphérique afin d'éviter le besoin d'avoir des pompes à vide
avec le laser. Nos calculs indiquaient qu'il faudrait produire
des impulsions électriques de l'ordre de 10 millions de Volt
pour atteindre notre but. Ces calculs furent confirmés plus tard
par l'expérience américaine.
C'est alors que le concept d'excitation transversale nous
apparut être la seule solution pouvant mener à des voltages
d'opération plus acceptables. L'idée fut jugée saugrenue par
plusieurs chercheurs. Comment pouvait-on penser obtenir une
décharge électrique uniforme entre deux électrodes ayant un
mètre de largeur et séparées de quelques centimètres, et en
plus à haute pression? Comme personne du groupe ne voulait
s'attaquer à ce problème, j'ai entrepris de faire moi-même ce
travail.
GÉOMÉTRIE TYPIQUE DE L'EXCITATION TRANS-
VERSALE
J'ai commencé par monter un banc d'essai à partir de gros
tuyaux de pyrex utilisés dans le département de chimie de
Valcartier. Deux électrodes en forme de tiges cylindriques
furent placées bien parallèles entre deux
miroirs (Fig. 1) et de me suis servi d'une
fenêtre de NaCl à l'intérieur du
résonateur pour minimiser les pertes tout
en me donnant une bonne flexibilité d'alignement au moyen
d'un miroir extérieur (Fig. 2). Un détecteur pyroélectrique fab-
riqué à Valcartier par Jean-Louis Lachambre était utilisé pour
mesurer l'énergie des impulsions. À basse pression, le laser
donnait de bonnes impulsions même si la section excitée faisait
moins de 25 cm de longueur. En augmentant la pression, le
voltage des stimulations aussi devait être augmenté. Puis,
lorsque la pression était assez élevée, la décharge électrique
changeait en un seul arc intense. La décharge diffuse et bien
distribuée le long des électrodes que nous obtenions lorsque la
pression était basse se transformait en un éclair brillant en un
ou deux points entre les limites des deux électrodes. Ce dernier
type de décharge ne produisait aucun effet laser.
Premier banc d'essai d'excitation transversale
La formation d'arcs intenses était considérée comme étant due
au fait que lorsqu'on a une décharge électrique dans un gaz à
pression suffisamment élevée, celle-ci génère en un point un
plasma de haute conductivité, créant une grande augmentation
du courant, entraînant une diminution du voltage de l'élec-
trode et interrompant le courant dans les autres régions de la
décharge ne laissant qu'un seul arc intense. Une première solu-
tion simpliste consistait à distribuer un grand nombre de résis-
tances le long d'une des électrodes de façon à limiter le courant
dans cette région et à conserver le voltage aux autres points de
l'électrode. On pouvait ainsi arrêter le procédé d'avalanche et
maintenir une décharge distribuée. Le Figure 3 illustre cette
différence dans la configuration des électrodes. Des résistances
de 1000 Ohms avaient été choisies de façon à ne pas trop dis-
siper d'énergie lors de l'excitation.
Modification du banc d'essai
Lors du premier test de cette configuration (fin janvier 1968), il
a été possible d'augmenter la pression des gaz à la pression
atmosphérique sans dépasser les limites de notre source de
haut voltage. Voulant prouver que le laser opérait bien à pres-
sion atmosphérique, j'ai alors décidé d'enlever la fenêtre de
NaCl qui était assez détériorée par l'humidité et pouvait causer
des pertes dans le résonateur optique. Le détecteur continuait à
enregistrer des impulsions laser même si les gaz atmo-
sphériques se mêlaient au gaz laser. Cependant les signaux
obtenus du détecteur avaient un aspect jamais observé aupara-
vant. En jetant un coup d'oeil sur le détecteur, je m'aperçus
qu'à chaque impulsion, il y avait un plasma brillant généré à la
surface du détecteur dont la partie centrale avait été complète-
ment évaporée.
J'avisai immédiatement le directeur de la division de la pro-
gression de mes travaux et il fut assez impressionné de voir l'é-
tat du détecteur endommagé. Ceci indiquait que la puissance
pointe de ce laser était très supérieure à celle d'un laser de
plusieurs mètres de longueur. Mais il fallait repenser les méth-
odes de mesure pour pouvoir vraiment évaluer ce laser.
Fig.1 Géométrie typique de l'excitation
transversale. Fig. 2 Premier banc d'essai d'excitation transver-
sale. Fig. 3 Modification du banc d'essai
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Mégawatt avec une cavité d'un mètre de longueur. Nous avions
atteint les conditions où la puissance est proportionnelle au
volume du laser. Cette technique fut baptisée " double décharge
". Nous avions pensé baptiser le laser DDT (Doubles Décharges
Transverses) mais comme à ce moment là l'insecticide DDT
commençait à avoir mauvaise réputation, le nom TEA
(Transverse Excitation Atmospheric pressure) fut choisi, étant
plus socialement acceptable.
En même temps, les recherches se poursuivaient pour étudier
les effets de différentes géométries telles que les électrodes héli-
coïdales pour créer un milieu amplificateur ayant un gain très
élevé au centre de la décharge et diminuant en s'éloignant du
centre. Ceci faisait une sélection naturelle du mode fondamental
du résonateur optique et produisait des impulsions laser ayant
la divergence la plus faible et lka brillance maximale. D'autres
configurations donnèrent de moins bonnes performances à
cause de problèmes de réfraction associés aux gradients ther-
miques apparaissant lors de la stimulation.
Comme la technique des lasers TEA CO2est basée sur le fait
que d'une impulsion à l'autre, le gaz devait pouvoir se refroidir,
le taux de répétition pour un laser scellé devait se limiter à
quelques impulsions par seconde pour permettre au gaz de se
refroidir entre les stimulations. Pour atteindre des taux de
répétition comparable à ceux des radars, il est nécessaire de
renouveler rapidement le gaz entre les électrodes. Vu la
géométrie typique de lasers à excitation transversale, un
déplacement des gaz perpendiculairement à l'axe du laser per-
met de déplacer très rapidement les gaz à travers la région de
stimulation du laser. Comme la pression est la pression atmo-
sphérique, un tel déplacement peut être obtenu facilement à
l'aide d'éventails simples et commercialement disponibles. On
peut aussi facilement refroidir les gaz en les passant à travers
un échangeur de chaleur refroidi à l'eau. Un premier prototype
d'évaluation de cette technologie a permis d'obtenir des taux de
répétition supérieur à 100 impulsions à la seconde. Un second
prototype fut alors mis en chantier incorporant un système de
soufflerie plus important visant des taux de répétition
supérieurs à 1000 impulsions à la seconde et une puissance
moyenne supérieure à 1 KiloWatt.
À l'été '69, vu l'évolution des travaux concernant ce type de
laser dans le monde, il fut décidé qu'il était temps de révéler
nos résultats. Mais il fallait alors s'assurer que nos découvertes
étaient protégées par des brevets. L'application de brevets en
France précéda de quelques semaines une application de brevet
de la Compagnie Générale d'Électricité de France qui présentait
un premier modèle d'excitation transverse.
L'annonce publique du laser TEA se fit en Janvier 1970 et la pre-
mière action fut d'inviter les compagnies intéressées à dévelop-
per sous licence ce type de laser à faire des propositions. Il y eut
un grand nombre de propositions venant principalement de
compagnies américaines. Mais deux compagnies canadiennes
furent sélectionnées : GenTec, une petite compagnie de Québec
qui était un contracteur du CRDV en équipements électron-
iques, et Lumonics d'Ottawa, une compagnie créée spécifique-
ment pour la commercialisation de ce laser. Des échanges d'in-
formations et de techniques furent aussi mis en place avec le
Laboratoire de Recherches en Optique et Laser (LROL) de
l'Université Laval, qui devint un partenaire naturel dans la
poursuite de la R&D sur les lasers et leurs applications.
Lorsque les détails du potentiel de ce nouveau type de laser se
sont répandus, plusieurs laboratoires de recherche ont été
intéressés à coopérer avec Valcartier et des coopérations actives
ont été créés avec le CNRC, IREQ et INRS-Énergie portant prin-
cipalement sur les applications à des problèmes spécifiques tels
la fusion nucléaire contrôlée, un programme canadien visant à
Comme la technique d'excitation transversale et la haute pres-
sion atmosphérique obtenue différait radicalement de tout ce
qui se faisait ailleurs, il fut décidé de garder le plus longtemps
possible le secret sur nos travaux dans ce domaine afin de pou-
voir raffiner nos techniques. Au début de '69, nous apprenions
que les forces aériennes de Grande Bretagne avaient décidé d'a-
bandonner l'idée d’un radar au laser CO2parce qu'ils avaient
calculé que pour obtenir des impulsions de puissance suff-
isante pour obtenir une bonne portée, il fallait avoir au moins
1 MWatt de puissance crête et qu'un laser d'une telle puissance
devait avoir un longueur d'au moins 200 mètres. On ne pouvait
pas contenir un tel laser dans le plus gros des avions alors
disponibles. À ce moment nous avions un laser de 10 MWatt
de puissance crête qui faisait moins d'un mètre de long. Nos
travaux demeurèrent secrets pendant près de deux ans.
Une fois la faisabilité du principe démontré, un deuxième pro-
totype de recherche fut dessiné en tenant compte du fait que
l'opération du laser se ferait à pression atmosphérique. Le con-
tenant de gaz n'ayant plus à être scellé pour supporter sans
fuites de basses pressions, un nouveau degré de liberté était
donc possible lors de la conception de ce prototype. Il fut donc
construit en contreplaqué parce que plus facile à usiner. Au
lieu d'une seule rangée de résistances, trois rangées furent util-
isées de façon à produire une section de décharges plus large.
N'ayant pas à supporter de différences de pression importante,
les miroirs du résonateur pouvaient être montés sur des mon-
tures de laboratoire classiques, ce qui facilitait l'enlignement de
ces miroirs. La longueur de ce prototype était de 48 pouces, (la
largeur d'une feuille de contreplaqué). Ce laser produisait des
impulsions de quelques Mégawatts, ce qui était amplement
suffisant pour des applications de télémètre ou de radar
optique. La qualité optique était suffisante pour produire un
claquage de l'air (plasma causé par l'ionisation des molécules
de l'air) lorsque focalisé avec une lentille de moins de 10 cm de
longueur focale.
Un autre avantage inattendu de la technique d'excitation trans-
versale était que ce laser s'auto déclenchait (self Q-switching).
La stimulation était suffisamment courte pour que le laser
atteignat son maximum de gain dans un temps plus court qu'il
n'en fallait pour construire l'énergie laser dans le résonateur
optique. Ainsi on obtenait une impulsion géante sans avoir
recours à des systèmes optiques impliquant des miroirs oscil-
lant ou des cellules d'absorbants saturables. De plus, la pres-
sion étant élevée, les bandes d'amplification lumineuse sont
plus larges, permettant une amplification plus rapide des sig-
naux. Les impulsions géantes des lasers à pression atmo-
sphérique étaient encore plus courtes que ce qui pouvait être
obtenu avec les lasers à basse pression utilisant des modula-
tions optiques du résonateur.
C'est alors que commença la recherche pour l'optimisation de
la structure électronique de la stimulation électrique. Plusieurs
méthodes pour contrôler l'uniformité de la stimulation élec-
trique furent éprouvées. Le premier objectif était de se débar-
rasser des résistances qui réduisaient l'efficacité totale du laser.
Une méthode consistait à employer des aiguilles au lieu des
résistances. En prenant soin de diminuer l'inductance dans le
circuit de décharge, c'était l'inductance des aiguilles qui stabili-
saient la décharge. Mais la méthode qui finalement apparut la
meilleure était basée sur le principe des éclateurs électriques
déclenchés (triggered spark-gap). Une première petite décharge
électrique est utilisée pour créer une ionisation du gaz qui se
diffuse uniformément entre deux électrodes avant d'appliquer
la décharge principale, qui alors produit une décharge diffuse
de grande dimension et de faible impédance. Par cette tech-
nique des décharges uniformes de section 10x10 cm furent
obtenues produisant des impulsions de plusieurs centaines de
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explorer la possibilité de réacteurs à fusion nucléaire sans
risque d'accidents radioactifs. C'était le premier problème sans
connotations militaires pour les scientifiques de Valcartier.
Tous les participants bénéficièrent des contacts et échanges
avec des chercheurs d'autres domaines.
En '71, comme le démarrage industriel était lent, je pris congé
de Valcartier pour devenir directeur de la R&D chez GenTec.
Comme Lumonics se concentrait sur les équipements de labo-
ratoire (lasers de grande puissance à faible taux de répétition),
le travail à GenTec se focalisait sur les lasers industriels (à haut
taux de répétition) et ses applications. GenTec fit aussi des
recherches sur le développement de lasers TEA à impulsions
longues, plus compatibles avec les applications en usinage de
matériaux. Cette fois, il fallait combattre l'effet d'auto
déclenchement, ce qui fut obtenu en utilisant la dynamique de
transfert d'énergie de rotation entre l'azote et le CO2.
Normalement ces deux gaz étaient utilisés dans des propor-
tions presque égales. En augmentant le ratio de N2à CO2, la
décharge électrique excitait principalement les vibrations de l'a-
zote qui agissait comme réservoir d'énergie pour le CO2et per-
mettait de re-exciter les molécules de CO2qui avaient donné
leur énergie au champ laser. On pouvait ainsi augmenter la
longueur des impulsions par un facteur de près de 1000.
GenTec mit aussi au point une nouvelle famille de détecteurs
d'énergie laser basée sur les modèles des détecteurs pyroélec-
triques développés par Valcartier, dont la mise en marché
s'avéra immédiatement rentable vu l'absence totale de compéti-
tion dans ce domaine.
Du coté des applications industrielles, un système de balance-
ment dynamique des gyroscopes fut développé et les premiers
tests ont démontré une bonne performance. Cependant, le laser
tombait souvent en panne par suite de l'élimination de protec-
tions de sécurité par le département de productions de GenTec
(pour faire des économies et sans autorisation de la direction
de la R&D). Un prototype de laser à haut taux de répétition fut
démontré à la conférence internationale 'Quantum Electronics
Conference' du printemps '73 et remporta un grand succès. Des
travaux sur l'utilisation du laser pour graver des objets durent
être interrompus faute de support financier de la direction. Je
retournai à Valcartier au début de '74. La compagnie avait déjà
remercié deux des meilleurs chercheurs qui manifestaient leur
désaccord avec l'administration. Après mon départ, la compag-
nie diminua considérablement ses efforts en R&D. Après la
vente de la compagnie quelques années plus tard, la compag-
nie laissa tomber complètement les lasers pour ne conserver
que les détecteurs d'énergie dont le développement était com-
plet et qui faisaient partie de la ligne de production. En '76, il
ne restait plus un seul membre de l'équipe créée en '71.
Lumonics devenait le seul licencié de la technologie de
Valcartier.
Durant ce temps, les travaux de Valcartier se portaient sur la
mise au point de prototype de lasers de grande puissance pour
en déterminer les limites pratiques. En parallèle, la technique
d'excitation transversale était appliquée à l'étude de lasers
chimiques, l'excitation électrique étant utilisée pour amorcer
des réactions chimiques menant à l'inversion de population des
nivaux énergétiques propres à l'amplification de la lumière.
Ces nouveaux lasers avaient la propriété de produire des radia-
tions dans la bande de 3 à 5 mm où la propagation atmo-
sphérique est meilleure qu'à 10.6 mm en temps chaud et
humide. Un point à noter est que ce laser chimique produisait
plus d'énergie laser que l'énergie électrique requise pour
déclencher la réaction chimique. Après la mise au point d'un
premier prototype, Valcartier s'engage avec Lumonics dans le
développement d'un laser DF à hauts taux de répétition et avec
récupération des produits chimiques toxiques. Le premier
modèle fut mis en marche en '76 et la version finale fut com-
plétée en '81 et analysée à Valcartier.
À la fin des années '70, Lumonics poursuivit les travaux initiés
à GenTec en vue de l'utilisation du laser CO2TEA pour le
marquage industriel. Une première application pour l'identifi-
cation des bouteilles de Coke résultat en un marché massif
pour l'industrie de produits de consommation commerciale.
Lumonics a du alors faire face aux problèmes d'une croissance
très rapide. Cette technique fut ensuite appliquée à plusieurs
autres produits comme le marquage des puces électroniques.
Suite au développement de lasers chimiques avec Valcartier, la
compagnie développa la technologie d'excitation transverse
pour les lasers " excimer " (opérant dans l'ultraviolet) ayant
plusieurs applications médicales et chimiques. En même temps,
la compagnie absorbe quelques petites entreprises de pointe
dans d'autres domaines des lasers, ce qui permit de diversifier
les produits offerts. Lumonics devint ainsi un des plus grands
manufacturiers au monde dans le domaine des lasers.
Un autre développement de la technologie des lasers à excita-
tion transversale est la mise au point de lasers opérant à 10 fois
la pression atmosphérique. Ce travail s'est fait au CNRC avec la
collaboration de Lumonics. L'objectif de ce travail était d'opérer
le laser CO2à une pression assez élevée pour que les raies de
gain, élargies par la haute pression, deviennent suffisamment
larges pour se joindre et ainsi former une bande d'amplification
de plus de 0.5 mm (de 10.2 à 10.75mm) requis pour l'amplifica-
tion d'impulsions courtes de l'ordre de la picoseconde.
À partir des années '80, les domaines les plus actifs en électro-
optique évoluèrent rapidement suite à la mise au point de
diodes laser et de la fibre optique. La révolution de l'informa-
tion commença à se transformer avec l'apparition des petits
ordinateurs à haute performance et l'accessibilité à Internet.
L'intérêt pour les lasers tels que le CO2diminua considérable-
ment parce qu'il n'y avait pas de fibre optique pour cette
grande longueur d'onde.
Du coté militaire, l'intérêt pour les lasers CO2diminua aussi
pour se concentrer sur les systèmes passifs d'imagerie visible et
infra-rouge. Avec la possibilité de localiser précisément la posi-
tion de senseurs avec le GPS et les nouvelles techniques de
traitement des images couplées à la disponibilité de cartes géo-
graphiques tridimensionnelles, la distance d'objets peut être
évaluée par traitement des images, ce qui diminue le besoin de
mesurer précisément les distances. Le développement de la
technique de radar à ouverture synthétique (SAR) permet
d'obtenir des images à très haute résolution égalant celles des
radars au laser sans être appréciablement influencé par les con-
ditions météorologiques. Cette technique réduit considérable-
ment l'intérêt pour les radars au laser et les lasers visibles
reprennent de l'importance pour les applications sous-marines
où le radar ne peut pas pénétrer. Mais ça, c'est une autre his-
toire!
Le laser TEA CO2est maintenant appliqué principalement à
des fins industrielles bien différentes des objectifs initiaux qui
ont mené à son développement. Mais les plus grandes
retombées du développement de ce laser a été la croissance
phénoménale de l'optique et de la photonique dans la région
de Québec. Le Centre de Recherche pour la Défense de
Valcartier renforça le développement de la recherche en
optique à l'Université Laval et ces deux entités entraînèrent la
création de l'Institut National d'Optique (INO). Tous ces
joueurs ont joué un rôle déterminant dans la formation d'un
grand nombre d'industries de haute technologie dans ce
domaine.
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