2- Le commandement Le commandement s’exerce à deux niveaux : à l’échelon supérieur, le commandement des unités est confié à des sénateurs (légions) et des chevaliers (unités auxiliaires), dont l’activité militaire est une des compétences ; à l’échelon subalterne, dans les unités, il est exercé par des militaires de carrière. Au niveau supérieur : Les légions sont commandées par des légats, qui sont des sénateurs prétoriens, c’est-à-dire ayant occupé auparavant la préture, mais pas encore consuls (pendant 2 ou 3 ans). Ils sont assistés par six tribuns (un laticlave, qui est un futur sénateur, et 5 angusticlaves, qui sont des chevaliers). Il ne faut pas oublier le préfet de camp, qui est soit un ancien centurion primipile, et donc entré dans l’ordre équestre, soit un chevalier ayant accompli les trois tribunats de cohorte à Rome (vigiles, urbaine, prétorienne). Il appartient à l’état-major de la légion et est en charge de la construction du camp et de la conduite des sièges. Les unités auxiliaires sont commandées exclusivement par des chevaliers à dater du règne de Claude. Il en va de même pour les troupes de la garnison de Rome, pour les flottes, et pour l’armée d’Égypte, où les légions sont commandées par des préfets équestres, le territoire étant interdit aux sénateurs. Au début de l’Empire, les choses étaient moins nettes : de futurs sénateurs se rencontraient comme préfets d’aile, et des centurions, comme des chefs indigènes, pouvaient être préfets de cohorte. Leur - long (3x3ans en théorie) - service militaire, les trois milices équestres (tres militia) s’établissait ainsi : - d’abord préfecture de cohorte (infanterie) quingénaire (500 hommes) ; - puis tribunat angusticlave de légion ou tribunat de cohorte de citoyens romains (en effet, certaines unités auxiliaire étaient composées de citoyens romains comme nous l’avons vu ; cf. document complémentaire 1) ; - enfin préfecture d’aile (cavalerie) quingénaire (500 hommes). Ce service militaire donnait au jeune chevalier une très grande expérience militaire et administrative, dans la mesure où les officiers équestres avaient aussi des responsabilités de cet ordre. DOC. COMPLEMENTAIRE 1 Diplôme militaire pour des cavaliers et des fantassins ayant servi en Maurétanie Tingitane (156-157 apr. J.-C.) L’empereur César Auguste, fils du divin Hadrien, petit-fils du divin Trajan, vainqueur des Parthes, arrière-petit-fils du divin Nerva, Titus Aelius Hadrien Antonin le Pieux, souverain pontife, revêtu de la puissance tribunicienne pour la XXe fois, deux fois acclamé imperator, consul pour la IVe fois, père de la patrie, aux cavaliers et aux fantassins qui ont servi dans les cinq ailes qui sont appelées Ière Auguste de Gaulois, Gemelliana de citoyens romains, Tauriana victorieuse, IIIe d’Astures et Ière d’archers Hamiens de Syrie, et à ceux qui ont servi dans les onze cohortes qui sont appelées Ière d’Ituréens citoyens romains, Ve de Dalmates citoyens romains, IIe d’Espagnols Vascons, IVe de Gaulois, Ière d’Astures et Callaeciens, IIe d’archers Syriens, IIIe d’Astures, IIe d’Espagnols citoyens romains, Ière de Lemavi, IIIe de Gaulois heureuse et IVe de Tongres, en détachement, et qui se trouvent en Maurétanie Tingitane aux ordres du procurateur Varius Priscus, qui ont servi pendant vingt-cinq ans et qui ont été libérés avec un congé honorable, dont les noms sont inscrits ci-dessous, leur a donné la citoyenneté romaine (suit une longue liste de noms). IAM II, 242 Au niveau inférieur : Le commandement est confié aux centurions. En règle générale, on en compte environ 60 dans chaque légion. Ils commandent des centuries composées donc d'environ 90 légionnaires. Leur hiérarchie est très précisément fixée. Dans chaque cohorte, il y a six centurions, répartis en premier rang (priores) et deuxième rang (posteriores). Le premier centurion (pilus prior) de la cohorte a autorité sur sa centurie et sa cohorte. Il n’y a pas de hiérarchie entre les centurions des cohortes II à X, mais l’accès à la Ière cohorte (primus ordo) constitue une promotion. Le premier centurion de la première cohorte, appelé le primipile (cf. document complémentaire 2), assiste aux réunions d’état-major. Il peut y avoir d’autres primipiles dans la légion, qui exercent quant à eux des fonctions administratives ou des commandements spéciaux. Etre centurion primipile pour la seconde fois est une charge qui ouvre l’accès à l’ordre équestre. DOC. COMPLEMENTAIRE 2 Dédicace d’une statue à Némésis par un primipile À la déesse Némésis, cette statue est offerte par Quintus Refius Mansuetus, centurion primipile de la légion XIVe Gemina. AE 1898, 29 S’agissant de l’origine sociale de ces militaires, il faut éviter de schématiser en opposant les officiers supérieurs, issus de l’ordre sénatorial et de l’ordre équestre, à des centurions qui seraient sortis du rang ou de milieux modestes. Sur un total d’environ 2000 centurions simultanément en activité, il y avait en fait deux profils différents. Les centurions sortis du rang, qui n’accédaient à ce grade qu’après de longues années de service, parfois 15 ou 20 ans. De fait, leur carrière dans ce poste était par conséquent assez courte et cantonnée aux centurionats subalternes (cf. le cas de Petronius Fortunatus, ILS 2658). D’autres y accédaient plus rapidement, et ils menaient une longue carrière d’une dizaine de centurionats successifs, voire plus, dans des légions différentes, avant de prétendre accéder à la première cohorte, et plus encore rarement au primipilat. Dans cette catégorie, les anciens soldats du Prétoire et les cavaliers de la Garde impériale (les equites singulares) étaient privilégiés (cf. l'inscription de Tarragona CIL, II, 4147 ; début du IIIe s. pC). DOC. COMPLEMENTAIRE 3 Les privilèges de Marcus Aurelius Lucilius M(arco) Aur(elio) M(arci) f(ilio) Pap(iria) Lucilio Poetovion(e) / ex singularib(us) Imp(eratoris) |(centurioni) leg(ionis) I / Adiut(ricis) leg(ionis) II Tr(aianae) leg(ionis) VIII Aug(ustae) / leg(ionis) XIIII Gem(inae) leg(ionis) VII Cl(audiae) / leg(ionis) VII Gem(inae) III(tertio) hast(ato) pr(iori) / annorum LX sti/pendiorum XXXX / Ulpia Iuventina / uxor et heres ma/rito pientissimo / et indulgentissi/mo faciend(um) curavit. CIL, II, 4147 DOC. COMPLEMENTAIRE 4 La carrière d’un centurion honoré à Abella, en Campanie. À Numerius Marcius Plaetorius Celer, fils de Numerius, inscrit dans la tribu Galeria, questeur, duumvir, centurion de la légion VIIe Gemina, centurion de la légion XVIe Flavia Firma, honoré de récompenses militaires par le divin Trajan au cours de la guerre contre les Parthes, d’une couronne murale, de colliers, de bracelets et de phalères, centurion de la légion IIe Gallica, centurion de la légion XIVe Gemina Martia victorieuse, centurion de la légion VIIe Claudienne pieuse et fidèle, centurion de la légion Ière Adiutrix pieuse et fidèle, primipile de la même légion, commandant des numeri campant dans le Pont, à Absar, tribun de la IIIe cohorte des vigiles, patron de la colonie. Monument placé par décret des décurions. ILS, 2024 Les centurions issus des catégories supérieures, chevaliers romains ou fils de chevaliers, notables municipaux ou fils de notables, voire des fils de centurions, pouvaient devenir directement centurions ou y accéder rapidement après leur engagement. Leur carrière était plus rapide et leur permettait d’accéder à la Ière cohorte et au primipilat, et de là, éventuellement, à des postes équestres (CIL, VI, 1627). Dans l’armée, comme ailleurs dans la société romaine, la naissance et les protections étaient déterminantes dans les carrières. Plus on est issu d’un milieu élevé et plus on avance vite et loin. DOC. COMPLEMENTAIRE 5 Quelles troupes pour l’Empire ? (23 apr. J.-C.) Le prince (= Tibère) remit en avant le projet tant de fois annoncé et toujours feint de visiter les provinces. Il prétexta le grand nombre des vétérans et les levées à faire pour compléter les armées ; ajoutant que les enrôlements volontaires manquaient, ou ne donnaient que des soldats sans courage et sans discipline, parce qu’il ne se présentait guère pour servir que des indigents et des vagabonds. Il fit à ce sujet l’énumération rapide des légions et des provinces qu’elles avaient à défendre. Je crois à propos de dire aussi ce que Rome avait alors de forces militaires, quels rois étaient ses alliés, et combien l’empire était moins étendu qu’aujourd’hui. 5. Deux flottes, l’une à Misène, l’autre à Ravenne, protégeaient l’Italie sur l’une et l’autre mer ; et des galères qu’Auguste avait prises à la bataille d’Actium et envoyées à Fréjus gardaient, avec de bons équipages, la partie des Gaules la plus rapprochée. Mais la principale force était sur le Rhin, d’où elle contenait également les Germains et les Gaulois ; elle se composait de huit légions. Trois légions occupaient l’Espagne, dont on n’avait que depuis peu achevé la conquête. Juba régnait sur la Mauritanie, présent du peuple romain. Le reste de l’Afrique était gardé par deux légions, l’Égypte par deux autres ; quatre suffisaient pour tenir en respect les vastes contrées qui, à partir de la Syrie, s’étendent jusqu’à l’Euphrate et confinent à l’Albanie, à l’Ibérie, et à d’autres royaumes dont la grandeur romaine protège l’indépendance. La Thrace était sous les lois de Rhoimétalcès et des enfants de Cotys. Deux légions en Pannonie, deux en Mésie, défendaient la rive du Danube. Deux autres, placées en Dalmatie, se trouvaient, par la position de cette province, en seconde ligne des précédentes, et assez près de l’Italie pour voler à son secours dans un danger soudain. Rome avait d’ailleurs ses troupes particulières, trois cohortes urbaines et neuf prétoriennes, levées en général dans l’Étrurie, l’Ombrie, le vieux Latium, et dans les plus anciennes colonies romaines. Il faut ajouter les flottes alliées, les ailes et les cohortes auxiliaires, distribuées selon le besoin et la convenance des provinces. Ces forces étaient presque égales aux premières; mais le détail en serait incertain, puisque, suivant les circonstances, elles passaient d’un lieu dans un autre, augmentaient ou diminuaient de nombre. Tacite, Annales, IV, 4-5