Directeur de la publication : Edwy Plenel
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important entre une perspective libérale centrée sur
le droit et une perspective culturaliste-populiste. Le
débat intérieur est très virulent, les propos contre
l’islam sont bien plus extrêmes que ceux qu’on peut
entendre en Europe, mais le droit est résolument du
côté des musulmans. Quand les musulmans saisissent
les tribunaux pour faire valoir leurs droits à construire
une mosquée par exemple, ils gagnent la plupart
du temps. On ne plaisante pas avec le premier
amendement aux États-Unis.
En politique étrangère, l’écart entre le discours libéral
des droits et un discours culturaliste sur le monde
musulman est bien moindre. Un symbole important
de cette convergence est l’International Religious
Freedom Act, voté en 1998, et qui a été soutenu
par une coalition iconoclaste de défenseurs des droits
de l’homme et de lobbys évangéliques. Le « monde
musulman » est pour les partisans de l’IRFA une cible
de choix, dans la mesure où il apparaît comme une
zone culturelle qui serait « naturellement » hostile
à l’idée de liberté religieuse, que les États-Unis se
doivent donc d’exporter.
Comment est-on passé du thème de l’endiguement
de l’islam radical ou du choc des civilisations
à celui de l’engagement ou du dialogue avec les
communautés religieuses, notamment dans
les discours des think tanks ?
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Dès 2004, des think tanks libéraux ou des centres
tels que Brookings Institution et Council on Foreign
relations ont élaboré des paradigmes comme ceux
de « dialogue », « engagement », « pont », pour
contrecarrer le thème du choc des civilisations. Mais
au-delà des différences rhétoriques, les présupposés
réalistes de la défense des intérêts américains (accès au
pétrole et lien avec Israël) et de la stabilité de la région
restent inchangés. En définitive, ces paradigmes, du
fait de leur caractère vague et indéterminé, permettent
avant tout de rationaliser le maintien du statu quo.
L’idée d’endiguer l’islam radical, et de
s’appuyer, pour cela, sur ceux que l’on définit
comme des « bons musulmans », a-t-elle été
calquée sur le modèle de la guerre froide ?
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Cette distinction est largement inspirée de la guerre
froide. Les stratèges et experts de l’establishment de la
politique étrangère ne s’en cachent pas. Un rapport de
la Rand comparait ainsi les musulmans modérés aux
socialistes anti-communistes pendant la guerre froide.
Mais cette distinction se fonde aussi sur un ancien
présupposé orientaliste selon lequel il ne peut y avoir
de champ politique autonome du champ religieux dans
les pays à majorité musulmane.
Les idées de « dialogue » et « d’engagement »
paraissent moins agressives que l’endiguement,
mais reposent souvent aussi sur un préjugé
culturaliste, une vision qui fait de l’islam une
culture politique distincte, essentiellement
influencée par la religion : les
États-Unis se situent-ils majoritairement sur cette
position ?
L’establishment de politique étrangère a toujours
oscillé entre deux points de vue, s’agissant du
monde musulman : l’islam est tout, et l’islam n’est
rien. Soit on considère qu’il faut négocier de façon
spécifique avec les acteurs de cette région parce qu’ils
penseraient en quelque sorte autrement que les acteurs
occidentaux. Soit au contraire on fait comme si le
facteur religieux n’avait aucune pertinence, et on parle
uniquement de pauvreté, éducation, etc.
Le problème de ces deux visions est qu’elles
sont également idéalistes, englobantes, et qu’elles
s’évertuent à voir le « monde musulman » comme
une « région » homogène. Cela n’a pas de sens de
définir un modèle unique de géostratégie du monde
musulman, puisqu’il n’y a pas de monde musulman, au
sens d’une entité culturelle unie, définie par les mêmes
intérêts stratégiques (Iran et Arabie saoudite, Syrie,
pays du Golfe…).
L’accession à la présidence des républicains
impliquerait-elle un