La recherche multidisciplinaire en environnement: le point de vue des sciences de l'atmosphère La recherche multidisciplinaire en environnement: le point de vue des sciences de l'atmosphère Pierre Gauthier, Directeur du Centre ESCER Département des sciences de la terre et de l'atmosphère UQAM, Montréal (Québec), Canada La recherche en sciences de l'atmosphère s'étend de plus en plus à ce que l'on appelle le système Terre qui englobe les interactions entre l'atmosphère, les océans, la surface terrestre. L'approche repose en bonne partie sur d'une part la modélisation numérique et d'autre part son observation via un réseau global d'observations comprenant une grande variété d'instruments au sol mais également sur des instruments embarqués sur des plateformes satellitaires. La modélisation numérique inclut notre compréhension des différents processus physiques, chimiques et même biologiques et leurs interactions. Ces modèles sont ensuite validés en comparant l'atmosphère simulé aux observations recueillies quotidiennement par le réseau global d'observations. Dans le cadre de l'étude du système Terre, ce système est d'une grande complexité et nécessite une très grande capacité de calcul informatique pour simuler son évolution sur des périodes de temps allant de l'immédiat jusqu'à des périodes de temps de cent ans ou même plus pour l'étude de l'évolution du climat. Ces modèles sont développés en collaboration très étroite de scientifiques en physique de l'atmosphère, chimie atmosphérique, océanographie, hydrologie, géographie, mathématiques ainsi que des spécialistes en informatique du calcul à haute performance. Les avancées dans notre domaine sont souvent attribuables à des avancées dans l'un ou l'autre de ces domaines de recherche. En soi, la recherche en sciences de l'atmosphère incluant la modélisation climatique et la prévision environnementale est multidisciplinaire et les étudiants formés dans ce domaine développent une expertise pointue sur l'une ou l'autre des disciplines concernées complémentée par un apprentissage du travail en équipe nécessaire pour leurs projets de recherche. Toutefois, pour s'insérer dans de telles équipes, chaque participant doit apporter une expertise spécifique et particulière et sa formation se doit d'inclure une formation solide de spécialisation. Une équipe multidisciplinaire est donc composée de personnes ayant une spécialisation. Les modèles couplés introduisent de nouvelles difficultés qui nécessitent une collaboration étroite entre chercheurs de domaines distincts. Les études récentes sur la modélisation du climat indiquent la nécessité de prendre en compte les interactions entre l'atmosphère et l'océan incluant, par exemple, la biologie marine pour l'absorption du carbone par les océans. Notre compréhension d'un système de cette complexité nécessite une collaboration multidisciplinaire entre scientifiques de différents horizons. Ceci résume brièvement la compréhension et la réalité de l'interdisciplinarité pour la recherche en sciences de l'atmosphère. Pour plusieurs, le travail de recherche demeure un travail de spécialisation avec peu d'interactions quotidiennes avec d'autres disciplines. Ce travail demeure néanmoins central et important pour la qualité et la fiabilité des simulations atmosphériques sur laquelle s’appuient les nombreuses études en impact et adaptation par exemple. -­‐1-­‐ La recherche multidisciplinaire en environnement: le point de vue des sciences de l'atmosphère PERMETTRE UN PARTAGE SUR LE MODE SOUHAITABLE D’INTERDISCIPLINARITÉ Les sciences de l’atmosphère s’appliquent à la prévision météorologique, à l’étude de l’évolution du climat ainsi qu’à la prévision environnementale. L’Organisation Mondiale de la Météorologie (OMM) relève de l’ONU et sa mission “consiste à ‘assumer le rôle de chef de file au niveau mondial en matière d’expertise et de coopération internationale dans les domaines du temps, du climat, de l’eau ainsi que pour toutes les questions environnementales connexes et, par là même, de contribuer à la sécurité et au bien-être des peuples du monde entier et à la prospérité économique de toutes les nations.” (http://www.wmo.int/pages/about/mission_fr.html) L’OMM encourage de grandes initiatives internationales visant à améliorer notre compréhension de l’atmosphère. Ce programme de recherche vise toutes les composantes sur lesquelles on doit progresser pour être en mesure d’améliorer notre capacité à anticiper les changements dans le système atmosphère-eau-sol-océans et permettre d’affronter les conséquences que ces changements peuvent avoir sur notre monde. Ceci inclut également la recherche sur les applications socio-économiques. D’ailleurs le Groupe International sur l’Etude du Climat comprend trois groupes de travail dont l’un porte sur les fondements scientifiques et physiques qui s’intéresse à évaluer les éléments scientifiques permettant d’appréhender l’évolution du climat en incluant une évaluation de l’incertitude. Une méthodologie rigoureuse encadre ces études dont les résultats servent de point de départ aux travaux du deuxième groupe de travail qui lui se penche sur les études d’impact et d’adaptation. Les conclusions de ces études dépendent de l’information sur laquelle elles se fondent. La rigueur des études sur l’évolution du climat est essentielle. Plus près de nous, un lien étroit unit le Centre ESCER au Consortium Ouranos pour lequel nos travaux de recherche en sciences de l’atmosphère contribuent à améliorer la qualité des simulations climatiques qui sous-tendent les études d’impact et adaptation pour le compte d’organismes publics. Ces études sont particulièrement importantes pour l’aménagement du territoire par exemple ou encore, aider à la planification des développements hydro-électriques et éoliens. La conclusion à retenir de ces quelques exemples est que les études environnementales de cette nature exigent un programme de recherche et développement d’envergure auxquels nous contribuons principalement par notre connaissance du système physique de l’environnement. Ceci nous amène à collaborer avec des domaines comme la biologie en prévision environnementale. Des travaux récents ont montré qu’une collaboration étroite entre biologistes et la modélisation atmosphérique trouvent des applications menant à une meilleure compréhension des écosystèmes ou encore la propagation de maladies comme la méningite en Afrique. Des produits plus pointus en prévision météorologique probabiliste trouvent une utilité dans les modèles actuariels des compagnies de réassurances. Le Centre ESCER cherche d’ailleurs à établir des collaborations avec le groupe d’actuariat de l’UQAM et le département des sciences biologiques. -­‐2-­‐ La recherche multidisciplinaire en environnement: le point de vue des sciences de l'atmosphère EXAMINER COMMENT AUGMENTER LA PARTICIPATION DES PROFESSEURES, PROFESSEURS EN SCIENCES DE L’ENVIRONNEMENT Au sens de ce qui a été présenté plus haut, nous croyons que nos activités sont déjà entièrement reliées aux sciences environnementales. Par contre, l’information que nous générons ainsi que nos méthodologies pourraient être utiles dans d’autres champs d’application. Les exemples sont nombreux et ne sont pas une vue de l’esprit. Le modèle du GIEC en est un exemple. Les sciences de l’environnement à l’UQAM se sont éloignées de la conception admise par la communauté météorologique et de la physique de l’atmosphère telle que décrite par l’OMM par exemple. Nos collaborations interdisciplinaires existent déjà parfois à l’intérieur de l’UQAM (e.g., projet FACE avec Bernard Motukovsky de l’ESG) ou à l’extérieur avec Ouranos, Environnement Canada, l’Agence Spatiale Canadienne et d'autres organismes nationaux ou internationaux. Un forum de conférences à l’UQAM axées sur l’environnement pourraient permettre aux gens de voir des exemples de telles collaborations. J’ai personnellement invité des conférenciers au Centre ESCER pour présenter comment s’étaient construits de tels projets très concrets. Une invitation a été transmise aux groupes de la Faculté des Sciences intéressés par ces questions. Par contre, certaines visions de l’environnement sont très éloignées de nos préoccupations et sont même démotivantes. Les discussions généralistes ne nous rejoignent aucunement et sont en fait contraire à l’idéal que nous souhaiterions : une formation permettant à des experts dans différents domaines de travailler en collaboration étroite. Ces collaborations ne peuvent fonctionner que si chacun des membres apporte une expertise au projet. Une équipe de généralistes n’est pas souhaitable pour mener à bien des projets comme ceux dans lesquels nous sommes impliqués. QUESTIONNER LE STATUT ET LES MODES DE RATTACHEMENT DES PROGRAMMES EN SCIENCES DE L’ENVIRONNEMENT; Nos étudiants doivent acquérir une formation scientifique solide en physique et mathématique entre autres. Un baccalauréat en environnement est de notre point de vue inapproprié. Notre programme en sciences de l’atmosphère accueille en maitrise et au doctorat des gradués de physique pour la plupart qui ont de bonnes bases en physique et mathématique mais aucunes connaissances en sciences de l’atmosphère. Leur première année comprend une série de cours qui leur permettent d’acquérir des connaissances de base nécessaires pour entreprendre leur recherche de maitrise ou doctorat. Depuis quelques années, nous avons un programme de doctorat en sciences de la terre et de l’atmosphère mais auparavant, nos étudiants s’inscrivaient au programme de doctorat en sciences de l’environnement. Ces étudiants n’ont pas particulièrement apprécié les cours de ce programme essentiellement à cause de sa superficialité. Il apparait difficile voire impossible d’avoir un programme unique qui satisferait les attentes de tous en environnement. Il est clair qu’il faudrait avoir plusieurs branches distinctes mais ces branches risquent fort d’être rattachées de manière très ténue à un même tronc. Sans avoir fait un examen de tous les programmes en sciences de l’environnement qui existent, il me semble à première vue que chaque programme a fait des choix pour que l’universalité ne se fasse pas aux dépens de la rigueur et la qualité de la formation. Si le programme actuel devait être maintenu, il nous apparait impératif que ceci ne nuise en rien à l’éclosion des sciences naturelles de l’environnement. -­‐3-­‐ La recherche multidisciplinaire en environnement: le point de vue des sciences de l'atmosphère PROPOSER À TERME UNE FORME D’ORGANISATION POUR LES SCIENCES DE L’ENVIRONNEMENT À L’UQAM. Etant donné les intérêts divergents en termes de recherche et formation, il nous apparait souhaitable d’avoir des programmes distincts pour les aspects sciences sociales et un programme axé sur les sciences naturelles de l’environnement. Ce dernier programme pourrait débuter en encourageant des projets de recherche interdisciplinaires. Une équipe de deux étudiants gradués et de leurs directeurs de recherche dans des domaines différents pourraient très bien mener un projet de recherche conjoint en se complétant l’un l’autre. Apprendre à des experts de domaines différents à travailler ensemble serait l’objectif visé ici. Tel que mentionné plus haut des projets conjoints avec les sciences biologiques ou actuarielles très intéressants pourraient en émerger dès maintenant. Des projets plus spécifiques pourraient être envisagés avec des domaines autres que ceux de la Faculté des Sciences. Mais il faudrait avancer lentement dans cette direction car à mon avis, il faut bâtir des projets sérieux qui vont soutenir le test de l’évaluation par les pairs. Je reviens au cas du GIEC où le groupe en impact et adaptation ne comprend que peu ou pas de gens des sciences naturelles. Par contre, ce groupe peut compter sur l'expertise du groupe de travail sur les fondements scientifiques et physiques. -­‐4-­‐