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Musulmans de Belgique : une brève histoire du temps présent
La présence des musulmans en Belgique commence avant les années soixante. Ces
dernières sont habituellement reconnues comme décennie la plus significative, en lien à l’arrivée
importante de musulmans. On note pourtant que, dès 1928, un rapport statistique du consul turc
établi à Anvers recense un peu moins de six milles individus provenant du monde musulman : ils
représentent moins d’un pourcent de la population totale du pays, alors estimée à moins de huit
millions de personnes1. Au-delà de son caractère anecdotique, ce comptage pose des jalons
tangibles pour une genèse de l’islam belge sachant qu’une présence musulmane est ensuite
conjoncturellement signifiée lors de la guerre de 1940, liée au passage de troupes françaises issues
des infanteries de colonies africaines. Cet investissement militaire fut totalement ignoré, voire oublié
jusqu’il y a peu. Mais une œuvre de mémoire s’opère désormais, surtout depuis ces cinq dernières
années, entre autres à partir du travail de certains acteurs associatifs, d’artistes, mais aussi par la
volonté de personnalités politiques originairement issues des contextes maghrébo-africains. Outre
le pèlerinage mémoriel, les commémorations de la Bataille de Gembloux constituent désormais
aussi l’occasion de revendiquer un droit à la pension pour les rescapés de ces troupes française
d’Outre-Mer et d’illustrer une facette identitaire afro-musulmane pétrie de liberté et de lutte contre
le nazisme.
Ce moment reste encore peu connu en dehors des communautés arabo-musulmanes.
Cette démarche significative est d’autant plus importante, au niveau symbolique, que les mémoires
des relations entre musulmans et non musulmans se raccrochent sinon uniquement à des
évènements certes marquants, mais très lointains, à l’instar des croisades franques, entre le 11ème et
le 13ème siècle2 - où les papes chrétiens ont appelés à la guerre sainte contre les musulmans - ou
encore, surtout du côté musulman, aux expériences douloureuses de la colonisation et des luttes
pour les indépendances.3 Ces évènements constituent autant de signes de fragilisation et de
dépeçage du monde musulman ces deux derniers siècles ; la Belgique y est plus ou moins
indirectement associée en tant que puissance occidentale, par certains, bien qu’elle n’ait pas
directement participé à de telles entreprises dans le monde musulman. 4
Au-delà de cette période peu connue du début du siècle, une présence plus significative de
personnes originaires de pays musulmans, en Belgique, commence aux lendemains de la seconde
guerre mondiale. Elle se développe surtout à partir des années soixante. Ces personnes viennent
1 Traduction par Y. Michot, « Les Musulmans de Belgique en 1928 » in
Le Conseil
, n. 5, janv. 1996, p. 33.
2 La statue de Godefroid de Bouillon qui trône au centre de Bruxelles, sur la Place Royale, vient d’ailleurs rappeler, à tort,
combien ce dernier fut nommé roi du Royaume de Jérusalem, au terme de la première croisade.
3 Pour un bref exposé sur l’historique des imaginaires entre musulmans et non musulmans, voir (El Asri, 2008).
4 A partir de l’expérience coloniale au Congo, une représentation négative des Arabes a toutefois été entretenue, en lien
à des tensions (uniquement économiques ?) qui ont existé entre des officiels belges et des élites arabes qui faisaient du
commerce d’esclaves dans l’Est du Congo où se trouvaient d’importantes mines. Si cette image a aujourd’hui été oubliée
(ce qui montre aussi comment les imaginaires se font et se défont), l’argument de libérer les congolais de l’emprise de
ces commerçants fut notamment utilisé à la fin du 19ème siècle pour justifier la colonisation. Pour une analyse des
discours qui circulaient dans les livres d’école dans la première moitié du vingtième siècle, voir A. De Baets (1991)
“Gedaantewisseling van een heldendicht: Congo in de Geschiedenisboeken” in J.P. Jacquemin (ed.)
Racisme, donker
continent: clichés, stereotiepen en fantasiebeelden over zwarten in het Koninkrijk België
[Le racisme, un continent
sombre: clichés, stéréotypes et fantasmes sur les noirs dans le royaume de Belgique],
Bruxelles: NCOS, pp. 45-56, cité
par : (Manço & Fadil in Nielsen et al, 2010).