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Introduction
Dans sa Conférence sur l’éthique prononcée à Cambridge entre 1929 et 1930,
Ludwig Wittgenstein énonça cette phrase saisissante : « Il me semble évident que rien de ce
que nous pourrions jamais penser ou dire ne pourrait être cette chose, l’éthique; que nous ne
pouvons pas écrire un livre scientifique qui traiterait d’un sujet intrinsèquement sublime et
d’un niveau supérieur à tous les autres
». L’éthique n’est pas le domaine des faits, des
propositions scientifiques et des jugements de valeur relatifs, car « l’éthique, si elle existe,
est surnaturelle, alors que nos mots ne veulent exprimer que des faits
». Ces propos ne sont
pas tenus par un mystique, mais bien par un philosophe reconnu pour son acharnement
contre les superstitions philosophiques. L’éthique n’est pas selon Wittgenstein réductible à la
science ou à la philosophie; elle ne peut être fondée sur des faits comme on fonde une
théorie physique.
L’éthique, tout comme l’esthétique
, dépasse donc ce que nos mots peuvent
exprimer. Doit-on dire dès lors qu’elle nous est complètement inaccessible, qu’il ne s’agit
que d’un mot qui a sa place et son fonctionnement dans le langage ? C’est ce que de
nombreux successeurs de Wittgenstein se sont demandés. Plusieurs d’entre eux insistèrent
sur la célèbre distinction que Wittgenstein fait dans le Tractatus logico-philosophicus entre
le dire et le montrer : si on ne peut dire l’éthique, car nous ne pouvons dire que des faits,
peut-être pouvons nous la montrer. C’est pourquoi, selon Bouveresse, « il est clair, pour
Nous voudrions remercier Mme Isabelle Thomas-Fogiel pour soutien et sa générosité tout au long de la
rédaction de ce travail, ainsi que les examinateurs, M. Patrice Philie pour nous avoir initiés à la philosophie de
Wittgenstein et M. Daniel Tanguay pour avoir su nous transmettre un esprit de rigueur et de modestie
philosophique qui fut essentiel à notre réflexion.
Wittgenstein, Ludwig, Leçons et conversations sur l’esthétique, la psychologie et la croyance religieuse,
suivit de Conférence sur l’éthique, traduit par Jacques Fauve, Paris, Éditions Gallimard, 1992, p.147.
Ibid., p. 147.
Ibid., p. 143.