Les chênes pourraient migrer vers le nord
Quand la forêt avance
Réchauffement climatique oblige, les arbres
poussent plus vite et gardent leur feuillage plus
longtemps. La France a retrouvé une couverture
forestière jamais vue depuis le Moyen Age
Bonne nouvelle pour les arbres : le 27 avril, 25
organismes scientifiques de 15 pays européens
ont mis en commun, dans le réseau Evoltree,
toutes leurs recherches sur l'évolution de la forêt
face aux changements climatiques. Avec à la clé
un financement communautaire de 14,3 millions
d'euros. Il était temps car, dit Antoine Kremer,
coordonnateur de ce réseau, «l'évolution du
climat, comme celle des forêts, ignore nos
frontières». D'où la nécessité d'harmoniser la
gestion des massifs forestiers, et d'abord tenter
de prédire leurs mutations afin de reboiser à bon
escient, sachant que «planter un arbre, c'est
prendre un pari sur un avenir lointain». La forêt,
c'est sûr, va connaître de profonds changements,
et il n'en est jamais allé autrement depuis la nuit
des temps. Pour s'en tenir aux deux derniers
siècles, les spécialistes ont pu établir une loi dite
« du 1% » : chaque année, la forêt se réduit en
moyenne de 1% dans l'hémisphère Sud, mais
progresse de 1% dans l'hémisphère Nord.
Résultat, pour la France : le pays se retrouve
aujourd'hui avec une couverture forestière qu'il
n'avait plus connue depuis le haut Moyen Age.
Ce retour des arbres est dû pour les deux tiers à
une recolonisation naturelle des terres
abandonnées par l'agriculture, et pour un tiers
seulement à des plantations délibérées. Or cette
évolution ne peut que se poursuivre, avec la
hausse de la température moyenne, et
l'augmentation de la teneur atmosphérique en
CO2.
«Le CO2 constitue une
sorte de fertilisant qui
accroît l'efficacité de la
photosynthèse»,
confirme un spécialiste
de l'Inra. Les feuilles
apparaissent plus tôt et
tombent plus tard : de
12 à 20 jours de végétation ont été gagnés en
vingt ans. Les arbres poussent plus vite :
désormais, les hêtres des forêts lorraines
progressent de 45 centimètres par an au lieu de
30 centimètres et, selon les chercheurs du
Cemagref (Institut de Recherche pour l'Ingénierie
de l'Agriculture et de l'Environnement), les
chênes auraient gagné 10 mètres de plus en cent
ans. Plusieurs équipes ont chiffré à +40% la
production de bois pour un doublement du taux
de CO2 - hypothèse envisagée par les modèles
climatiques d'ici à 2100. Ces nouvelles conditions
climatiques sembleraient donc annoncer une
sorte d'âge d'or de la forêt - même si quelques
réserves s'imposent, car la hausse du
thermomètre favorise certaines maladies des
arbres. Et le bois formé plus vite paraît d'un peu
moins bonne qualité. Mais il y a encore plus
étonnant que cet accroissement quantitatif, global
et considérable, de la productivité sylvestre : on
s'attend à un bouleversement des aires de
distribution des essences et, par exemple, à...
une rapide migration des chênes vers le nord, en
quête de la relative fraîcheur qu'ils affectionnent.
Antoine Kremer évoque une sorte de course-
poursuite entre le chêne et le thermomètre. Une
course dont on ne peut pas pour le moment
pronostiquer le gagnant : «Il n'est pas sûr que
l'espèce puisse se propager vers les hautes
latitudes à une vitesse suffisante.» Le chêne est
pourtant capable de se mouvoir avec une vélocité
inattendue : lors de la dernière période
postglaciaire, voici 10 000 ans, il a reconquis
certains territoires à la vitesse de 500 mètres par
an. C'est que, pour de tels déplacements, il
possède un précieux allié : un oiseau à la fois
amateur de glands et prévoyant, le geai des
chênes, a coutume d'aller enterrer assez loin des
provisions pour l'hiver... et que parfois il oublie.
Alors les glands germent et le chêne réalise ce
que les spécialistes nomment un «saut de puce».
Dans certains cas rares, on a détecté des
propagations à longue distance, parfois
attribuables à notre espèce : à certaines époques
préhistoriques, l'homme a, faute de mieux,
consommé des glands et - tel le geai - constitué
des réserves sur ses trajets migratoires lointains.
Il a pu aussi perdre quelques glands en route,
semant sans le savoir
la forêt derrière lui.
Pour faire face aux
changements
climatiques, les arbres
disposent d'une autre faculté remarquable : leur
capacité d'adaptation sur place à des conditions
nouvelles, selon la sélection darwinienne.
«Statistiquement, explique Antoine Kremer, deux
arbres de la même espèce, choisis au hasard
dans une forêt, présentent quatre fois plus de
différences génétiques que deux êtres humains
tirés au sort dans une foule.» Grâce à cette
grande diversité génétique, les arbres peuvent
affronter les variations extrêmes qu'ils risquent de
rencontrer au cours de leur longue vie : la loterie
des combinaisons donne naissance à toutes
sortes de mutants, dont certains seront par
hasard aptes à proliférer dans un environnement
inédit. Pour cette raison, la génétique constitue
l'un des grands axes du programme Evoltree.
Alors que le génome du peuplier est, lui, déjà
entièrement décrypté - parce que c'était le plus
simple -, on va s'attaquer aux autres, pour au
moins séquencer les parties de chromosomes
porteuses des gènes d'adaptation. On va aussi
sélectionner cinq ou six sites d'observation dans
diverses catégories de forêts européennes - dont
celle de Bialowieza, en Pologne, la dernière forêt
primaire du continent, c'est-à-dire absolument
sauvage -, pour y mener, entre autres
recherches, des observations poussées sur la
biodiversité des arbres. Ceci par la même
technique des empreintes génétiques qu'utilise la
police pour identifier des coupables humains, et
qui s'avère très précieuse aussi pour étudier les
arbres innocents... Il n'y a d'ailleurs pas que la
génétique des arbres à passionner les
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