COURS
DE
LITTÉRATURE
FRANÇAISE
Le XXe siècle
- Seconde partie -
Le théâtre, la critique, l’essai
Lector univ dr. Monica Hărşan
COURS NO. 1
LE THÉÂTRE EN DÉBUT DU XXe SIÈCLE
« LA BELLE ÉPOQUE »
Quelque temps victime du triomphe du roman, le théâtre qu’Edmond de Goncourt
qualifiait hâtivement de moribond en 1879, connaît, au tournant du XXe siècle une éclatante
renaissance.
Des auteurs aux talents divers répondent aux attentes du public, d’autres, tout au
contraire, choquent le goût de celui-ci, avec une liberté de ton et des moyens qui installent ce
genre dans l’avant-garde des recherches littéraires.
On assiste à un foisonnement d’œuvres dont la quantité défie l’énumération et la
chronologie bouscule la logique: en 1896, Ubu Roi d’Alfred Jarry est monté, la même année
que Le Dindon de Georges Feydeau; en 1897 le drame en vers d’Edmond de Rostand,
intitulé Cyrano De Bergerac, triomphe à Paris, alors que Paul Claudel écrit la pièce La Ville
(seconde version).
Sans rupture affichée avec les courants amorcés dans la IIe moitié du XIXe siècle, te
théâtre de la “Belle Époque” (1900-1914) voit se diversifier les écritures et les esthétiques.
THÉÂTRES ET COMÉDIENS
En dehors des circuits commerciauxdu théâtre dit de boulevard(populaire et de
divertissement), la scène parisienne voit se concrétiser des expériences novatrices, dues à des
hommes du métier, qui ne reculent pas devant les risques de lancer des auteurs inconnus.
ANDRÉ ANTOINE (1857-1943)
Acteur et metteur en scène, il invente la formule du théâtre libre”. De 1887 à 1894 il
y réalise, devant un public restreint d’abonnés, des spectacles que les innovations de mise en
scène font qualifier de “naturaliste”. Les comédiens jouent dans des décors réalistes, souvent
le dos au public. Un vrai feu de bois brûle dans la cheminée, on mange de la vraie soupe sur
la scène et les pendules marquent l’heure exacte.
AURÉLIEN LUGNÉ-POE (1869-1940)
Concurrent d’André Antoine, il crée en 1893 le théâtre de l’œuvre, en montant
Pélleas et Mélisande de l’auteur belge Maurice Maeterlinck. Il y fera jouer aussi Ibsen,
Strindberg, mais aussi, en 1896, L’Ubu roi d’Alfred de Jarry et, en 1912, L’Annonce faite à
Marie de Paul Claudel.
JACQUES COPEAU (1879-1949)
La pièce L’Échange du même Paul Claudel sera montée en 1914 par Copeau, qui a
pris en 1913 la direction d’un théâtre d’avant-garde, le “Vieux-Colombier”.
SARAH BERNHARDT (1844-1923)
Autres artisans du prestige de la scène française, quelques comédiens, jouissent alors
d’une renommée qui dépasse les frontières. C’est le cas de Sarah Bernhardt, la plus grande
“vedette” de l’époque. Elle marqua son passage à la Comédie-Française par ses
interprétations des drames d’Hugo et de la Phèdre de Racine. Proust se souviendra d’elle et
l’immortalisera dans le personnage de Berma, dans À la recherche du temps perdu. Elle se
fit aussi acclamer dans des rôles “travestis”: dans Lorenzaccio de Musset, mise en scène en
1896, dans Hamlet de Shakespeare et, en 1900, dans L’aiglon, succès d’Edmond de Rostand.
TYPES DE PIÈCES
1. PIÈCES SÉRIEUSES
Le réalisme social, mis à la mode par le naturalisme, trouve sa place sur la scène: une
série d’œuvres décrit ainsi sans complaisance les rouages de la IIIe République. Dans la pièce
Les affaires sont des affaires, Octave Mirabeau (1840-1917) dénonce le pouvoir de l’argent
dans la vie moderne; il crée un nouveau type de financier opportuniste, Isidore Lechat.
Le même thème, la toute-puissance de l’argent, inspire aussi Henri Bernstein (1876-
1953) dans ses premiers drames: La Rafale (1905), Le Voleur (1906) et Samson (1907).
Émile Zola pensait que la dénonciation des tares et des vices sociaux devait favoriser
leur disparition.
Cet optimisme moralisant est repris par ce qu’on a appelle le théâtre d’idées”: des
drames parfois sommaires illustrent alors un problème précis.
François de Curel (1854-1929), admirateur d’Ibsen, met ainsi aux prises patrons et
ouvriers dans Le repas du lion (1897) et expose les risques du pouvoir scientifique et de
l’expériment médical dans La nouvelle idole (1899).
2. PIÈCES GAIES
La postérité a souvent conservé de la Belle Époque l’image d’une période heureuse. Il
est vrai que bon nombre de ses dramaturges ont su cultiver le rire, par toute une série de
pièces légères qui n’ont pas toutes sombré dans l’oubli.
Au premier rang de ces auteurs d’amusements, il faut citer 2 maîtres du vaudeville
(comédie mêlée de couplets chantes): Georges Feydeau et Georges Courteline.
GEORGES FEYDEAU (1862-1921)
Le premier porte à la perfection, à travers le genre du vaudeville, les comédies
d’intrigues: un public de plus en plus nombreux se presse aux représentations de ses pièces:
Un fil à la patte (1894), ensuite La puce à l’oreille (1907), qui abondent en “quiproquos”, en
péripéties qui méprisent parfois toute vraisemblance. La pièce Feu à la mère de madame
(1908) inaugure une série de pièces en un acte, dont le sujet se restreint, avec une joyeuse
férocité, à l’étalage des disputes conjugales.
GEORGES COURTELINE (1828-1929)
Cet auteur fut soutenu par André Antoine, qui monta en 1891 sa première pièce
Lidoire au Théâtre-Libre, puis Le gendarme est sans pitié (1899), Le commissaire est bon
enfant et L’article 330, toutes les deux datant de 1900. Une autre pièce de Courteline, La
paix chez soi créée par Antoine en 1903, entra dès 1906 au répertoire de la Comédie-
Française, signe de la reconnaissance officielle des qualités littéraires de Courteline.
3. PIÈCES POÉTIQUES
Comme le naturalisme, le symbolisme connaît, durant cette période, quelques
tentatives de transcription théâtrale. L’écrivain belge Maurice Maeterlinck (1862-1949) fit
ainsi jouer en 1893, Pélleas Et Mélisande, un drame qui prit une valeur de manifeste. En
opposition avec toute prétention réaliste, il met en scène des personnages aux contours
estompés sur lesquels plane une fatalité mélancolique dans un décor flou de foret et de
château.
La pièce trouvera sa pleine réalisation avec l’opéra que Claude Debussy donnera à la
scène en 1902. Même métamorphose se passe avec Ariane et Barbe-Bleue (1901) qui devient
en 1907 un opéra de Paul Dukas.
On peut voir en ce mouvement vers l’opéra le résultat d’une évolution logique. Le
symbolisme insiste sur la musique et le mystère, ainsi que sur les correspondances entre les
sensations; en passant de la poésie au théâtre, il devait rencontrer l’opéra, qui unit les mots
aux notes (à la musique).
Poètes et dramaturges connaissent et admirent le compositeur allemand Richard
Wagner. Son Tanhäuser enchanta Baudelaire et cet opéra, à cote de Parsifal, incarnait pour
Mallarmé et ses disciples l’œuvre d’art totale”. Les mots se suffisaient pourtant à eux-
mêmes dans l’œuvre d’un autre admirateur de Wagner, Paul Claudel et dont le public
découvrira la déconcertante grandeur sur la scène en 1912, avec L’annonce faite à Marie.
Dès 1890, il avait publie Tête d’or et, en 1901, dans le recueil de L’Arbre, avaient paru La
Ville, L’échange et La jeune fille Violaine; c’est un théâtre qui n’a pas crée une impression
très vive à la lecture, mais qui allait bouleverser le répertoire du XXe siècle.
VAUDEVILLE ET THÉÂTRE DE BOULEVARD
1. THÉÂTRE DE BOULEVARD
Depuis le XIXe siècle, le terme de théâtre de boulevard s’impose comme
synonyme de théâtre populaire et de divertissement. Les hasards de la géographie parisienne
sont à l’origine de cette appellation; on connaît, par le film de Marcel Carné, Les enfants du
paradis, le surnom de boulevard du crimedonné à l’ancien boulevard du Temple. Mimes,
comédies et mélodrames sanglants y attiraient un public nombreux dès l’époque de la
Révolution et de L’Empire. Le baron Haussmann fit raser cet endroit en 1862 pour ouvrir la
Place de la République et percer les grands boulevards”. C’est que s’installèrent, à partir
du Second Empire, de nouvelles salles vouées au divertissement d’un nombreux publique, un
public bourgeois. Ces salles apparaîtront d’ailleurs dans tout Paris, ce qui rendit illusoire une
référence précise à un certain endroit de la capitale. Le terme théâtre de boulevard” reste un
dénominateur commun pour un genre aux contours confus, qui se définit avant tout par son
goût de la facilité. Se produisent au “boulevardsde comédies célèbres dans des œuvres où la
qualité du texte compte moins que l’effet à produire sur le public. Ce public aime à retrouver,
sur le ton plaisant, une réflexion de ses préoccupations familières. L’intrigue tourne ainsi
surtout autour de l’adultère, le décor présent à satiété, le même salon cossu, soubrettes et
valets de chambre offrent un contrepoint piquant aux problèmes conjugaux des bourgeois
fortunés qui les emploient.
2. LE VAUDEVILLE
Lié dans ses origines à la chanson populaire, il désigna à la fin du XVIIe siècle et le
siècle suivant, une comédie mêlée de couplets chantés. Sous Napoléon III, Eugène Labiche
(1815-1888) fait triompher cette forme théâtrale, qui va connaître au tournant du XXe siècle,
une nouvelle métamorphose. Débarrassé de ses couplets chantés, ce vaudeville nouveau se
définit avant tout par l’ingéniosité de l’intrigue, le refus délibéré de la profondeur
psychologique et un cynisme joyeux. L’obsession des frasques (aventures) extra-conjugales
entraîne les personnages de G. Feydeau dans des situations aussi invraisemblables
qu’irrésistibles. Courteline, quant à lui, atteint à une satire de mœurs du temps, qui dépasse la
simple fantaisie. Il prétend d’ailleurs avoir inventé: le vaudeville littéraire”, en écrivant pour
le public du Théâtre-Libre d’Antoine, plus exigeant que les spectateurs du boulevard.
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