Les « ouvreurs de phrase temporels »
entre temporalité et causalité
Asist. univ. drd. Tiberiu MARCU
Universitatea din Piteşti
Dans la présente étude, nous nous proposons de montrer que le caractère temporel des
constructions que nous appelons « ouvreurs de phrase temporels » est souvent mis en rapport avec
une relation de cause à effet qui s’établit entre deux actions. D’abord, nous allons définir la classe
des constructions envisagées et ensuite nous allons analyser le rapport temporalité causalité qui
peut les concerner, en suivant trois directions : 1. antériorité de la cause par rapport à l’effet ; 2.
simultanéité de la cause par rapport à l’effet ; 3. apparente postériorité de la cause par rapport à
l’effet.
1. Constructions jouant le rôle de subordonnée temporelle :
La présente étude porte sur le caractère temporel et causal des constructions qu’on appelle
« ouvreurs de phrase temporels ». Il s’agit de certaines constructions qui jouent au sein de la phrase
le rôle de subordonnée circonstancielle de temps. Dans l’article « Les ouvreurs de phrase temporels
vers une identification de la classe »
1
nous avons proposé une division des constructions
subordonnées temporelles en trois classes :
1° la subordonnée temporelle complète
2° les compléments prépositionnels tenant lieu de subordonnée temporelle
3° les « ouvreurs de phrase temporels »
La première catégorie inclut les circonstancielles temporelles introduites par un élément à base
de conjonction de subordination et pourvues d’un verbe à un temps conjugué :
(1) Dès qu’il sera entré dans le bureau, vous lui demanderez de lui parler.
Dans la deuxième catégorie on trouve les compléments prépositionnels qui peuvent être
l’équivalent d’une subordonnée temporelle complète. Ces constructions peuvent avoir dans leur
structure un nom, un adverbe ou un pronom :
- Préposition + SN (noms événementiels) :
(2) Dès le départ de son ami, …
( = Dès que son ami fut parti, … )
- Préposition + SN (existants) :
Il y a des existants qui peuvent entrer dans des constructions (compléments prépositionnels)
équivalentes d’une subordonnée temporelle complète :
1
T. Marcu, « Les ouvreurs de phrase temporels - vers une identification de la classe », in Studii şi cercetări filologice,
n°3, 2004
Avant la voiture, les gens se déplaçaient en vélo.
(=Avant qu’il y ait / qu’il apparaisse la voiture, les gens se déplaçaient en vélo.)
- Préposition + anaphoriques (adverbes ou pronoms) :
(4) Michel a quitté la maison de ses amis. Depuis lors, il n’a plus revu Catherine.
(= Michel a quitté la maison de ses amis. Depuis qu’il a quitté la maison de ses amis,
il n’a plus revu Catherine.)
(5) Choisissez le cours qui vous convient ; après quoi, on vous donnera les formulaires
d’inscription.
(= Choisissez le cours qui vous convient ; après que vous choisissez, on vous
donnera les formulaires d’inscription.)
Nous appelons « ouvreurs de phrase temporels » toute construction dépendante, équivalente
d’une subordonnée circonstancielle de temps, qui manque d‘élément prédicatif qui lui assigne le
statut de proposition
1
. Cette construction se caractérise par la présence d’un adverbe ou d’une
préposition (ou locution prépositionnelle ou adverbiale) [1] indiquant en néral le temps et qui
peut être vu(e) comme élément introducteur, suivi(e) d’un deuxième élément qui joue le rôle de
prédicat [2], mais qui n’est pas un verbe à un temps conjugué. Le caractère temporel de la
construction peut être rendu aussi par l’élément [2].
(6) Sitôt sorti du bureau, il alluma une cigarette.
[1] [2]
(= Sitôt quil fut sorti du bureau, il alluma une cigarette.)
On a délimité les constructions susceptibles de faire partie de la catégorie mentionnée en
fonction de la nature morphosyntaxique de l’élément à valeur prédicative. On peut distinguer donc
trois catégories de « ouvreurs de phrase temporels » :
1. (marqueur) + participe passé ou adjectif d’état
(7) Sitôt arrivé chez lui, il alluma la télé.
(8) Une fois adulte, il aura son permis de conduire.
Dans le cas de la construction avec adjectif d’état, l’absence d’un verbe (à un temps
conjugué ou non) peut être justifiée par le phénomène de l’ellipse syntaxique
2
. Cet élément peut être
récupérable à partir du contexte linguistique :
(8’) Une fois devenu adulte, il aura son permis de conduire.
2. (marqueur) + participe présent / gérondif
(9) En rentrant chez lui, il trouva le chien à sa porte.
3. (marqueur) + complément prépositionnel de lieu
(10) Une fois dans la rue, il se mit à courir.
1
Le terme « ouvreur » fait référence au fait que la structure des constructions en cause peut être « ouverte », donnant
lieu à une possible transformation en subordonnée temporelle complète.
2
« L’ellipse syntaxique n’est qu’un cas particulier d’effacement où l’élément non exprimé est un syntagme récupérable
syntaxiquement et sémantiquement à partir du contexte linguistique. » (Riegel et alii. 1994 : 111)
Le même phénomène de l’ellipse peut expliquer le manque d’élément à valeur prédicative
dans la construction une fois dans la rue. Il peut être récupéré grâce au contexte :
(10’) Une fois sorti dans la rue, il se mit à courir.
2. Temporalité et causalité :
Les circonstancielles de temps se retrouvent parmi les propositions qui justifient le mieux le
nom de « circonstancielles ». Les circonstances qu’elles évoquent ne marquent pas un rapport
logique, il s’agit tout simplement d’une référence au temps astronomique ou à la durée. Ainsi, la
proposition circonstancielle de temps « situe le procès qu’elle crit dans un rapport d’avant/après
au regard du fait exprimé par le verbe de la principale » (Caragnon/Calas, 2002 : 77).
En ce qui concerne le rapport temporel qui s’établit entre la proposition temporelle et la
principale, de nombreux auteurs remarquent que cette relation est très proche du rapport de cause à
effet. Il est rare qu’on puisse concevoir un rapport temporel comme purement fortuit, en général la
proximité temporelle correspond à une relation d’une autre nature qui met les événements dans une
relation plus étroite.
3. Des relations causales inscrites dans le temps :
Il y a des liens très étroits entre la causalité et la temporalité. « Une relation causale s’inscrit
dans le temps et les situations ou événements qu’elle met en relation sont eux-mêmes des objets
temporels » (Nazarenko, 2000 : 38). Cela veut dire qu’on ne peut exprimer une relation causale que
dans le temps et qu’une relation temporelle peut suggérer un rapport causal. Le caractère temporel
de la relation causale établie entre deux faits est suggéré même par la formule « les causes
précèdent les effets » ; il serait difficile à imaginer une relation causale les effets précèdent les
causes.
Il y a des phrases à subordonnée temporelle cette dernière peut être interprétée comme
une subordonnée causale. Une phrase telle :
(11) Je t’ai appelé quand j’ai constaté l’absence du dossier.
contient en même temps l’idée de temporalité et de causalité :
(12) Je t’ai appelé parce que j’ai constaté l’absence du dossier.
3.1. Antériorité de la cause par rapport à l’effet :
Le plus souvent, l’antériorité de la cause par rapport à l’effet est rendue par la concordance
des temps verbaux qui entrent dans la relation en question. Au niveau des ouvreurs de phrase
temporels, elle est mieux représentée par la construction contenant le participe passé :
(13) Une fois le mensonge avoué, elle ne voulait plus lui parler.
(= Parce que le mensonge avait été avoué, elle ne voulait plus lui parler)
La relation d’antériorité peut également se situer dans le futur, si on choisit ce temps comme
l’équivalent de la construction à participe passé :
(14) Une fois le mensonge avoué, elle ne voudra plus lui parler.
(= Parce que le mensonge sera avoué, elle ne voudra plus lui parler)
Les constructions à base de participe présent et de gérondif ne peuvent pas marquer une
relation d’antériorité par rapport au procès principal : « le gérondif a les mêmes valeurs aspectuelle
et temporelle que le participe présent : il indique un procès en cours de réalisation, simultané par
rapport au procès exprimé par le verbe principal » (Riegel et alii, 1994 : 342).
Les constructions à complément prépositionnel sont des variantes elliptiques des
constructions à participe passé ; leur comportement dans la relation d’antériorité de la cause par
rapport à l’effet est donc le même.
(15) Une fois dans son bureau, il alluma une cigarette.
(= Une fois entré dans sont bureau, il alluma une cigarette.)
(= Parce qu’il était entré dans son bureau, il alluma une cigarette.)
3.2. Simultanéité de la cause et de l’effet :
La simultanéité de la cause par rapport à l’effet est le mieux exprimée par les constructions à
participe présent ou gérondif. Le participe passé accompagné d’un élément introducteur à valeur
temporelle ne peut pas apparaître dans ce type de relation.
(16) En lisant l’article, il se rend compte que …
(= Parce qu’il lit l’article, il se rend compte que …)
3.3. Apparente postériorité de la cause par rapport à l’effet :
Dans certains cas, la concordance des temps peut situer la cause dans le futur, par rapport à
l’effet, mais en réalité il s’agit d’un faux rapport de postériorité.
(17) Je suis venu parce que je suis décidé de reprendre le travail.
C’est le jeu des temps verbaux qui crée l’impression d’un renversement du rapport cause /
effet, parce que le présent est postérieur au passé composé. Mais, en réalité, je suis décidé exprime
un état qui équivaut à je me suis décidé de …, j’ai pris la décision de.
Le même jeu des temps verbaux ne peut pas être réalisé dans une construction
apparaissent le participé passé, le participe présent ou le gérondif (en position de « ouvreurs de
phrase temporels »). L’aspect accompli ou duratif des constructions mentionnées, ne permet pas la
création d’une phrase l’apparente postériorité de la cause par rapport à l’effet soit réalisée grâce
à la postériorité du participe passé, du participe présent ou du gérondif, par rapport au verbe
principal.
Après cette courte analyse, la conclusion qui s’imposerait serait que le comportement des
ouvreurs de phrase temporels dans des constructions temporelles à nuance causale est strictement
réduit à certains emplois qui dépendent des caractéristiques morphosyntaxiques de leurs éléments
constitutifs.
Bibliographie :
BLANCHE-BENVENISTE, C., 1998, « L’usage prédicatif secondaire des participes passés » in
Prédication, assertion, information, Actes du Colloque D’Upsala en linguistique française, 6-9 juin
1996, Acta Universitatis Upsaliensis
CARAGNON, A-M., CALAS, F., 2002, La phrase complexe. De l’analyse logique à l’analyse
structurale, Hachette
HANON, S., 1989, Les constructions absolues en français moderne, Editions Peeters
HERSLUND, M., 2000, « Le participe présent comme co-verbe », in, Langue française, 127,
septembre 2000
LEEMAN, D., 2002, La phrase complexe. Les subordinations, De Boeck / Duculot
LE GOFFIC, P., 1993, Grammaire de la phrase française, Hachette
NAZARENCO, A., 2000, La cause et son expression en français, Orphys
RIEGEL, M., PELLAT, J.-Cl., RIOUL, R., Grammaire méthodique du français, PUF, 1994
WILMET, M., Grammaire critique du français, Duculot, 1997
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