Monsieur,
En tant que professeur de « sciences économiques et sociales », je me permets de vous
adresser un dossier concernant les attaques récurrentes dont ma discipline fait l’objet depuis
au moins une dizaine d’années. J’utilise ici le terme « attaques » et non « critiques » ; non que
cet enseignement ne puisse pas faire l’objet de critiques, il est bien entendu loin d’être parfait
et les professeurs de SES sont en mesure d’entendre et de prendre en considération toutes les
critiques constructives, d’où qu’elles viennent, pourvu qu’elles soient fondées sur des données
réelles et exactes. Mais nous devons également essuyer régulièrement des critiques non
fondées voire malveillantes ; c’est de celles ci que j’aimerais vous parler.
MONSIEUR DARCOS ET L’HORREUR DES CHIFFRES.
A tout seigneur, tout honneur : nous pouvons commencer par divers ministres de
l’Education Nationale.
Vous avez encore en mémoire les propos de Xavier Darcos sur la filière ES aux débouchés
incertains (Droit, sociologie, psychologie), propos entièrement remis en cause par les données
statistiques officielles de son propre ministère : ainsi, les élèves de ES allant en Droit (15,6%),
sociologie (2,3%) et économie (13,6%) ne représentent pas l’essentiel des bacheliers ES
puisque 68,5% des bacheliers ES font autre chose que les licences pré-citées (données 2006
du MEN).
Par ailleurs, 62,5% d’entre eux poursuivent des études supérieures longues, 25% des études
supérieures courtes (IUT, BTS, Ecoles spécialisées) ; enfin, ils représentent 12% des entrants
en classes préparatoires (dont la majorité, les classes préparatoires scientifiques ne leur sont
pas accessibles) ainsi que 44% des entrants dans les grandes écoles de commerce,
Pour finir, leur réussite en Licence n’a rien à envier à celle des autres bacheliers : 74,9 % des
bacheliers ES réussissent leur licence sans redoubler, contre 70,4 % des bacheliers S et 69,8
% des bacheliers L.
Enfin, soulignons que si les bacheliers de la série ES représentent une faible proportion des
élèves des classes préparatoires (13,6 %), c'est avant tout parce que les deux tiers des effectifs
de ces dernières vont dans des formations destinées "par nature" aux bacheliers S. Mais si on
se limite aux seuls classes préparatoires économiques et commerciales, on s’aperçoit que les
bacheliers ES représentent alors 44 % des entrants !
PROBABILITE DE REUSSITE EN LICENCE POUR UNE COHORTE SELON L’ORIGINE
SCOLAIRE (en % - France entière)
BAC
REUSSITE
EN 1 AN
REUSSITE EN 2
ANS SANS
REORIENTATION
REUSSITE EN 2
ANS AVEC
REORIENTATION
ENSEMBLE
L
69,8
8,4
1
81,1
ES
74,9
7,8
0,7
84,8
S
70,4
10
0,9
83,2
BAC
GENERAUX
71,5
8,8
0,9
82,9
BAC
TECHNO
54,5
11,8
0,7
70,3
BAC PRO
55,2
13,3
0,4
65,1
ENSEMBLE
66,1
9,5
0,8
78,2
Lecture : 69,8 % des titulaires d’un baccalauréat littéraire inscrits pour la première fois
en licence en 2001 obtiennent leur diplôme en un an ; 8,4 % l’obtiennent à l’issue d’une année supplémentaire, sans
réorientation, et 1,0 % après réorientation
(source : l’état de l’École n° 16 [édition 2006)
Probabilité de réussite en IUT d’une cohorte d’étudiants selon l’origine scolaire
métropole + DOM, en %
Lecture : 71,3 % des titulaires d’un baccalauréat littéraire inscrits pour la première fois en IUT en 2001obtiennent le DUT en
deux ans, sans réorientation, et 0,5 % après réorientation. À l’issue d’une année supplémentaire, les taux sont respectivement
de 4,7% et 0,5 %. Cumulées sur trois ans, leurs chances de réussite sont de 77,0 %.
(source : l’état de l’École n° 16 [édition 2006])
Répartition des entrants en première année de classes préparatoires
en 2002-2003 selon l’origine scolaire
BAC
S
L
ENSEMBLE
Economique et
commerciale
voie scientifique
97,3
0,1
99,4
Economique et
commerciale
voie économique
8,3
0,8
99,4
Ens cachan D1
(Eco Droit)
19
8,7
97,6
ENS Cachan D2
(Eco Méthodes)
36,6
91,2
TOTAL
ECONOMIQUE
50,7
1
BAC
REUSSITE EN
2 ANS SANS
REORIENTATION
REUSSITE EN
2 ANS AVEC
REORIENTATION
REUSSITE EN
3 ANS SANS
REORIENTATION
REUSSITE EN
3 ANS AVEC
REORIENTATION
ENSEMBLE
L
71,3
0,5
4,7
0,5
77,1
ES
75,9
0,7
4,8
1,3
82,7
S
71,2
0,7
8
1,9
81,7
BAC
GENERAUX
72,7
0,7
6,8
1,6
81,7
BAC
TECHNO
54,3
0,5
10,5
1,4
66,7
BAC PRO
38,3
0,1
9,3
0,1
47,8
ENSEMBLE
67
0,6
7,9
1,5
77
ET
COMMERCIAL
Lettres
17,9
64,5
Lettres sciences
sociales
59,5
7,8
Saint Cyr
24,5
63,3
TOTAL
LITTERAIRE
23,1
57,6
TOTAL CPGE
72,2
10,1
(Source : NOTE D’INFORMATION 03-29 Mai)
LE CAS LUC FERRY : LA MEMOIRE DE L’AVENIR.
Mais il n’est pas le seul ; les propos de monsieur Luc Ferry sont étonnants par leur
inexactitude. Ainsi, dans le numéro de l’Expansion du 1er Juin 2006, en réponse à la question :
« Est-il possible de réconcilier l'école et l'entreprise quand une grande partie de
l'enseignement est hostile à l'économie de marché ?
Il déclare :
« Les programmes d'économie me semblent, en effet, hors du monde, bourrés d'idéologie. Je
n'ai pas réussi à les changer autant que je l'aurais voulu, mais j'y ai quand même introduit
des notions aussi extravagantes qu'« entreprise » ou « marché », qui étaient absentes des
textes avant mon arrivée. »
(LUC FERRY : Les jeunes m'effarent par leur conservatisme - Propos recueillis par Bernard Poulet
- 01/06/2006 - L'Expansion )
Or, il est facile de voir que les thèmes de l’entreprise et du marché sont présents dans les
programmes des sciences économiques et sociales et ce dès leur origine. Pour preuve,
l’encadré ci-dessous :
PROGRAMME
CLASSES DE PREMIERE B
Quatre heures
LA VIE ECONOMIQUE ET SOCIALE DE LA NATION
Introduction
Les agents de l'économie.
Eléments d'analyse sociale (vocabulaire, méthodes élémentaires).
I. L'entreprise
1° Les problèmes économiques de l'entreprise : les facteurs de production et leur
combinaison; l'équilibre de l'entreprise. comptes d'exploitation. résultats et bilan.
2° Les différentes formes d'entreprises : statut juridique et dimension.
3° L'organisation de l'entreprise et ses problèmes humains.
L’entreprise apparaît bien comme le premier chapitre du programme de première B ; j’ai
oublié d’indiquer la date ; voyez ci-dessous :
A compter de la rentrée 1967. l'enseignement de l'instruction civique sera donné dans le
cadre du programme d'initiation aux faits économiques et sociaux dont l'horaire global
est porté à 4 heures 30.
Et oui ! Il s’agit des programmes d’origine de l’année 1967. Mais on peut excuser
monsieur Ferry qui, né en 1951, n’avait alors que 16 ans (l’âge pour entrer en première
justement) ou bien admirer sa précocité puisqu’en toute logique, on doit tirer de ses propos
qu’il a été nommé ministre de l’Education Nationale avant même sa majorité.
Et le marché, me direz-vous ?
Il était abordé dans la troisième partie du même programme de première.
III. L'économie nationale
A. La monnaie et les institutions financières.
1°Création. Formes et fonction de la monnaie.
2° Crédit et système bancaire
B. La production et sa répartition.
1° Composition et évaluation du produit national; le revenu national et sa répartition.
2° La formation des différents revenus (salaires, bénéfices. etc.); la redistribution des
revenus.
C. Mouvements et équilibres économiques.
1° Les marchés et les prix : notions sommaires sur la formation des prix;
types de marché et types de prix; les mouvements des prix.
Mais peut-être Mai 68 ou le socialisme au pouvoir sont ils passés par là et auraient jeté
l’entreprise aux oubliettes ? Examinons les programmes du début des années 1980.
Programmes officiels. Arrêtés du 26/01/81 et du 9/03/82
Classe de Seconde
OPTION « INITIATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE"
(Deux heures hebdomadaires)
I
Récapitulation et mise en ordre des connaissances acquises, permettant de situer
l'économie et la société françaises, dans leur état actuel par rapport aux principales
formes d'organisation économique et sociale passées et présentes et de rappeler la notion
de circuit économique
II
La population active (définition et mesure, répartition par secteurs, évolution). Les
catégories socio-professionnelles.
L'entreprise, productrice de biens et de services :
La diversité des entreprises, selon la nature de leurs activités, leur statut, leurs
dimensions.
Le fonctionnement de l'entreprise.
L'organisation du travail et les problèmes sociaux dans l'entreprise
L’entreprise est remontée d’un cran. On ne l’enseigne plus en première mais en seconde
(rappelons qu’à l’époque, tous les élèves de seconde générale doivent suivre cet
enseignement, ce qui n’est le cas aujourd’hui que de pour 43,3% d’entre eux).
Et le marché ? Il est enseigné en classe de première et ce, de manière assez approfondie.
CLASSE DE PREMIERE B
(Horaire hebdomadaire trois + une heure)
Economie et société française
L'étude de ce programme sera conduite de façon à mettre en valeur les liens
d'interdépendance qui unissent les réalités économiques. sociales, politiques sur
lesquelles il porte.
II. STRUCTURES ET MÉCANISMES ÉCONOMIQUES
1. Description et mesure des activités macro-économiques et micro-économiques :
Principes et présentation simplifiée de la comptabilité nationale (secteurs institutionnels,
opérations, agrégats, tableau économique d'ensemble);
Présentation simplifiée des comptes d'entreprise.
2. Analyse structurelle de la production : branches, secteurs, filières; stratégies
d'entreprise.
3. La monnaie création, formes, fonctions; le rôle des banques.
4. Marchés et prix.
5. L'échange international.
ON N’EST JAMAIS TRAHI QUE PAR LES SIENS : L’EPISODE DE
L’EXPANSION.
Mais ces critiques sont parfois plus anciennes, à l’image d’un article publié dans
l’Expansion du 19 Février 1998, et consacré à l’enseignement de l’économie. La critique avait
paru honnête à de nombreux professeurs de SES même si on trouvait de curieux
commentaires comme : « En somme, résume avec brutalité un professeur d’économie d’une
grande école, on apprend aux lycéens que les lois du marché sont le masque d’une idéologie
au service des puissants, que l’intervention des Etats est indispensable, que la crise est le
corollaire normal du capitalisme, et que les prétentions de l’économie au statut scientifique
sont très suspectes ! »
1 / 13 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !