Enseigner la Révolution française en classes de CM2 et de Quatrième Mémoriser des repères Sophie Nilson, professeur d’histoire-géographie, CLG Fernande Benoist, Hazebrouck Valérie Owsinski, EMF, Ecole Michelet, Lille Cette expérience est menée dans une classe de CM2 et dans une classe de Quatrième Elle vise à travailler les capacités connaître et utiliser les repères. Les compétences du socle ciblées sont celles de la culture humaniste. La Révolution s’inscrit au cœur des programmes de CM2 et de Quatrième. Il nous semblait donc intéressant de mener une observation croisée, qui aurait pour but de comprendre comment les élèves s’approprient les repères et les ancrent de manière durable dans leurs connaissances. Pour cela, nous avons d’abord échangé sur les attendus des programmes. Puis, nous avons dégagé un objectif commun à savoir mémoriser. Or, pour mémoriser, il faut que l’élève puisse voir, lire, écrire c’est-à-dire manipuler à plusieurs reprises et dans des contextes différents les repères chronologiques. L’élève doit pouvoir se représenter mentalement l’événement ou la période. L’image ainsi créée devient un déclencheur de connaissances. La mémorisation nécessite aussi de donner du sens aux repères. En effet, si l’événement n’est pas compris, il ne pourra pas être mémorisé durablement. Donner du sens c’est, bien sûr, décrire et expliquer. C’est aussi remettre le repère dans son contexte, c’est enfin ancrer l’action humaine dans le temps. Enfin, nous avons retenu les pratiques de classe suivantes : - les élèves émettent des hypothèses et les valident - les élèves construisent leur propre outil de mémorisation. LES TEMPS FORTS DE LA RÉVOLUTION À L’ÉCOLE PRIMAIRE 1. Points au programme en CM L’aspiration à la liberté et à l’égalité : C’est-à-dire comprendre que 1789 est une année exceptionnelle caractérisée par la fin de la monarchie absolue et la fin des privilèges ; parcourir les évènements qui mènent à ces changements ; savoir que la Déclaration des Droits de l’homme proclame la liberté et l’égalité comme principes fondamentaux. De nouveaux principes de gouvernement, la République et la Terreur : C’est à dire savoir que la monarchie constitutionnelle est un échec Première République ; la France est en guerre civile et extérieure contre les puissances européennes ; identifier les acteurs de cette période ; savoir qu’après la Terreur, la République est fragile. 2. Les repères étudiés à mémoriser Ces repères constituent la base d’une culture commune. Louis XVI – 14 juillet 1789 : prise de la Bastille – 26 août 1789 : Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen + VOCABULAIRE : révolution, liberté, égalité, citoyens, droits de l’Homme. Septembre 1792 : proclamation de la Première République + VOCABULAIRE : la Terreur, les sans-culottes, république, guerre civile, monarchie constitutionnelle 3. Les compétences du palier 2 du socle commun Il s’agit de la compétence 5, la culture humaniste. Connaître et mémoriser les principaux repères chronologiques (événements et personnages) en les situant les uns par rapport aux autres et en s’appuyant sur leurs caractéristiques majeures. Ces repères seront l’objet d’un apprentissage et d’un réinvestissement régulier et progressif au cours de la scolarité. 4. Le contexte de la classe La séquence a été menée, en novembre, dans une classe de CM2 de 29 élèves d’un très bon niveau. Les élèves sont curieux et motivés. Trois élèves sont en grande difficulté et quatre autres se montrent passifs et ne se questionnent pas facilement. C’est auprès de ces sept élèves que se met en place l’étayage de l’enseignant visant à faire émerger le questionnement lors de la phase d’étude des documents. 5. Le dispositif de présentation Le recours au dictionnaire au départ de la séance permet de donner du sens au mot « Révolution », il est défini comme un changement brusque, profond. Très vite les élèves l’associent à des adjectifs, tels que technologique. Dans le dictionnaire, il est associé à l’impressionnisme en peinture. Retour d’expérience Des élèves le relient à l’imprimerie, souvenir de CM1, où l’imprimerie avait été associée à révolution. Sur demande de l’enseignante, ces élèves ont explicité ce qu’ils voulaient dire, ceci afin que les autres élèves puissent eux aussi « raccrocher », déclencher l’évocation suscitée lors des séances sur les Temps modernes. Ensuite, les élèves « déballent » tout ce qu’ils connaissent déjà de la Révolution, cette fois française. Mais à ce moment de la séance, ils émettent également des hypothèses en replaçant le sens du mot « révolution » dans un contexte historique. Le rôle du maître lors de ce moment consiste à répéter ce qui vient d'être dit, susciter des précisions, favoriser les compléments d'informations par l'élève ou par d'autres, poser une question, être scripteur. Une trace de l’ensemble des connaissances des élèves est collée dans le cahier afin d'ancrer les remarques, les connaissances, le cheminement de l'ensemble des élèves dans un vécu commun de classe. Retour d’expérience Il est remarquable que pour les élèves toute expérience de la Révolution peut donner lieu à une remarque (cf : remarque dont l’origine est une réplique de théâtre). Tous les élèves ont des connaissances sur la Révolution, au moins le fait que le roi a été guillotiné. Beaucoup d’élèves associent le 14 juillet et la Révolution, parfois la prise de la Bastille. Ensuite, sont proposés aux élèves trois documents, ils servent d’accroche dans un premier temps, mais également de documents d’étude. Ce sont ces documents qui doivent susciter le questionnement. Celui-ci devra émerger des élèves. Ils sont présentés les uns à côté des autres sur une feuille en format paysage afin de susciter leur confrontation, c’est de cette mise en relation que pourra naître le questionnement des élèves. Dans ces trois documents, ils peuvent reconnaître des éléments construits au préalable : le portrait de Louis XVI en costume de sacre qu’il rapproche de l’image de Louis XIV en monarque absolu ; ils retrouvent aussi une connaissance qu’ils ont déjà : une image du roi guillotiné dont la tête est montrée à la foule. Retour d’expérience La présentation en ligne des trois documents et les lignes tracées sous ces trois documents sont importantes et permettent aux élèves, me semble-t-il, de ne pas tomber dans une lecture des documents les uns après les autres. En effet seule la mise en perspective de ces trois documents pouvait faire émerger un questionnement propice à une appropriation des savoirs à venir. Ces trois documents mettent en exergue des ruptures, identifiées par l’enseignant. C’est ici que, selon nous, la progressivité des apprentissages entre le CM2 et le collège est visible. Les ruptures données aux élèves en CM2, feront l’objet d’un travail de construction mené par les élèves de Quatrième (cf les temps forts de la Révolution au collège). Ensuite, une mise en commun des questionnements des élèves et un retour sur la lecture des documents sont menés en collectif. Une trace de ce moment de la démarche est collée dans les cahiers des élèves. Ainsi, dans le cahier des élèves, l’ensemble du cheminement qu’il soit le fruit du travail plus individuel (ou par petit groupe) ou le résultat de la confrontation des découvertes, des questionnements de la classe apparaît. Le cahier des élèves devient le reflet du parcours intellectuel suivi par les élèves. Retour d’expérience On constate que le questionnement des élèves est extrêmement pertinent. Il permet de toucher du doigt les points du programme et s ‘appuie sur des comparaisons entre ce que les élèves savent et ce que le document vient remettre en cause. Enfin, la dernière étape est celle du récit de l’enseignant qui apporte les réponses au questionnement des élèves. Il permet de donner du sens à l'activité en répondant au questionnement, il inscrit les repères dans l'action humaine et dans le temps et il permet de gagner un temps considérable pour une période très dense en évènements. Ce récit est illustré de documents qualifiés cette fois de documents illustratifs projetés. Ils permettent « d’alimenter » les élèves en images mentales autour de la Révolution. Cet apport en images mentales sera, selon nous, très important quand en Quatrième, les élèves retravailleront sur la Révolution. Nous faisons le pari que cela aidera à convoquer des savoirs, des repères situés les uns par rapport aux autres. Le récit est organisé en deux temps : Des Etats généraux à la Déclaration des Droits de l' homme et du citoyen De la Fête de la Fédération à la Terreur Lors de cette phase, les élèves prennent des notes qu’ils organisent comme ils le souhaitent lors d’une séance, cette fois, de français. Pour cela, une feuille A3 est distribuée. Enfin pour terminer, un tableau avec les grandes dates de la Révolution française est complété et les repères exigés par le programme sont surlignés. Ainsi ces repères auront été lus (sur les documents présentés), entendus à de maintes reprises, remis en contexte, les élèves s’en sont emparé lors de la prise de notes et les ont restitués dans l’organisation de leurs notes et, pour terminer, ils les ont recopiés dans un tableau. C’est après les avoir manipulés «dans tous les sens» que les élèves peuvent les mémoriser. L‘évaluation L’évaluation classique, menée peu de temps après la séquence a été bien réussie par une très grosse majorité des élèves. La notion de révolution, les repères et le vocabulaire sont intégrés. Une deuxième évaluation est donnée aux élèves, cette fois très à distance de la séquence, elle est très courte et porte uniquement sur les repères. Il s’agit de relier des évènements à des dates ou des durées. Là encore, l’évaluation est bien réussie et convoque chez les élèves des savoirs contextualisés qu’ils ont envie de verbaliser à l’occasion de l’évaluation. LES TEMPS FORTS DE LA REVOLUTION AU COLLEGE 1. Points au programme en 4ème Deuxième partie. La Révolution et l’Empire (environ 25% du temps consacré à l’histoire) Thème 1 - LES TEMPS FORTS DE LA RÉVOLUTION CONNAISSANCES L’accent est mis sur trois moments: - 1789-1791 : l’affirmation de la souveraineté populaire, de l’égalité juridique et des libertés individuelles ; - 1792-1794 : la République, la guerre et la Terreur ; - 1799-1804 : du Consulat à l’Empire. DÉMARCHES On renonce à un récit continu des événements de la Révolution et de l’Empire ; l’étude se concentre sur un petit nombre d’événements et de grandes figures à l’aide d’images au choix pour mettre en mettre en évidence les ruptures avec l’ordre ancien. CAPACITÉS Connaître et utiliser les repères suivants - La Révolution française : 1789-1799. Prise de la Bastille : 14 juillet 1789 ; Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : août 1789 ; proclamation de la République : septembre 1792 - Le Consulat et l’Empire : 1799-1815. Napoléon Ier, empereur des Français : 1804 Raconter quelques uns des événements retenus et expliquer leur importance 2. Les repères étudiés à mémoriser a) Connaître et utiliser les repères suivants − La Révolution française : 1789 – 1799. Prise de la Bastille : 14 juillet 1789 ; Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : août 1789; proclamation de la République : septembre 1792 − Le Consulat et l’Empire : 1799 – 1815. Napoléon Ier, empereur des Français : 1804 b) Raconter quelques-uns des événements retenus et expliquer leur importance 3. Les compétences du palier 3 du socle commun Il s’agit des compétences 5 et 6. COMPETENCE 5, CULTURE HUMANISTE Domaine, avoir des connaissances et des repères Relevant du temps Les différentes périodes de l’histoire de l’humanité – Les grands traits de l’histoire (politique, sociale, économique, littéraire, artistique, culturelle) de la France et de l’Europe Relevant de la culture civique Droits de l’homme –Formes d’organisation politique, économique et sociale dans l’Union Européenne – Place et rôle de l’Etat en France – Mondialisation – Développement durable b) COMPETENCE 6, CONNAÎTRE LES PRINCIPES ET FONDEMENTS DE LA VIE CIVIQUE ET SOCIALE Domaine, principaux droits de l’Homme et du citoyen Connaître les principaux articles de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen (articles 1, 6, 7, 8, 9). 4. Le contexte de la classe J’ai mené ce travail dans trois classes de Quatrième. Ces classes ont des profils très différents. : La 4ème M. est une classe d’un très bon niveau. Les élèves sont dynamiques, vifs et volontaires. La 4ème P. est une classe passive très hétérogène. Les écarts de niveau entre les élèves sont très larges. Une pédagogie différenciée est souvent indispensable. La 4ème R. est une classe où les élèves en grande difficulté sont nombreux. L’absentéisme chronique et perlé pose le problème de la continuité des apprentissages. 5. La démarche adoptée en 4ème R. Il s’agit d’abord de découvrir les moments forts de la Révolution au travers de représentations picturales. Pour cela, les élèves reçoivent dans une enveloppe des reproductions de tableaux et de gravures sans leur cartel, ainsi que des notices explicatives. Le but est alors d’identifier la représentation. L’élève doit donc retrouver le titre et la date de l’événement, puis la notice explicative correspondant à chacune des reproductions. La deuxième étape consiste à classer les vignettes dans l’ordre chronologique. Le tout doit être collé sur une feuille A3. L’élève est libre de son organisation. RETOUR D’EXPERIENCE La plupart des élèves commence par séparer les reproductions des textes. Puis, ils cherchent dans leur manuel les reproductions. Le but est d’identifier l’événement. C’est un travail long et parfois fastidieux car les élèves ont des difficultés à mémoriser suffisamment les reproductions. Ils se découragent parfois devant la quantité de pages à consulter. Quelques élèves ne parviennent pas non plus à surmonter le passage entre la couleur et le noir et blanc. Cette recherche documentaire permet néanmoins de montrer aux élèves l’utilité d’utiliser le sommaire et les documents du début de chapitre, comme les frises chronologiques. Certains sont étonnés de la richesse de leur manuel et s’attardent sur des documents inédits. La mise en relation des reproductions avec leur notice est assez vite réalisée lorsqu’elle est faite parallèlement à l’identification. Si ce n’est pas le cas, les élèves doivent retrouver les reproductions dans leur livre, ce qui allonge le temps de travail. Le classement par ordre chronologique s’avère être l’activité la plus facile. La majeure partie des élèves utilise la feuille en format paysage. Ceux qui ont l’intention de l’utiliser en format portrait en sont dissuadés très vite par les autres. Lorsqu’ils persistent, ils l’utilisent de haut en bas comme une toise. Ils gagnent aussi de la place en collant les vignettes à droite et à gauche. La mémorisation est alors facilitée car les différentes images constituent comme les lignes d’un tableau. Utiliser la feuille au format portrait s’avère être la meilleure des solutions. Beaucoup collent les différents événements de l’année 1789 sans les organiser. Ils n’ont alors plus de place pour le reste. La manipulation et les difficultés rencontrées permettent de revenir sur les différents temps abordés dans ce chapitre : des temps longs (des périodes) qui se déclinent en des temps courts (événement). La question qui revient le plus est pourquoi certains repères sont plus précis que d’autres (14 juillet 1789 ; août 1789; 1804) Ce premier travail aboutit à une lecture linéaire de l’Histoire de la Révolution et de l’Empire. Afin de nuancer cette approche, l’étape suivante consiste à repérer les documents marquant une inflexion voire une rupture dans la chronologie. L’élève commence par souligner en rouge les dates, en vert les acteurs individuels et collectifs. Il encadre le nom des nouveaux régimes. Lorsque ce travail est terminé, l’élève choisit trois événements marquant un tournant de la Révolution française. Il justifie sa réponse. RETOUR D’EXPERIENCE Souligner les dates ne pose aucun problème. Souligner les acteurs individuels et collectifs relève d’une véritable gageure. Les élèves ne comprennent pas le sens du mot acteur et lorsqu’il s’agit d’un groupe, c’est encore plus délicat. Enfin, la recherche des trois événements charnières est l’exercice le plus complexe car les élèves n’ont pas une vision globale de la période. Ils n’ont pas non plus les mêmes priorités que le professeur. Ainsi pour eux les guerres sont davantage des ruptures alors que les changements de gouvernement ne leur semblent pas être des événements majeurs. Il faut donc accompagner les élèves dans leur réflexion et, selon leur niveau, caractériser les événements qu’il faut choisir. La dernière étape est la construction du récit. Les documents « charnières » servent à circonscrire des groupes de documents, qui deviendront les différentes parties du récit. Cette rédaction est réalisée en binôme et donne lieu à une présentation orale. RETOUR D’EXPERIENCE Le travail s’effectue assez rapidement s’il est guidé. Les élèves vont rechercher dans les notices les éléments soulignés et encadrés pour construire des parties et mettre en relation les événements. La prestation orale est assez bien réussie car ce n’est pas la première. Les élèves se sont mieux répartis les rôles. Ils ont aussi eu tendance à moins utiliser leurs notes. La raison en est simple : ils ont mémorisé davantage d’éléments en manipulant à plusieurs reprises les repères chronologiques. Ils ont eu enfin le temps de les assimiler. Avant de passer au thème suivant, les élèves complètent à la maison un tableau chronologique qui compile tous les repères chronologiques exigés. Pour les élèves de 4ème M. et certains élèves de 4ème P., les notices ne sont pas fournies. Elles doivent être rédigées par les élèves. Elles deviennent ainsi des prémices du récit. 6. L’évaluation. Les évaluations ont été largement réussies. Les événements sont mémorisés pour les deux tiers. La proclamation de la République, le Consulat et l’Empire sont les deux repères les moins intégrés. La notion de Révolution est bien comprise. J’ai pu le vérifier lors de l’étude de l’âge industriel. BILAN Lors de cette expérience, une question fondamentale nous est apparue : quelle est la progressivité à mettre en œuvre dans l’acquisition des repères chronologiques ? Il nous semble que cette progressivité apparaît dans le travail mené autour des ruptures. Il n’est pas question d’être à l’école élémentaire dans une histoire uniquement linéaire de la Révolution française. Mais là où en CM2, les ruptures sont données par le choix restreint des documents d’étude, en Quatrième, c’est bien aux élèves de les identifier et de les justifier, travail difficile. Il n’en reste pas moins que le questionnement n’est, lui, en rien donné ni aux élèves de CM2 ni aux élèves de Quatrième. Ce travail collaboratif nous a permis d’une part, d’échanger sur les pratiques de classe de chacun et, d’autre part, de les transposer au niveau d’enseignement choisi. Enfin, tout au long de cette séquence, nous avons vu se bâtir des habitudes intellectuelles que les élèves ont pu réinvestir dans d’autres chapitres.