Le soufisme n'a rien à voir avec les formes dégénératives de maraboutisme et de ses sectes. Le soufisme c'est l'intériorité de l'Islam. Roger Garaudy Le soufisme est la voie mystique de l’islam. Il représente le combat spirituel (jihád) qui exige la purification de l’esprit par l’ascèse, la contemplation (musháhada) et l’invocation de Dieu (dhikr) L'audition est de deux sortes. Une classe d'hommes écoute les paroles et en retire une admonition. Une telle personne écoute seulement de manière discriminatoire et avec son cœur présent. L'autre classe écoute la mélodie qui est la nourriture des esprits ; quand l'esprit obtient la nourriture, il parvient à sa propre station spirituelle abandonne le gouvernement du corps ; c'est alors qu'apparaît chez les auditeurs une commotion et de l'agitation Kalábádhí(m.990) Répertoire choisi : 1/ Cantiques de la Záwya al-Harráqiyya Le chef spirituel de la confrérie (záwya) al-Harráqiyya de Tétouan, ville située dans la région Nord du Maroc, est sídí Muhammed al-Harráq. Né à Chefchaouen, il s’installe à Tétouan où il va vulgariser les principes de la voie mystique de son maître Múláy l-‘Arbí d-Drqáwí. Son arbre généalogique remonte à Múláy ‘Abd s-Salám Ibn Mashísh (m. 1226), le grand pôle de l’occident musulman et le maître du célèbre soufi Abú l-Hasan ash-Shádilí (m.1256). De Ibn Mashísh, la chaîne remonte jusqu’à l’un des compagnons et gendre du prophète Muhammad, sayyiduná ‘Alí Ibn Tálib. Sídí Muhammed al-Harráq était un grand connaisseur des sciences exotériques et un grand poète. Son disciple Múláy l-‘Arbí d-Dilá’í r-Rbátí (de Rabat, la capitale actuelle du Maroc) rapporte le suivant témoignage : « Relativement à la littérature et à la poésie, il était unique à son époque. La reconnaissance de ces dons exceptionnels est attestée par ses contemporains ». Les piliers de son enseignement sont : dhikr (remémoration/ litanie répétitive), mudhákara (dialogue), ‘ilm (science/ savoir) et mahabba (amour). Il divulgue son savoir durant plus d’une trentaine d’années et fut enterré en 1844 au sein de sa propre záwya qui est située à côté du cimetière de Tétouan. La copie qui reste de son recueil de poésie « díwán », est due à son disciple múláy l-’Arbí d-Dilá’í. Cette compilation est considéré comme l’un des répertoires les mieux connus et diffusés au Maroc. Il constitue une référence de premier choix dans les réunions (majális) de cercles soufis, à l’instar de la poésie mystique de ‘Umar Ibn al-Fárid (Caire: 1181-1235) et Abú l-Hasan alShushtarí (Guadix 1212, Tína 1269). Cette base poétique va constituer un matériau fertile pour des compositions musicales qui seront chantées dans la plupart les confréries au Maroc. La taríqa (voie mystique) al-harráqiyya va connaître une expansion extraordinaire grâce à ses disciples et principalement grâce à múláy l-‘Arbí d-Dilá’í. La záwya harráqiyya de Tétouan est connue pour sa tolérance en ce qui concerne l’usage des instruments de musique au sein de la confrérie. Ces derniers sont même prisés par le sheij (maître) et les murídín ou fuqárá (disciples). Dans les plus célèbres occasions religieuses de l’année, les festivités commencent au sein de la záwya harráqiyya par le jeu des núba-s (al-ála ou musique andalouse) qui utilisent des panégyriques comme support poétique (surtout raml l-máya et isbihán). Ensuite, on enchaîne avec des chants soufis jusqu’à ce que les disciples ne peuvent plus contenir le mouvement intérieur de leur âme et sur un signe du sheij toute la salle se met debout donnant le point de départ à la ‘imára ou hadra (danse mystique). Les instruments de musique sont rangés et c’est le vacarme extraordinaire de tbel (type de tambour) qui prend la relève. Les premiers adwár (cantiques) choisis pour cet enregistrement sont d’une rythmique gaie et vivace et tentent d’imiter les mouvements de l’âme quand elle se trouve au zénith de sa divine inspiration. Ils projettent sur l’auditeur un jet énergétique très bénéfique pour des esprits de plus en plus épris par une vie matérielle insuffisante pour combler le vide spirituel et la grande nostalgie qui ronge les cœurs et les laisse errer dans des espaces vagues et sans objectif. Grâce au célèbre musicien de Tétouan, disciple de al-Harráqiyya, Abdessádaq Shqára (1931-1998), ces airs sont devenus très populaires au Maroc. Leur particularité réside dans le fait qu’ils sont chantés aussi bien pour des occasions religieuses que profanes. Le mode choisi est celui de DO. Le muwwal, interlude vocal avec des réponses instrumentales en solo, reprend le mode zrga, typique de la záwya,. Les poèmes utilisés sont tous de Sídí Muhammed al-Harráq sauf le deuxième qui est de son disciple Múláy l-‘Arbí d-Dilá’í et où il cite son maître comme étant son initiateur dans la voie mystique. Le dernier ver chanté est une prière dans le mètre mutaqárib. 2/ al-Ádhán Le texte de al-ádhán se base sur la confession de la foie (shaháda), qui constitue le pilier fondamental parmi les cinq préceptes de l’islam. Depuis le haut du minaret de la mosquée, cet appel à la prière se pratique cinq fois, selon les cinq prières de la journée : le premier commence avec le lever du soleil (subh), le deuxième quand le soleil est à son zénith (zhuhr), le troisième entre zhuhr et al-maghrib, le quatrième coïncide avec le coucher du soleil (almaghrib) et le cinquième s’effectue à une à deux heures après la prière de almaghrib (al-‘ishá’). Avec la psalmodie du Coran, l’appel à la prière peut être considéré comme un soubassement de l’art du chant qui va connaître un essor extraordinaire grâce à l’avènement de l’islam. Il nécessite une voix claire, intelligible et puissante. Les modes choisis pour son exécution dépendent des différentes aires géographiques de l’islam. Sur cet enregistrement, le mode dans lequel est opéré cet appel à la prière est raml l-máya qui se base sur le ré comme note fondamentale. Dans ce mode, il existe toute une núba dont la poésie a été convertie en panégyriques dans le répertoire de al-ála ou musique andalouse de tradition marocaine. 3/ Le Coran La psalmodie du Coran ou l’art de sa récitation, consiste en une lecture du texte du livre saint de l’islam suivant des règles strictes et très élaborées. L’ensemble de ces règles constitue une science qu’on désigne sous le nom de tarthíl et tajwíd. Dans l’école coranique l’élève (tálib) commence dès l’âge de cinq ans à apprendre par cœur le contenu du texte sans en saisir le sens. Ce n’est que dans un deuxième temps qu’il reçoit l’enseignement du message coranique (tafsír) et des sciences théologiques. Le récitant du Coran qui se spécialise dans l’étude du tarthíl et tajwíd doit être doté d’une voix claire et harmonieuse, posséder une bonne prononciation phonétique de la langue arabe et savoir maîtriser le souffle de la respiration afin de découper correctement les différents versets (áya). Si le découpage est mal opéré, le sens du message divin pourrait être altéré ce qui constituerait un sacrilège. Donc le muqri’ ou récitant doit être conscient de cette lourde responsabilité et prier Dieu afin de lui pardonner des erreurs dus à la distraction dont tout humain est sujet. 4/ al-Mawlidiyya : hommage en commémoration de la naissance du Prophète, sayyiduná Muhammad, qui vit le jour à la Mecque le 12 rabí’ 1er de 571 de l’ère chrétienne. Al-Mawlid, constitue l’une des fêtes les plus importantes de l’islam. Selon la révélation coranique, le prophète Muhammad est le dernier messager de Dieu et la mission qui lui a été confiée par notre Seigneur, à l’âge de quarante ans, s’adresse à toute l’humanité sans distinction ni de couleur ni de race. A l’époque des Mérinides (1214 – 1471) et des Beni-Ouattas (1471 – 1554), cette fête va devenir officielle au Maroc. Accompagnés des plus hauts responsables et dignitaires de l’état, les rois président eux-mêmes les festivités. Le monarque Mérinide, Abú Ya’qúb Yúsuf imposa le jour de la naissance du comme jour de fête nationale, à l’instar de ‘íd al adhá (fête du mouton) et de ‘íd al fitr (premier jour de rupture du jeun, juste après le mois de Ramadan). L’auteur des « Prolégomènes » Ibn Jaldún (Tunis 1332 – Caire 1406), nous informe que les rois de al-Andalus vont imiter leurs homologues maghrébins en célébrant cette fête. Dans l’actualité, ce jour constitue une référence importante dans le musulman. Au Maroc, les festivités qui ont lieu à cette occasion sont grandioses. Chaque année, le défunt roi Hachant II, invitait les munshidín-s et musammi’ín-s (chanteurs spécialisés) des différentes régions du royaume afin de commémorer la fête au sein du mausolée Muhammed V à Rabat et ultérieurement à la grande mosquée Hassan II à Casablanca. Au sein des foyers de particuliers, beaucoup de femmes se réunissent pour faire le tbyít (la veillée). Elles préparent un repas spécial et chantent des panégyriques en langue dialectale jusqu’à l’aube. Un vers qui se chante à cette occasion est tellement célèbre que les mères bercent leur bébé en répétant sa mélodie : L’arrivée de l’aube est proche, et les anges sont contents/ De la naissance de Muhammad, Dieu prie sur lui. Malheureusement, avec l’effet dévastateur de la modernité, toutes ces traditions ancestrales commencent à perdre de leur force. Quant aux cérémonies qui se déroulent à l’intérieur des mosquées et des záwya-s (confréries), elles commencent après la prière du maghrib (après le coucher du soleil). On commence par la récitation en groupe du Coran. Ensuite, on chante les deux plus célèbres poèmes panégyriques écrits par Sharaf d-Dín al-Busayrí (1213-1295) et connus sous le nom de al-Burda et al-Hamziyya. On laisse des espaces pour des discours qui rappellent les vertus du Prophète ou la Mawlidiyya qui est enregistrée sur ce CD. La première partie de la mawlidiyya est célébrée alors que tous les assistants sont assis sur terre, les jambes entrecroisées. Pour la deuxième partie ou le «salut», tout le monde se met debout en honneur à celui qui a été glorifié par les sphères célestes, les humains et les génies. Si on est dans une záwya, après le dîner, qui est offert généreusement par le sheij (maître) aux disciples (fuqárá) et aux invités, on entre dans la ‘imára (décrite ci-dessous) en passant à la poésie du vin (jamriyyát) qui décrit l’ivresse divine avec des poètes mystiques célèbres comme : al-Shushtarí, al-Harráq, Ibn al-Fárid etc. Si on est dans une mosquée on continue la récitation du Coran jusqu’à l’aube. 5/ Yáda bi-l-Wisál : Ce poème de al-Shushtarí n’est chanté de cette manière que dans la záwya l-Harráqiyya de Tétouan. Ce rythme de la hadra à quatre temps est très captivant et il est beaucoup plus usité en orient. Il paraît que cette mélodie a été composée par le sheij sídí 'Arafa al-Harraáq. Dans le concept de la musique traditionnelle on retient rarement le nom du compositeur. Le stade de la ‘imára, l’extase ou la transe a été décrit par le grand imám al-Gazzálí (1058 – 1111) dans son précieux livre la revivification des sciences de l’islam :"Quand ce feu a pris possession du cœur, sa fumée monte dans le cerveau et submerge ses sens si bien qu'il ne voit ni n'entend, comme s'il était endormi, et s'il voit ou entend, il demeure obtus et fermé, comme un ivrogne...Par contre, les révélations consistent chez les soufis en l'apparition de choses dans la conscience secrète, parfois revêtues d'une forme imaginative, parfois d'une manière directe. L'effet du samá‘ dans cet état est de purifier le cœur comme un miroir jusqu'à ce qu'une forme apparitionnelle se reflète en Lui. Et tout ce que l'on peut rapporter à ce sujet n'est que savoir, raisonnement et analogie, et nul ne peut en saisir la réalité à moins d'être parvenu à ce degré. Chacun comprend en fonction de son propre degré, et s'il veut convaincre quelqu'un, il le fera avec les arguments de son propre degré, lesquels relèvent du "savoir" et non de l'expérience directe". Afin de nous informer sur ce qui se passait en occident dans l’âge médiéval, méditons sur cette réflexion de Jacques Challey : « le monde chrétien actuel demande à l'extase, en dépit de l'étymologie de son nom, de faire "rentrer" le fidèle en lui-même, dans la paix du silence de l'âme, là où précédemment il sortait de lui-même dans l'exaltation du rythme et des bruits. Il nous explique par ailleurs, que l'interprétation que l'on donne au plain chant "planus-cantus" comme étant un chant "uni" modéré, sans heurts ni contrastes, ancêtre vénérable de la musique de l'église neutre et recueillie, a subie une déformation et qu'à l'époque médiévale le "plain chant" est l'antithèse de cantus mensuratus ou "chant mesuré" ». 6/ A Tárikí Sáhira l-Layálí Ce muwashshah (poème strophique de création andalouse) de sídí Muhammed al-Harráq n’est utilisé sous cette forme que dans la záwya al-Harráqiyya de Tétouan. Avec la mort des maîtres toutes ces belles mélodies risquent de sombrer dans l’oubli ou de disparaître à jamais. Chaque maître du samá’ ou de al-ála qui nous quitte, suppose la disparition d’une partie de ce précieux patrimoine. Le mode utilisé dans cette composition, qui intercale une partie rythmée avec une partie ad-piacere, s’appelle Rasd d-Dayl at-Titwání (de Tétouan). On trouve ce mode dans quelques san’a-s (œuvres d’art ou chansons) du répertoire des núba-s de la musique andalouse comme núba-s Gríbt l-Hsín et Rasd d-Dayl. Par contre on retrouve ce mode avec plus de fréquence dans les chansons du répertoire populaire du nord du Maroc qui lui aussi est entrain de s’évaporer. 7/ improvisation rythmée sur un poème de al-Harráq Sur un fond de rythme btáyhí à quatre temps, soutenu par le ‘úd (luth) et le b’ndír (tambour sur cadre), la voix soliste improvise librement en passant d’un mode à un autre selon le stade émotionnel du chanteur. Cette forme de chant libre qui utilise des inflexions mélodiques accusées, une expression forte et audacieuse, des modulations recherchées, des vibratos chargés d’émotion commence à disparaître avec la vague d’influence orientale qui ravage notre style andalou-maghrébin. Signé : Omar Metioui N/B./ Traducción de Beneito : Página 1 : pie de p’agina, si es coran. Página2 : entre los Baní Háchim. Página2 fecha de nacimiento del Profeta : 12 y no 22 de Rabí’… Página 3 : como no tenemos los puntitos de la translitaración mejor escribir : Muwashshah./ Muhammad al-Harráq