UNIVERSITÉ PÉDAGOGIQUE DE VILNIUS FACULTÉ DE LANGUES ÉTRANGÈRES Département de la philologie et didactique françaises Master langues II – ième année Živilė Biekšienė L’étude diachronique de la langue française ( au niveau phonétique ) Directeur du travail : Docteur en sciences humaines Daiva Mickūnaitytė VILNIUS 2005 1 Table des matières I. L’introduction _____________________1 II. L’évolution phonétique du français durant des siècles : 1. L’ancien français : __ a) le système vocalique ___________________________4 b) le système consonantique _____________________4 ____________________11 2. Le moyen français : __________________________15 a) le système vocalique __________________________15 b) le système consonantique ____________________19 3. Le français au XVIe siècle : ____________________21 a) le système vocalique __________________________21 b) le système consonantique ____________________26 4. Le français moderne : ____________________28 a) le système vocalique __________________________28 b) le système consonantique ____________________33 5. Le français contemporain : ____________________36 a) la structure phonétique ____________________36 III. La conclusion ____________________41 2 INTRODUCTION Dans ce travail nous allons parler de l’étude diachronique de la langue française au niveau phonétique. Premièrement nous allons définir qu’est ce que c’est que la langue et la phonétique. Après on va passer l’étape par l’étape pour expliquer les changements phonétiques de la langue française au cours de son histoire. Nous allons commencer par l’ancien français et nous allons finir par le français contemporain. Nous commencerons par l’ancien français, parce que c’est la première période où des transformations capitales dans l’évolution du phonétisme français sont déjà acquises et le système phonétique devient plus au moins stable. Toute langue est perpétuellement en cours d’évolution. Elle change plus au moins considérablement d’une génération à une autre. Ces changements sont cependant si imperceptibles qu’il se succède plusieurs générations avant qu’on en prenne conscience. Au début, ils n’atteignent que les éléments isolés de la langue pour s’accumuler petit à petit et aboutir à des modifications catégoriales importantes. La langue se modifie même dans la façon de parler d’un même individu suivant le milieu et le but de l’énoncé. Les notions de développement et de modification sont donc propres à l’état synchronique d’une langue autant qu’à sa diachronie. L’évolution est inhérente à tout phénomène de la nature et de la société, à plus forte raison frappe-t-elle le langage humain. Ce sont les besoins de la communication dépendant plus au moins directement de structures économiques et politiques de la société qui causent divers changements dans la langue. La phonétique se donne pour l’objet d’étudier l’ensemble des moyens phoniques d’expression d’une langue : les sons, leurs différentes combinaisons et modifications, leur emploi dans le langage, les nombreux procédés intonatoires utilisés par l’idiome tels que les accents, la mélodie, le rythme, etc. Tous ces éléments constituent le système phonétique d’une langue ; ils sont étroitement liés et exercent une influence plus au moins grande les uns sur les autres. 3 Il faut constater que les différents éléments du système agissent et se développent en fonction de leurs rapports mutuels. L’étude la plus globale vise à recencer les possibilités articulatoires de toutes les langues connues pour en dégager une théorie du fonctionnement de l’appareil phonatoire et dresser une typologie des transformations par lesquelles passent les évolutions. Mais elle peut se restreindre à un groupe de langues ou même, par abandon de toute préoccupation comparative aussi bien qu’évolutive, se borner à établir le système phonique d’une langue donnée à un moment donné de son histoire, et, s’en tenir, à des fins éducatives, aux principes qui régissent la prononciation officielle de cette langue dans le moment présent. L’évolution phonétique est un processus fort long ; elle dure souvent plusieurs siècles avant d’aboutir à un changement complet. La structure phonétique française, elle subit quatre modifications de base. C’est ainsi que l’évolution phonétique française présente, pour les consonnes, deux périodes, celle de l’ancien français et celle du français moderne constitués au moyen âge, tandis que pour les voyelles il y en a quatre : les diphtongues de l’ancien français, les monophtongues du moyen français, les différences quantitatives et qualitatives y compris le caractère phonologique de la nasalité en français moderne et les oppositions qualitatives du français contemporain. Depuis le début de la linguistique historique les changements phonétiques ont été plus étudiés que tous les autres. Le travail fondamental a été d’établir le tableau comparatif, son par son, des changements survenus à l’intérieur du groupe des langues indo-européennes, puis du groupe des langues romanes. Chacun de ses changements était présenté comme une « loi » dont on constatait l’application dans certaines limites géographiques et chronologiques. La phonétique théorique a pour but de mettre en valeur les caractéristiques essentielles du système phonétique, de préciser la place qu’occupe chaque forme dans le système étudié et si c’est possible de l’expliquer. Ainsi, par exemple, il ne suffit pas de constater l’existence de la loi de position qui régit en partie le vocalisme français ; 4 il importe de préciser les conditions qui déterminent son application et les causes de son apparition en français. L’essor de la phonologie a orienté les recherches vers les facteurs de déséquilibre internes aux systèmes de phonèmes : dissymétries, phonèmes isolés, oppositions à faible rendement. Mais là encore, pour les époques anciennes, des hypothèses cohérentes n’ont pu être élaborées que pour un petit nombre de transformations, et la difficulté majeure à laquelle on heurte est l’extrême lenteur de beaucoup d’évolutions. 5 L’ancien français ( IXe – XIIIe ss. ) Le vocalisme de l’ancien français L’histoire de l’ancien français commence au XIe siècle avec « La vie de saint Alexis », écrite vers 1040 : « bons fut li secles al tens ancienur, quer feit i ert e justise e amur » ( il faisait bon vivre au temps des ancêtres, car régnaient alors la justice et l’amour ). Toutes les modifications formelles ne relèvent pas de la seule phonétique ; la morphologie, avec les alignements q’elle impose, y a sa part. Mais la plupart d’entre elles se ramènent à des variations purement articulatoires. Voyelles et consonnes, placées dans des conditions particulières, se sont atténuées, puis effacées ou, au contraire, renforcées et modifiées. Toute étude formelle de l’ancien français s’ouvre par la phonétique. Les modifications syntagmatiques survenues à l’époque romane ont formé en grande partie le phonétisme de l’ancien français. L’ancien français est régi par les mêmes tendances du développement que le gallo-roman et parfois le latin parlé : la tendance à l’articulation antérieure ( [u] > [y] ), la formation des constrictives prélinguales ( [ts], [dž], [dz], [tš] ), à la nasalisation des voyelles devant une consonne nasale, à la syllabe ouverte ( réduction des groupes consonantiques, vocalisation de l devant consonne, passage de quelques diphtongues descendantes aux diphtongues ascendantes, réduction des diphtongues et des triphtongues ), à l’enrichissement de la série des constrictives. Une des tendances se forme en ancien français à la suite de la constitution de la voyelle antérieure labialisée [y], c’est la tendance à la labialisation dans la série des voyelles antérieures. Elle aboutira à la formation de la voyelle [œ] après la monophtongaison des diphtongues eu, ue. La labialisation atteint également le consonantisme français, et nottamment la série des constrictives prélinguales formées après la réduction des affriquées [tš], [dž] > [š,ž] qui sont des consonnes labialisées. Bien que le vocalisme de l’ancien français soit riche en phonèmes, la classe des phonèmes simples ( voyelles fondamentales, monophtongues ) est plutôt pauvre à 6 l’époque. Elle comprend en très ancien français ( IXe – XIe s. ) deux séries inégales : les voyelles antérieures au nombre de six et les voyelles postérieures qui ne sont que deux. Le système des monophtongues se présente comme suit : i y - e ẹ ọ ę o a La prédominance des voyelles antérieures devient une des marques capitales du phonétisme français, celle qui le caractérise à toutes les étapes de son évolution. A part le caractère franchement avancé de [a] qui a supplanté le a moyen du latin et les trois phonèmes e, l’ancien français possède une nouvelle voyelle antérieure labialisée – [y] qui provient de la voyelle postérieure du latin [u]. Comme la labialisation devient au cours de l’évolution français un des traits pertinents fondamentaux de la langue, c’est en partant du caractère labialisé de la voyelle [y] que les linguistes cherchent à expliquer l’origine de cette modification. Le changement [u] > [y] s’opère à partir du VIIIe s. L’essentiel dont il faut tenir compte, c’est que [y] provient de la voyelle postérieure [u] , qui est déjà une voyelle labialisée. Il serait juste d’attribuer le changement [u] > [y] à la tendance à l’articulation antérieure qui régit beaucoup de modifications syntagmatiques et paradigmatiques depuis le latin parlé. A la suite du développement [u] > [y], il apparaît, dans le système phonématique du vocalisme, une nouvelle opposition phonologique [i – y] qui semble n’avoir atteint au début que le dialecte francien. Au XIe – XIIe ss. se fixe le timbre des voyelles initiales [ i ] et [u ]. La syllabe initiale bénéficiait en latin d’une fermeté articulatoire toute particulière qui a préservé les voyelles atones de l’effacement. Elles n’ont été affectées que par des variations de timbre. Ainsi a en hiatus devant u : u latin se palatalise en ü vers le VIIIe siècle en entraînant la 7 centralisation de a en e : *habútum > audo matúrum > maduro > meür Vers XIIe siècle é fermé entravé tend à s’ouvrir : vĭrtútem > vertu et à l’inverse, o fermé tend à se fermer davantage : co ( h ) órte > corte > court Par cette fermeture de o en u, le français comble une lacune de son vocalisme : il réintroduit dans la série vélaire le phonème u, abandonnée à l’époque romane au profit de ü. L’ancien français possède encore une voyelle labialisée antérieure qu’on nomme e sourd. Il est difficile de juger de sa valeur phonologique à l’époque puisque e n’apparaît qu’en position non accentuée, issu des e et a libres en syllabe initiale ou du a posttonique final : menu < mĭnútu *fare hábeo > ferai cáusa > chose A part l’opposition « voyelle antérieure / voyelle postérieure », l’ancien français connaît l’opposition « voyelle ouverte / voyelle fermée », qui se manifeste dans les voyelles du moyen degré d’aperture – [ę] / [ẹ], [o] / [ọ]. Au cours du XIIIe s. le vocalisme s’enrichit d’un phonème fermé labialisé postérieur [u] issu du [ọ] tonique entravé, du [ọ] protonique et du [ọ] en hiatus : [cọrt] > [curt] [dọter] > [duter] [lọer] > [luer] La nasalisation En l’espace de XIe -XIVe siècles, toutes les voyelles et diphtongues en précession d’une consonne nasale ( m, n, n palatal ) se sont nasalisées. 8 Le début du phénomène coïncide avec l’apparition des grands textes littéraires. La nasalisation s‘accentue et touche toutes les voyelles ( excepte u ) se trouvant devant une consonne nasale, les diphtongues ascendantes et celles des diphtongues descendantes qui ne comportent pas l’élément u dans la même position. L’action nasalisante se fait précéder, vers le VIIe siècle, d’une action fermante de la consonne nasale sur e, o ouverts et sur la diphtongue ae ( < á ) qui passe à e, o fermés et ai : ámat > aemat > aimet C’est ainsi que l’ancien français possède des voyelles fermées nasalisées, telles que : [ĩn], [ỹn] . Cependant les sons nasalisés ne représentent pas en ancien français des phonèmes spécifiques, ce ne sont à l’époque que des variantes nasalisées des phonèmes oraux, suivies d’une consonne nasale. Il importe de préciser que les variantes nasalisées ne semblent pas connaître l’opposition « voyelle ouverte – voyelle fermée » qui caractérise voyelles orales. Il n’y a donc qu’un [ẽn] et un [õn]. Il existe cependant une voyelle dont l’évolution est perturbée par suite de l’influence de la consonne nasale, c’est la voyelle a tonique libre. Devant une consonne nasale, a se diphtongue et se nasalise tandis que par ailleurs a passe à e : a + n > ai + n : 'lana > laine 'fame > faim La nasalisation devenant toujours plus grande, les voyelles nasales tendent à s’ouvrir. Ainsi la voyelle [ẽn] commence à se confondre avec [ãn] ce qui est confirmé par les assonances. Les premiers témoignages sont fournis par « La Chanson de Roland » où cependant les deux voyelles n’assonent que rarement : grant : cenz tant : comant : dedenz Les diphtongues se nasalisent dans les mêmes conditions : ai > ãĩ, ei > ẽĩ : vánum > vaeno > vain > vãĩn plénum > pleino > plein > plẽĩn 9 Les diphtongues En dehors des voyelles simples, l’ancien français possède une riche série de diphtongues et de triphtongues dont le nombre varie à l’époque de l’ancien français. La plupart des diphtongues sont des diphtongues descendantes : ai, ei, oi, yi, au, eu, ou. Quant à diphtongues ascendantes, elle ne sont que deux : ié, uó > ué. Les triphtongues sont aux nombre de trois : eáu, iéu, uéu. Plusieurs diphtongues qui comportent l’élément y et toutes les triphtongues se constituent au début de l’ancien français. La langue continue donc de développer ces voyelles complexes. Il ne s’agit plus de l’allongement et du dédoublement des voyelles accentuées. Les nouvelles combinaisons des voyelles sont souvent dues à l’évolution des diphtongues déjà existantes. Ainsi les diphtongues ọu et uo passent respectivement à eu et ue à la suite du déplacement de l’articulation en avant. Il se peut que la notation e dans eu, ue représente un son antérieur labialisé öu, uö, vu son évolution ultérieure en [œ] : hora > oure > eure nove > nuof > nuef Dans d’autres cas, cependant, le deuxième élément de la diphtongue ue reste non labialisé. Il s’agit de ue < oe issu de ọi dont le i est d’origine romane. D’autres diphtongues et triphtongues se constituent à la suite de la vocalisation du l dur devant consonne – eu < e + l, au < + l : feutre < feltro < fĭltru aube < alba Ce qu’il importe de souligner surtout c’est le rendement croissant des diphtongues qui existaient en très ancien français auxquelles viennent s’ajouter des combinations identiques d’une origine différente. C’est ainsi que le rendement de la diphtongue oi ( < o + j, au + j : voce > voiz, gaudia > joie ) devient plus grand par suite de l’évolution ei > oi au XIIe s. : me > mei > moi 10 Un autre exemple est fourni par la diphtongue ou issue de la combinaison de o avec l dur vocalisé : colpu > coup La diphtongue ne présente pas un phonème nouveau car le très ancien français connaît [ou] < [ọ] : flore > flour Ces exemples attestent que les diphtongues se trouvent en perpétuelle évolution au cours de l’ancien français par suite des changements aussi spontanés ( ou > eu, uo > ue, ei > oi ) que ( ou < o + l, eu, eau < e + l, au < a + l, etc ). Certaines modifications dans les diphtongues semblent avoir diminué le rendement de quelques-unes, par ex,. l’évolution ou > eu se fait au détriment de ou. Cependant un processus parallèle de vocalisation de l dur rétablit la diphtongue ou ( < o + l ) en augmentant en même temps le rendement de la diphtongue eu ( < e + l ). Pour la diphtongue eau, il s’agit non seulement de [u] issu de [l], mais aussi d‘une épenthèse vocalique : le son transitoire [a] s’intercale dans la diphtongue eu > eau : mantels > manteus > manteaus La diphtongue [ai] assone régulièrement avec elle-même ou plus souvent avec la voyelle [a]. Dans « La Chanson de Roland », on trouve des assonances ai : e, ce qui caractérise l’époque ultérieure marquée par une nouvelle tendance à la monophtongaison, pesme : faire, terre : aire, etc. Les linguistes estiment qu’il existe trois diphtongues qui n’assonent pas avec les monophtongues, ce sont ue, ie, ei. A la fin du XIIe s., il se manifeste de nouvelles tendances dans l’évolution des diphtongues qui feront disparaître plus tard ces sons complexes du système vocalique. La tendance à un certain équilibre aboutit au passage de deux diphtongues descendantes ( yi, oi ) aux diphtongues ascendantes qui étaient, au début, au nombre de deux ( ie, uo > ue ) : ýi > yi : 11 noit > núit > nuit ói > oé > ué : dóit > duét C’est la tendance à la réduction des diphtongues et des triphtongues qui est la plus importante, opposant le vocalisme de l’ancien français à celui des époques ultérieures. Or, la réduction n’atteint pas toutes les diphtongues à la fois, elle progresse lentement à travers tout le moyen français par plusieurs étapes intermédiaires. Il importe de souligner un fait capital dans la modification en question, c’est que la réduction des diphtongues prend figure de deux processus différents suivants le caractère de la diphtongue. Pour les diphtongues descendantes, il s’agit de le monophtongaison à la suite de la fusion de deux éléments constituant la diphtongue. La monophtongaison s’effectue comme suit : [ai] > [ęi] > [ę] ( claru > ) clair > cleir > cler [ei] ( devant n,m ) > [ę]: ( poena > ) peine > peine [ou], [ọu] ( < [o], [ọ + l] dev.cons.) > [u]: (colpu > ) coup > coup, ( pulsum > ) pọus > pous [ọu] ( < [ó] libre ) > [ eu] ( lab.) > [oe] [ẹu] ( < [e + l] dev.cons.) > [eu] ( lab.) >[oe] Ex.: flour > fleur, ellos > eus, etc. Le développement ou > eu a lieu évidemment avant le vocalisation de l dur devant consonne, puisque la diphtongue ou qui se forme avec ( [u] ( < [l] ) persiste et ne passe pas à eu ; elle connaît une évolution particulière : pulsu > pous > [pu] Les diphtongues ascendantes, à part [uo] qui passe à ue > oe, évoluent autrement: elles se répartissent en deux phonèmes distincts, une consonne et une voyelle. C’est le premier élément faible de la diphtongue qui se résout en consonne constrictive dite semi-consonne : 12 [ j] – ( fęru > ) fier > fiér [γ] – ( nocte > ) nuit > nuit [w] – doit > duẹt > duét Les triphtongues commencent par se souder en diphtongues pour passer plus tard aux monophtongues : [ueu] ( < [ue] + l dev. cons. ) > [ueu]; [ieu] > [ieu]. Le système consonantique de l’ancien français Les consonnes de l’ancien français Point d’articulation Mode d’articulation bilabiales srd Occlusives bruits labialisés sonantes p snr b labiodentales snr srd - m bruits sonantes - médiolinguales srd srd bruits - sonantes roulée latérale - - - - f v - - srd snr k kw - g gw - n - - j h - - s - - ts – dz tš – dž - - - - - - l’ - - Vibrantes snr t d z Affriquées snr postlin guales - Constrictives prélinguales - r - - l - Vers l’époque de la constitution de l’ancien français, le consonantisme s’enrichit de nouveaux phonèmes composés d’un élément occlusif ( [t], [d] ) et d‘un élément constrictif ( [s], [z], [š], [ž] ). Ce sont les affriquées [ts-dz], [tš-dž], réparties comme les autres consonnes-bruits en deux séries, en sourdes et sonores. Le système consonantique continue de la sorte de développer la série des constrictives. Cependant, toute évolution se présente sous forme de tendance et processus contradictoires. C’est ainsi qu’il réapparaît, dans différentes positions, de nouvelles occlusives à la suite de la réduction des géminées dans certains mots latins ( cappa > 13 chape ), et du passage du w germanique dans les emprunts à gw et puis à g ( werre > guerre ). L’ancien français possède une expirée d’origine germanique [h] emprunter à l’époque romane : helm hache L’ancien français ne garde que deux consonnes mouillées :[n] et [l'] , notées ign (gn) et ill (ll) devant voyelle. Les occlusives postlinguales possèdent des parallèles labialisées [kw], [gw], dont la première provient du groupe [ku] dans les mots latins du genre quare, quant et la deuxième est due aux emprunts germaniques : wajdanjan, werra. Les consonnes interdentales [θ] – [ð ] ainsi que labiale [ β] et la postlinguale [γ] ne figurent pas sur le tableau des phonèmes parce qu’elles alternent avec les consonnes correspondantes [t – d ], [b], [g] en position intervocalique – [d/ð], [b/β], [g/γ] et à la fin absolue du mot [t/θ]: [υiða, riβa, ruγa] etc. La plupart des changements dans les consonnes sont la conséquence des tendances caractérisant l’évolution du consonantisme depuis le latin parlé. 1. La réduction des groupes consonantiques se présente sous des aspects différents : a) elle atteint toutes les consonnes bruits occlusives dans les groupes secondaires constitués à la suite de la chute des voyelles posttoniques et protoniques : debte ( < *debita ) > dete polυre ( < pulvere ) > polder doter ( < dub(i)tare ) > douter Les dernières à se réduire sont les groupes commençant par un s : isle > ile se pa(s)mer , < spasmare b) la vocalisation du l dur a pour résultat le même changement – réduction des groupes consonantiques se réalisant au détriment de la sonante qui se vocalise en u : chalt > chaut mantels > manteaux 14 Après i et y, la consonne l suivie d’une autre consonne s’amuït : nuls > nus fils > fis A la suite de ces modifications syntagmatiques, il ne reste que trois sonantes : n, m, r qui puissent former un groupe avec une autre consonne. c) la tendance des affriquées à se réduire en constrictives constitue un des faits les plus importants de l’évolution phonologique des consonnes. Finalement, c’est un des aspects que revêt la loi de la réduction des groupes consonantiques – [ts] > [s], [dz] > [z], [tš] > [š], [dž] > [ž]: kelu > tsiel > sięl ŭndece > õndze > õnze υacca > vatše > vaše 2. Les variantes [ð, γ, θ] qui représentaient les phonèmes d (ð) et g (γ) en position intervocalique et t (θ) à la fin du mot, disparaissent, tandis que la variante bilabiale [β] issue de p > b intervocalique se résout en constrictive labiodentale v, ce qui augmente le rendement de cette consonne : vita > [viðe] > vie ruga > [ruγe] > rue amadu > amet > ame ripa > riba > [riβe] > rive 3. Les consonnes postlinguales labialisées [kw, gw] perdent leur articulation labiale, passent à k, g qui s’emploient depuis la fin du XIIIe s. devant les voyelles antérieures e, a : quar > car gwere > guere 4. Les autres modifications dues à l’entourage sont l’assimilation, la métathèse, la dissimilation et l’épenthèse. Exemples de l’assimilation : cerchier > chercher essangier > echanger 15 exemples de dissimilation : (h)uller > hurler ensorcerer > ensorceler exemples de métathèse : formage > fromage beuvrage > breuvage exemples d’épenthèse : enque > encre fonde > fronde veïlle > vrille 16 Le moyen français (XIVe – XVe ss.) Le système vocalique du moyen français Bien que le vocalisme du moyen français offre déjà en grandes lignes les traits pertinents du système vocalique du français ( à part de sa nasalité ), sa constitution est encore loin d’être achevée. Si le vocalisme de l’ancien français présente la première étape de l’évolution du système vocalique, celui du moyen français constitue sa deuxième étape pour arriver à la troisième. Les changements paradigmatiques survenus vers le XIVe s. font suite aux modifications syntagmatiques qui s’amorcent en ancien français. C’est ainsi que la monophtongaison des diphtongues ou, uo, eu aboutit à la formation d’un phonème nouveau dans la série antérieure labialisée – [œ]. Les trois phonèmes e se répartissent en deux séries : [ę] ouvert et [ẹ] fermé ce qui assure un certain équilibre dans le vocalisme français. Depuis le XIVe s., il existe des assonances et des rimes qui réunissent [ẹ] (< a ) et [ę] ( <ę ) : hostel, tel, pel, nouvel. Les deux premiers mots avaient un [ẹ] issu de [a], les deux derniers un [ę] issu de [ę]. Les deux [ẹ] – [ę] se confondant en un seul phonème, [ę] s’oppose désormais à un seul [ẹ] (< ĭ, ē ). Voici le système de voyelles simples du moyen français : i y ẹ u ọ ę œ o a Le rendement des voyelles postérieures augmente d’une part, à la suite de la monophtongaison, tel u < ou < o + l devant consonne, d’autre part, en vertu de la position, tel [ợ] qui a perdu du terrain en ancien français vu l’évolution [ợ] > [u] mais qui apparaît en revanche devant s, v et après la chute du s : [ose] > [ọzә] [povre] > [pọvrә] 17 Vu la tendance du français au rythme oxyton, l’unique voyelle posttonique e à la fin absolue du mot s’affaiblit et tend à disparaître d’abord en position après voyelle : pensée [pãnseә > pãnse] amie [ãmiә > ãmi] Ce changement portant atteinte à l’expression du genre féminin la chute de [ә] final est compensée par l’allongement de la voyelle finale. Désormais la finale longue, marquant le féminin, s’oppose à la finale brève : ami / amie fini / finie Il apparaît de la sorte dans les voyelles une nouvelle caractéristique qui tend à devenir un trait pertinent, la longueur. On la trouve non seulement à la suite de la chute du e final, mais aussi dans la voyelle o ayant passé à [ọ] devant z, v et après l’amuïssement du s : chose > chọse povre > pọvre La voyelle e en position non accentuée, en syllabe protonique et dans les monosyllabes qui ne portent pas l’accent, tels les articles, les pronoms personnels, l’adjectif démonstratif, se réduit en [ә]: te > tә le > lә Dans un mot de trois syllabes, e protonique disparaît ce qui diminue le volume du mot : serement > serment contrerole > contrôle Certaines autres modifications syntagmatiques restent sans répercussions sur le système des voyelles bien qu’elles changent la forme phonique du mot et en réduisent le nombre de syllabes. 1. Il s’agit, en premier lieu, de l’amuïssement des voyelles en hiatus qui s’achève au XVIe s. 18 Deux voyelles, e et a en hiatus ( sauf devant i ) disparaissent : veoir [vewer > vwer] meur [meyr] > mur aorner > orner L‘évolution de a devant o au voisinage des nasales présente un cas particulier en ce sens que c’est a qui tout en se nasalisant absorbe o : paon [paõn > pãn] taon [taõn > tãn] La voyelle a se trouvant en hiatus devant i accentuée subit la même évolution que la diphtongue ai > ei > e : gaine [gẽinә > gęnә] traditor > traïtre [traitre > treitrә > trętrә] Les voyelles fermées i, y, u, devant voyelle passent aux consonnes constrictives ce qui diminue aussi le nombre de syllabes dans le mot : palier [paliér > pa'ljer] fuir [fy'ir > 'fyir] La réduction des voyelles en hiatus contribue à l’unification de certaines formes grammaticales par ex., dans le passé simple : vi, veís, vit > vis, vis, vit 2. Il existe en moyen français certains flottements dans la prononciation, dus soit aux différences stylistiques soit à l’influence dialectale. Bien que la diphtongue oi ( < ei ) ait passé en ancien français à [ we] – moi [mois > mwe] – quelques mots isolés ont perdu l’élément constrictif bilabial – [wę] > [ę]: foible [fęblә] monnoie [monę] Les désinences de l’imparfait et du conditionnel connaissent à l’époque deux formes phoniques : je prenoie, je prendroie. Cette même tendance se fait voir dans l’évolution de e > a devant r qui devient une consonne « ouvrante » dans la prononciation populaire : sarment pour serment, aparcevoir pour apercevoir, etc. 19 Les voyelles nasalisées restent en moyen français des variantes de phonèmes oraux. La nasalisation devient plus grande. La tendance à l’aperture amorcée dans les voyelles nasalisées au XIIe s., par l’évolution [ẽn] > [ãn] atteint les voyelles fermées [ĩn] et [õn] : [ĩn] > [ẽn] – [vĩn > vẽn], [õn] > [õ] – [bõn > bõn]. Cependant, cette prononciation est acceptée seulement vers la fin du XVIe s. au cours duquel il y a flottement entre [ẽn] et [ẽn]. Les diphtongues Le moyen français tend à simplifier les restes de diphtongues éliminées en grande partie vers le XIVe s. Il réduit la diphtongue ie qui suit les affriquées [tš], [dž] : le premier élément de la diphtongue disparaît – chief > chef, cherchier > chercher, songier > songer. Par analogie, il se perd également après tout autre consonne dans la terminaison ce l’infinitif : traitier > traiter baissier > baisser La diphtongue ie ne substitue que dans le suffixe –ier précédé d’un groupe consonantique dont le deuxième élément est une sonante : ouvrier, bouclier, sanglier. Vers la fin du moyen âge au tend à devenir une monophtongue au > o – autre [autre] > autre [o :trә] – et la triphtongue eaó passe à une diphtongue eó – eau [eaó > eó]. Les diphtongues nasalisées ne font pas exception, elles suivent de près la réduction des diphtongues non nasalisées passant soit à une voyelle simple ( [ain] > [ein] > [ęn], [ein] > [ę], [uen] > [õn] ), soit à la combinaison « constrictive + voyelle nasalisée » ( [oin] > [œn] > [węn], [yin] > [ ẽn], [ien] > [jẽn] ) : sain [sain > sein > sęn], rein [rein > rẽn], buen > bon [ buen > bõn], coin [ kosint > kwẽnt], juin [džyin > ž ẽn], rien [rien > rjẽn]. 20 Le système consonantique du moyen français Le consonantisme connaît seulement deux étapes de l’évolution, celle de l’ancien français et celle du français moderne qui s’ébauche déjà en moyen français. En effet, le système consonantique du moyen français se trouve débarrassé des affriquées ( [tš] > [š], [dž] > [ž], [ts] > [s], [dž] > [z] ) et des occlusives postinguales labialisées ( [kw] > [k], [gw] > [g] ). Il s’enrichit de quatre constrictives, dont deux sont des prélinguales à deux foyers – [š, ž] et les deux autres – des sonantes biliabiales - [ ų , w]. A part la sonante mouillée [l'] et l’expirée [h], le consonantisme du moyen français est celui du français moderne. L’élimination de la sonante [l'] qui passera plus tard à [j] ne créera pas de relations nouvelles dans le système puisque la langue possède ce dernier phonème depuis des siècles. Il existe cependant des dialectes qui connaissent de nos jours la consonne mouillée [l'], tels les dialectes du Midi et de l’Ouest de la France. La consonne [h] ne se trouve que dans les emprunts, elle est d’un emploi restreint et tend à disparaître. Le rendement des consonnes occlusives augmente parce que les occlusives commencent à être employées en position intervocalique grâce à nombreux emprunts au latin ( natif, édifice, répéter ). D’autre part, le rendement des occlusives sourdes commence à diminuer vers la fin du moyen âge à la suite de l’amuїssement progressif des consonnes finales : aimet > ãime lonc > lõn La réduction des groupes consonantiques affecte les consonnes finales parce qu’elles constituent le premier élément du groupe qui se forme à la frontière de deux mots, à l’intérieur d’un syntagme : san(s) cause, sau(f) respect, etc. Voici une rime du XVe s. qui constitue une preuve de la chute des consonnes finales : galop : Marchebeau : trop : trot 21 Par contre, les mêmes consonnes finales sonnent toujours devant un mot commençant par une voyelle : sans amis Les consonnes sourdes qui apparaissent en liaison ( t, k ), à part [z] prouve que la liaison se constitue en moyen français : lonc hiver grant homme Le phénomène est dû à la tendance du français à développer un accent de groupe dit accent rythmique consolidant tous les éléments qui s’enchaînent. Au début, la consonne finale du mot ne s’amuït que devant un mot commençant par une consonne à l’intérieur d’un même syntagme. Plus tard, les consonnes finales tombent en toute position sauf en cas de liaison. Une des premières à disparaître en finale absolue est la sonante r : forme(r), mouchoi(r), menteu(r), fini(r), blanchisseu(r). 22 Le français au XVIe siècle Le vocalisme du XVIe siècle Le XVIe siècle continue à développer les tendances qui marquent l’évolution du phonétisme aux siècles précédents : l’accent de groupe, la monophtongaison, la formation du système de voyelles nasales en tant que phonèmes. Parmi les modifications syntagmatiques, il importe de signaler l’amuїssement progressif des consonnes finales, l’affaiblissement du e final et la réduction des groupes de consonnes aux dépens de sonantes nasales. A part la formation des phonèmes – voyelles nasales qui est d’une importance capitale, le vocalisme connaît une nouvelle répartition des voyelles ouvertes et fermées dont le timbre perd de plus en plus son caractère étymologique. Plusieurs autres processus commencés aux siècles précédents continuent ou bien prennent leur fin au XVIe s. C’est ainsi qu’au XVIe s. s’achève la monophtongaison de la diphtongue au qui subsiste au moyen âge, elle se réduit en o fermé : autre [aótrә > otrә] La diphtongue [eó] < [eau] persiste jusqu’au XVIIe s. Il nous en reste le mot fléau. Le passage du au > o retarde sur la monophtongaison parce que la diphtongue présente un grand écart entre ses deux éléments. La prononciation du XVIe s. est encore plus flottante que celle du moyen âge ce qui lui vaut le nomme « fluente ». Ces flottements sont dus non seulement aux modifications phonétiques, mais d’une part aux collisions de la prononciation du Centre avec des dialectes, d’autre part de la prononciation dite littéraire avec prononciation populaire. Parmi les modifications, certaines seront adoptées par la prononciation normalisée du siècle suivant, d’autres seront reflouées. C’est ainsi que, devant r, la voyelle a passe à e, ce qui est admit dans la « bonne société », tandis que la voyelle e devient plus ouverte ( > a ) : 23 mari > mere Paris > Peris lerme > larme guarir > guérir Une autre tendance touche o accentué : en syllabe fermé, devant z, v, vr, devant s affaibli et o protonique, il devient fermé. On prononce donc : chose et chouse sanglot et sanglout L’allongement des voyelles finales survenu à la suite de la chute de e après voyelle et des consonnes finales, en particulier du s, marquant le pluriel, s’accentue au XVIe s. opposant le féminin à voyelle longue au masculin à voyelle brève, le pluriel au singulier dans les adjectifs, les participes et les substantifs : joli – jolie aimé – aimée ami – amis L’amuїssement de e non accentué se produit après voyelle non seulement à la fin du mot, mais aussi à l’intérieur en hiatus ce qui atteint les formes verbales au futur et conditionnel, les adverbes et les substantifs en -ment : aise (e) ment vrai (e) ment En position accentuée e dit sourd se transforme en ę : peser, mais je pèse, tu pèses etc. L’opposition « voyelle ouverte / voyelle fermée » subit une modification importante. Aux XVIe s., [ẹ] passe à [ę] dans les terminaisons -er, -el, -ef quand les consonnes finales sont articulées. Le même passage s’effectue dans les syllabes fermées : vẹrt (< vĭride ) > vęrt. Le timbre de la voyelle commence à dépendre non seulement des consonnes qui la suivent mais surtout du caractère de la syllabe. Le XVIe s. connaît encore des flottements : tantôt on prononce [ẹ], tantôt [ę]. Quand e final disparaît, la dernière syllabe devient fermée et sa voyelle passe à un son ouvert. 24 Sinon l’avant-dernière voyelle en syllabe ouverte reste fermée : dans les terminaisons -ieme, -iere, -iege à deux syllabes ouvertes, on prononce [ẹ] jusqu’à la chute de e final. C’est alors que -iẹre devient -ięr(e), -iẹme devient -ięm(e). Les voyelles nasalisées Le vocalisme français s’enrichit vers le XVIe s. d’une nouvelle série de phonèmes représentée par les voyelles nasales. La nasalité devient un trait pertinent du phonétisme français. A la fin du XVIe s. le vocalisme comprend quatre voyelles nasales : [ã, õ, ẽ, œ]. Le XVIe siècle est le siècle des dénasalisations. On se souvient que les voyelles suivies d'une consonne nasale s'étaient nasalisées sans que, pour autant, la consonne nasale cessât d'être prononcée : bon se prononçait [bon], bonne se prononçait [bône]. Au début du XVIe siècle, la dénasalisation semble s'être déjà produite en syllabe fermée par chute de la consonne nasale, c'est-à-dire que bon se prononce désormais comme aujourd'hui. En syllabe ouverte, le processus de dénasalisation, ici par perte de l'articulation nasale de la voyelle nasalisée, est un peu plus tardif ; comme l'attestent des formes comme besongne ou congnoistre, ou encore certains jeux de mots : Cette Grammere, qui vient de grandis nater, tiendroit tous ses enfans en paix, s'ils faisoient d'elle Vestât qu'ils oivent. ( A. d'Aubigné, Faeneste ) La constitution des voyelles nasales est due à l’accommodation des sons : la voyelle subit l’action de la consonne nasale qui la suit. Le phénomène est lié à l’amuïssement de cette même consonne nasale dont la chute s’effectue dans le cadre d’une ancienne tendance régissant le français, et, la réduction des groupes consonantiques. En effet, seules les voyelles nasalisées en syllabe fermée acquièrent la valeur phonologique de phonèmes nasals : 25 bon-té san-té trom-per Par contre, en syllabe ouverte toutes les voyelles suivies d’une consonne nasale articulée commencent à se dénasaliser. Comme différents phénomènes se déterminent les uns les autres et se trouve en interaction permanente, la constitution des phonèmes nasals-voyelles est la conséquence de plusieurs faits d’ordre phonétique et phonologique qui vont de pair : la dénasalisation de la voyelle devant une consonne nasale prononcée et conservée par la suite, l’élimination de l’appendice consonantique, l’amuïssement de e final. La formation des voyelles nasales après la chute de la consonne nasale contribue donc à différencier les mots : longer – loger faim – fait pain – paix rein – raie Les phonèmes nasals ne se forment pas tous simultanément. Les premières voyelles nasalisées à devenir phonèmes sont [ã] et [õ], celui-ci provenant de [õ]. Le processus est évidemment très lent et n’atteint pas tous les dialectes à la fois. Depuis la fin du XIIIe s. les assonances et surtout la rime des XIVe – XVe ss. attestent la formation des phonèmes [ã] et [õ], qui n’assonent plus avec les voyelles correspondantes orales. Les diphtongues • L'ancienne diphtongue [oi] Dès la première moitié du siècle, en milieu populaire, les désinences d'imparfait et de conditionnel, les noms de peuples ainsi qu'un certain nombre d'autres mots se prononcent [e]. Dans les autres cas, à Paris, toujours en milieu populaire, la même graphie oi tend à se prononcer [wa]. Mais la prononciation sentie comme la meilleure et défendue par l'ensemble des grammairiens pendant tout le siècle reste [we], comme en 26 témoignent certaines graphies (boette, tirouer, mirouër) ou jeux de rimes : Comme un paon, qui navré du piqueron d'amour, Veut faire piafard, à sa dame la cour, Estaler tasche en rond les trésors de ses ailes Peinturées d'azur, marquetées d'estoilles. (Du Bartas, La Sepmaine.,) La rime ailes / estoilles atteste la prononciation [we] de la graphie oi. Ce n'est qu'après la révolution que le phonétisme [wa] s'imposera. Remarque : On a pu expliquer la simplification en [e] de [we] par l'influence de la prononciation italienne : les Italiens, nombreux à la cour de Catherine de Médicis, auraient eu du mal à prononcer le groupe [we]. • La diphtongue [ie] Issue du [a] accentué et libre derrière consonne palatale, la diphtongue tend à se réduire à [ẹ] depuis le XIIe siècle. Néanmoins, on observe que la prononciation [ie] (ainsi que la graphie correspondante) n'est pas exceptionnelle au XIIe siècle : chier/cher • La diphtongue [iii] Elle s'est réduite à [wi], mais pas encore systématiquement à un vocalisme simple, [i] ou fii] ; si bien que pendant tout le siècle, vuide et vide, par exemple, coexisteront. • Les diphtongues et triphtongues [au] et [eau] Leur prononciation évolue au cours du siècle. La prononciation de au, diphtongale au début du siècle [ao], est réduite à [o] dans le dernier tiers. Quant à eau, tout en ne comptant que pour une syllabe en poésie, c'était encore une triphtongue au début du siècle. Au cours du XVIe siècle, dans la langue recherchée, la triphtongue se réduira d'abord à [ẹo], puis à [o], tandis que dans la langue populaire, la triphtongue évoluera d'abord en [yo]. Stéréotypée, cette prononciation sera sentie au XVII e comme caractéristique du langage paysan ( cf. l'utilisation qu'en fera Molière dans Dont Juan ). 27 Le système consonantique du XVIe siècle Ce qui caractérise le XVIe siècle, c’est essentiellement la réintroduction de consonnes qui s'étaient amuïes, et le règlement, partiel et provisoire, de la prononciation des voyelles finales. Ajoutons cependant quelques précisions : le [1] mouillé existe toujours, il se maintiendra jusqu'au XIXe siècle ( on prononce [file] et non [fiy] ) ; les [r] sont « roulés », ils deviendront dorso-vélaires au XVIIe siècle. Les consonnes implosives. Le s implosif s'est amuï dès les XIe et XII e siècles. Dès lors, dans la graphie, le s ne note plus que l'allongement de la voyelle qui lui est antéposée ; avec cependant des exceptions : le s a été conservé ou rétabli dans des mots savants ou empruntés à des langues étrangères. Les autres consonnes implosives ne sont en général pas prononcées ( subtil, adverbe, admonester se prononcent [siitil, averbe, amonester] ). Mais, en réaction contre cette tendance simplificatrice, point la tentation de réintroduire dans la prononciation des lettres qui, le plus souvent, se sont maintenues dans la graphie, et qui, de plus, reflètent l'étymologie ; d'où notre prononciation actuelle des mots cités cidessus. Les consonnes finales D'une manière générale, les consonnes finales ne se prononcent plus devant une autre consonne, mais se conservent devant une voyelle ( c'est le principe de notre liaison ) ou en fin de séquence discursive ( contrairement à l'usage actuel ). Il nous reste pourtant quelque chose de cette pratique dans notre façon de prononcer certains noms de nombres ( huit ans [wit], il en a huit [wit], mais huit cent [wi] ). La tendance à imposer à chaque mot une prononciation indépendante de sa place relative dans discours commence cependant déjà à se manifester ; et, le plus souvent, la prononciation qui l'emportera est celle qui efface la consonne finale. Cas particuliers : Les consonnes sonores en finale s'assourdissent, David est prononcé [davit], mais ces consonnes sonores sont conservées telles quelles dans la graphie. 28 Malgré la résistance des grammairiens, le r est fragilisé. Il tend à s'effacer au XVe siècle dans de très nombreuses désinences, mais il sera généralement réintroduit aux XVIe et XVIIe siècles, sauf dans la désinence de l'infinitif des verbes du premier groupe et dans les noms à suffixe -er ou -ier. Notons que la versification fait quelquefois rimer un infinitif en -er avec un mot dans lequel le r ne s'est pas amuï : L'un[...] Traine son rét maillé, & ose bien armer Son bras, pour assommer les monstres de la mer. (Ronsard, Hymne des Astres, 1555,.) Il s'agit d'une rime en [er] dite « rime normande ». Dans ce type de rime, c'est la prononciation de l'infinitif qui fait problème : dans les mots en -er avec r prononcé, le [e] demeure fermé jusqu'au XVIIe , voire jusqu'au XVIIe siècle ( mer se prononce donc tout à fait régulièrement [mer] ) ; quant aux infinitifs en -er, on a commencé à réintroduire leur -r final dans la prononciation. 29 Le français moderne ( XVIIe – XVIIIe ss. ) Le système vocalique du français moderne Nos connaissances sur la structure phonétique du français aux XVIIe – XVIIIe ss. sont plus sûres grâce à l’existence de plusieurs ouvrages traitant de la langue, tels que « Les remarques » par Vaugelas, « Grammaire générale et raisonnée » par Lancelot et Arnaud etc. qui renferment les observations sur la phonétique. Comme l'écriture ne reflète pas la prononciation, l'auteur crée un alphabet phonétique qu'il expose dans un ouvrage anonyme « Nouvelle manière d'écrire comme on parle en France » (1713). En 1715, utilisant son système d'écriture, Gile Vaudelin publie des « Instructions, cretiennes mises en ortografe naturelle pour faciliter au peuple la lecture de la Science du salut ». C'est à un excellent linguiste contemporain Marcel 'Cohen que nous devons la mise à jour du système d'écriture de Gile Vaudelin, que nous retrouvons dans le livre de M. Cohen « Le français en 1700 d'après le témoignage de Gile Vaudelin » (1946). Ayant dépouillé les textes de Gile Vaudelin, M. Cohen obtient , un tableau de la langue parlée en face de la langue écrite de ce temps. Fait notable, l'écart était plus grand alors que maintenant sur la plupart des points". Pour décrire la prononciation des XVIIe—XVIIIe ss. nous mettrons à profit les nombreux exemples de Gile Vaudelin, ainsi que les descriptions présentées dans deux ouvrages importants que voici: « De la prononciation française depuis le commencement du XVIe siècle d'après les témoignages » par Ch. Thurot (1901) et « Les origines de la prononciation moderne, étudiées au XVIIe s. d'après les remarques des grammairiens et les textes en patois de la banlieue parisienne » par Th. Rosset (1911). Les traits pertinents du vocalisme se constituent vers le XVIIe s. avec la formation du système des voyelles nasales — phonèmes suivie de la dénasalisation définitive des voyelles en syllabe ouverte devant une consonne nasale. Ce processus prend f i n avec la chute de e final, qui crée de nouvelles syllabes fermées à la fi n 30 des mots se terminant par n, sans former pour autant des voyelles nasales : cran(e) faun(e) plein(e) Comme e final est sujet à l'amuïssement, çaise devient oxytonique par excellence à la fin l'accentuation fran- du XVIIe s. Ainsi dans la première version de « La Thébaïde » (1664), Racine tolère les enclitiques dans le vers alexandrin qui comporte quatre accents : atten'dez-le plu'tôt et voy'ez-le en ces 'lieux Dans une édition du siècle, il élimine l'hiatus ( le en ) et l'enclitique de la deuxième proposition : attendez-'le plu'tôt voyez-'le dans ces 'lieux Cependant la langue garde toutefois en puissance l'accent paroxyton qu'elle utilise à des fins rythmiques et stylistiques dans le langage littéraire en restituant e final ( la lecture soignée, la poésie, le chant ): une barbe bleue Cependant, il existe, au cours des deux siècles, des prononciations incertaines pour [ê] et [œ] qui sont tantôt dénasalisés devant une consonne nasale articulée passant respectivement à i et y, tantôt nasalisés. La dénasalisation prend toutefois le dessus et se constitue en norme. Elle se produit non seulement à l'intérieur d'un mot, mais aussi dans un groupe accentuel ( d'après Gile Vaudelin ) : un ami [œ nami] Le XVIIe s. ne connaît encore qu'une seule voyelle antérieure ouverte labialisée [œ], d'après Arnauld et Lancelot « Grammaire générale et raisonnée » , tandis que la description des voyelles faite par l'encyclopédiste N. Beauzée en 1767 met en évidence l'existence de l'opposition « voyelle ouverte / voyelle fermée » à tous les degrés d'aperture: [ẹ — ę, ọ — o, œ — œ, a —ą]. 31 La loi de position prend de l'ampleur, le timbre de certaines voyelles du moyen degré dépendant de plus en plus du caractère de la syllabe et de l'accent. La voyelle fermée [e] ne fonctionne qu'en syllabe ouverte: le changement du caractère syllabique entraîne l'alternance des voyelles : avènement > avèn(e)ment A la suite de l'affaiblissement de e final, la dernière syllabe devient fermée ce qui diminue de beaucoup le rendement de e fermé: collége > collèg(e) Cependant, la notation collège avec un accent aigu persistant jusqu'au milieu du XIXe s. ( par ex., dans les romans de Stendhal ), il faut en conclure que e final bien qu'affaibli est encore une voyelle en puissance apte de former une syllabe. Les voyelles labialisées ouvertes [Q] et [œ] ne s'emploient pas en syllabe ouverte accentuée alternant en cette position avec les voyelles correspondantes fermées: canotier — canot pleuvoir — pleut Le français a éliminé définitivement les diphtongues. Les grammairiens sont incertains quant à l'existence de l'opposition phonologique « voyelle brève / voyelle longue ». Toujours est-il que la longueur à la finale assume une fonction morphologique opposant le masculin au féminin : aimé / aimée le singulier au pluriel à la 3 e personne du verbe : qu'il soit / qu'ils soient il avait / ils avaient la 3 e personne à la 2e personne : il était / tu étais le singulier au pluriel dans le pronom : il [i] / ils [ i:] 32 servant à distinguer certains verbes au futur et conditionnel après la chute de e : je lirai / je lierai Ce rôle grammatical de la longueur vocalique se manifeste aussi au XIXe s., d'après le témoignage de la « Grammaire des grammaires » (1825). D'autres caractéristiques quantitatives se développent dans les voyelles depuis la fin du moyen âge. Elles sont dues à la chute de s et n devant consonne, à la réduction des hiatus et à l'amuïssement de e final après voyelle: oste > ote [o : t] gourmande [gur'mand] > gourmande [gur'mã:d] eage> âge ['a :ž] joue> joue ['žu:] Il se peut que cette marque quantitative ait servi, durant un certain temps, de trait différentiel pour opposer [a /a:], [œ] / [œ:], [o] / [o:] avant que l'opposition ne soit qualitative avec un restant de caractère quantitatif qu'on appelle "longueur historique" — [a] / [a :], [œ] / [o:], [ø ] / [o:]. Toujours est-il que la quantité de la voyelle joue à l'époque un rôle important. Ceci posé, il s'ensuit que la période des XVIIe— XVIIIe ss. constitue une troisième étape dans l'évolution du vocalisme français, celui-ci comportant l'opposition « voyelle brève / voyelle longue », pour aboutir au XXe s. à une quatrième étape après l'élimination de la valeur phonologique de la durée . La syllabe initiale du mot portant un accent supplémentaire, il s'ensuit que e dit sourd ou faible en cette position tend à s'affermir et passe à [e] puisque la syllabe est ouverte. L'évolution est soutenue par quantité d'emprunts comportant [e] en même position et les suffixes savants dé-, ré-, ayant remplacé de-, re-: métal désir débattre défendre réduire 33 Il existe toute fois quelques mots qui ont réduit e en syllabe initiale, en groupe , « occlusive + sonante » ce qui a souvent ses répercussions en orthographe: beluette > bluette beluter > bluter félon > flon, mais p(e)louse, p(e)luche Ainsi Corneille prononce : d(e)sir d(e)sert, mais prémier ensévelir Les diphtongues La dernière des diphtongues eó ( < eau ) se réduit en o en français littéraire, tandis que le langage populaire connaît deux pronon- ciations ọ et io, celle-ci, probablement sous l'influence du picard: beau — biau Cependant, le français littéraire tolère jusqu'à la f i n du XVIIIe s i è c l e l’articulation diphtonguée avec un e faible :eó. L'usage littéraire connaît toujours deux variétés de prononcia- tion de l'ancienne diphtongue oi: [wę] et [ę]. Les notations de Gile Vaudelin prouvent qu'il y a maintes hésitations [wę des XVIIe—XVIIIe ss.: ainsi soit-il [ẽsi swęt-i] qu'il me soit fait [k'i m(ә) sę fę] recevoir [rsәvwęr] croire [kręr] connoistre [konętr] 34 - ę] au cours En plus des désinences de l'imparfait et du conditionnel, la norme adopte [ę] dans quelques mots au radical -oi- ( faible, roide, etc.) et dans d'autres au suffixe -ois ( françois, anglois ). Or, dans ce dernier cas, l'usage manque de conséquence puisqu'il garde les adjec- tifs en [wę] (>[wa] ), tels que danois, suédois. Le langage populaire oppose à la prononciation littéraire [wę] la forme [wa] condamnée par l'usage du XVII e s. Ce n'est qu'à la fin du XVIII e s. que [wa] va gagner la norme, rejetant [wę] comme archaïque. L'hésitation entre [o-u] ou en graphie, non accentuée en syllabe initiale se manifeste toujours au XVIIe s. Ce n'est que vers la fin du siècle que la prononciation [u] se stabilise pour la majorité des mots: couleuvre couronne douleur moulin Certains mots choisissent cependant o: colonne soleil colombe arroser portrait Le système consonantique du français moderne Comme le consonantisme moderne est déjà constitué en moyen français, il subit juste quelques retouches aux XVIIe et XVIIIe ss. éliminant les derniers restes des caractéristiques d'autrefois, telle la mouillure du [1'] qui passe à [j] dans le parler populaire parisien dès la fin du XVIIe s., mais se maintient dans l'usage jusqu'au milieu du XIXe s. Dans le système consonantique, il ne reste à partir du XIXe s. 35 qu'une seule consonne mouillée—[ ]. La consonne expirée [h] bien qu'affaiblie subsiste dans la prononciation des gens cultivés, mais disparaît dans le parler du peuple ( G. Vaudelin ). Elle assume de plus en plus souvent des fonctions graphiques. Elle sert à marquer l'hiatus ( trahir, envahir, cf. naïf ), à souligner la nature vocalique de i, u au début du mot ( hier < heri, mais huit < uit < octo ), à interdire la liaison et l'élision ( le héros, les héros cf. l'héroïne ). Quant au caractère phonétique des phonèmes, il faut noter le changement du point d'articulation de [r]: à la cour, ce n'est plus un r prélingual roulé, mais une consonne articulée à l'arrière de la bouche, un r dorsal dit , « grasseyé ». L'amuïssement restrictions dans le de e final contribue fonctionnement des à consonnes supprimer certaines sonores. Rappelons qu'en ancien français et en moyen français, elles n'existent pas en position finale à cause de l'assourdissement de toutes les consonnes à la fin du mot. En français moderne les finales sonores s'opposent nettement aux finales sourdes: bref — brèv(e) ils tentent — ils tendent casse — case L'écriture exerçant une grande influence sur la prononciation , c'est surtout depuis le XVIIIe s. que s dans les groupes consonantiques commence à être prononcé ( puisque, jusque, etc. ) sous l'influence des emprunts. Notons que dans les mots empruntés aux époques pré cédentes s tendance à reste muet. Les la syllabe groupes consonantiques se multiplient, ouverte est contrecarrée par l'apparition la des syllabes fermées à l'intérieur du mot et aussi à la fin. Et ceci grâce à la restitution de quelques consonnes finales ( f, 1, r ) à la fin du siècle: finir menteur tiroir 36 La consonne -r reste muette dans les infini- t i fs de la lère conjugaison et dans le suffixe -ier: parle(r) ouvrie(r) Les multiples incohérences dans la prononciation des consonnes finales et leur restitution ultérieure sont dues à l'existence de nombreux mots monosyllabiques aux finales prononcées : cher clair soif choc bec et à l'influence de la graphie et des emprunts. Dans le langage populaire, par contre, les finales ne sont toujours pas prononcées: i n'est que trop vrai combien y en a-t-i leu(r) langue. L'amuïssement atteint même les groupes de consonnes comportant un r: not(re) quat(re) prop(re) D'autres indices de la prononciation populaire sont les suivantes: la chute de e inaccentué en syllabe initiale : c(e)t alphabet c(e)tte tristesse c(e)la > ça La réduction du groupe consonantique dans le préfixe ex > es-: espliquer esprimer 37 Le français contemporain ( XIX e – XX e ss. ) Le système vocalique et le système consonantique du français contemporain Le vocalisme du français contemporain se constitue vers le milieu du XIXe s. après l'élimination de l'opposition phonologique , « voyelle brève / voyelle.longue » . La durée de la voyelle dépend désormais de l'accent (toute voyelle accentuée est plus longue que la voyelle non accentuée) et de sa position ( en syllabe fermée accentuée devant les consonnes finales r, v, ž, z, vr la voyelle est longue, toute voyelle finale est plus brève ). La longueur dite historique — vestige des consonnes et voyelles disparues, qui accompagne maintenant l'opposition qualitative « voyelle fermée / voyelle ouverte » dans les voyelles labialisées du moyen degré ( [ø:] / [ œ] — [ọ:] / [Q ] ), celle de « voyelle antérieure / voyelle postérieure » ( [a] / [a:] ) et celle des voyelles nasales, est également régie par la loi de position. Elle se manifeste en syllabe fermée finale et diminue, voire disparaît en syllabe non accentuée: remplaçante [rãpla'sã:t] La loi de position régit aussi le timbre de certaines voyelles. Le [e] final en syllabe ouverte tend à se fermer à part dans les désinences verbales de l'imparfait et du conditionnel : je sais je vais j'ai [e] Une voyelle ouverte non accentuée sous l'influence de la voyelle fermée tonique devient fermée: aimer [e'me] plaisir [ple'zi:r] La structure phonétique du français contemporain évolue suivant les tendances qui régissent son développement depuis le latin parlé ( articulation antérieure, réduction de groupes consonantiques, etc. ). Voici celles qui sont particulièrement caractéristiques pour l'époque contemporaine sur le plan paradigmatique: 38 1) La pement diminution en deux du nombre séries des parallèles: voyelles voyelles nasales antérieures et leur non regrou- labialisées à la suite de la délabialisation du [œ] > [ε] et voyelles postérieures labialisées après la labialisation de [ã] > [ ã] — [ε ], [ã], [ ]. 2) Le rendement affaibli du [a], qui relève de la tendance à l'articulation antérieure, ce qui explique certains flottements dans la prononciation, par ex., escadre [a] et [a ]. 3) L'élimination des vestiges de la longueur historique à valeur phonologique: la voyelle [ε:] se confond avec [ε ] bref: bête ['bεt] peine ['pεn]. 4) La tendance prononciation très à l'articulation avancée de antérieure toutes les se manifeste voyelles, et, en dans la particulier, des [a], [u] ( en fr. populaire, il se confond avec [y], [o], [ ] ). Les voyelles antérieures agissent sur les consonnes précédentes en les palatalisant,ce qui vaut pour les consonnes postlinguales et moins pour les consonnes prélinguales: car ['k'ar] gare ['g'ar] ticket [t'i'kε] Le système vocalique se présente sous deux aspects suivant la période: 1) du milieu du XIX e s. au milieu du XXe s., 2) à partir du milieu du XXe s. Nous présentons ici le tableau des voyelles-phonèmes et le tableau des consonnes-phonèmes du français contemporain : 39 Position du voile du palais Position de la langue Niveau horizontal Antérieures Postérieures i e ε a y ø œ - a u o fermées mi-fermées mi-ouvertes ouvertes Ε - Œ - - - Labiales Non labiales Nasales Labiales Orales Position de la langueniveau vertical fermées mi-fermées mi-ouvertes ouvertes Non labiales Position des lèvres - ã 5) Le consonantisme ne subit pas de changements paradigmatiques. Mode d'articula tion Point d'articulation labiobiprémédiopostlabiales den- linguales lingua-les linguales uvutales srd snr srd snr srd snr laires srd srd snr snr p b t d occlusives bruits - - k g sonantes - m - n - š - constric- bruits à s z tives un foyer - f v - - à deux - - - - foyers š ž sonantes à un foyer1 à deux foyers1 latérale vibrantes sonantes - w, - - - - - l - j - - - [rp] - - - [R] 40 Sur le plan syntagmatique : 1) La syncope du e instable dépend de sa place non pas dans le mot isolé, mais dans le groupe accentuel, un même mot pouvant, dans différentes conditions, soit perdre, soit restituer le e: la p(e)tite fille —une petite fille L'élision de la voyelle est plus fréquente en français parlé. 2) La réduction des groupes consonantiques frappe soit la première consonne du groupe surtout en français populaire : ezamen pasque soit la deuxième en français parlé et populaire ( dans la terminaison -tion — congession, dans la combinaison , « occlusive + sonante » en finale — tab’, quat’, pauv', onc’ ). Cette tendance affecte plusieurs formes à valeur grammaticale, tels les pronoms il/ils devant consonne : i fait i disent quitte à supprimer il dans certains tours impersonnels : faut voir paraît que et la négation : n(e) — j'ai rien fait 3) II existe des hésitations dans la prononciation [lj] — [j] et [nj] — [ ]: milliard [mi'lja:r — mi'ja:r] panier [pa'nje — pa' ie] gagner [ga' ie— ga'nje] 4) La liaison varie avec le style: dans le français parlé elle est réduite au minimum et se réalise dans les groupes accentuels composés d'un substantif ou d'un verbe précédés de leurs ( articles et déterminatifs, pronoms sujets et objets ): 41 déterminants immédiats des enfants ils étaient je les ai vu cf. vous_ête(s) arrivé et c'e(st) honnête La liaison revêt de plus en plus souvent une fonction grammaticale, elle marque le pluriel. Voilà pourquoi le z apparaît dans les groupes où il ne correspond à aucun signe graphique: quatre-z-officiers La consonne z est une consonne « fermante » pour les voyelles orales autres que [s], tandis que la consonne r est une consonne «ouvrante »: poser heureuse restaurant 5) L'influence de l'orthographe et le désir d'étoffer un nosyllabique font sonner les consonnes finales: sens exact août le fait 42 mot mo- LA CONCLUSION Les transformations dans la structure phonétique ont toujours accusé une tendance prononcée à l'articulation antérieure et labialisée ce qui aboutit à l'enrichissement considérable des consonnes prélinguales ( affriquées > consonnes chuintantes et sifflantes, semi-consonnes ) et des voyelles antérieures; celles-ci comportant deux oppositions importantes: ouvertes/fermées, labialisées/non labialisées. La quatrième série d'oppositions est présentée par l'opposition voyelle orale/voyelle nasale, constituée vers le XVIe s. La différenciation qualitative est à toutes les époques la caractéristique essentielle du vocalisme français: la durée vocalique peut aller de pair ou bien porter un caractère phonétique complémentaire. Evidemment, l'évolution ne représente pas une ligne toujours droite, elle connaît des écarts. C'est ainsi que le français classique dispose des voyelles longues opposées aux voyelles brèves; leur rôle phonologique est incontestable à l'époque. Mais depuis le milieu du XIXe s., les traits qualitatifs redeviennent prépondérants. Il importe de constater que la loi de position affecte beaucoup le vocalisme du français contemporain, affaiblissant plus ou moins le rendement de l'opposition phonologique : ouverte-fermée. La loi de position régit également le caractère quantitatif du vocalisme français, toute voyelle finale étant brève. La caractéristique quantitative des voyelles françaises joue un rôle subalterne. Tantôt elle accompagne les différences qualitatives ( longueur historique ), tantôt elle apparaît dans des conditions phonétiques déterminées par la position du phonème par rapport à l'accent et aux consonnes qui suivent le phonème en question ( longueur rythmique ). A la différence des voyelles dont l'évolution comporte quatre étapes, le consonantisme n'en connaît que deux, le système de consonnes du français actuel s'étant établi en moyen français. Les oppositions phonématiques parmi les consonnes sont moins générales que parmi les voyelles. Elles réunissent les groupes de consonnes plus ou moins nombreux, laissant en marge plusieurs autres. Ainsi, l'opposition « sourde-sonore » 43 ( srd-snr ) se manifeste seulement parmi les consonnes-bruits, les sonantes étant sonores par excellence. Une autre opposition « orale-nasale » frappe seulement les occlusives, les constrictives étant toutes orales. Quant aux modifications syntagmatiques, il faut signaler la réduction considérable du volume du mot français à la suite de l'amuïssement des syllabes posttoniques et des voyelles protoniques et en vertu de la réduction des groupes consonantiques. La constitution syllabique et l'accentuation du français s'en ressentent directement. 44 La bibliographie 1. Chigarevskaïa N. Précis d’histoire de la langue française. – Moscou,1973 2. Chigarevskaïa N. Traité de phonétique française. – Moscou, 1966 3. Gadet F. Le français populaire. – Paris : Presses Universitaires de France, 1992 4. Fragonard M., Kotler E. Introduction à la langue du XVIe s. – Paris : Nathan, 1991 5. Molinié G. Le français moderne. – Paris : Presses Universitaires de France, 1991 6. Picoche J., Marchello-Nizia C. Histoire de la langue. – Paris: Nathan, 1981 7. Zink G. Phonétique historique du français. – Paris : Presses Universitaires de France, 1986 8. Zink G. L’ancien français. – Paris : Presses Universitaires de France, 1987 45