GUERRES D’ESPAGNE (-178 à -133).
La voie domitienne (Rome -> Espagne) reprise sur cette carte ne sera construite qu’en -102.
Golfe du Lion. Numance (4)
On n’arrivait pas facilement en Espagne. Au lieu d’aller tout droit d’Ostie à Carthagène, à
travers la mer Tyrrhénienne, les légions remontaient lentement le littoral étrusque, longeaient
avec précaution la côte ligurienne, abritant, à la moindre menace de tempête, leurs navires
derrière les rochers du rivage et se gardant contre les embûches des montagnards, chaque fois
qu’il fallait descendre à terre. Du Var au Rhône, on passait plus rapidement devant les
comptoirs amis des Massaliotes, mais, du Rhône aux Pyrénées, on usait d’une extrême
prudence pour traverser cette mer qui s’appelle à si bon droit le golfe du Lion. Le
débarquement avait lieu à Empories, plus souvent à Tarragone ; de là les cohortes avaient
encore à gagner les lieux où étaient les troupes qu’elles venaient relever et qui souvent
opéraient à l’autre extrémité de l’Espagne. Toutes ces circonstances expliquent qu’il ait fallu à
Rome un demi siècle pour en finir avec les insurrections des Espagnols.
Depuis la pacification de ce pays par Sempr. Gracchus (1), en -178, jusqu’à l’année -153, le
repos des deux provinces ne fut troublé que par un soulèvement des Celtibères (2). En -170,
un de ces fanatiques de religion et de patriotisme, comme l’Espagne en a tant produit,
parcourut les villages de la Celtibérie, en montrant une lance d’argent qu’il prétendait avoir
reçue du ciel, et devant laquelle, disait-il, allaient fuir les légions épouvantées. Une nuit il
essaya de pénétrer dans la tente du consul et fut tué par les gardes ; sa mort dissipa la révolte.
Ce mouvement indique que le pouvoir de Rome n’était pas encore accepté de l’Espagne. Elle
avait, en effet, trop de mines d’argent et d’or, pour ne pas exciter la cupidité des préteurs, et
ceux-ci étaient trop avides pour reculer devant aucune extorsion, trop heureux d’aller, au titre
de propréteurs, réparer en Espagne leur fortune dissipée à Rome dans les débauches ou dans
les scandaleuses profusions qui précédaient les élections.
En -155, un émissaire de Carthage trouva les Lusitaniens assez irrités pour les pousser à une
révolte. Un préteur fut tué avec neuf mille des siens, et, pour décider la défection des
montagnards du centre de la péninsule, les vainqueurs leur envoyèrent les enseignes militaires
conquises dans le camp romain. Une de ces peuplades celtibériennes, réservée à une
renommée glorieuse, les Arévaques de Numance, prit les armes et battit trois fois les troupes
envoyées contre elle. Une perfidie parut d’abord réussir : Galba, vaincu par les Lusitaniens,
feignit de traiter avec eux, les dispersa en leur offrant des terres fertiles, puis en massacra
trente mille et se gorgea de butin, lui et ses soldats.
Dans la Celtibérie, le consul Lucullus déshonorait par une semblable conduite la foi romaine.
Il avait eu peine à trouver des soldats. Depuis que le pillage, d’ailleurs peu productif, était
mêlé d’une guerre meurtrière, personne ne se présentait à l’enrôlement. Il fallut que Scipion
Émilien fit honte de cette lâcheté à la jeunesse romaine et donnât le premier son nom.
Lucullus attaqua, sans motif, les Vaccéens, qui vivaient en bonne intelligence avec Rome, et
assiégea une de leurs villes, Cauca, où une multitude d’hommes s’étaient enfermés. Vivement
pressés, les habitants traitèrent et ouvrirent leurs portes : il en tua vingt mille et vendit le reste.
Aussi les gens d’Intercatia ne se rendirent-ils que sous la garantie de la parole de Scipion (-
150).
Du massacre des Lusitaniens, un homme s’était échappé, Viriathe, ancien pâtre auquel tous
les sentiers des montagnes étaient connus, et qui fut le premier de ces chefs héroïques que,
dans tous les temps, les Espagnols ont trouvés. Dix mille de ses compatriotes s’étant
imprudemment engagés dans une position où ils ne pouvaient ni fuir ni combattre, Viriathe
les sauva par des chemins qui semblaient impraticables. Son peuple ne voulut plus d’autre
chef (-147), et pendant cinq années il fit aux Romains une guerre de surprises et
d’escarmouches dans laquelle ils perdirent leurs meilleurs soldats. Toutefois il comprit que les
Lusitaniens ne pourraient pas seuls sauver l’Espagne ni même leur indépendance, et il souleva
les Celtibériens. Cette union avec le peuple qui tenait le centre de la péninsule rendait la
guerre sérieuse. Le sénat envoya contre les Celtibériens un de ses meilleurs généraux,
Metellus le Macédonique, qui les battit pendant deux ans (-143 à -142) et prit presque toutes
leurs villes. Cette puissante diversion servit les desseins de Viriathe en laissant l’autre armée
romaine, que commandait le consul Servilianus, exposée seule à ses coups. Enfermée dans un
défilé, elle n’évita une entière destruction qu’en capitulant aux conditions suivantes : Il y aura
paix, à l’avenir, entre le peuple romain et Viriathe, et chaque parti conservera ce qu’il
possède. Les comices ratifièrent ce traité qui eût fait mourir de honte les hommes des
générations précédentes (-141).
Un nouveau général, Cépion, se fit autoriser par le sénat à rompre le traité. Il surprit Viriathe,
qui s’abandonnait sans défiance aux serments reçus, le rejeta dans les montagnes et l’y fit
assassiner par deux Lusitaniens qu’il avait gagnés (-140). Pendant huit ans, Viriathe avait
balancé en Espagne la fortune de Rome. Sa mort découragea ses troupes et son peuple ;
pion n’eut pas même à combattre pour couvrir d’un peu de gloire sa perfidie. Les
Lusitaniens se soumirent ; il les transporta au milieu de peuples façonnés au joug de Rome,
sur les bords de la Méditerranée, où Brutus, son successeur (-138 à -137), leur fit bâtir
Valence (3). Ce dernier chef eut encore à vaincre quelques résistances partielles. Des bandes
nombreuses couraient le pays, il les affama eu détruisant toutes les cultures, et pénétra chez
les Gallaïques, jusqu’au bord de l’Océan, où il montra à ses légions le soleil descendant au
sein de ces mers mystérieuses de l’Occident, que soulevait incessamment, disait-on, la
respiration puissante de la Terre.
Brutus croyait la domination romaine arrivée aux extrémités du monde. Cependant, derrière
lui, durait une lutte soulevée par le héros lusitanien. Metellus n’avait laissé à prendre dans la
Celtibérie que deux villes, Thermantia et Numance. La guerre d’Espagne, terminée au sud
par la mort de Viriathe et à l’ouest par l’expédition de Brutus, allait donc se concentrer au
nord, dans les montagnes qui, se détachant des Pyrénées aux sources de l’Èbre, ferment au
midi le bassin de ce fleuve et donnent naissance au Tage et au Douro. La difficulté des lieux
(4), l’indomptable courage des montagnards à défendre ce dernier asile de la liberté, surtout
l’impéritie des généraux romains, donnèrent à ce suprême effort de l’indépendance espagnole
les apparences d’une guerre dangereuse. En -141, Pompeius fit avec les Numantins un traité
qu’il n’osa avouer dans le sénat, et son successeur, Popillius Lænas, n’approcha de la ville
que pour essuyer une défaite (-138). L’année suivante, le consul Mancinus renouvela la honte
de Servilianus ; enfermé dans une gorge sans issue par les Numantins, il leur abandonna son
camp, ses bagages, et engagea sa parole qu’il cesserait les hostilités. Si grande était
maintenant la défiance inspirée par la bonne foi romaine, que les Numantins exigèrent pour
l’observation du traité le serment des officiers de Mancinus et de son questeur, Tiberius
Gracchus, fils de ce Gracchus dont les Espagnols vénéraient la mémoire (-158). Le sénat ne
tint pas compte de ce traité, et, ne prenant dans les anciens temps que les exemples qui
allaient aux moeurs nouvelles, il recommença la scène, qui avait suivi la convention des
Fourches Caudines (5): Mancinus, nu et les mains liées, fut livré aux Numantins, qui
refusèrent de le recevoir. Le peuple s’était opposé à ce que Tiberius eût le sort du consul.
De nouveaux chefs, une nouvelle armée, ne surent pas effacer cette honte. Pour abattre la
petite cité espagnole, il ne fallut pas moins que celui qui avait renversé Carthage. Scipion (6)
commença par bannir du camp la mollesse et l’oisiveté. Il en chassa deux mille femmes de
mauvaise vie, les aruspices, charlatans et diseurs de bonne aventure, qui le transformaient en
un champ de foire et en un lieu de débauche. Il faisait élever des murailles, creuser des fossés,
qu’ensuite il renversait et comblait. « Qu’ils se couvrent de boue » , disait-il, « puisqu’ils ne
veulent pas se couvrir de sang ». Évitant toute affaire générale, il attaqua l’un après l’autre les
alliés des Numantins, refoula peu à peu ceux-ci dans leur ville, et les y enferma par une
épaisse muraille flanquée de tours. Le Durius (le fleuve Douro) longeait le pied de la colline
qui portait Numance, et des plongeurs apportaient des vivres aux assiégés ; Scipion jeta dans
son lit des poutres armées de dents de fer et des filets. Un chef numantin réussit pourtant à
franchir les lignes romaines et alla solliciter les secours de Lucia. Scipion courut à cette ville,
exigea que quatre cents des principaux citoyens lui fussent livrés et leur fit couper les mains ;
à Carthage, il avait jeté aux lions tous les transfuges qu’il avait pris. Les Numantins, pressés
par une horrible famine, lui demandèrent une bataille où ils pussent au moins trouver une
mort glorieuse ; il ne quitta point ses inattaquables retranchements et les réduisit à
s’entr’égorger (-(-133). Cinquante Numantins seulement suivirent à Rome son char de
triomphe.
L’Espagne, épuisée de sang, rentra enfin dans le repos. Mais les montagnards du Nord,
Astures, Cantabres, Vascons, n’étaient pas domptés. Les Celtibériens et les Vaccéens
remuèrent encore durant la seconde guerre des esclaves et l’invasion des Cimbres. La
pacification de l’Espagne ne devait être achevée que par Auguste.
Source :
http://www.mediterranee-antique.info/Duruy/Romains/HR_033.htm
Notes.
(1) Tiberius Sempronius Gracchus fut tribun de la plèbe en -187, préteur en -180, consul à
deux reprises en -177 et en -163 et censeur en -169.
Il mena une guerre contre les Celtibères en -178, ce qui lui permit de triompher à Rome. Il
s'illustra par l'établissement d'un nouveau type de rapports avec les populations indigènes et
fonda une ville qui porta son nom, Gracchuris.
En -163, il épouse la patricienne Cornélia, fille du célèbre Publius Cornelius Scipio Africanus
Maior, Scipion l'Africain.
Tibérus mourut vers -150, après avoir engendré douze enfants[1] dont seulement trois
survécurent. Les trois survivants étaient Tibérius et Caius (les Gracques), les pères des lois
agraires, et Sempronia qui épousa Publius Cornelius Scipio Aemilianus, Scipion Emilien, le
destructeur de Carthage. (Source)
(2) La Celtibérie
Les écrivains de l'Antiquité donnent le nom de Celtibérie à une partie importante de
l'Espagne centrale.
Ces peuples celtibères étaient considérés par les Romains comme un mélange de Celtes et
d'Ibères .
Nous savons aujourd'hui que les Celtibères étaient un peuple de culture celte recevant des
influences des Ibères par leur proximité.
Il est difficile de préciser les limites du pays que les Romains appelaient ainsi avant la
conquête de la péninsule, et ce nom ne fut pas maintenu dans la nomenclature administrative;
même chez les auteurs, il ne demeura que comme une dénomination générale et un peu vague.
Pour Tite-Live (28, 1), la Celtibérie est sur la ligne de partage entre les versants de l'Océan
Atlantique et de la Méditerranée , au Nord, c.-à-d. dans les régions Cuenca , Soria,
Burgos , le sud-ouest de l'Aragon . Strabon l'étend depuis la limite méridionale du bassin
de l'Ebre jusqu'aux sources du Douro, du Tage , du Guadiana; Polybe prolongeait leur
territoire au Sud jusqu'aux sources du Bétis (Guadalquivir), et à l'Est jusqu'aux collines
voisines de Sagonte . Enfin, plus d'un auteur paraît s'être servi du mot Celtibérie pour
désigner toute l'Espagne Citérieure.
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