Chacun des textes de ce dimanche nous présente une manière d’entrer en relation avec l’évènement de la résurrection. La première est le témoignage, comme Pierre nous en donne un exemple magnifique dans les Actes des Apôtres devant le Grand Conseil. Ecoutonsle proclamer avec vigueur le kérygme, le cœur pascal de la foi chrétienne : « Le Dieu de nos pères a ressuscité Jésus, que vous aviez exécuté en le suspendant au bois du supplice. C’est lui que Dieu, par sa main droite, a élevé, en faisant de lui le Prince et le Sauveur, pour accorder à Israël la conversion et le pardon des péchés. Quant à nous, nous sommes les témoins de tout cela, avec l’Esprit Saint, que Dieu a donné à ceux qui lui obéissent. » La seconde nous est peut-être moins familière. C’est celle du voyant de l’Apocalypse, un livre tout entier consacré au discernement des signes de la victoire pascale du Christ au cœur des fureurs d’un monde où le mal semble s’être déchaîné comme jamais. Le voyant, qui est aussi un croyant, mais qui essaie de voir plus loin, plus profond que la surface des choses, le voyant perçoit, par-delà les violences faites, en son temps déjà, aux disciples de JésusChrist, la victoire finale du Ressuscité, entrainant avec lui celles et ceux qui ont souffert pour le Nom béni. Et offre aux saints qui peinent encore le chant de Louange entonné par ceux de leurs devanciers qui ont pleinement part à la victoire du Ressuscité : « Il est digne, l’Agneau immolé, de recevoir puissance et richesse, sagesse et force, honneur, gloire et louange. » La troisième est l’expérience vive de la rencontre du Ressuscité, au cœur même d’un quotidien parfois bien terne. Dans l’évangile, les disciples sont revenus, après ces années merveilleuses qui se sont abîmées dans un misérable échec, l’effondrement de tant d’espoirs cloués avec le Christ sur une misérable croix, les disciples sont revenus à leur activité initiale, la pêche. Ils rament. Ils ont ramé toute la nuit, sans rien prendre. Et Jésus intervient, ils le reconnaissent au double signe de la fécondité que, seul, il peut donner à la morne stérilité de leur quotidien, et au repas qu’il partage avec eux. Nous aussi, croyants du XXIè siècle, pouvons et devons probablement avoir ce triple rapport avec l’évènement de la Résurrection : -Témoigner, hardiment et joyeusement, même si ce n’est pas facile et si ça peut nous causer quelques ennuis, c’est ainsi depuis les origines ; -Tenter, dans une foi vigoureuse, à discerner, au cœur d’un monde encore et toujours marqué par la violence et la mort, les signes de la victoire du Ressuscité, et rendre grâces parce que, comme le voyant de l’Apocalypse, nous connaissons, avec la certitude de la foi, la fin du film ; -Accueillir, et probablement aussi désirer, une rencontre vive, personnelle avec le Ressuscité, sans cette rencontre, notre foi demeurera comme amputée, extérieure à l’évènement central de l’histoire des hommes, de l’histoire engagée par Dieu avec les hommes, et définitivement scellée dans la victoire pascal du Christ sur toutes les forces de mort et de désagrégation. Mais cela ne suffit pas, et la seconde partie de l’Evangile nous révèle probablement la voie royale pour nous situer par rapport à l’évènement pascal. Le triple « M’aimes-tu » de Jésus à Pierre correspond bien sûr au triple reniement de l’Apôtre quelques heures plus tôt. Cette voie royale, c’est l’expérience de la miséricorde. La miséricorde considérée comme le don pascal par excellence. Nous étions, nous sommes toujours en dette vis-à-vis de Dieu et à Pâques, en Jésus Dieu a pris sur lui tous nos péchés et nous a remis, d’un coup, sans aucun mérite de notre part, toutes nos dettes, gracieusement. La loi, les lois morales étaient et demeurent dans l’incapacité de nous faire revenir à Dieu, alors Dieu lui-même est venu à nous, pour prendre sur lui nos fautes et nous offrir le pardon. D’ailleurs, dans ce triple « M’aimes-tu ? » Pierre fait, peut-être douloureusement, l’expérience de son incapacité à se hisser au niveau de l’amour de Dieu révélé en Jésus. En effet dans les deux premiers échanges, l’évangéliste utilise le verbe agapein pour dire l’amour. « M’aimes-tu ? » Au sens d’un parfait amour de charité ? Au troisième Jésus emploie le verbe philein : « M’aimes-tu ? » au sens d’un amour d’amitié, le français, qui a le même mot pour dire « J’aime le gâteau au chocolat » et « j’aime ma femme » est dans l’incapacité de rendre compte des nuances du grec, mais dans ce jeu de verbes, Jean nous montre que Jésus rejoint Pierre dans son amour imparfait, alors même que, Pierre perçoit bien qu’il est incapable de rejoindre Jésus dans son amour de don total. Cette expérience, nous pouvons et devons la faire, c’est l’expérience de la miséricorde, l’expérience bouleversante que Dieu veut et peut nous rejoindre au creux de nos misères…Et s’appuyer sur nous, pauvres types, pauvres femmes à qui il dit, comme à Pierre, « Pais mon troupeau. » c’est-à-dire « N’aies pas peur, je te fais confiance » La devis du pape François le dit à sa manière Miserando atque eligendo, c’est-à-dire choisi parce qu’objet de la miséricorde. C’est parce que nous sommes des hommes et des femmes à qui il est fait miséricorde que, du même mouvement, nous sommes choisis par Dieu. La miséricorde n’est pas optionnelle dans la foi chrétienne, elle n’est pas un thème d’année parmi d’autres, elle est le don pascal par excellence, celui qui nous constitue comme chrétiens, c’est-à-dire recréés par la Résurrection du Christ et choisis pour en témoigner. C’est notre identité fondamentale de chrétiens que d’être des hommes et des femmes à qui il a été fait miséricorde. Des quatre manières d’entrer en relation avec l’évènement pascal, l’expérience de la miséricorde est probablement celle qui conditionne les autres, si nous en croyons l’évangile de ce jour et l’expérience de Pierre...Qui aussi, à sa manière, est celle de Paul. Si nous n’avons pas été rejoints par le don pascal de la miséricorde, notre témoignage demeurera comme extérieur à l’évènement pascal ; nous ne parviendrons que très approximativement à discerner la trace de l’évènement pascal dans les fureurs du monde, car sa trace est souvent celle de la miséricorde, qui ne fait pas de bruit mais fait beaucoup de bien ; enfin sans l’expérience de la miséricorde, notre expérience de Dieu, du Dieu chrétien, ce Dieu qui a ressuscité Jésus et qui veut et peut nous ressusciter, est comme amputée, incomplète. Oui nous ne pouvons pas être de véritables témoins de la résurrection, de véritables chrétiens si nous n’avons pas fait l’expérience de la miséricorde de Dieu. Révélée en Jésus-Christ. Amen !