Chez Wittgenstein, le refus de théoriser tient à une distinction fondamentale entre
Décrire et Expliquer. Cette distinction, est, je crois, aussi éclairante pour le
philosophe que pour le thérapeute. Décrire, c’est rendre compte tout simplement des
faits, des usages, à la manière d’un anthropologue. Expliquer, c’est faire entrer la
causalité, comme en science où l’on cherche des explications et des justifications aux
phénomènes. L’explication est normale en science où les phénomènes s’expliquent
par des hypothèses causales et des inférences hypothético-déductives à partir de lois
et de conditions initiales. Or les sciences exercent sur nous une telle fascination que
nous voudrions bien pouvoir transposer leurs méthodes dans d’autres domaines de la
vie. Wittgenstein écrit « Nous sommes si fascinés par la méthode de la science que
nous sommes irrésistiblement tentés de poser et de résoudre des questions de la
manière dont la science le fait… Je veux dire ici que cela ne peut jamais être notre
tâche de réduire quoi que ce soit à quoi que ce soit, ou d’expliquer quoi que ce soit.
La philosophie est réellement purement descriptive. » L’explication est dévastatrice
en philosophie, comme dans une approche thérapeutique, dans la mesure où elle crée
de nouveaux problèmes en plus des problèmes qu’elle entend résoudre.
Pour illustrer son approche, Wittgenstein écrit « Nous rencontrons ici un phénomène
curieux et caractéristique des études philosophiques. La difficulté n’est pas, pour ainsi
dire, de trouver la solution, mais de reconnaître la solution dans ce qui a l’air d’en être
seulement la prémisse. Cette difficulté tient je crois à ce que nous attendons à tort une
explication alors qu’une description constitue la solution de la difficulté, pour peu que
nous lui donnions sa juste place, que nous nous arrêtions à elle, sans chercher à la
dépasser. C’est cela qui est difficile, s’arrêter ! » Zettel
2- Poser les problèmes au bon niveau
À aucun moment de sa vie, Wittgenstein n’a pris parti dans les débats philosophiques.
Prendre parti n’avait pour lui, à strictement parler, aucun sens : tant que nous
demeurons prisonniers de tiraillements, de tensions, de propos contradictoires, c’est,
selon lui, que nous n’avons pas encore posé le problème à un niveau satisfaisant. Un
problème bien posé est un problème résolu… La philosophie de Wittgenstein a cela
d’exigent qu’elle force à poser le problème toujours plus profondément. Mais ce qu’il
y a de plus profond est souvent aussi ce que nous avons sous les yeux.
Prenons un exemple : pour notre philosophe, il est totalement insensé de prendre parti
pour ou contre l’existence de l’inconscient, ou bien de choisir son camp entre des
approches psychologiques mentalistes, cognitivistes ou béhavioristes. Prendre parti
n’a pas plus de sens que de tomber dans un relativisme de bon aloi selon lequel toutes
ces approches comporteraient « une part de vrai ». Le problème pour Wittgenstein
n’est pas de se prononcer pour leur fausseté ou leur véracité totale ou partielle. Le
problème est déjà, bien en amont, de s’interroger sur l’intelligibilité de ces approches
et sur leurs présupposés communs. Les approches contradictoires reposent souvent sur
des paradigmes communs.
Lorsque Wittgenstein étudie le thème de la liberté, son approche est à rebours de la
plupart des théories. Pour certains philosophes, la question de la liberté est la question
de la cause de nos actions : si elles sont causées par l’extérieur ou par des
conditionnements, nous ne sommes pas libres ; si elles sont causées par la volonté,
nous sommes libres. Wittgenstein refuse de choisir et s’interroge : quel sens cela a-t-il
de parler de causes pour nos actions ? Sa réflexion part des situations les plus simples
: comment un enfant apprend-il qu’il fait quelque chose volontairement ? Comment