Essai/ Politique/Environnement Faut-il stopper la croissance pour résoudre la crise ? (MFI/13.08.2013) Journaliste au quotidien français Le Monde et spécialisé sur la question environnementale, Hervé Kempf analyse l’évolution possible, et même souhaitable, du monde face à la crise écologique actuelle. L’auteur livre ses convictions politiques mais aussi son souhait de faire prendre conscience à tous qu’il est temps d’agir. Après un bref panorama historique montrant comment s’est établie l’économie mondialisée, Hervé Kempf explique, à travers une analyse du système économique, pourquoi la croissance n’est plus viable. Selon lui, l’évolution même du capitalisme va faire peser un coût écologique croissant aux sociétés contemporaines, en associant augmentation du prix des matières premières, baisse de leur taux de retour énergétique et approfondissement de la crise écologique. Il relève par ailleurs que les effets néfastes de la croissance sur l’environnement vont creuser les écarts de richesses entre les pays les plus pauvres et les plus riches. Ce sont les pays du Sud, de par leur situation géographique et leurs moyens financiers, qui seront les moins armés pour faire face au changement climatique. Le risque le plus grave que fait courir la crise écologique est, pour le journaliste du Monde, qu’elle fasse sombrer l’humanité, sur le long terme, dans des guerres. En effet, l’auteur considère que des conflits majeurs découleront de la hausse de « l’inégalité mondiale, de la course aux ressources et de la dégradation des conditions écologiques ». Sur ce point, il rejoint Harald Welzer 1 pour qui le potentiel de conflictualité du changement climatique est évident, car la hausse du nombre de réfugiés environnementaux engendrera inévitablement des conflits. Face à ce défi, Hervé Kempf estime que deux directions peuvent être prises : soit les « pays occidentaux tenteront de bloquer cette tendance historique, et les rivalités pour l’accès aux ressources, notamment, s’accroîtront jusqu’à multiplier les guerres », soit « les sociétés occidentales s’adapteront à ce courant historique, et le monde pourra alors faire face à la crise écologique ». La gauche doit choisir : conservation oligarchique ou politique écologique En guise de solution, Hervé Kempf n’utilise presque jamais le mot « décroissance » mais préfère parler de « transition de phase », de « passage d’une ère à une autre ». Cette « renaissance » du monde passerait par l’égalisation des conditions de vie à l’échelle mondiale et donc par une réduction de la consommation matérielle des pays développés. Le constat est donc clair : pour limiter la crise écologique, il faut que l’Occident réduise son niveau de consommation. Réaliste quant à la difficulté à faire accepter ce changement, l’auteur en appelle à une réelle mise en action du monde politique et à des choix concrets, en particulier pour la gauche qui doit choisir « entre la conservation oligarchique et la politique écologique ». Ce nouvel élan initié par le politique devrait donner la voie à de nouveaux modes de 1 Harald Welzer, Les guerres du climat, Ed. Gallimard, 2009 vie mais aussi à une restructuration des « imaginaires » et des valeurs. Le capitalisme a fait intégrer aux individus que l’amélioration des conditions d’existence dépendait de l’accroissement des biens matériels. Il a aussi « imprégné les habitants des pays occidentaux d’un individualisme exacerbé par trente ans d’un capitalisme sans adversaire ». Mais l’auteur pense qu’un autre monde est possible ; un monde où les valeurs d’équité, de partage, et de solidarité seraient centrales. Croyant en la capacité des hommes à innover en toute situation, Hervé Kempf s’appuie sur l’analyse du sociologue Immanuel Wallerstein. Pour ce dernier, « les valeurs universelles globales ne nous sont pas données, elles sont créées par nous ». Fort de cette conviction, l’auteur explique comment parvenir à restructurer les sociétés occidentales en suivant trois axes essentiels : reprendre la maîtrise du système financier, réduire les inégalités, et écologiser l’économie. L’ouvrage d’Hervé Kempf a l’intérêt de mettre en lumière un problème politique essentiel. Si ses propositions ont de quoi surprendre, elles n’en sont pas moins empreintes de réalisme. Le but de l’auteur est bien d’aider ses lecteurs à regarder lucidement et sereinement l’avenir. Sarah Rodriguez-Perez Fin de l’Occident, naissance du monde, Hervé Kempf. Editions du Seuil, Paris, janvier 2013 ; 192 pages, 15 euros.