Master Histoire et Philosophie des Sciences Fondamentales La spécialité Philosophie et Histoire des Sciences Fondamentales est organisée par le Département de Philosophie de l'Université de Provence en collaboration avec des membres du CEPERC (Centre d'Épistémologie et d'Ergologie Comparatives), des physiciens du CPT (Centre de Physique Théorique) et du PIIM (Laboratoire de Physique des Interactions Ioniques et Moléculaires), des mathématiciens et des historiens des mathématiques. L'organisation et le contenu de ses enseignements ont été choisis en faisant le pari de renouer avec la tradition et l'esprit des grands savants-philosophes qui, de Galilée à Poincaré, Einstein ou Heisenberg, plaçaient au centre de leur pensée un questionnement sur les articulations qui existent entre la philosophie, la physique et les mathématiques. Dans son titre, le mot « fondamentales » ne réfère donc pas seulement aux sciences mathématiques et physiques, mais aussi au fait que l'articulation de ces sciences touche à des problèmes fondamentaux de la philosophie, au premier rang desquels nous mentionnerons les rapports entre la nature et l'esprit, entre la loi et l'expérience, et la nature de l'espace, du temps et du mouvement. Il s'agit donc d'interroger d'un point de vue philosophique les acquis et les problèmes des sciences contemporaines et de leur histoire tout en les inscrivant dans les questions traditionnelles de la philosophie. En particulier, l'accent est mis, d'une part, sur l'examen historique et philosophique du caractère dual de la science physique dont les deux pôles sont l'expérience et l'usage des mathématiques comme cadre conceptuel et, d'autre part et corrélativement à cette dualité de la physique, du double lien entretenu respectivement par les mathématiques avec la physique et avec la philosophie. Ce Master transdisciplinaire s'adresse ainsi à deux types de public : des étudiants et des professeurs de philosophie, d'une part, des étudiants et des professeurs de physique et de mathématiques, de l'autre. En considération de l'hétérogénéité du public, tous les cours sont auto-suffisants et sont conçus pour pouvoir être suivis par tous les étudiants, qu'ils soient de formation philosophique ou scientifique. Semestre 1 - Au choix : - Initiation aux mathématiques (12 crédits) : M. Anglade Le cours familiarisera les étudiants avec les notions mathématiques indispensables pour comprendre deux questions fondamentales : celle des rapports du nombre et de la grandeur à travers l’histoire des mathématiques et celle de la crise des fondements des mathématiques provoquée par l’arithmétisation du continu. Les notions suivantes seront introduites : présentation, par extensions successives, des différents ensembles de nombres ; axiome d’Archimède ; densité, continuité ; principe de récurrence ; fonctions, limites, dérivabilité et continuité. Bibliographie : R.Courant et H.Robbins What is Mathematics (Oxford U.Press). - Intitiation à la philosophie (12 crédits) : I. Koch, G. Crocco, É. Audureau, I. Ly Ce cours se propose de caractériser la nature de la philosophie par deux biais. D’abord en examinant les conditions de sa naissance, c’est-à-dire en dressant la table des oppositions entre le récit mythique, notamment celui de la Théogonie d’Hésiode, et la naissance de l’esprit scientifique au VIe siècle. Il fera ainsi apparaître l’importance d’une forme de pensée qui, d’une part, s’astreint à une discipline des principes et, d’autre part, se soumet à la discussion publique comme condition préalable et nécessaire au discours argumenté, lequel est commun à la science et à la philosophie. Ensuite, il fera apparaître le caractère systématique de la philosophie à travers l’exposé des doctrines de philosophes majeurs de l’Antiquité (Platon et Aristote) et de l’Âge classique (Descartes et Leibniz). Le fil conducteur choisi sera, pour les Anciens, la théorie du mouvement dans ses liaisons avec la conception du cosmos. Pour les Classiques, ce même thème sera conservé mais il sera enrichi par un nouveau problème : celui des conditions de possibilité de la mathématisation de la physique. Dans l’ensemble, on s’attachera à discuter les différentes conceptions de la méthode philosophique et de la nature du questionnement philosophique en rapport à la science : la philosophie n’est pas une science bien que pour autant ce soit une connaissance qui n’est ni stérile, ni désuète. Les enseignements s’appuieront pour une grande part sur la lecture commentée de textes. - Expérience, mathématiques et théorie dans l’histoire de la physique (12 crédits) : T. Masson L'objet de ce cours est d'illustrer l'aspect dual en physique, entre les expériences d'une part, comme moteur pour l'élaboration des théories, et les mathématiques d'autre part, comme cadre formel pour l'écriture des théories. Ce cours reviendra sur la place des mathématiques dans les sciences expérimentales en général, et sur l'histoire très féconde entre les mathématiques et la physique théorique. Ce cours abordera les questions suivantes : Comment l'expérience nous mène-telle à des conceptualisations mathématiques parfois très abstraites ? Pourquoi le langage mathématique est-il si pertinent en physique ? Pourquoi un même objet physique peut-il se décrire mathématiquement de différentes façons ? L'esthétisme mathématique est-il source de vérité en physique ? Qu'appelle-t-on expliquer en mathématique et en science expérimentale ? Il ne s'agit pas d'un cours d'histoire des sciences, mais d'un cours de réflexion sur les rapports surprenants entre les mathématiques et la Nature. Ce cours sera illustré par des exemples historiques concrets (en physique, en chimie, en biologie) qui seront suffisamment détaillés dans leur contenu technique pour en extraire l'information pertinente au propos, tout en faisant l'objet d'un effort de vulgarisation pour rester accessibles aux non initiés. - Langues (6 crédits) : G. Crocco, I. Koch, I. Ly Lecture de textes scientifiques et philosophiques anglais, allemands et éventuellement grecs et latins. Semestre 2 - Au choix : - Les différents types de postulats dans l’histoire de la physique (12 crédits) : É. Audureau, J. Bernard La tendance actuelle en philosophie de la physique consiste à formuler dans le langage mathématique de la physique fondamentale contemporaine, c’est-à-dire en employant les méthodes les plus évoluées de la géométrie, les oppositions fondamentales entre les théories du passé et du présent. Cependant si cette approche est très éclairante à de nombreux égards, elle laisse parfois échapper, ou elle obscurcit, certaines oppositions fondamentales que les théoriciens du début du XXe siècle plaçaient au premier plan de leur réflexion. Ce sont ses réflexions que le cours s’attachera à restituer en essayant de reconstituer scrupuleusement les oppositions historiquement attestées. La crise de la mécanique, au cours du 19e siècle, a conduit les physiciens à s’interroger sur le statut des théories physiques et de leurs différents constituants : expérience, hypothèse, rôle des mathématiques, vérité des lois, etc…Cette interrogation s’accompagnait d’enquêtes historiques sur le développement de la physique car il s’agissait de comprendre sur quel malentendu avait reposé la confiance excessive en la mécanique. Le cours retracera dans ses axes principaux les oppositions de points de vue sur la nature de la théorie physique en s’attachant à montrer qu’il n’y a jamais eu, et qu’il n’y aura sans doute jamais, de consensus sur ce qu’est une théorie physique. En effet, il ne peut y avoir de théorie physique sans prise de position sur ce qui existe, comme l’atteste de façon si claire l’histoire de la lumière et ses péripéties. On illustrera ce pluralisme de vues sur la théorie physique en exposant trois conceptions différentes : celles de Duhem, de Poincaré et d’Einstein De cet exposé historique et philosophique, on pourra alors dégager une formulation assez précise de la solidarité de trois problèmes constitutifs de toute théorie physique : - comment expliquer que les mathématiques puissent s’appliquer à la connaissance des choses matérielles ? - y a-t-il une différence de nature entre principes et lois ? - quels rapports la théorie physique entretient-elle avec les idées cosmologiques ? Bibliographie : Pierre Duhem : La théorie physique (Vrin), L’évolution de la mécanique (Vrin) ; Einstein : La géométrie et l’expérience in Œuvres choisies vol.5 (Le Seuil), La relativité (Payot), « Reply to criticisms » in Albert Einstein, Philosopher-Scientist (Harper & brothers) ; Poincaré, La science et l’hypothèse, La valeur de la science ; Mach, La mécanique (J.Gabay) - Axiomatisation et histoire des mathématiques (12 crédits) : M. Anglade, G. Crocco - Épistémologie (6 crédits) : S. Ruphy Ce cours abordera quelques-uns des grands débats philosophiques contemporains portant sur les sciences naturelles. La problématique de l’unité ou de la pluralité des sciences conduira dans un premier temps à examiner les questions suivantes : peut-on attendre de nos théories qu’elles constituent une structure unique, de type réductive, ou nos connaissances théoriques forment-elles plutôt une sorte de « patchwork » dont les pièces demeurent autonomes les unes des autres (question du réductionnisme en science) ? Existe-t-il une seule façon correcte de classer les choses que les sciences doivent s’efforcer de découvrir, ou le caractère pluraliste de nombre de taxinomies actuelles est-il indépassable (question des espèces naturelles en science) ? La coexistence de plusieurs modèles incompatibles d’un même phénomène peut-elle être épistémiquement satisfaisante, ou doit-on attendre une convergence des représentations que nous délivrent les sciences ? Cette dernière interrogation conduira, dans un deuxième temps, à aborder la problématique du progrès en science. En quels sens peut-on dire que les sciences progressent ? Progressent-elles de manière continue ou discontinue, autrement dit, est-il légitime de parler de « révolution » en science ? Et quel rôle jouent des facteurs non épistémiques, c’est-à-dire de type social, culturel ou politique dans les phases de changement ? - Mémoire (12 crédits) Semestre 3 - Les doctrines du temps et de l’espace dans l’histoire de la pensée (12 crédits) : I. Ly Le cours a pour objet d'étudier un certain nombre de conceptions philosophiques du temps et de l'espace dans leur rapport à l'histoire des mathématiques et de la physique. À la lecture des ouvrages contemporains faisant autorité sur cette question, on ne peut qu'être frappé par le fait que, à travers la diversité des problèmes qui y sont traités, l'espace et le temps y sont considérés comme des « entités » ayant une existence propre, sans que soit questionné ce présupposé : les conceptions plaçant l'espace et le temps sous la dépendance de l'esprit (notamment comme des constructions de l'esprit) s'y trouvent par là escamotées, alors même que des conceptions de ce type sont défendues de diverses manières par des savants et des philosophes majeurs des quatre derniers siècles. Citons à cet égard Descartes, Kant et Poincaré. Reprenant le problème de la nature de l'espace et du temps, nous nous attachons donc à placer au centre du cours la question de leur statut de dépendance ou d'indépendance vis-à-vis des constructions de l'esprit. C'est selon cette perspective que nous traitons plusieurs problématiques classiques comme celle de la nature relationnelle ou substantielle de l'espace et du temps, celle de leur caractère absolu ou relatif, ou celle de l'articulation de leurs traitements mathématique et physique. Après une introduction rapide fournissant quelques éléments sur l'idée de lieu et sur le thème des rapports entre l'espace, le temps et le cosmos dans l'antiquité, le cours porte essentiellement sur les XVIIème, XVIIIème, XIXème et XXème siècles. Nous y abordons notamment la conception cartésienne de l'identité de la matière et de l'étendue, le principe de relativité chez Galilée, le débat entre Newton et Leibniz, la conception transcendantale du temps et de l'espace chez Kant, les géométries non euclidiennes et le débat sur l'empirisme géométrique occasionné par leur découverte, les implications philosophiques de la conception de la géométrie en termes de groupe (Lie, Helmholtz, Klein, Poincaré) et certains aspects des questions philosophiques soulevées par la théorie de la relativité d'Einstein. - Au choix : - Les idées fondamentales de la physique contemporaine (12 crédits) : C. Rovelli - Logique, langage et ontologie (12 crédits) : G. Crocco - Langues (6 crédits) Semestre 4 - Au choix : - Le rôle de l’instrumentation dans la physique contemporaine (TP) (12 crédits) : G. Hagel, O. Morizot 1. La mesure en physique expérimentale classique (12h environ) - Rudiments de statistiques (cours de 2-3h). Une mesure expérimentale n’est jamais exacte et doit être répétée un grand nombre de fois avant qu’une analyse statistique permette d’interpréter les observations. Quelles informations et quelles certitudes peut-on tirer d’un ensemble de mesures expérimentales ? Différentes lois de distributions des mesures expérimentales (liées au type de bruit de mesure associé) sont rapidement évoquées. - « Mesures » (1 séance de TP de 3h). Cette séance de TP de 3h pouvant s’effectuer pour tous les étudiants simultanément les pousse à mesurer des masses, des longueurs, des tensions, des temps… avec les instruments typiques de l’expérimentation physique et d’observer l’importance de la propreté de la mesure, de sa répétition, de la connaissance de l’instrument de mesure. - « Expérience de Millikan » (1 TP de 4h + 1 TD de 2h) Cette séance de TP a pour but de reproduire d’une manière simplifiée l’expérience historique de 1909 par laquelle Millikan a déterminé la quantification de la charge électrique, ainsi que sa valeur exacte ‘e’. Ce TP nécessite un grand nombre de mesures (avec des instruments souvent récalcitrants) qu’il faudra ensuite savoir analyser. Cette analyse statistique sera faite avec tous les étudiants lors d’une séance de Travaux dirigés. Qui plus est cette expérience permet de faire le lien avec le point de cours suivant. 2. Comment mesurer l’inobservable ? (cours de 3-4h + recherche bibliographique) Dans cette partie, nous souhaitons souligner le fait que bien souvent, le phénomène ou l’objet que veut mettre en évidence le scientifique n’est pas directement accessible à nos sens, et qu’il lui faut pour le(s) révéler développer des instruments intermédiaires pour sonder le monde. La conception puis la construction de l’instrument est cruciale en ce que les résultats obtenus par l’expérimentateur dépendent dramatiquement de l’instrument et du montage expérimental. 3. Brève histoire de la mesure du temps (cours de 4-5h). De l’observation des cycles naturels aux horloges atomiques optiques. Ce cours permettra de montrer comment la mesure d’une grandeur aussi intuitive et essentielle que le temps a pu radicalement évoluer au cours de l’histoire en parallèle avec les évolutions de la technique. Cet exemple me semble très intéressant car on observe réellement sur plusieurs millénaires une immense variété de techniques de mesures du temps et que ces mesures semblent avoir toujours suivi au plus près les progrès techniques de la société (comme si la grandeur qu’on avait toujours voulu connaître le plus précisément était le temps). Si l’on en a le temps, au-delà des aspects techniques, on essaiera de développer au moins quelques aspects philosophiques, historiques et politiques de la mesure du temps. La fin de ce cours fait normalement naturellement le lien avec le dernier bloc, car la dernière horloge est justement optique et ‘quantique’. 4. L’Observation des objets quantiques. Exemple du photon. (cours 30h environ + visite laboratoire). Outre une courte description historique de la mécanique quantique, on essaiera d’y inclure des bases de formalisme et de calcul permettant la résolution de problèmes physique quantique simples (liés a priori pour la plupart à des expériences sur la lumière). On parlera en effet de principe d’incertitude, de dualité, de projection de la mesure et de destruction de l’objet mesuré, de probabilité de présence dans tel ou tel état, mais aussi de variables cachées et d’inégalités de Bell. On y présentera ensuite des expériences modernes de mécanique quantique où l’on mettra en valeur le rôle de l’instrumentation (typiquement des expériences à photon unique type expérience d’Aspect, téléportation quantique, choix retardé de Wheeler. Il sera ensuite éventuellement question des condensats de Bose-Einstein (prédits théoriquement en 1924, souvent mis en doute et réalisés pour la première fois en 1995, car nécessitant des instruments mal maîtrisés ou n’existant pas avant) qui ont l’intérêt de montrer que les comportements ‘extravagants’ des photons se retrouvent aussi dans la matière, chez les atomes qui nous semblent souvent plus concrets. Le cours se terminera par une visite de notre propre expérience (horloge atomique optique), où l’on retrouve la mécanique quantique et les atomes froids, et où l’on verra l’énormité de moyens à mettre en œuvre pour la réalisation d’une horloge moderne. Histoire de l’histoire des mathématiques (12 crédits) : P. Abgrall, M. Anglade L’histoire des mathématiques est nécessairement datée. Elle repose sur la lecture de textes, et le mathématicien lisant ces textes ne peut, et ne doit, faire abstraction de ses connaissances du moment, de l’état du problème qu’il étudie à l’époque où il le fait, ni du fait que la version, originale ou traduite, du texte qu’il lit est, elle aussi, datée. On ne peut invoquer de méthodologie générale, comme il est de bon ton de le faire aujourd’hui, pour décrire les principes selon lesquels on mène les recherches historiques en mathématiques, ou dans les sciences en général. Bien au contraire, c’est l’étude des particularités d’un problème qui révèle les méthodes à employer pour le comprendre. Le problème de la mesure des surfaces limitées par des courbes, et des volumes limités par des surfaces courbes, s’est posé très tôt dans l’antiquité. Une réponse partielle à ce problème a été donnée par Archimède, grâce notamment à une méthode due à Eudoxe, appelée plus tard la méthode d’exhaustion. Cette méthode reposait sur la possibilité de diviser à l’infini les grandeurs continues, mais elle supposait une connaissance préalable du résultat particulier, comme le fait que la surface d’un segment de parabole est égale aux quatre tiers de la surface du triangle inscrit ou que le volume d’une sphère est égal aux deux tiers de son cylindre circonscrit. En ce sens elle n’était pas une méthode d’invention et par là même, ne fournissait pas une solution générale au problème. Entre cette période que nous venons d’évoquer et le 19e siècle, moment où ces problèmes seront résolus par de nouvelles théories, rendues possibles par un changement de cadre, quand du point de vue géométrique on passera au point de vue numérique, des étapes importantes jalonnent l’histoire du calcul intégral, objet de ce cours. Les travaux de Cavalieri, ceux de Descartes ou de Leibniz trouveront leur place dans l’étude de cette histoire. Que signifie l’histoire du calcul intégral ? Pourquoi peut-on dire que la méthode d’exhaustion et les travaux d’Archimède font partie de cette histoire ? Peut-on se dispenser de leur étude pour comprendre le sens des théories modernes d’intégration ? Peut-on parler de calcul intégral pour qualifier ce que faisait Archimède, ou d’autres à son époque ? Quel rôle l’infini a-t-il joué dans la constitution du calcul intégral ? Ce sont quelques questions que ce cours pourra amener à se poser. - Mémoire (18 crédits)