Rapport d’activité du dossier numéro : 361
RAPPORT SCIENTIFIQUE
INTRODUCTION
La conservation de la diversité biologique est devenue un enjeu international majeur
depuis la conférence des Nations unies sur l’environnement et le développement en 1992 à
Rio. Beaucoup de pays se sont ainsi engagés à élaborer des stratégies, plans ou programmes
nationaux tendant à assurer la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique.
Aujourd’hui, les prises de conscience et les préoccupations sur la biodiversité ont montré la
nécessité de mettre en place à l’échelle régionale des outils indispensables à sa gestion.
Les ressources végétales, naturelles ou cultivées, jouent un rôle fondamental dans le
développement des populations rurales et de leur survie en fournissant des aliments, des
médicaments, des outils etc. Au cours de ces dernières années, la prise en compte du savoir
paysan dans les programmes de recherche est admise comme une nécessité. D’ailleurs,
plusieurs auteurs dont Kilahama (1998) admettent que les connaissances autochtones
constituent un outil indispensable aux différentes stratégies de sauvegarde de la biodiversité
des savoirs traditionnels afférents.
Ce savoir indigène est principalement entre les mains des collectivités locales qui vivent
dans des écosystèmes souvent fragilisés. Ainsi, au rythme de gradation actuelle des forêts,
il paraît nécessaire de procéder à la collecte de ces informations et à la préservation de ce
patrimoine. En effet, les espèces les moins connues sont généralement abattues et les savoirs
qui les entourent avec, pour faire place aux cultures. A l’opposé, les espèces naturelles les
plus connues et les plus utilisées font l’objet de protection (maintien dans les cultures, en
jardin de case, parcs, haies vives, etc.)
Le projet vise à évaluer au niveau l’Afrique l’Ouest (Bénin, Guinée, Mali et Sénégal) le
niveau de conservation, des savoirs traditionnels et de la phytobiodiversité. En plus des
missions de terrain, nous nous proposons d’utiliser et d’exploiter les collections historiques de
l’Herbier de l’IFAN, qui fournissent des données précises, datées, géoréférencées, sur les
ressources, et pour certains spécimens d’herbiers des informations sur leurs usages qui
peuvent servir de références. Il s’agit de revisiter les zones traditionnelles d’utilisation des
plantes à diverses fins (pharmacopée, alimentaire, vétérinaire etc.) afin d’une part, définir
quantitativement et qualitativement la flore utile aux populations locales et d’autre part,
identifier au niveau gional les principales espèces végétales utiles et leurs habitats (savanes,
plantations ou îlots forestiers).
MATERIELET METHODES
La première étape a consisté à localiser les spécimens d’herbier de l’IFAN portant des
informations ethno-botaniques, puis de les enregistrer dans la base de données. Tous les
paniers de l’Herbier de l’IFAN ont été visités et les récoltes consultées. Tous les spécimens
renfermant une ou des informations ethnobotaniques, ont été extraits des paniers et
informatisés.
Pour mieux renseigner la première mission d’ « étude de la pharmacopée indigène en
Afrique de l’Ouest » du colonel Laffitte, l’Herbier de Paris du MNHN (France) a été visi
pour consulter l’Herbier Afrique notamment du Bénin, Guinée, Mali et Sénégal. Les gazotiers
desdits pays ont été téléchargés pour le géo référencement de toutes les récoltes de Laffitte
comportant des usages. Le choix de cet Herbier de Paris est dû au fait qu’il renferme
l’essentiel des récoltes botaniques qui ont été collectées dans cette partie de l’Afrique pour la
période ciblée. Au terme de cette visite, la liste des récoltes de Laffitte a été envoyée aux
différents partenaires pour le choix des sites d’étude.
Au Sénégal, le troisième site (Sous-préfecture de Salémata) retenu n’a pas été visité par
Laffitte contrairement aux autres pays tous les sites ont été prospectés, il y a 60 à 70 ans.
En effet, le département d’Oussouye (région de Ziguinchor en Casamance) n’a pas été choisi
du fait de la rébellion et des attaques sporadiques des bandes armées. Les sites retenus sont :
Cotonou, Ouidah, Allada, Savi, Abomey, Djidja, Dassa-Zoumé, Savalou et Bantè
pour le Bénin ;
Kéléya (Bassa, Diala et Folona) et Kolokani pour le Mali ;
Labé, Mamou, Mali pour la Guinée ;
et Romnam, Dakar et environs, Salémata et la Petite Côte (Ngazobil et environs)
pour le Sénégal.
Deux missions de coordination et de recherche ont été effectuées au Bénin et au Mali au
cours de la première année.
Les principales données collectées pour cette étude ont rapport à la botanique,
l’ethnobotaniques. Les informations recueillies relèvent des enquêtes sur les ressources
végétales utiles et de leurs habitats, l’impact de leur exploitation sur les habitats et les
activités socio-économiques. La technique des entretiens ouverts semi structurés, faits au
moyen des questions ouvertes, indirectes et directes, a été partout utilisée lors des enquêtes
comme convenu dans le guide d’entretien qui a été élaboré. Ce dernier comporte différentes
rubriques : l’inventaire et l’exploitation des ressources, la régénération des espèces, les noms
locaux et leur signification etc. Les conversations anodines et les observations directes sur le
terrain ont également été exploitées dans la collecte des données.
Pour la qualité des données collectées, les enquêtes ont été couplées à des récoltes
d’échantillons botaniques et les lieux de collecte localisés au GPS afin que toutes les
informations soient liées au moins à une part d’herbier géoréférencée.
Les données recueillies dans les différents pays, seront analysées et comparées avec
celles qui ont été rapportées par Laffitte il y a 70 ans pour évaluer aussi bien le niveau de
conservation de la phytobiodiversité que celui des savoirs locaux.
RESULTATS
Mission du colonel LAFFITTE
Les herbiers du colonel Laffitte ont été récoltés lors de la première « Mission d’Etude
de la Pharmacopée Indigène » entre 1935 et 1940. Ces récoltes ont eu lieu dans cinq pays :
Dahomey, Côte d’Ivoire, Guinée Française, Soudan (français = Mali) actuel Mali et au
Sénégal. La figure 1 reconstitue l’itinéraire du Colonel Laffitte. L’essentiel des récoltes
provient successivement du Dahomey (31%), du Soudan (français = Mali) actuel Mali (26%)
et de la Guinée Française (20%) (Fig.). Elles sont réparties dans 33 familles dont les mieux
représentées sont les Leguminosae-Papilionoidae (17%), les Leguminosae-Caesalpinioidae et
les Rubiaceae avec respectivement 13% et 11%. Elles ont souvent un descriptif très détaillé
des usages surtout médicinaux. Tous les spécimens des récoltes de Laffitte ayant des
informations sur les usages ont été numérisés. Ainsi, nous disposons d’une banque de 250
images.
Les usages rapportés par Laffitte ont été classés en cinq (5) catégories ou groupes
d’usage (Tableau I).
Les usages rapportés sont majoritairement médicinaux (55%), puis technologiques
(25%) et alimentaire (10%). Les autres usages toxique-poison et divers (médico-magiques,
justice etc.) sont peu courants (5% chacun) (Tableau I).
Les usages rapportés par Laffitte dans les régions visitées sont rattachés à treize ethnies
avec 82% des usages médicinaux et 63% des usages technologiques qui sont liés aux Fons,
aux Bambaras et aux Foulahs et 68,7% des usages alimentaires qui sont liés aux Fons et aux
Ouolofs (Tableau I).
Les ethnies plus fréquemment liées aux usages rapportés sont les Fons, les Bambaras et
les Foulahs avec successivement 35,8%, 23,3% et 14,4%. Les Agnis (7,5%) et les Ouolofs
(6,3%) sont peu évoqués (Tableau I).
Tableau I : Fréquence relative des différentes catégories d’usage rapportées par Laffitte
Catégorie d’usage
%
Nombre
Ethnies
Alimentaire
10
16
Fons (43,7%), Ouolofs (25% ), Foulahs
(12,5%),Bambara(6,5 %), Malinké(6,5 %) et
Soussou (6,5 %)
Médicinal
55
86
Fons (44,2%), Bambaras (28 %) et Foulahs (10%)
Technologique
25
40
Bambaras (25,5%), Fons (20%), Foulahs (17,5%),
Agnis (12,5%), Diolas (5%), Gouro, Malinké, Dan,
Gnaboua et Yacob(2,5%)
Toxique-poison
5
8
Fons (12,5%), Foulah (50%), Diola (12,5%),
Ouolof (12,5%) et Agni (12,5%)
Divers : Médico-
magique , justice etc.
5
9
Fons (33,3%), Foulahs (11,1%), Bambara (11,1%),
Diola (11,1%), Baoulé (11,1%), Dan (11,1%) et
Inconnue (11,1%)
Au sein des usages médicinaux, ceux d’uro-gynécologiques sont dominants (22%)
suivent ensuite ceux fébrifuge (13%) et antiseptiques (plaies 10%). Les tonifiants ou
stimulants représentent 8%. Ceux indiqués dans les affections ORL sont dans les même
proportions que ceux stoppant la diarrhée ou diarrhéique 7% et, 6% pour les coliques. Les
usages divers, ostéopathie, anti-parasitaire, contre les serpents en constituent chacun 5%. Les
vomitifs et ceux utilisés contre l’anémie et les dermatoses ne représentent que 2% chacun et
1% pour l’anesthésie.
Les activités technologiques les plus fréquentes sont respectivement la che (27,5%),
la teinture (22,5%) et la cosmétique (12,5%). Peu d'usages technologiques sont non précisés
(7,5%). La construction, la chasse, la menuiserie et le tannage sont également peu rapportés
5% chacun. L'agriculture, l'apiculture et le cordage sont rares (2,5%).
Mission de terrain 2008-2009
Au Mali, les enquêtes ont été menées dans la Commune de Kéléya et celle de Kolokani.
Au niveau de Kéléya une centaine d’espèces ont été inventoriées comme utiles au ruraux alors
qu’à Kolokani nous en avons recensé 78. Elles sont plus souvent réputées comme médicinales
(60 à 65%) et 50 à 55% sont alimentaires soit par leurs fruits, leurs feuilles ou leurs racines.
Plusieurs espèces rencontrées sont médicinales et alimentaires en même temps. En plus, elles
sont parfois exploitées à d’autres fins : artisanales, vétérinaires, médico-magies...
Les enquêtes ethnobotaniques effectuées dans les communes d’Abomey, d’Allada,
Cotonou et Ouidah au Sud Bénin, auprès des tradithérapeutes et des vendeuses des plantes
médicinales ont permis 190 espèces dont 30 ont été collectées par Laffitte et signalées comme
médicinales. En fonction des types de maladies, ce sont les espèces anti-paludéennes, celles
qui sont indiquées dans le traitement des maladies infantiles et comme aphrodisiaques qui
sont les plus utilisées. Les parties les plus utilisées sont les feuilles (90 %), les racines (72
%), les écorces (70 %).
Au Sénégal, la tournée effectuée à Romnam, département de Kébémere, région de
Louga, a d’abord révélé que « Romnam », localité rapportée par Laffitte en 1938, correspond
à un terroir de douze (12) villages dont sept (7) ont été visités. Cinquante (50) espèces ont été
inventoriées comme utiles aux populations autochtones lors de ces premières enquêtes. Les
usages les plus fréquents sont : médicinal, alimentaire et vétérinaire.
Les enquêtes faites dans les marchés de Dakar et de sa banlieue ont permis de recenser
180 espèces médicinales vendues, réparties dans 155 genres et dans 63 familles avec une nette
dominance des légumineuses (23%) (Cissé, 2009). Un intérêt à la culture des plantes
médicinales a été manifesté par 40% des herboristes. Les pathologies les plus fréquentes pour
lesquelles les gens viennent vers eux sont : les maladies syphilitiques (20%), le diabète et les
hémorroïdes (12% chacun) et le rhumatisme (8%). Toutes les espèces récoltées par Laffitte
dans la zone de Dakar et sa banlieue existent sur le marché, mais proviennent aujourd’hui
d’autres régions (Kaolack, Tambacounda etc). Toutefois, il faut noter que ces espèces à
l’exception de Leptadenia hastata, sont devenues très rares dans les environs de Dakar et se
rencontre le plus souvent dans des aires protégées comme la réserve de Noflaye.
Comme il a été annoncé dans le rapport de la première année, l’étude a été étendue à la
petite côte (Département de Mbour, Sénégal). L’enquête a permis de recenser 77 espèces
appartenant à 38 familles dont les mieux représentées sont : Leguminosae (22%),
Combretaceae (9%) et Rubiaceae 6,5%. Les usages médicinaux et alimentaires sont de loin
les plus fréquents. Les noms locaux des espèces relève de plusieurs démarches ; elle fait
généralement référence à l’usage direct (37,6%) ou à une anecdote (10,3%), à un animal
(7,8%), aux caractères morphologiques et aux propriétés (6,5%).
En Guinée, les prospections effectuées ont permis de recenser 167 espèces utiles aux
populations autochtones dont 160 à Mamou, 134 à Boulivel, 143 à Dalaba et 124 à Labé. Les
usages médicinaux (52%), comme bois de feu (38%) et alimentaires (23%) sont les plus
rapportés.
Au niveau des différents pays, quelques espèces ont été citées comme ayant disparues de
certains sites comme Anthocleista kerstingii et Raphia sudanica à Kéléya (Mali), Keetia
multiflora Boulivel (Guinée) etc. Près de 50% des espèces récoltées par Laffitte sont
aujourd’hui considérées un peu partout comme fortement menacées. Les principales menaces
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