Variations sur l’ordre européen depuis 1945
Professeur D.Colard
Le déclin de l’Europe au 20ème siècle se traduit dans la guerre froide qui se termine en 1989-
91 avec la chute du Mur de Berlin et la fin de l’URSS. Un désaccord subsiste sur le début de
la guerre froide. Pour certains, la guerre froide commence en 1917 avec la création d’un
nouvel Etat, l’URSS, à la suite de la Révolution bolchevique ; pour d’autres elle naît à Yalta
avec un prétendu partage du monde ; ces deux solutions ne conviennent pas au conférencier,
qui est partisan de la faire démarrer en 1947, la rupture est consommée comme
conséquence de la Doctrine Truman (12 mars 1947) et du Plan Marshall (5 juin 1947),
provoquant selon Raymond Aron le « grand schisme » entre l’Est et l’Ouest.
Pour les présidents des Etats-Unis, un Etat ne pouvait devenir communiste que de deux
manières : la misère et la force, ce qui avait été le cas pour les Etats d’Europe centrale et
orientale. D’où la doctrine de l’endiguement devant porter un coup d’arrêt à l’expansion
stalinienne notamment en Europe occidentale existent des partis communistes puissants
(en Italie, France et Belgique) qui peuvent prendre le pouvoir ; l’URSS aurait alors dominé
sur la scène internationale : l’enjeu est de taille. Deux catégories de réponses à ces menaces
ont été mises en œuvres : à la force il fallait répondre par la force, avec la création de l’OTAN
après la signature le 4 avril 1949 du Pacte Atlantique ; à la pauvreté a été répondu par la mise
en place du Plan Marshall.
Ainsi donc jusqu’en 1947 rien n’est joué, ça n’est qu’alors que le conflit Est/Ouest va se
développer. Le conférencier se propose à partir de de finir la guerre froide, avant de
décrire les caractéristiques du système européen pendant la guerre froide, de 1947 à 1989-91,
puis après la guerre froide.
DEFINITION DE LA GUERRE FROIDE
Les juristes à partir de 1947 se retrouvent face à une situation inconnue dans l’histoire et le
droit. Ils sont confrontés à ce qui n’est ni la guerre, ni la paix, « un système dans lequel la paix
est impossible et la guerre improbable » (Raymond Aron, 1948), paix impossible car
idéologiquement il n’y a pas de compromis possible entre les deux systèmes, et guerre
improbable du fait de l’équilibre nucléaire atteint en 1949. Le conférencier souligne d’ailleurs
que l’après-guerre froide peut s’analyser comme une paix plus possible mais une guerre plus
probable, aux vues notamment des conflits qui se sont multipliés alors (Irak/Koweït, Bosnie,
Somalie, Rwanda, Kosovo,…).
Les caractères fondamentaux de la guerre froide sont les suivants :
- un ordre bipolaire dominé par deux super puissances exerçant une « double
hégémonie » (Général de Gaulle), conduisant à un système de condominium américano-
soviétique bloquant notamment les Nations-Unies par les vetos successifs entravant l’action
du Conseil de Sécurité ;
- un ordre dominé par l’équilibre de la terreur, nucléaire, sans qu’aucune coopération ne
semble envisageable ;
- un système de blocs, ou plus exactement un bloc à l’Est où l’URSS détient la puissance
militaire, stratégique et idéologique, mais non économique, et un camp occidental sous la
domination des Etats-Unis exerçant leur puissance militaire, culturelle et économique, les
Etats restant libres de quitter ce camp ;
- une rivalité débouchant sur des conflits par procuration : l’expansion monique des
deux camps se fait sentir en Corée, lors de la crise de Suez, au Viêtnam,… ;
- une rivalité centrée sur l’Allemagne et l’Europe occidentale : le potentiel économique
de l’Europe occidentale fait la différence entre les Etats-Unis et l’URSS, et le statut de
l’Allemagne est au centre des enjeux de la guerre froide, qui y est née et qui y meurt. Les
Etats européens ne sont plus sujets mais seulement objets de l’histoire.
En 1948 a lieu la première crise de Berlin : Staline essaye d’expulser les occidentaux de
Berlin, qui brisent le blocus en organisant un pont aérien ravitaillant la ville. C’est la première
crise de la guerre froide, qui mène à la division en deux de l’Allemagne et à la signature en
1949 du Pacte Atlantique, la protection de l’Europe occidentale passant désormais par
l’OTAN, les européens se mettant sous « protectorat » américain à leur propre demande ( il
faut noter d’ailleurs que l’article 5 du traité de Washington ne prévoit pas d’assistance
militaire automatique des alliés). En 1949, l’URSS accède au « club atomique », la dissuasion
devenant dès lors bilatérale, menant à un équilibre qui repose sur la terreur, celui de la « paix
nucléaire ».
L’ORDRE EUROPEEN PENDANT LA GUERRE FROIDE ( 1947 -
1989-91)
Quatre périodes peuvent être déterminées pendant la guerre froide concernant le système
européen. La guerre froide pure et dure : de la Doctrine Truman à la crise des fusées de Cuba
(1947-1962)
Les caractéristiques de l’ordre européen à cette époque sont les suivantes :
- multiplication des crises : la guerre de Corée, la guerre d’Indochine, la crise de Suez en
1956, où l’URSS menace Londres et Paris de bombardement atomique, la France et le
Royaume-Uni ne recevant aucun appui des Etats-Unis dans leur alliance avec Israël contre
Nasser, la crise hongroise l’URSS intervient dans son propre bloc, la seconde crise de
Berlin de 1958 à 1961 conduisant à la construction du Mur le 13 août 1961, la crise de Cuba
en 1962 puis l’échec de l’expérience tchécoslovaque de socialisme à visage humain de
Dubcek ;
- extension du club nucléaire : d’un Etat possédant la bombe nucléaire en 1945, les Etats-
Unis, on passe à deux avec l’URSS en 1949, trois avec la Grande-Bretagne en 1952 grâce à
l’aide scientifique des Etats-Unis, la France est quatrième en 1960, puis vient la Chine en
1962 en pleine guerre froide. Ces cinq Etats sont d’ailleurs les cinq membres permanents au
Conseil de Sécurité de l’ONU ;
- naissance du Tiers-Monde : l’Afrique, l’Amérique Latine, l’Asie se réveillent. La
Conférence de Bandung réunit 29 Etats d’Afrique et d’Asie, qui prennent pour la première
fois conscience de leurs intérêts communs. Le Tiers-Monde devient un enjeu de la rivalité
américano-soviétique jusque là centrée sur l’Europe. Quelques neutres et non-alignés se
distinguent, pourtant la plupart sont soit pro-soviétiques, soit pro-américains ;
- la construction de l’Europe communautaire : de la déclaration Schuman au marché
commun et aux trois communautés (CECA, CEE, Euratom) ;
- la course aux armements : l’Europe est surarmée à partir des années soixante. La course
aux armements est à la fois quantitative et qualitative, les Etats-Unis et l’URSS assurant
chacun la défense de leur camp. A l’Est on assiste à une satellisation des Etats d’Europe à
l’URSS, constituant un véritable bloc (100 millions d’hommes tombent alors dans le camp
soviétique).
De Cuba à Helsinki (1962-1975) : le système européen dans la
détente
L’apogée de la guerre froide est la crise des fusées à Cuba, premier face à face qui menace
d’un conflit nucléaire, du 22 au 30 octobre 1962. Les russes retireront leurs fusées considérées
par les Etats-Unis comme un provocation et Fidel Castro restera au pouvoir. Pour la première
fois les Grands ont pris conscience de leur responsabilité nucléaire.
Les conséquences de la crise de Cuba sont les suivantes :
- armistice dans la guerre froide : on entre dans la phase positive de la guerre froide et les
deux puissances vont dès lors prendre leurs responsabilités : c’est la naissance de la théorie de
la maîtrise des armements et le commencement de la « détente » (Général de Gaulle),
stratégie occidentale visant à déstabiliser le système soviétique sans avoir recours à la
violence , par le processus CSCE (Conférence pour la Sécurité et la Coopération en Europe).
Cette « détente » sera pour Khrouchtchev la « coexistence pacifique », consistant en un
principe de non-agression, non-ingérence, respect de la souveraineté et de l’intégrité
territoriale, égalité et avantages mutuels et coexistence pacifique en soi. La lutte des classes
sur le plan international se poursuit donc sans recourir à la force (dans un cadre de paix
nucléaire); elle implique une certaine coopération et un dialogue, qui sont nouveaux, au
niveau économique, politique et stratégique par l’« arms control » ( la maîtrise des
armements). Mais il n’y a pas de compromis idéologique possible : la coexistence pacifique
ne peut donc qu’être transitoire dans l’attente d’une victoire du système socialiste, à la
différence de la conception occidentale qui voit dans la détente une stratégie basée sur les
droits de l’homme pour de l’extérieur contraindre les Etats à se libéraliser progressivement et
donc se débarrasser du système sans forcer. Des sommets périodiques sont organisés entre les
soviétiques et les américains, jusqu’à deux ou trois fois par an, le téléphone rouge est mis en
place, de nombreux traités de maîtrise des armements sont signés : le traité de Moscou de
1963 sur l’arrêt partiel des essais nucléaires (encore autorisés sous terre, ce qui permet aux
puissances nucléaires de perfectionner leurs armes tout en fermant le « club » des Etats
nucléarisés), le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires en 1968, plusieurs traités de
dénucléarisation (de l’espace, en Amérique latine, pour les fonds marins sont interdites
les bases nucléaires, mais pas les sous-marins, pouvant contenir des charges nucléaires), le
traité de 1972 sur la fabrication des armes bactériologiques ou biologiques, et celui de 1973
sur la prévention politique des conflits nucléaires : c’est le gne du condominium Etats-
Unis/URSS sur la société internationale (suivent les accords de limitation des armements
SALT I en 1972 et SALT II en 1979). La maîtrise des armements ne constitue pas comme le
désarmement la suppression d’une partie des potentiels militaires, mais le maintien de
l’équilibre entre les puissances nucléaires tel qu’il naît du rapport de force de 1945 à 1972-79.
La sécurité internationale est plus forte avec la maîtrise des armements que sans elle, mais la
course aux armements continus, de plus en plus qualitatifs ;
- évolution du statut de l’Allemagne, notamment grâce à l’action de M.Bahr, conseiller
particulier de W.Brandt, instigateur de l’ « ostpolitik » de 1969 à 1974. Une série de traités de
normalisation avec la RFA et de nombreux Etats socialistes sont signés : en 1970 il s’agit du
traité de normalisation germano-soviétique, puis du traité germano-polonais qui s’intéresse à
la ligne Oder Neisse ; en 1971 c’est un accord sur le statut de Berlin qui est négocié entre les
quatre Grands ; enfin un traité RDA/RFA doit permettre de surmonter les divisions par la
reconnaissance des réalités de Yalta et Potsdam, idée centrale du Chancellier Brandt pour
aller vers l’unification de l’Allemagne ;
- multilatéralisation de la détente avec le processus d’Helsinki : en 1973, 35 Etats de
l’Est, de l’Ouest et neutres gocient pendant deux ans pour élaborer non pas un traité de
normalisation des rapports Est/Ouest, mais un code de bonne conduite, le 1er août 1975,
l’Acte Final d’Helsinki. C’est un document d’une cinquantaine de pages comprenant trois
« corbeilles » : la sécurité politique Est/Ouest, énonçant dix grands principes repris de la
Charte des Nations Unies (non agression, non ingérence, …) ; la sécurité économique
(coopération économique, technique, scientifique) ; les droits de l’homme. Les Etats
socialistes veulent bénéficier des technologies occidentales et obtenir la légalisation du statu
quo territorial qui a suivi Yalta et Potsdam. Les Etats-Unis veulent rendre les Etats de l’autre
camp dépendants économiquement et diplomatiquement, en utilisant l’arme des droits de
l’homme pour apporter leur appui aux opposants. Pour la première fois on assiste à une
approche globale de la sécurité (économique, écologique, technologique, humanitaire) : il
s’agit ici de sécurité coopérative (et non intégrative comme le suppose le marché commun en
Europe de l’Ouest)
De Helsinki à l’arrivée au pouvoir de M.Gorbatchev : la crise de la détente ou la deuxième
guerre froide (1975-1985)
Des tensions apparaissent dans la détente, dues notamment au non respect de l’Acte
d’Helsinki par les Etats socialistes par rapport au problème des dissidents, dont le mouvement
prend une grande ampleur à l’Ouest ; les occidentaux sont sur la défensive car l’impérialisme
soviétique se développe, l’apogée de la deuxième guerre froide étant l’intervention soviétique
en Afghanistan en décembre 1979 et le soutien de l’URSS à la révolution au Nicaragua, la
deuxième crise pétrolière et la relance de la course aux armements par Brejnev et Reagan
(crise des euromissiles entre 1977 et 1987 et blocage des négociations de maîtrise des
armements). Le Président Reagan lance notamment l’Initiative de Défense et de Sécurité qui
vise à procurer aux Etats-Unis un bouclier spatial anti-missiles, tout en étant certain que
l’URSS, économiquement, ne pourrait relever ce défi. Pendant toute cette période, l’Europe
occidentale poursuit son intégration, passant de six à douze Etats membres. L’implosion du
camp socialiste est-européen et la réconciliation des deux Europes (1985-1991)
En 1985 arrive au pouvoir M.Gorbatchev, un communiste convaincu qui décide de
moderniser le système soviétique selon trois concepts : la perestroïka, la glasnost
(transparence) et la nouvelle pensée en politique étrangère. La modernisation politique de
l’URSS débouche sur une certaine libéralisation, mais sur le plan économique, la perestroïka
ne donne rien. La glasnost permet de rendre public ce qui était jusque caché. Enfin la
modernisation n’est pas possible si trop d’argent part dans les dépenses militaires : il faut
donc changer de politique étrangère, rapatrier les troupes soviétiques, signer les traités
d’armement, pour alléger le budget militaire et le redéployer vers les dépenses civiles.
En six ans cette politique a abouti à un échec, la « catasroïka », dont les facteurs internes sont
une économie en crise, la dictature et l’Etat totalitaire, le problème des dissidents, la
contestation en Hongrie, Tchécoslovaquie, Pologne, et les facteurs externes la stratégie des
droits de l’homme mise en route avec le processus CSCE, la diplomatie vaticane, la
médiatisation, …
Suivent trois « glorieuses », trois années vont se succéder les dénouements : en 1989 la
chute du Mur de Berlin (le 9 novembre) qui réconcilie les deux Allemagnes et les deux
Europes ; en 1990 le traité de Moscou ( le 12 septembre) concernant les droits et devoirs de
l’Allemagne unie dans la nouvelle Europe, et la Charte de Paris pour une nouvelle Europe, qui
conduira à l’institutionnalisation de la CSCE, reconnaissant que « les adversaires de la guerre
froide sont devenus des partenaires », mais aussi la réactivisation du Conseil de Sécurité de
l’ONU et le premier conflit de l’après guerre froide (Irak/Koweït) ; en 1991, l’URSS disparaît
après la déclaration de B.Eltsine et des Présidents de la Biélorussie et de l’Ukraine le 8
décembre 1991 annonçant que l’URSS cesse d ‘exister en tant qu’entité géopolitique et sujet
de droit international.
L’ORDRE EUROPEEN APRES LA GUERRE FROIDE
C’est un nouvel ordre pan-européen qui se met en place à présent, à la recherche d’une
architecture pan-européenne de paix et sécurité, reposant sur la coopération, le droit, la
démocratie, le libéralisme politique et économique, la solidarité. La démocratie de marché
reste la référence, l’intégration par les traités communautaires étant le seul pôle de stabilité et
1 / 6 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !