chronos 6 - Université de Genève

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CHRONOS 6 – PROPOSITION DE COMMUNICATION
Les Concaténateurs au secours d’une valeur aspecto-temporelle du verbe :
l’exemple de alors et de et employés avec l’infinitif de narration
Plus ou moins typifié en contexte, quelquefois passablement emprunté, l’infinitif de
narration, aussi appelé historique, inscrit l’action narrative en insistant sur ses contours
événementiels, ou pour le moins en dramatisant la portée factuelle de l’événement luimême. Il convient donc de l’envisager d’abord comme un tout qui inclut, en plus d’un
syntagme (de) – verbe à l’infinitif, des opérateurs tels que et ou alors. Ces derniers, tout
en affirmant la présence d’une suite rhématique dans l’énoncé, renvoient d’une certaine
manière à ce que Reichenbach appelle un point de référence temporel, lequel peut se
confondre avec le point de l’événement ou bien s’en distinguer.
Nous noterons en premier temps que la période de l’ancien et du moyen français, où ce
type de syntagme verbal fait une timide apparition, et au cours de laquelle la préposition
de s’affirme peu à peu (contre à), connaît de manière presque concomitante,
précisément, l’apparition de et ou de (a)lors. Par leurs contours acoustiques et leur
portée diégétique, laquelle marque notamment la prise en compte d’une véritable
isotopie narrative, les deux opérateurs (surtout et) semblent imposer, dans les moments
concernés du récit, un certain regard sur l’événement, avec pour fonction secondaire de
marquer la locution verbale en tant qu’expression à caractère semi-scénique. Souvent
coextensifs l’un de l’autre, et lorcentriques tous deux au sens intradiégétique, et et alors
peuvent très bien apparaître en co-présence directe sans que n’intervienne une
modification de leur portée allocutive. Dans la plupart des cas, ils opèrent une
démarcation de l’action verbalisée dans une concaténation ouverte.
A propos de et, ce qui, à notre sens, opacifie la coordination ainsi instanciée revient
moins à la position du coordonnant qu'à son emploi, marqué, dans une locution verbale
spontanée. Et, dans cette mesure, intègre plus par adventicité le syntagme verbal
infinitif qu’il n’indique, formellement, la jonction entre ce dernier et le segment
précédent (pour peu qu’il y en ait un). Connecteur intersegmental, il l’est dans la plupart
des cas, mais à ce point près qu’il constitue, par ailleurs, un caractérisème
narratologique.
Alors, de son côté, dégage une connotation plus conclusive qui ne va pas sans dégager
plus explicitement le terme de la concaténation. D’autre part, et même si cela n’est
qu’une « idéalisation » (N. Brunaud), l’opérateur instantanéise opportunément l’action
ainsi formulée.
Typiquement noncaux en effet, alors et et marquent une certaine forme d’intensification
dramatique, à un moment qui, dans le récit, devient à ce point une référence
événementielle que les deux opérateurs semblent attribuer à l’infinitif verbal une valeur
de SEMELFACTIVITE. Ils apportent, dans ce sens, une information pragmatique non
négligeable dans les relations temporelles entre les actions narratives, et ne sont pas
extérieurs à la pérennité de cette valeur aspecto-temporelle qui fait la particularité
principale de l’infinitif historique.
I
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