Entretien avec le Père Marc Robin, aumônier de l’hôpital de la Chartreuse. - Quelle est l’origine des aumôneries dans les hôpitaux psychiatriques ? A partir de la loi de1905 concernant la séparation de l’Eglise et de l’Etat. L’Etat français a toujours eu souci de toutes les dimensions de la personne humaine, en particulier dans la pratique de la religion ; et, à partir de ce souci-là, il a été mis en place une présence, malgré la séparation de l’Eglise et de l’Etat, de représentants des différentes religions dans les établissements où les citoyens étaient enfermés. Par exemple les prisons, par exemple aussi à l’Armée, pour la pratique du culte, mot important dans cette loi, et bien sûr dans les hôpitaux où les patients sont soumis à l’autorité civile préfectorale. Depuis cette époque là, il y a une présence cultuelle au travers de prêtres, d’aumôniers, et à partir de 1985 dans l’Eglise de France sont intervenus aussi des laïcs qui ont mission de leur Evêque (puisqu’ils sont nommés par lui) ; ils font fonction d’aumôniers, et ces personnes, que ce soient les aumôniers laïcs ou les aumôniers prêtres, avec la lettre de mission de leur Evêque, sont reconnus par l’administration civile ; si c’est un poste salarié, il a un salaire comme tous les aumôniers officiels, si ce sont des laïcs ils sont bénévoles, mais reconnus officiellement comme aumôniers et inclus dans le personnel de l’établissement. - Est-ce que le Directeur ou le Préfet a son mot à dire dans les nominations ? Toute autorité a le droit de dire qu’elle n’accepte pas telle ou telle candidature en fonction du CV qui aura été présenté. Les autorités civiles ne ferment pas les yeux sur les propositions, il existe un échange. - Donc il y a un aumônier laïc ou prêtre ? A la Chartreuse, j’ai connu Monseigneur de COSSEBRISSAC, ensuite le Père MARCHAND, le Père ANTOINE, Sœur Marielle. Et après moi, si on ne trouve pas un prêtre, l’Evêque de Dijon peut nommer quelqu’un de compétent, le former, etc. et ce pourrait être un laïc. - Cette présence de l’aumônier, comment est-elle perçueparle personnel, d’abord, et surtout par les malades ? Pour moi à la Chartreuse, je dépends directement de l’administration, comme les assistantes sociales, comme les professionnels d’art thérapie, etc. nous sommes ce qu’on appelle des personnels « transversaux », c'est-à-dire que nous passons partout mais nous sommes tout de même soumis à un cadre. Je dépends directement de la Direction. - Comment se fait le contact avec les malades ? Le contact s’établit en fonction, pour moi, de l’esprit de la loi de 1901, le premier objectif étant le culte. J’ai la chance à la Chartreuse d’avoir un lieu cultuel dont je suis l’affectataire officiel, et mon premier objectif est que, dans cet espace il y ait de l’accueil et la possibilité de prières, et effectivement la Chapelle de la Chartreuse est réputée pour être ouverte toute la journée, les patients y passent ; cet espace de prières, avec le comité culturel, est devenu aussi un espace culturel. Y sont organisées des expressions théâtrales, ou bien de textes, de musique, qui peuvent être thérapeutiques, au service des patients. Pour moi l’idée a été de faire que cette Chapelle vive, même dans l’état où elle se trouve, mais on a tous un espoir qu’elle soit restaurée et repeinte. Au niveau des malades, je vais partout où j’ai l’autorisation de passer, en fonction des demandes des patients, quel que soit le culte ; je suis en effet référent s’il s’agit de mettre en lien avec le Rabbin dans la religion juive, ou de la religion de l’Islam avec les Imams, j’ai de bons contacts avec le responsable du culte musulman sur la région, Mr QUERCRI, ça se passe bien, et pourtant les relations, à la base, ne sont pas évidentes ; et la Chartreuse aussi a, dans son histoire personnelle de maison, des habitudes, il faut donc être très discret, respecté, etc. Je réponds donc à toutes demandes et également je passe dans les unités pour dire bonjour. - Quand un malade arrive à la Chartreuse est-il informé qu’il existe un aumônier référent ? Oui, sur les livrets d’information des différentes unités que nous avons à l’accueil, en face de votre permanence d’ailleurs, il y a cette indication que le patient et sa famille peuvent être en lien avec l’aumônier référent. - Les familles viennent-elles consulter aussi ? Les familles peuvent me demander, ou bien viennent me voir, comme tous les personnels. La spécificité en France, et j’ai toujours connu cela aussi dans les aumôneries d’autres institutions hospitalières, de l’aumônerie catholique, c’est qu’elle est ouverte, non seulement aux patients, qui sont bien entendu les principaux intéressés, mais elle est aussi à l’écoute des soignants ainsi qu’à l’écoute des familles. Par exemple, une pharmacienne m’a demandé hier si on pouvait baptiser dans la chapelle de la Chartreuse, ce qui laisse à penser que la psychiatrie fait moins peur qu’avant. - Compte tenu des pathologies, y-a-t-il des approches spécifiques ? Forcément, on est devant le service et l’écoute de la personne en général, et j’aime beaucoup la distinction du corps infirmier qui spécifie le physique, le physiologique, le psychique, le relationnel et puis le spirituel. Le spirituel c’est ce qui donne justement un sens à toute la personne. Dans cette dimension spirituelle, en France on a eu du mal à mettre ça sur pied, mais depuis les années 1980 où les soins palliatifs sont arrivés du Nord et du Canada, on a bien différencié le religieux et le spirituel. Le religieux, c’est cette invitation adressée à tout humain d’une puissance transcendantale ou autre, qui donne un plus dans sa vie spirituelle, qui est pour moi le corps profond du sens de l’humain. Mais ce qu’il faut bien redire, et pour moi c’est très important, avec mes collègues de l’aumônerie et également les patients qui le savent, avant d’être prêtre je suis un homme, les dames de l’aumônerie avant d’être des mères de famille sont des femmes, donc êtres humains masculins et féminins, et les patients sont déjà des êtres humains avant que de vouloir pratiquer tel ou tel culte, telle ou telle religion. - Ressent-on des approches spirituelles spécifiques ? Peut-on donner un sens à la maladie psychique sur le plan spirituel ? Comme toutes maladies, les pathologies psychiatriques demandent beaucoup d’attention, beaucoup d’écoute ; il faut essentiellement inviter la personne à croire en elle, à avoir de la confiance en elle, surtout si l’origine de la famille est difficile, conflictuelle, s’il y a eu dans tout le circuit de l’être humain des souffrances, des conflits, des rejets. Ma première démarche c’est en accueillant, (et moi j’accueille tout le monde, même des gens qui ont des poussées de violence, des pulsions), de leur faire prendre conscience qu’ils sont avant tout des êtres humains uniques, pour permettre à la personne, malgré ses pathologies, ses difficultés, ses fragilités, de reprendre confiance en elle, en particulier chez les déprimés. Et de là, malgré les diminutions ils peuvent réaliser quelque chose, donner du sens à partir du négatif, de tout ce qui est source d’exclusion, de problèmes, de souffrances. A travers tout cela notre présence chrétienne, notre présence religieuse, pas seulement catholique, fait prendre conscience à la personne que tout ce qu’elle vit a du sens, donc essaie de l’aider à trouver le sens de sa propre maladie, ce qui n’est pas facile. PAUL RICOEUR A DIT QU IL EST DANS LA GRANDEUR DE L HOMME DE TROUVER UN SENS A SA VIE. Ceci est valable pour tout homme. même malade. Dans l’univers des pathologies psychiatriques on ne peut pas jouer, on est dans la réalité humaine, on ne peut pas raconter des mensonges à la personne. - Parlez-nous du pèlerinage à Lourdes. En 2009 et cette année, nous avons fait un pèlerinage à Lourdes avec le diocèse. Le point de départ était de répondre aux besoins religieux d’une personne. Personnellement j’ai des malades chroniques, des patients au long cours qui sont là tous les dimanches, et certains qu’il faut aller aider à sortir de leur unité. Ces gens là viennent à la messe régulièrement et c’est pourquoi on leur a proposé une pratique qui est de toutes les religions : le pèlerinage. Les directeurs successifs de la Chartreuse ont accepté, certains personnels par contre ne comprennent pas qu’un séjour thérapeutique clinique se retrouve dans un pèlerinage catholique. Cela leur semble déplacé par rapport à la laïcité pure et dure de notre pays de France. Les gens sont contents et heureux, ils vivent quelque chose de grand et, malgré leurs pathologies d’autisme, de schizophrénie, ou autres, ils n’ont pas peur de la foule. Ils sont bien au milieu de la foule, et pourtant ça n’a rien à voir avec un petit groupe de copains partis à Lourdes ! - Quels sont les projets pour la chapelle ? Notre Association des amis de la Chapelle de la Chartreuse existe depuis 5 ans. Nous donnons 4 concerts par an, il y a des conférences, et il y a aussi dans cet espace les liens avec le comité culturel pour d’autres activités, par exemple a eu lieu un concert de deux musiciens sud-américains, du Pérou précisément. La Chapelle participe aux festivités des journées du patrimoine, des journées de la musique, c’est donc un espace qui vit. La messe le dimanche, d’autres offices, quelquefois des célébrations d’obsèques ou quand la personne n’a plus de famille et que la curatelle me dit de célébrer avec des amis. C’est un lieu qui reste à dimension familiale. Le projet, c’est l’espoir que cette année sortira le projet de restauration, de nettoyage, de reconstruction, en commençant par le clocher, puis le toit, ensuite l’intérieur de la Chapelle puisqu’on ne peut rien toucher pour le moment, la chapelle étant classée monument historique, et enfin le portail qui sera restauré, au même titre que le Puits de Moïse, de même structure, du même auteur. Merci Père ROBIN