L`ISTHME CENTRAMERICAIN ET LA SITUATION AU NICARAGUA

L’ISTHME CENTRAMERICAIN ET LA SITUATION AU NICARAGUA
Noëlle Demyk, Professeur émérite, Université Paris-Diderot, mars 2012
DIAPO photo aérienne
L’isthme centraméricain s’étire sur près de deux mille cinq cents kilomètres depuis
le sud du Mexique jusqu’au nord de la Colombie. Alors que les extrémités de l’isthme sont
rattachées aux territoires nationaux beaucoup plus vastes de l’Amérique du nord (isthme
de Tehuantepec/Mexique) et du sud (Fossé de l’Atrato/Colombie), l’essentiel de l’espace
isthmique est fractionné en sept états d’une superficie totale de 523 000 km2, rassemblant
42,5 millions d’habitants
Précisons d’emblée que les dénominations des ensembles territoriaux sont fluctuantes
mais correspondent cependant à des réalités géopolitiques précises au cours de l’histoire.
Qu’entend-on en effet par Amérique centrale, isthme centraméricain, Mésoamérique?
DIAPO 3-4-5-6
Du point de vue de la géographie physique, l’isthme centraméricain constitue une longue
bande de terres depuis le sud du Mexique (isthme de Tehuantepec) jusqu’au nord de la
Colombie (Fossé de l’Atrato). Ce sont en effet les mêmes structures tectoniques qui forment
l’ossature montagneuse et volcanique de cette gion et ordonnent l’agencement du relief et
des milieux bioclimatiques.
La définition politique est plus complexe et a évolué d’une finition restreinte (5 pays) à un
ensemble géopolitique plus large (Mésoamérique regroupant 10 pays depuis 2008)
Dans son acception historique, l’Amérique Centrale désigne un ensemble de cinq pays: le
Guatemala, le Salvador, le Honduras, le Nicaragua et le Costa Rica. Ceci correspond au bloc
historique de la Fédération des Républiques Unies d’Amérique Centrale, formée au lendemain
de l’Indépendance, elle-même issue du regroupement des provinces coloniales de la
Capitainerie Générale du Guatemala. Celle-ci dépendait du vice-royaume de la Nouvelle
Espagne centré sur le Mexique actuel.
Depuis les débuts de la colonisation, la province de Panama fut rattachée aux possessions
espagnoles d’Amérique du sud dont elle constituait le débouché vers la métropole. Elle fut
rattachée après l’Indépendance à la Colombie et ne devint un état souverain qu’en 1903.
Quant au Belize, indépendant depuis 1981 seulement, son existence et ses particularités
culturelles résultent de la pénétration britannique sur les côtes caraïbes de l’isthme
centraméricain.
Aujourd’hui, l’Amérique centrale politique englobe ces 7 pays dans le cadre du système de
coopération régionale appelé SICA, défini dans les années 1990. Cependant, la coopération
économique à travers le MCCA continue de regrouper les seuls 5 pays « historiques » de
l’Amérique centrale.
Enfin, la coopération régionale s’est élargie à l’ensemble des pays et régions faisant partie
intégrante de l’isthme géographique lors de la mise en œuvre du PPP(Plan Puebla Panama) en
2001, renommé Proyecto Mesoamericano (PM) en 2006 (soit 10 pays acuellement). Le
toponyme de Mésoamérique crée une filiation sémantique avec l’ensemble des civilisations
mayas et aztèques défini comme tel par les archéologues mais au nom d’une rationalité
économique totalement étrangère naturellement
DIAPO 7 les pays d’Amérique centrale
Les masses démographiques de ces pays s’échelonnent entre les 14 millions d’habitants du
Guatemala et les 3,5 millions du Panama, si l’on met à part le Belize avec ses 28 000 km2 et
ses 313000 habitants.
Différences de densités et de développement
Expliquer les limites des ensembles territoriaux et leurs fluctuations induit des questions
essentielles sur la géohistoire des structures territoriales, sur les forces politiques et
économiques ayant présidé aux découpages territoriaux. J’en énoncerai quelques unes qui
vont orienter mon exposé :
- La configuration isthmique et son incidence sur les structures territoriales des pays
centraméricains
- la fragmentation géopolitique dans un contexte de dépendance et de domination
externe structurelle liées à la situation de l’isthme sur le continent américain
DIAPOS 8-9
L’Isthme centraméricain se définit donc par rapport à un méta-espace beaucoup plus vaste,
s’inscrit dans un ou plusieurs champs de forces de nature diversifiée (économique,
géopolitique, militaire ou culturelle), ceux-là mêmes qui exercent leur influence sur les Etats
modernes. Successivement, les civilisations précolombiennes méso-américaines puis l’Empire
colonial hispanique et enfin, les ambitions impériales de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis
ont occupé et modelé l’espace isthmique, créant des structures-relais d’ampleur et d’intensité
territoriale variable dont les effets sont désormais inextricablement mêlés.
- l’évolution des systèmes productifs en relation avec la globalisation et les adaptations
institutionnelles à travers les processus de coopération régionale
DIAPO 10 : PLAN
DIAPO 11 : Plan Partie I
I- La trame territoriale de l’isthme et des pays centraméricains
1- L’Amérique centrale est « la terre des isthmes » (A.Siegfried, 1945).
DIAPO 12
La configuration isthmique comporte deux dimensions orthogonales, longitudinale et
transverse. L’isthme
1
est à la fois un corridor entre les deux sous-continents américains du
nord et du sud et un pont, un passage entre les deux océans Pacifique et Atlantique. Les
notions de pont et de passage peuvent aussi bien être interprétées en termes d’obstacle, de
séparation et de frontières selon les sociétés et les moments historiques. Quoi qu’il en soit,
ces données physiques structurent le champ des relations internes et externes des pays
centraméricains et leur articulation à des ensembles plus vastes. Elles sont un élément
déterminant de la situation géographique de ces pays et des configurations territoriales
construites au cours de l’histoire.
1
Les isthmes sont des formes spatiales dont l’échelle est variable. Leur « substance » réside dans leur
configuration physique exprimant le lien ou la séparation, dans les fonctions potentielles de circulation et
d’échange que celle-ci permet entre deux océans ou deux sous-continents, dans leur position par rapport aux
grands flux d’hommes et de marchandises qui structurent le système-monde à partir des noyaux les plus
dynamiques ou, avant son émergence, les systèmes d’échanges de l’Amérique moyenne, de l’Asie occidentale ou
de l’Europe orientale entre Mer Noire et Mer Baltique.
2- La partition des territoires des états centraméricains en trois ensembles
longitudinaux relève d’abord des grandes « tectostructures » de l’isthme.
DIAPOS 13 à 17
Les plaines littorales caraïbes, chaudes et humides, les hautes terres centrales soulignées
au sud par la chaîne des volcans et les plaines littorales pacifiques caractérisées par
l’alternance d’une saison humide et d’une saison sèche forment trois bandes distinctes par
leurs caractéristiques écologiques et par leur mise en valeur. Cet agencement, comparable à
celui de pays andins comme l’Equateur ou le Pérou, constitue un élément stable de la
structure géographique, réinterprété à chaque phase historique. Il exprime « ces contraintes
exercées sans fin par les espaces » (F. Braudel), le temps long des grandes phases de
peuplement et de migration ainsi que des cycles économiques.
La répartition du peuplement et des activités à l’échelle de l’isthme reprend cette trame
organisée en bandes longitudinales DIAPOS 18 à 25
Issus des vagues de peuplement précolombiennes, les foyers de populations
indigènes les plus importants sont situés dans les hautes terres. Dans les
plaines du littoral caraïbe le peuplement amérindien est beaucoup plus
dispersé.
Les colons espagnols se sont fixés dans les hautes terres la population
amérindienne était abondante, les sols volcaniques fertiles, le climat tempéré et
relativement sec. Aujourd’hui, l’axe des hautes terres concentre les foyers
de population les plus importants, ruraux et urbains, les villes capitales,
l’axe lui-même étant souligné par le tracé de la route panaméricaine,
construite à partir des années 1960. Cet espace est fortement polarisé par la
capitale, elle-même noyau d’une aire métropolitaine de plus en plus étendue.
La façade pacifique, fonctionnellement liée aux centres de pouvoir des hautes
terres, est le territoire des grandes plantations, résultat d’une dynamique
territoriale bi-séculaire de colonisation et d’expansion des cultures
d’exportation, café, canne à sucre, coton et élevage bovin.
Un front pionnier hétérogène se déploie dans l’espace longtemps peu occupé
et mal contrôlé des plaines du littoral caraïbe, territoire empreint d’influences
culturelles multiples (indienne, hispanique et anglo-saxonne), lieux de conflits
d’appropriation et d’utilisation de l’espace (exploitations paysannes,
plantations, exploitations forestières ou d’élevage, recherche pétrolière).
Les enclaves (plantations bananières, enclaves minières, zones franches) sont
l’un des traits spatiaux les plus spectaculaires du capitalisme dépendant qui
caractérise ces pays et pérennise des formes quasi coloniales d’occupation de
l’espace jusqu’à une époque très récente. Cette forme de l’enclave connaît un
renouveau actuellement avec le déploiement des firmes transnationales dans
l’exploitation minière, forestière, pétrolière, dans l’industrie touristique…
3- Les axes trans-isthmiques ou interocéaniques, DIAPO 26
Ils sont matérialisés par des voies de communication et leurs terminaux portuaires (voie
ferrée, route, éventuellement canal ou oléoduc) et traduisent l’articulation des pays
centraméricains à l’économie-monde depuis la colonisation.
4- Un modèle des structures socio-spatiales des Etats centraméricains
2
DIAPO STRUCTURES TERRITORIALES DE L’ISTHME 27
Les frontières des pays centraméricains comme les limites des provinces espagnoles
coupent transversalement ces zones longitudinales, ce qui a pour conséquence un schéma
spatial commun aux différents pays. La figuration chorématique de ce schéma permet de
mettre en évidence les structures communes mais aussi les singularités.
DIAPOS CHOROTYPE GUATEMALA et NICARAGUA 28-29
La composition de ces structures élémentaires forme un chorotype des états centraméricains
avec cependant des variantes qui nuancent ce modèle.
L’une des plus significatives concerne l’importance relative des populations
indigènes des hautes terres, forte au Guatemala, diluée ailleurs (au moins en
apparence) par le métissage (Salvador, Honduras, Nicaragua) ou formée de petits
groupes très minoritaires (Panama, Costa Rica).
Du fait de leur position ographique, certains pays ne possèdent pas toute la
gamme des chorèmes et doivent être regroupés par paires pour correspondre au
modèle : c’est le cas du Guatemala et du Belize ainsi que du Salvador et du Honduras.
Ces couples entretiennent des relations à la fois fonctionnelles et conflictuelles, liées
en partie aux conditions d’accès aux littoraux.
Le Honduras présente la particularité d’une double polarisation de l’espace national
entre la capitale, Tegucigalpa, située dans les montagnes, et San Pedro Sula, le centre
économique du littoral caraïbe. Dans les autres pays, aucune ville de second rang ne
peut rivaliser avec l’aire métropolitaine organisée autour de la capitale politique et
économique.
Au Nicaragua, plusieurs observations : DIAPO 30-31
o La dichotomie hautes terres-façade pacifique/ façade caraïbe est
particulièrement marquée (cf carte des densités, diapo 21)
o Une région atlantique très importante en superficie qui rassemble environ
700 000 hab avec une proportion croissante de métis (front pionnier) et
demeure très isolée par rapport au centre de gravité du pays
o Le pays ne dispose pas de port important sur le littoral caraïbe et le fret transite
par Puerto Limon au Costa Rica
2
la définition de chorèmes permet de formaliser les traits les plus marquants de l’organisation des espaces
nationaux en un modèle générique applicable mutatis mutandis aux sept pays
2
. Comme dans toute démarche de
modélisation, la réduction du « réel » à une figure simplifiée présente un double intérêt, heuristique et
pédagogique. La mise en évidence des structures élémentaires d’un espace donné résulte d’une réflexion
approfondie sur les formes spatiales et les logiques sociales qui les sous-tendent. La grammaire des chorèmes
n’est pas purement spatialiste mais croise les attributs géométriques de l’espace (point, ligne, aire, réseau) avec
des mécanismes de territorialisation (maillage, gravitation, tropisme…)
2
. Cette combinaison parfois critiquée a
cependant le mérite de proposer une lecture à la fois singulière et générale de l’espace étudié. Singulière, car les
chorèmes retenus font référence à des processus complexes liés à des expériences historiques particulières, à des
modèles de développement successifs, à des pouvoirs s’exerçant à différents niveaux. Générale, car en
simplifiant des combinaisons complexes, ils rendent possible la comparaison et éventuellement, la généralisation
du modèle proposé. En proposant des « modèles du singulier », l’approche chorématique contribue à réduire
l’opposition entre les démarches idiographique et nomothétique (R. Brunet, 1990).
« Ces chorèmes expriment des actions, des projets, des résultats : ils composent la signature des sociétés. Nous
allons y retrouver les lois de l’espacement, de la distance et de la gravitation et toutes les actions sociales
d’appropriation, d’exploitation, de communication, d’habitation et de gestion. » R. BRUNET Mondes nouveaux,
Vol I, Géographie Universelle, Hachette/RECLUS, 1990, p. 90.
o le peuplement indigène concerne la gion atlantique, la population indienne
de la façade pacifique étant considérée comme métisse depuis le début du
20ième siècle
o La dichotomie hautes terres-façade pacifique/ façade caraïbe est renforcée par
le statut d’autonomie administrative octroyé en 1985-1986 par le régime
sandiniste aux populations de la région atlantique (RAAS et RAAN)
L’homomorphisme des structures spatiales suggère l’existence de logiques de pouvoir et de
dynamiques territoriales communes à tous les pays centraméricains mais les variantes
permettent aussi de réfléchir sur les spécificités des constructions nationales, le rôle des Etats
et des oligarchies notamment, ainsi que sur l’impact différencié des processus de domination
externe.
II- Fragmentation géopolitique et domination externe : L’arrière-cour des
Etats-Unis
La fragmentation géopolitique de l’isthme : une perspective historique
Rivalités impériales pour le contrôle des voies interocéaniques
« L’arrière-cour » des Etats-Unis: enjeux stratégiques depuis 60 ans (de
l’endiguement du communisme à la lutte contre le narcotrafic et au contrôle des
migrants)
1- La fragmentation géopolitique de l’isthme : une perspective historique
Pont ou corridor entre les deux sous-continents de l’Amérique du Nord et du Sud, l’isthme
centraméricain n’a jamais constitué un espace unifié, tant du point de vue des caractéristiques
des espèces naturelles vivantes que de celui des sociétés humaines et des constructions
géopolitiques. Ce mince trait d’union entre deux masses continentales est en réalité un espace
de transition naturel et culturel, un espace de marges ou de marches des grands empires,
en d’autres termes, un espace dominé à la périphérie des centres qui ont exercé
successivement leur influence sur la région.
Depuis l’Antiquité précolombienne jusqu’à nos jours, la fragmentation territoriale peut être
considérée comme un élément structurel des sociétés centraméricaines, un facteur puissant de
leur dynamique
3
. Ceci n’a rien à voir avec un quelconque déterminisme naturel même si
l’existence d’un espace montagneux très compartimenté et étiré sur plus de deux mille
kilomètres favorise le cloisonnement des groupes humains.
L’existence de pôles très puissants, notamment au nord de l’isthme, ainsi que les effets de la
distance ont contribué à affaiblir les forces intégratrices de l’isthme au profit de dynamiques
centrifuges partageant l’isthme en deux blocs, aux limites variables dans le temps, dont l’un
se tourne vers le nord et l’autre vers le sud.
3
Cf. les thèmes développés dans: DEMYK, N. Los territorios del Estado-Nación en América central, in
Identidades nacionales y Estado moderno en Centroamérica,comp. A. TARACENA, J. PIEL, Ed. de la
Universidad de Costa Rica, San Jose, 1995.
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