3/8
penchants et tout spécialement au
«
dolce farniente
».
Prenons la méthodologie moderne; ses exigences ne sont-elles pas impitoyables ?
Défense sévère est faite à la foi de s'approcher des régions où règne l'investigation
scientifique. Toutes les mesures avaient été prises afin que la perfide séductrice ne pût
par quelque moyen secret s'installer non seulement dans le cerveau, mais même dans le
cœur de l'homme.
«
La foi n'est pas scientifique
», -
1es enfants eux-mêmes savent cela,
et dès l'école on nous enseigne éviter tout rapprochement avec une personne qui s'est
irrémédiablement compromise par des inventions telles que l'astrologie, l'alchimie, etc.
Et si vous examinez les doctrines méthodologiques modernes, vous vous sentirez
complètement rassurés : il est impossible qu'à travers leur réseau d'ouvrages défensifs,
la foi parvienne à pénétrer jusqu'au cœur de l'homme. Même parmi les esprits les plus
soupçonneux et les plus expérimentés, personne ne met en doute
le caractère positif de
la science contemporaine. Lorsque Tolstoï ou Dostoïevsky attaquaient la science, ils
s'efforçaient de faire dévier le débat sur le terrain moral. La science a raison, il ne peut
y avoir de doutes
à
cet égard ; mais elle est au service des riches et non des pauvres,
elle développe les mauvais instincts des hommes, etc. Nietzsche lui-même ne faisait
pas toujours montre d'une audace suffisante en face de la science contemporaine dont
la position inexpugnable le troublait.
Mais par bonheur, toutes les œuvres humaines s'avèrent, à y regarder de près,
imparfaites. Le travail scientifique de ces derniers siècles a donné de brillants résultats
pratiques, mais dans le domaine de la pensée théorique l'époque moderne n'a pas
produit grand-chose, bien qu'elle compte une série de grands noms, de Descartes
à
Hegel. Si la science a réussi
à
subjuguer l'âme humaine, ce n'est pas parce qu'elle a
résolu tous les doutes de celle-ci ou bien parce qu'elle lui a prouvé une fois pour toutes
qu'ils sont insolubles, ainsi que le pensent la plupart des gens cultivés. Ce n'est pas
grâce à son savoir que la science parvint à séduire les esprits, mais grâce aux biens
matériels, à la poursuite desquels l'humanité,
trop
longtemps malheureuse, s'est lancée
avec l'ardeur d'un mendiant affamé qui se jette sur un morceau de pain. La dernière des
scicnces positives, celle qui couronne tout l'édifice, la sociologie, promet d'élaborer des
conditions sociales qui banniront pour toujours
de la surface de la terre, - la misère, les
souffrances, les malheurs. La tentation n'est-elle pas forte ? Ne vaut-il pas la peine
pour atteindre ce but, de renoncer aux chimériques espoirs dont se nourrissait jadis
l'humanité? Et voici qu'au lieu et place du vieux
«
credo quia absurdum
»
naquit une
formule nouvelle ou, plutôt, rénovée et rendue méconnaissable :
«
credo, ut intelligam
».
Il s'agit seulement de
comprendre
le monde qui nous entoure, et l'idéal le plus élevé
qui se présente aux regards de la fantaisie
hu
maine, sera aussitôt réalisé. Tout à la joie
de cette découverte, on ne remarqua même pas que la pauvre raison humaine, guidée
cette fois par la science elle-même, incarnation de la prudence et de la méfiance,
tombait de nouveau dans le piège qu'elle s'efforçait d'éviter, car la foi en la
compréhension ne présente nul avantage par rapport aux autres croyances qui ont
régné sur les esprits. Et puis, il y a encore ce mot,
«
l'idéal
»,
devant lequel les hommes
ont
été
de tout temps habitués
à
ployer les genoux. Il s'agit bien de
questionner, de
vérifier, de douter! Tous ceux qui ont reçu une instruction philosophique,
connaissent la formule scolastique :
«
credo, ut intelligam
» ;
mais tout le monde est
convaincu qu'elle ne nous concerne pas, et que nous sommes très éloignés de ce
stade primitif où la foi déterminait le caractère et l'orientation de nos intérêts
intellectuels. Nous sommes à tel point convaincus que l'éducation scientifique nous
protège contre tout entraînement absurde, qu'en ces derniers temps nous avons
même permis
à
la pauvre bannie de se rapprocher quelque peu de nous:
«
C'est pour
nos ancêtres qu'il y avait danger
à
entretenir des rapports étroits avec la foi. Esprits
insuffisamment disciplinés et peu cultivés, ils ne savaient pas se servir du feu et
finissaient toujours par se brûler. Mais nous autres, nous allons pouvoir profiter de
sa chaleur et de sa lumière, car nous connaissons bien la nature de cette .force
dangereuse et ne craignons pas son action.
»
Ces raisonnements et d'autres du même
genre, endormirent la méfiance de la pensée humaine et aboutirent au triomphe
inouï de la science. A qui viendra-t-il maintenant à l'esprit de répéter l'antique ques-
tion : qu'est-ce que la vérité? Qui donc ne sait que cette question n'a aucun sens du