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Journées d’Étude « Arts et mémoires »
Organisation :
Édouard Arnoldy (Université de Lille 3, CEAC)
&
Laurent Le Forestier (Université Jules-Verne d’Amiens - CRA)
PRÉSENTATION
Depuis le début du 20e siècle, la mémoire occupe une place cardinale au sein des sciences humaines. Simple synonyme
d’un souvenir individuel plus ou moins précis, elle a pris les atours d’un lieu particulier de pensée, déterminant les voies de
l’histoire, de la psychologie, de la psychanalyse, de la sociologie, de la médiologie ou encore de la philosophie. Depuis
Bergson, Freud ou Halbwachs, jusqu’à Benjamin, Warburg, Foucault, de Certeau ou encore Barthes, Deleuze et Didi-
Huberman, la question de la mémoire ne cesse de hanter ces esprits toujours « à vif ». Avec plus ou moins d’attention, ils
ont pu voir dans l’art un lieu de mémoire et un espace mémoriel de la pensée. La consécration de nouvelles pratiques
artistiques dans le courant du 20e siècle n’y est pas pour rien : la photographie et le cinéma ont joué – et jouent encore – un
rôle déterminant quant aux chemins empruntés par les arts institués et les sciences humaines, notamment sur les voies de
la mémoire. Du moins, les liens de la mémoire et de l’art, en particulier les arts de l’image, ne cessent de poser question.
Sans cesse affectées par les mouvements d’oscillation de l’une à l’autre, la mémoire et l’histoire ne se confondent pas pour
autant. L’histoire ne s’accommode pas facilement de la mémoire.
N’empêche, la mémoire paraît être le point de rencontre de disciplines et de champs souvent disjoints, de l’art et de la
pensée. Elle constitue donc, en ce sens, le point de départ de réflexions touchant à des domaines variés et le point cardinal
de modes d’approches ou de perspectives qui, parfois, communiquent de loin, qui, trop souvent, s’ignorent. C’est ainsi qu’on
peut relire ce qui fut sans doute le dernier texte de Deleuze, et qui ouvrait la voie à une réflexion dans la lignée de ses
principales études dévolues aux images, où s’entrecroisent des questions touchant à la mémoire et au souvenir, au virtuel et
à l’actuel, au passé et au présent, à l’histoire et à l’actualité : « Le souvenir est l’image virtuelle contemporaine de l’objet
actuel, son double, son « image en miroir ». Aussi y a-t-il coalescence et scission, ou plutôt oscillation, perpétuel échange
entre l’objet actuel et son image virtuelle […] Objet actuel et image virtuelle, objet devenu virtuel et image devenue actuelle,
ce sont les figures qui apparaissent déjà dans l’optique élémentaire. Mais dans tous les cas, la distinction du virtuel et de
l’actuel correspond à la scission la plus fondamentale du Temps, quand il avance en se différenciant suivant deux grandes
voies : faire passer le présent et conserver le passé » (Gilles Deleuze et Claire Parnet, 1996).
Dans ces quelques phrases, il n’est pas vraiment question d’épistémologie, encore moins d’histoire. Il n’y est pas plus
question de cinéma ou de photographie. Pourtant, de façon allégorique, ce texte programmatique fait sans doute écho aux
« nouvelles images » du 20e siècle, elles-mêmes directement concernées par la problématique question de la mémoire. Ces
mots de Deleuze, qui constituent une ultime reprise de Matière et mémoire de Bergson, parlent bien d’échange « entre
l’objet actuel et son image virtuelle ». Cette oscillation est peut-être en effet ce qui caractérise la mémoire, et le lieu de
débats possibles entre les notions de « souvenir » (évoquée par Deleuze, par exemple) à celle de « mémoire » (plutôt du
côté des historiens, qui ne manquent pas de souligner l’écart entre mémoire et histoire). À propos du texte qui ouvre les
Lieux de mémoire de Pierre Nora, « Entre mémoire et histoire », François Hartog (2003) ne dit pas autre chose, quand il
souligne judicieusement un mot : « L’important est d’abord le entre : se positionner entre histoire et mémoire, ne pas les
opposer, ni les confondre non plus, mais se servir de l’une et de l’autre. » Cette disjonction a en effet ceci de paradoxal que
ce mot rapproche et sépare tout à la fois l’histoire et la mémoire – par un effet d’aller et retour, de va-et-vient incessant. Au-
delà, il s’agira bien ici de s’intéresser à cet « entre », entre les arts et la mémoire, entre les arts et les mémoires qu’ils
convoquent, voire entre les arts et autant de mots qui se touchent, se rapprochent et s’éloignent selon les moments de
l’histoire, tels le souvenir, l’actuel, le témoignage, le témoin, le présent, le passé, etc. Cet « entre-deux » n’est peut-être rien
d’autre que le lieu d’une problématique commune aux grandes disciplines des sciences humaines : entre philosophie et
mémoire, entre sociologie et mémoire, entre esthétique et mémoire, etc. Ces trajets entre les sciences humaines et la
mémoire appellent des itinéraires entre des arts et la mémoire, et nous invitent à postuler le pluriel, à envisager dès
maintenant les liens entre des arts et des mémoires, entre des modes de pensée et des mémoires.
Dans un premier élan préoccupé par les images photographiques, vidéographiques et cinématographiques, ce projet de
recherche sur « Arts et mémoires » a pour ambition affichée de fédérer des réflexions parfois dispersées autour des arts,
dont les arts de l’image. Car il s’agira autant de confronter des « objets » que des points de vue et des perspectives
d’analyse. À la croisée des « nouvelles méthodes » et des « nouvelles approches » de l’histoire et des histoires des arts, la
mémoire attire à elle de « nouveaux objets », parmi lesquels les images, ou plus généralement les arts de l’image et les arts
de la mémoire. Lieux d’histoire et de mémoire, les images cinématographiques, photographiques ou vidéographiques sont
ainsi les lieux de plusieurs rencontres, les lieux de questions théoriques qu’il pourrait s’agir d’envisager ensemble. Enfin, ces
travaux espèrent également susciter l’intérêt de chercheurs qui travaillent parfois incidemment sur les images, parfois avec
moins d’attention sans pour autant les ignorer, et qui sont à coup sûr familiers des problématiques esthétiques et historiques