sur la morphologie du mot, ses relations syntagmatiques et paradigmatiques et surtout sur sa
structure sémantique interne (Jacqueline Picoche, Christiane Marchello-Nizia, 1996 : 331).
Soit l’exemple de comprendre. C’est un mot en forte progression, qui a explosé à partir de la
seconde moitié du XIXe siècle. Jusqu’alors, ce terme a eu comme concurrent le verbe entendre, qui
lui-même avait précédemment triomphé de ouïr.
Ainsi, en ancien français, ouïr, fréquent et bien vivant, n’exprimait qu’une activité sensorielle
(lat. audire). Comprendre, savant et très marginal, avait des emplois spatiaux, pouvant signifier
tantôt « emplir » (lat. implere), tantôt « contenir » (lat. includere). Il avait aussi quelques emplois
abstraits métaphoriques, un livre comprenant une certaine matière et un esprit humain une certaine
notion. Entendre, très fréquent et très polysémique, exprimait l’activité de l’esprit tendant vers un
résultat (lat. intendere : « s’orienter vers », « désirer », « s’occuper de », « être d’avis
de », « écouter ») ou le moment où l’esprit atteint le but qu’il s’est fixé et l’état qui en résulte (lat.
intelligere : « percevoir », « s’apercevoir de », « comprendre »). Dans les cas où entendre pouvait
remplacer ouïr, le complément était représenté par un sens qui devrait être perçu par l’intelligence
en même temps que son support sonore était perçu par l’oreille. Nous pouvons dire alors qu’à cette
époque-là entendre était un verbe intellectuel et abstrait, tandis qu’ouïr était un verbe de perception
strictement concret.
Plus tard, au XIVe siècle, comprendre – implere disparaît ; seul subsiste comprendre –
includere, mais ses emplois spatiaux reculent devant des emplois métaphoriques abstraits. Au XVIIe
siècle, le verbe ouir disparaît aussi. Désormais entendre va cumuler les sens de intendere, audire,
intelligere.
Ensuite, à partir du XVIIIe siècle, entendre commence à perdre beaucoup de ses emplois
abstraits. Il en subsiste aujourd’hui quelques-uns, tels : entendre raison, laisser entendre, bien
entendu, s’entendre à faire quelque chose, s’entendre bien ou mal avec quelqu’un, j’entends faire
des réformes, j’entends qu’on m’obéisse, etc. Cependant, ces expressions expriment une activité
d’esprit insérée dans la vie pratique. Ceux où il exprimait la pure intellection se sont reportés sur
comprendre : j’entends ce que vous me dites ne signifie plus « je m’en fait une idée claire et
distincte, je peux analyser et synthétiser », mais rien d’autre que « je l’oi (audio) ». En outre,
comprendre – intelligere est devenu un verbe plein de force et de vitalité.
Une autre cause interne de l’évolution des mots est étroitement liée aux phénomènes
mécaniques qui se produisent chez les sujets parlants et qui affectent les mots en tant que signes
sonores.
Les sons se modifient très lentement. Vue de près, l’évolution est presque insensible, mais
une analyse historique des étapes parcourues par certains termes démontre l’existence des
modifications. Par exemple, nous savons que eau provient de aqua. En réalité, c’est le même mot,
insensiblement altéré d’une génération à l’autre. Le point de départ de cette transformation est la
prononciation akwa (au IVe siècle) qui est arrivé à la prononciation ô (au XIXe siècle) par une série
continue d’intermédiaires : agwa, aiwa, aiwe, èiwe (au XIe siècle), èwe, èawe, eâou (au XVe
siècle), aou, óou, ó.
Tenant compte du fait que les changements se produisent chez l’individu, nous pouvons dire
que la cause de l’évolution phonétique est individuelle, mais nous ne devons négliger ni la
production simultanée des mêmes faits chez plusieurs individus, appartenant généralement au
même groupe social. Dans ce dernier cas, l’évolution phonétique peut être considérée comme le
résultat d’une influence générale (Albert Dauzat, 1922 :46).
L’évolution phonétique est alors, nous pouvons dire, un résultat de l’action de l’individu sur
les sons, à travers plusieurs générations et prenant en considération son appartenance à plusieurs
milieux sociaux. Cependant, nous devons envisager aussi, quand nous parlons des modifications des
sons, les causes physiologiques qui ont transformé les sons. Il s’agit de ce que l’école allemande des
néogrammairiens a appelé le déplacement du sens musculaire (Albert Dauzat, 1922 : 56), c’est-à-
dire le fait que les évolutions des sons sont conditionnées par une adaptation continue des