Défis pour les premières décennies du XXIe siècle

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Revue Commerce - Janvier 2000
Défis pour les premières
décennies du XXIe siècle
MAURICE N. MARCHON
Professeur à l'Institut d'économie appliquée
École des Hautes Études Commerciales
16 novembre 1999
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Il est bien difficile d’identifier avec exactitude les plus grands changements à
survenir au cours des prochaines décennies. Le processus d’évolution de l’économie
mondiale n’est toutefois pas aléatoire. Les points de rupture totale sont plutôt rares et la
plupart du temps les changements se construisent sur la base des processus existants.
C’est dans cet esprit que nous avons choisi de mettre en valeur des phénomènes déjà
perceptibles maintenant mais dont les effets culminants sont encore à venir. On peut déjà
dire que le mouvement mondial vers une plus grande liberté de fonctionnement des
marchés et les bénéfices de la révolution micro-informatique prépare un début de XXIe
siècle très prometteur, même si de nombreux défis devront être relevés.
Le vieillissement de la population
Le vieillissement de la population causé par la diminution du taux de natalité,
l’augmentation de l’espérance de vie et surtout le passage des baby-boomers au-delà des
50 ans représente l’un des principaux défis des prochaines décennies. La cohorte des
baby-boomers est si importante qu’elle influence de façon systématique la composition
du PIB selon leur position dans le cycle de vie. Ces derniers entreront massivement dans
la classe des 50 à 64 ans au cours de la première décennie du XXIe siècle. C’est au cours
de cette période que leur taux d’épargne est généralement le plus élevé, car ils devront
accumuler des actifs financiers en prévision de la retraite. C’est toutefois lorsque les
baby-boomers prendront massivement leur retraite à partir de 2010 que les effets sur le
marché du travail et les finances publiques se feront le plus sentir. En effet, les
prévisions démographiques pour le Canada et les États-Unis, qui bénéficient pourtant
d’un flux d’immigration relativement important, verront le taux de croissance de la
population de 16 à 64 ans chuter à partir de 2010 (graphique 1). Quant aux finances
publiques, elles seront touchées par le versement des prestations de retraite et par
l’explosion des soins médicaux.
La pénurie de main-d’œuvre pourrait toutefois être éviter si les gouvernements,
les entreprises et les baby-boomers changeaient leur conception de la retraite. Il est fort
possible qu’un plus grand pourcentage des baby-boomers continueront leur participation
au marché du travail à cause du prolongement de l’espérance de vie. Pour qu’ils
participent plus longtemps à la vie active, il faudra bien sûr changer les incitations
fiscales qui favorisent une retraite prématurée en pénalisant ceux qui continuent à
travailler. Les entreprises devront également changer d’attitude envers les travailleurs
plus âgés et devront satisfaire les besoins de ceux qui choisissent une vie active durant le
troisième âge. Le pourcentage d’emplois exigeant une grande force physique étant en
diminution, de plus en plus de ceux-ci peuvent être détenus par des personnes qui ne sont
plus au sommet de leur forme physique. Il faudra donc que les incitations fiscales soient
révisées et que l’attitude sociale envers les travailleurs du troisième âge deviennent plus
positives. Leur plus grande participation au marché du travail viendrait atténuer la
pénurie de main-d’œuvre causée par le vieillissement de la population qui sera encore
bien plus dramatique en Europe et Japon. On saisit facilement le changement d’attitude
que cela représente lorsqu’on sait qu’au Canada le taux d’emploi des hommes de 55 ans
et plus, qui était de 45 % en 1980, est tombé à 32 % en 1999.
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Graphique 1
Taux de croissance annuel de la population de 16 à 64 ans
1.5
1.0
0.5
0.0
-0.5
1991
1994
1997
2000
2003
2006
2009
Canada
2012
2015
2018
2021
2024
États-Unis
Technologies de l’information
Une autre grande force qui est en train de déferler sur le monde est la révolution
micro-informatique. Au début, l’ordinateur n’était qu’une super calculatrice ou une super
machine à écrire, mais avec l’explosion de la vitesse et de la capacité des ordinateurs et des
réseaux de télécommunications ainsi que l’expansion du rôle de l’Internet, la révolution
informatique est sur le point de provoquer le plus grand rapprochement des personnes
que le monde ait connu. Lorsqu’on sait que la première constante des grands
bouleversements technologiques a été de réduire les distances, de diminuer les coûts des
transports et des communications. Pensons au feu, à la roue, au voilier à 3 mâts, à
l’imprimerie, à la machine à vapeur et maintenant à la micro informatique. La chute des
prix relatifs des transports et des communications entraînent une explosion du commerce
entre les individus et les pays. La révolution micro-informatique présente toutes ces
caractéristiques et bien davantage. L’Internet entraîne l’effondrement des distances et
réduit à presque rien le coût des communications. Il provoquera une nouvelle révolution
dans la chaîne de distribution. Lorsque le commerce sur Internet sera monnaie courante,
nous assisterons à la disparition de plusieurs intermédiaires du réseau de distribution. En
plus d’une meilleure diffusion des prix, les producteurs et les consommateurs entreront
directement en contact sur le marché global du réseau, ce qui entraînera la disparition de
plusieurs types d’intermédiaires et l’interface direct entre le producteur et le
consommateur. Par exemple, il est fort possible que les agences de voyage telles que
nous les connaissons auront disparu d’ici cinq ans. Les voyageurs achèteront directement
leur billet auprès des compagnies aériennes et réserveront leur chambre d’hôtels via
l’Internet. Finalement, la révolution informatique s’étend de plus en plus à toutes les
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facettes de la conception et de la production des biens et des services, ce qui accroîtra
substantiellement la valeur ajoutée par heure de travail non seulement dans le secteur de
la production des biens mais aussi dans celui des services.
Les gains de productivité stimule la croissance économique
La deuxième constante des grands changements technologiques est la baisse du
prix relatif des produits issus des innovations. Par exemple, de taux annuel de diminution
du prix des ordinateurs achetés par les entreprises s’est accéléré au cours des dix
dernières années (graphique 2). Le prix d’introduction d’un nouveau produit informatique
est très élevé à cause des coûts de développement, mais très rapidement les entreprises
baissent drastiquement leur prix pour diffuser l’usage intensif du produit. Dans les
technologies de l’information, les prix relatifs baissent à une rapidité vertigineuse à cause
des bonds technologiques. Par exemple, le microprocesseur Pentium III d’Intel est mille
fois plus rapide que le Pentium II, il y a donc beaucoup de potentiel pour transférer les
bénéfices de ces innovations aux consommateurs. Étant donné que nous sommes encore
au début des découvertes de l’âge des technologies de l’information, il faut espérer que
les découvertes technologiques soutiendront les gains de productivité à un taux élevé au
cours des prochaines décennies.
Graphique 2
La diminution du prix d’achat des ordinateurs s’est accéléré au
cours des années 90
(taux annuels de variation de l’indice implicite du prix des ordinateurs)
-6
-9
-12
-15
-18
-21
-24
-27
-30
-33
-36
1990:1
1991:1
1992:1
1993:1
1994:1
1995:1
1996:1
1997:1
1998:1
1999:1
Indice implicite des prix des ordinateurs
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Les premiers signes d’une nouvelle ère en ce qui concerne les gains de
productivité semblent se dessiner aux États-Unis. Malgré toutes les difficultés techniques
de mesurer correctement les gains de productivité, il est indéniable qu’on assiste à une
accélération de ces derniers. Le PIB réel par heure travaillé dans le secteur privé sans
l’agriculture s’élevait au taux annuel moyen de 2,5 % au cours des cinq dernières années
et de 2,7 % au cours des deux dernières années comparativement à 1,4 % de 1973 à 1999.
Les conséquences à long terme d’un regain de productivité sont enthousiasmantes
puisque si le taux de croissance du PIB réel américain ou canadien pouvait s’accroître au
taux annuel de 3,6 % au lieu de 3 % de 1973 à nos jours sur la base des données révisées
des comptes nationaux américains. Les implications sont intéressantes puisque avec un
taux de croissance du PIB réel de 3,6 %, le PIB réel double en 20 ans.
Réformes en faveur de l’économie de marché
L’Amérique ne peut pas être un havre de paix, s’il n’y a pas d’espoir de mieux
être dans les pays moins avancés économiquement et dans les pays émergents. L’une des
conséquences heureuses de la crise financière des dernières années sera d’accentuer le
processus de réformes vers un plus grand rôle des mécanisme du marché dans l’allocation
des ressources. Par exemple, l’entrée prochaine de la Chine dans l’Organisation
mondiale de commerce confirme la volonté du gouvernement chinois de respecter les
règles du commerce international et de poursuivre le mouvement de privatisation des
entreprises publiques. L’Inde, où encore près de 25 % du PIB provient des entreprises
publiques, s’est également engagé dans un programme de privatisation qui mettra de
précieux actifs aux mains des gestionnaires privés capables de les faire fructifier. On
imagine facilement les implications positives pour la croissance économique à long terme
du pays lorsqu’on sait que le taux de rendement des actifs des entreprises publiques en
Inde a été inférieur à 5,5 %, soit un taux de rendement moindre que le coût de
financement du gouvernement central. Les conséquences pour la croissance économique
mondiale et l’amélioration des conditions de vie d’une accélération du taux d’expansion
du PIB réel en Inde à 8 % ou 9 % par année pour les deux prochaines décennies
comparativement à 4,5 % au cours de 1960 à 1998 sont tout à fait spectaculaires puisqu’à
8 % par an, le PIB réel double en neuf ans.
L’intégration de l’économie mondiale
La réduction des coûts de communications et la diffusion rapide des innovations
favorisera également l’émergence de très grandes organisations à travers le monde. Ce
processus d’intégration commence à être apparent dans les statistiques d’investissements
directs. L’investissement direct est positif pour le développement durable puisque les
organisations qui prennent le contrôle d’autres entreprises à l’étranger s’engagent pour le
long terme, contrairement aux flux de capitaux qui peuvent rapidement changer de
domicile. À titre d’exemple, la valeur des investissements directs du Canada à l’étranger
des quatre derniers trimestres se terminant en juin 1999 s’élevait à 28 milliards de dollars,
soit 3,3 fois plus qu’il y a trois ans. Les étrangers au Canada connaissent également une
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envolée pour s’élever à 21 milliards, soit le double d’il y a trois ans (graphique 2). Les
États-Unis qui possèdent la très grande majorité des entreprises issues de la révolution
micro-informatique sont également la cible des entreprises étrangères qui veulent
participer au développement des nouveaux produits et aux nouveaux marchés. Les
investissements directs des étrangers aux États-Unis s’élevaient à un niveau annuel
incroyable de 290 milliards de dollars au 2e trimestre de 1999, soit 3,4 fois plus qu’il y a
trois ans.
Graphique 2
Investissements directs au Canada et à l’étranger
(en milliards de dollars canadiens, moyenne mobile d’un an)
38
34
30
26
22
18
14
10
6
2
1989:1
1990:1
1991:1
1992:1
1993:1
1994:1
Investissements directs au Canada
1995:1
1996:1
1997:1
1998:1
1999:1
Investissements directs à l'étranger
Nous prévoyons que le mouvement global vers une économie de marché conjugué
à l’accélération des innovations technologiques préparent le terrain pour un début de
siècle dynamique et excitant tant au plan de la croissance économique que du
développement social des populations. Il est bien certain que l’économie de marché ne
n’apporte pas de solution miraculeuse aux problèmes de notre époque, mais elle demeure
celle est capable d’améliorer le sort du plus monde possible.
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