Éthique et politique, A08 Cours 5
Christiane Gaudreault et Hélène Lemieux, Éthique et poltique, notes de cours 2, cégep de Jonquière, A-08
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L'éthique utilitariste
La théorie éthique du devoir de Kant est l’une des approches les plus
importantes dans la délibération éthique aujourd’hui. Mais ce n’est pas la seule.
La pensée utilitariste a aussi eu une énorme influence sur notre manière
d’envisager les normes morales. L’idée fondamentale de cette approche
pragmatique est que la valeur morale découle de l’utilité d’un acte c’est-à-dire de
ses conséquences avantageuses.
L’utilitarisme a pris naissance en Angleterre et on pourrait dire, d’une façon
générale, qu’il est le courant éthique dominant dans les pays anglo-saxons alors
que la morale de Kant a surtout influencé la France et l’Allemagne. Nous, qui
sommes de souche française mais géographiquement américains, subissons
l’influence de ces deux courants.
Le contexte historique
Deux philosophes anglais ont été les fondateurs de l’utilitarisme : Jeremy
Bentham (17481832) et John Stuart Mill (1806-1873).
Bentham vit à Londres à la même époque que Kant. Il est donc influencé par les
idées philosophiques des Lumières. Comme Kant, il veut trouver un fondement
à la morale qui puisse être accepté par tous sans se baser sur une perspective
religieuse. Il cherche un critère universel auquel chacun, de façon autonome,
pourrait adhérer en utilisant sa raison. Une cinquantaine d’années plus tard, Mill
reprendra et défendra les idées de Bentham.
Cependant les conditions de vie en Angleterre à cette époque sont bien
différentes de celles de l’Allemagne.
En termes économiques, le 18ème siècle marque, en Angleterre, le début de la
révolution industrielle. L’économie se transforme grâce au développement de la
technique, ce qui permet d’ouvrir des usines, d’accélérer les rythmes de
production, d’améliorer les moyens de transport. Cette transformation marque
aussi le triomphe du capitalisme sauvage avec l’exploitation ouvrière qui
l’accompagne et la misère qui se répand dans les quartiers populaires des
grandes villes, particulièrement de Londres. Les idées morales utilitaristes seront
influencées par la rupture avec la tradition et la recherche d’efficacité qui
marquent la vie intellectuelle anglaise de l’époque. Le sort terrible fait aux
ouvriers amènera aussi les philosophes utilitaristes à tenter d’unifier morale et
politique, pensée et action. Ils voudront attribuer à la morale l’objectif
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d’améliorer le bien-être individuel et l’espace de liberté de leurs concitoyens les
plus défavorisés.
En termes politiques, l’Angleterre est à l’époque victorienne (1815-1914). C’est
l’âge d’or de l’empire britannique sur lequel «le soleil ne se couche jamais». Le
développement de l’économie va amener la naissance du mouvement ouvrier et
l’apparition puis la légalisation des syndicats. Ainsi naîtront des revendications
importantes au niveau de la libéralisation des institutions politiques. Les
penseurs utilitaristes seront très actifs dans ce mouvement. Bentham, qui fut à la
fois juriste et philosophe, contribua à réformer le droit et les procédures légales
britanniques pour les rendre plus démocratiques. Mill est considéré comme un
des pères fondateurs du libéralisme, du socialisme et même du féminisme. Il
s’engagea dans de nombreuses luttes sociales et politiques et fut même élu
député comme candidat radical au Parlement anglais en 1865. Il s’y prononça
contre l’esclavage, le travail des enfants et proposa des lois prônant l’éducation
obligatoire, le contrôle des naissances et le droit de votre des femmes.
La conception utilitariste de la morale
A) Une morale conséquentialiste
Les utilitaristes rejettent l'approche rationaliste de Kant selon laquelle la loi
morale universelle est inscrite dans notre raison et, comme Hume, vont
s'appuyer sur une démarche empirique basée sur l'expérience humaine pour
définir le bien.
Selon eux, tout effort pour arriver à une définition du bien absolu (ou de
l’impératif catégorique) est dangereuse parce qu’elle ne respecte pas les libertés
individuelles. Il faut conserver l’ouverture d’esprit et la souplesse nécessaires
pour adapter les valeurs fondamentales aux circonstances et aux personnes
impliquées. Pour les utilitaristes comme pour Hume, l’universalité de la morale
ne repose pas dans une loi morale qui serait applicable à tous et en toutes
circonstances mais dans la recherche du bonheur caractéristique de tout être
humain.
Pour les utilitaristes, ce sont les conséquences découlant d’une action qui
permettent de déterminer si cette action est morale ou immorale. Par exemple,
dans certaines circonstances exceptionnelles, un mensonge, pourrait être
considéré moralement acceptable, si les conséquences en sont bonnes. Ce n’est
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plus l’action elle-même qui est jugée, ce sont les résultats de telle action à tel
moment qui sont déterminants. Pour Kant, au contraire, les conséquences du
geste n’ont aucune importance pour définir sa moralité. Le mensonge est
toujours moralement inacceptable puisqu’il ne peut être universalisé. Il n’y a pas
d’exception. C’est l’impératif catégorique. La position utilitariste est plus flexible
de sorte qu’on parle plutôt d’impératifs hypothétiques.
Le fonctionnement utilitariste se retrouve souvent dans la vie quotidienne. Par
exemple, quand on se demande si on doit ou non changer de programme au
cégep, il faut tenir compte de nombreux facteurs : les exigences du nouveau
programme, les emplois disponibles à la sortie, l’endroit se donne le cours, le
budget nécessaire, l’intérêt suscité par la matière, etc. Ce sont les conséquences
de l’action que j’examine. Quand un gouvernement se demande s’il doit ou non
fermer une école dans un village, il tient compte des conséquences envisageables
de chacune des hypothèses et il va choisir la solution la plus avantageuse. Les
utilitaristes appliquent la même démarche à la morale.
Contrairement à Kant, les utilitaristes ne s’intéressent pas non plus aux
intentions ou aux motivations de la personne qui agit puisque l’intention elle-
même n’a pas d’influence sur les conséquences du geste. Ce n’est donc pas
l’intention qui fait que le geste est moral ou non. Qu’une action soit accomplie
par intérêt personnel, par amitié, ou par crainte d’une punition n’a aucune
incidence sur sa valeur morale. Pour Mill : Celui qui sauve un de ses semblables en
danger de se noyer accomplit une action moralement bonne, que son motif d’action soit le
devoir ou l’espoir d’être payé de sa peine… (MILL, John Stuart, L’Utilitarisme,
Champs, Flammarion, Paris, 1988, p.69). Par exemple, selon les utilitaristes, si
quelqu’un contribue à la Fondation de ma vie peu importe ses motivations (le désir
de soustraire de l’argent à l’impôt, le désir de paraître dans le journal pour
obtenir de la publicité etc.) l’action est toujours bonne puisqu’elle a comme
conséquence d’améliorer la santé de la population. Les motivations de l’action
nous permettraient de juger la vertu de la personne qui agit, c’est-à-dire sa
disposition à faire le bien mais pas la moralité ou l’immoralité du geste posé. De
plus, si on considère qu’il faut rechercher les vertus, n’est –ce pas parce qu’elles
ont généralement des conséquences positives sur l’entourage de la personne
concernée?
On qualifie donc souvent la morale utilitariste de téléologique ou de
conséquentialiste parce qu’elle se base sur les conséquences des gestes pour
évaluer leur moralité. Et ceci contrairement à la morale kantienne qui est
déontologique puisqu’elle se base sur une compréhension du devoir moral et ne
se soucie pas des conséquences ou du but poursuivi par la personne.
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Un acte est donc jugé moral si ses conséquences sont bonnes. Mais alors,
comment définir de bonnes conséquences? En utilisant comme norme le
bonheur.
B) La norme morale : le plus grand bonheur du plus grand nombre.
S’inspirant de l’épicurisme ancien, les utilitaristes se fondent sur l’observation du
fait suivant : dans leur conduite, tous les humains recherchent le bonheur et
tentent d’éviter la souffrance. D’où ils déduisent que la recherche du bonheur est
la valeur morale fondamentale. Une action sera jugée bonne ou utile si elle a
pour conséquence de nous rendre heureux. Mais comment définir le bonheur?
Comme pour les épicuriens, les utilitaristes définissent le bonheur par le plaisir,
la joie, et négativement par le fait d’éviter la douleur, la peine.
Les réflexions de John Stuart Mill vont raffiner le point de vue utilitariste sur le
plaisir en s’appuyant sur les analyses d’Épicure. Si tout ce qui est recherché par
les êtres humains peut être qualifié de plaisir, les plaisirs ne sont pas tous
équivalents et il y a place pour évaluer la qualité des plaisirs. Il n’y a pas selon
Mill de critère absolu ou objectif pour le faire, c’est par l’expérience, la
consultation, la discussion que nous pouvons y arriver. Il lui semble cependant
évident que les plaisirs de l’esprit l’emportent sur ceux du corps, que les plaisirs
spécifiquement humains ont plus de valeur que les plaisirs animaux.
Pour les utilitaristes cependant, le bonheur ne se définit pas de façon égoïste. En
tant qu'être social, l'humain ne recherche pas que son propre plaisir mais tient
compte du bonheur des autres. De ce fait, le bonheur de l'un ne peut être plus
important que le bonheur de l'autre. D'où ils déduisent la valeur fondamentale
de la théorie: le bonheur du plus grand nombre d'individus, le bien-être
commun. L’utilitarisme a donc une portée sociale importante. Il repose sur une
norme fondamentale : celle de l’égalité de tous. Dans l’évaluation des
conséquences d’une action, chacun compte pour un et aucun pour plus d’un, nous dit
Bentham. Le bonheur de celui qui agit n’est pas plus important que le bonheur
des autres personnes affectées par le geste posé. L’utilitarisme n’est donc pas une
doctrine morale égoïste.
Dans leur évaluation de la portée d’une action, les utilitaristes tiennent aussi
compte des effets de l’action sur les générations futures et même sur les animaux.
En effet, eux aussi peuvent éprouver du plaisir ou de la douleur. La souffrance
d’un animal a une valeur morale, tout comme celle d’un humain.
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C) Le calcul d’utilité
Même si les utilitaristes estiment que ce sont les conséquences d’un acte et non
l’intention qui en déterminent la moralité, il n’en demeure pas moins que pour
eux, les actions d’une personne qui n’agit pas de façon purement égoïste mais
tient compte des autres avant d’agir aura des répercussions plutôt bénéfiques sur
autrui.
Le calcul d’utilité n’est pas aussi simpliste qu’on pourrait le croire. L’utilitarisme
exige que nous fassions une évaluation rigoureuse de toutes les conséquences
possibles d’un acte. Cette évaluation doit tenir compte des conséquences à court
terme mais aussi à moyen et à long terme. Si, par exemple, dans une circonstance
particulière on se demande s’il est préférable de sauver la vie d’un jeune adulte
ou celle d’une personne âgée, on devra tenir compte de l’impact qu’aura la
disparition de ces deux personnes sur leur entourage immédiat mais aussi sur la
société en général. Il faudra donc faire le choix qui rapportera le plus de bonheur
pour le plus grand nombre de personnes concernées.
Pour procéder au calcul d’utilité les utilitaristes nous proposent la démarche
suivante :
nous devons rechercher l’action qui procure une plus grande
satisfaction des besoins (plaisirs) et un minimum de peines (déplaisirs)
et ce, pour l’ensemble des êtres concernés par l’action,
nous devons respecter la règle du chacun compte pour un,
nous devrions arriver au résultat du plus grand bonheur pour le plus
grand nombre.
Plus d’un ont amené certaines critiques à ce calcul utilitariste. En effet, il est
souvent difficile de prévoir ce qui fera le bonheur des uns et des autres de façon
purement objective. De plus, certaines conséquences peuvent être imprévisibles
et n’apparaissant pas dans le calcul, nos prévisions peuvent être faussées. Une
autre critique vient du fait que le calcul représenterait une tâche trop lourde
lorsque l’on a à traiter un problème moral dans la vie quotidienne de sorte que la
méthode proposée par les utilitaristes deviendrait inefficace. De plus, certains
soulèvent la difficulté d’appliquer le principe chacun compte pour un dans la vie
quotidienne car on a naturellement tendance à prioriser nos proches par rapport
aux étrangers. Une autre difficulté réside dans l’évaluation des plaisirs de façon
purement quantitative. Certains plaisirs sont-ils plus importants que d’autres?
Par exemple, les plaisirs intellectuels ont-ils plus de valeur que ceux du corps ou
encore le travail est-il préférable au repos?
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