Senge ne s’arrête d’ailleurs pas aux organisations : ils considère que la pensée systémique
peut aider non seulement le développement des organisation mais aussi de l’intelligence
humaine, de l’humanité dans son ensemble.
Pour comprendre cela, sans développer ici toutes les idées du livre de Senge, il suffit d’attirer
l’attention sur le fait que la pensée systémique enseigne qu’il y a deux types de complexité : la
complexité détaillant les interactions entre de nombreuses variables (« detail complexity ») et
la complexité dynamique (« dynamic complexity ») qui montre que les causes et les effets ne
sont pas souvent proches dans le temps et dans l’espace et que des interventions qui
pourraient paraître directes ne produisent pas nécessairement les effets escomptés.
Ainsi, comme l’écrit Senge : « Today the primary threats to our collective survival are slow,
gradual developments arising from processes that are complex both in details and in
dynamics. The spread of nuclear arms is not an event, nor is the “greenhouse effect”,
malnutrition and underdevelopment in the Third World, the economic cycles that determine
our quality of life, and most of the other large-scale problems in our world. »
Tout ce qu’écrit Senge me paraît faire sens, du moins au niveau de « notre » monde et de nos
organisations, et mon propos ne sera pas de le contredire. Plutôt j’essayerai de montrer, en le
contrastant avec Conche, que la pensée de Senge est elle-même prisonnière d’une vision
implicite « réductrice » du « monde » et que cela a des conséquences implicites sur les
attentes qu’il a de pouvoir contribuer à changer le « monde ».
Le problème est bien entendu que, comme il s’agit d’un livre de management et pas de
philosophie, Senge n’explicite pas ou trop peu les fondements de sa vision du « monde » et de
sa pensée systémique. Il écrit pourtant tout à la fin de son livre quelques phrases qui
permettent d’entrevoir ces fondements : “The earth is an indivisible whole, just as each of us
is an indivisible whole. Nature (and that include us) is not made up of parts within wholes. It
is made up of wholes within wholes. All boundaries, national boundaries included, are
fundamentally arbitrary. We invent them and then, ironically, we find ourselves trapped in
within them.” Et il continue en mentionnant “Gaia”, la théorie selon laquelle la biosphere, tout
ce qui vit sur la terre, est en soi un grand organisme vivant. Le « réel » auquel Senge fait
implicitement référence est donc celui de notre monde, de la biosphère.
Par ailleurs, en ce qui concerne la capacité d’agir, sa référence au long levier d’Archimède
pour faire basculer le monde est suffisamment explicite. Tout son livre est un plaidoyer pour
nous faire comprendre qu’une autre façon de penser doit nous permettre de mieux agir sur le
monde.
Enfin, on peut se poser la question des fins de ces actions ? Senge ne les explicites pas, se
limitant à parler de manière générique des aspirations des organisations apprenantes, qui, au
travers d’une vision partagée, doit être compatibles avec les aspirations de tous les membres
de ces organisations. On peut supposer qu’au delà du profit, les organisations apprenantes
recherchent donc le « bonheur ».
Avant de passer à Conche, notons que la pensée systémique de Senge fait écho aux
discussions que nous avons eues avec nos précédents orateurs et qu’elle n’est pas contraire à
celles-ci.