La philo au lycée professionnel ? Du côté de la philosophie au lycée professionnel
interlignes n° 35
philosophie est associée à la démocratie athénienne ; mais démocratie et philosophie ont bien
changé depuis l’antique Athènes. Sans doute, l’enseignement philosophique et les grands
intellectuels qu’il a produits ont joué un rôle certain dans le débat républicain en France ; mais
peut-on soutenir sérieusement que des pays qui n’enseignent pas la philosophie à tous leurs
citoyens ne sont pas des démocraties ? A l’inverse, peut-on soutenir que l’importance de
l’enseignement philosophique en France en ait fait un modèle idéal de démocratie, prémuni
du terrorisme intellectuel et des grandes illusions totalitaires ?
Il me semble que reconnaître un rôle historique à l’enseignement philosophique dans
l’avènement de la démocratie en France, ne doit pas conduire à conclure qu’une véritable
démocratie exige des citoyens-philosophes.
Des citoyens « éclairés », certes, et aussi instruits que possible. Mais peut-on attendre
d’une démocratie de masse qu’elle attende de ses citoyens d’être capables de dialogue
socratique ? Heureusement que la démocratie ne dépend pas de la philosophie, sans quoi on
risquerait de l’attendre longtemps, comme Godot. Heureusement aussi que la philosophie ne
dépend pas de la démocratie, mais du courage et de la volonté d’individus, sans quoi la
philosophie serait le plus souvent impossible, si la liberté de penser supposait la liberté
politique.
Cela nous conduit au cœur du problème : « lumières », instruction, culture, réflexion,
débat, argumentation, tout cela est-il « philosophie » ?
Peut-on penser sans philosopher ?
Assurément oui ! Est-on philosophe dès qu’on se met à penser ? Tout dépend de ce
qu’on entend par « philosophie ».
Je ne vois pas ce qu’on gagne à vouloir mettre la philosophie partout. La philosophie
n’est pas omniprésente dans la vie : on peut jouer, s’aimer, créer, lutter, sans philosopher. Et
heureusement, car même le philosophe doit prendre le temps de vivre, avant de penser sa vie.
Et ce serait une caricature de philosophe que de le représenter comme le penseur perdu dans
les nuées.
On peut donc vivre sans philosopher, comme on peut vivre sans réfléchir, sans se
« prendre la tête », comme disent les élèves. C’est à chacun de savoir s’il vit mieux en
pensant ; c’est à chacun de savoir s’il pense mieux en philosophant. En faire une exigence
universelle (« Tu dois philosopher ! ») me semble utopique et contradictoire avec l’esprit
philosophique.
La philosophie n’est ni omniprésente, ni un remède-miracle. On peut respecter l’autre
sans être philosophe, et même des philosophes, par terrorisme intellectuel, s’avèrent
incapables de respecter l’autre. La tolérance, de même, n’est pas l’apanage des philosophes, et
certaines philosophies inclinent même à l’intolérance. De même, les philosophes n’ont pas
l’exclusivité de la logique, et un bon enseignement scientifique peut suffire à former un esprit
logique.
La littérature, me semble-t-il, pense aussi, sans pour autant philosopher. Une tragédie
de Sophocle, comme Antigone, pense et fait penser, sans être pour autant un écrit
philosophique argumenté ou démonstratif.
Je n’entends pas ici annuler la place de la philosophie, mais lui éviter une tentation
« totalitaire ». La philosophie aide à penser, à sa manière et sur un certain type de questions ;
mais la littérature aussi, l’art aussi, l’histoire aussi, la science aussi, à leurs manières. La
philosophie contribue à une discipline de pensée et de discours, mais elle n’est pas seule à le