Guerres mondiales et espoirs de paix La première moitié du XXe siècle est marquée par deux conflits mondiaux nés de volontés de conquêtes territoriales, comme la Première Guerre mondiale (1914-1918) et d’ambitions idéologiques, comme la Seconde Guerre mondiale (1939-1945). Après les près 10 millions de morts de la première, la seconde franchit un seuil de violence par le nombre de victimes (plus de 50 millions de morts), les mécanismes de mise à mort (génocides Juifs et des Tsiganes) et l’usage d’armes nouvelles, comme la bombe atomique. C‘est sur ces ruines matérielles et morales que s’inventent de nouvelles relations entre les États. Comment la violence guerrière entre 1914 et 1945 bouleverse-t-elle les relations internationales et les sociétés ? I. Combattre pendant la Première Guerre mondiale A. Guerre totale, guerre mondiale La Première Guerre mondiale naît d’une réaction en chaîne des alliances militaires entre les États européens après l’assassinat de l’héritier de l’Empire d’Autriche-Hongrie, le 28 juin 1914 à Sarajevo. Cet attentat reflète l’extrême tension qui existe en Europe à cette époque, tensions politiques et coloniales. Cet affrontement entre les Empires centraux (Allemagne, Autriche-Hongrie et Empire ottoman) et Triple Entente (Royaume-Uni, France, Russie rejoints par l’Italie : 1915 et les Etats-Unis 1917) engage presque toute l’Europe et ses colonies dans les combats. L’unité nationale est plus forte que les appels au pacifisme. Les appels, comme ceux du député socialiste Jean Jaurès, assassiné quelques jours avant la déclaration de guerre, ne sont pas entendus. Le sentiment national, autant que la propagande, crée dès 1914 une attitude d’unité nationale nommée Union sacrée1, qui dure tant bien que mal jusqu’en 1918. La guerre est totale : 70 millions d’Européens, des troupes coloniales (500 000 hommes pour la France), partent pour les combats entre 1914 et 1918. Des classes d’âge presque complètes sont mobilisées en France, autant d’hommes que les femmes doivent remplacer partout. L’économie devient rapidement une économie de guerre. A l’arrière, les conditions de vie se dégradent. Mais les fronts évoluent peu. L’espoir d’une guerre courte s’évanouit dès que la guerre de mouvement s’enlise fin 1914. La guerre de position, surtout à l’Ouest de l’Europe, enterre les soldats dans des tranchées creusées pour se protéger des balles et des obus. L’entrée en guerre des Américains en avril 1917 est un tournant : dès l’été 1918, leur arrivée massive favorise la victoire finale de la Triple Entente. B. Violence des combats Les combats sont violents, les victimes innombrables. En 1916, les pertes s’élèvent à 1 200 000 tués, blessés et disparus dans la Somme, pour gagner moins de 10 Km. La bataille de Verdun2, sans vainqueur, devient le symbole d’une guerre qui s’enlise. Les 1 2 Expression du Président Raymond Poincaré 310 000 morts, 30 millions d’obus, 300 jours de combats. victimes sont aussi civiles. En 1915, 1,2 millions d’Arméniens sont déportés et massacrés par le pouvoir ottoman, dans ce qui sera qualifié par la suite de génocide. La mort est omniprésente. Avec l’artillerie moderne, un seuil de violence est franchi par rapport aux guerres du XIXe siècle. A la mitrailleuse se joignent les obus produits en masse. Les gaz de combat en 1915, les tanks et l’aviation en 1917, modifient le rôle du soldat, sans que ces nouvelles armes expliquent l’ampleur des pertes : en moyenne, près de 900 Français et plus de 1300 Allemands sont tués chaque jour. C. Une guerre traumatisante, des sociétés urbaines. Les conditions de vie sur le front banalisent la violence. La vie humaine perd de son sens. La propagande qui dépeint l’ennemi comme un monstre inhumain participe de la brutalisation des comportements. La peur, l’absence d’hygiène, le froid, la boue, les poux, les rats… contribuent au sentiment de déshumanisation des soldats et au décalage par rapport à la vie civile. La censure cache aux civils la vie réelle des soldats. Des mutineries se développent à partir de 1917 dans certaines armées, autant par lassitude des combats que par refus des ordres donnés par des états-majors déconsidérés. Réprimées en France, elles révèlent un malaise, la conscience de n’être que « chair à canon ». En Russie, ces mutineries sont à l’origine de l’effondrement du front et sont l’arrière plan de la révolution bolchévique de novembre 1917. II. La Seconde Guerre mondiale, une guerre d’anéantissement A. Les étapes de la guerre De septembre 1939 à 1941, les puissances de l’Axe connaissent des succès militaires sur tous les fronts, grâce à la Blitzkrieg. La Pologne est partagée entre l’Allemagne et l’URSS. Au printemps 1940, la Wehrmacht envahit le Danemark, la Norvège, les Pays-Bas et la France qui signe l’armistice le 22 juin. Mais la Grande-Bretagne gagne la bataille d’Angleterre. En juin 1941, l’opération Barbarossa marque le début de l’invasion de l’URSS. Les années 1942-1943 représentent un tournant. En Afrique du Nord, les Britanniques relancent l’offensive en Libye. En Novembre 1942, les alliés débarquent en Algérie et au Maroc. D’abord débordés, les Soviétiques organisent la résistance en reconstituant leur potentiel industriel à l’Est. La victoire de Stalingrad, en janvier 1943, constitue le point de départ d’une lente reconquête de leur territoire. En 1944, la progression alliée s’accélère suite aux débarquements en Sicile, en Normandie et en Provence. Les armées anglo-saxonnes et soviétiques prennent en tenaille l’Allemagne. Le Reich capitule le 8 mai 1945. Les civils représentent 65% du total des victimes. Ils subissent les bombardements stratégiques mais surtout la guerre d’extermination nazie. B. Une guerre totale. La Seconde Guerre mondiale engage les États, les hommes et les idées. Plus encore qu’en 1914, elle est un affrontement idéologique dans lequel triomphe une conception ethnico-raciale de la guerre. L’Allemagne mène à l’Est une guerre d’extermination contre l’ennemi juif et communiste. Les démocraties transforment la guerre en croisade contre le fascisme. Dans les deux camps, la propagande stimule la haine de l’adversaire. Les belligérants disposent des moyens de destruction qui rendent possibles les massacres à grande échelle. Les aviations américaines et britanniques s’équipent de bombardiers lourds. Le projet Manhattan aboutit en 1945 à la première bombe atomique. La guerre d’anéantissement résulte également des conditions qui règnent au front. En Europe de l’Est, la Wehrmacht doit résoudre de lourdes difficultés d’approvisionnement qui ont pour effet d’épuiser les troupes moralement et physiquement. C. Bilan : une guerre contre les civils La Seconde Guerre mondiale franchit un seuil de violence par rapport à la Grande Guerre. Avec plus de 55 millions de victimes, elle cause cinq fois plus de morts. La moitié des victimes sont civiles. L’Europe est la partie du monde la plus touchée : l’URSS compte plus de 25 millions de morts, un Polonais sur quatre est mort pendant la guerre. L’Europe est en grande partie à reconstruire. Les deux vaincus, Allemagne et Japon, doivent reconstituer leur État et leur économie. Les destructions témoignent de la guerre d’anéantissement. Il ne s’agit plus seulement de conquérir des territoires mais de détruire l’ennemi. Les définitions du terme de génocide et celle de crime contre l’humanité permettent la réunion de tribunaux, à Nuremberg et à Tokyo. Ils posent les bases d’un nouvel ordre international fondé sur le droit. III. Le génocide des Juifs et des Tsiganes A. La radicalisation de la politique raciale du IIIe Reich. En 1935, les lois raciales de Nuremberg avaient commencé le travail de sape qui consistait à exclure les juifs de la société allemande. Dès le déclenchement de la guerre, les dirigeants nazis intensifient les mesures de « protection de la race aryenne » à l’encontre des populations considérées comme « asociales » ou indignes de vivre. Le 21 septembre 1939, une conférence (Berlin) présidée par Heydrich1, le bras droit d’Himmler2, envisage de déporter vers la Pologne occupée 30 000 Tsiganes allemands et autrichiens. De janvier 1940 à août 1941, un projet eugéniste appelé « Aktion T4 » planifie la mort de 70 000 malades mentaux allemands : il a servi de « laboratoire » aux techniques d’extermination par le gaz. Mais ce sont les juifs qui, pour les nazis, sont censés représenter un danger mortel de contamination de la race. Himmler les assimile à des bacilles3 qui doivent être éradiqués. Hitler les accuse d’avoir provoqué la défaite de 1918. En janvier 1939, il annonce ainsi qu’une nouvelle guerre entraînerait « l’anéantissement de la race juive en Europe ». Jusqu’en 1941, il n’est toutefois pas encore question de perpétrer un génocide. On envisage de créer des « réserves » en Europe orientale ou Madagascar. En attendant, les juifs d’Europe orientale sont contraints de s’entasser dans les ghettos de grandes villes polonaises, où la famine et le travail forcé les condamnent à une mort lente. Meurt (septicémie) dans un attentat perpétré par les alliés à l’âge de 38 ans. Se suicide en 1945, date de son arrestation. 3 Bactérie 1 2 B. La « solution finale de la question juive » La Shoah n’a pas fait l’objet d’un plan longuement mûri à l’avance. Elle résulte des opérations meurtrières engagées à partir de 1941 dans le cadre de la guerre d’anéantissement contre l’URSS. Les Einstzgruppen1 ont reçu l’ordre d’exécuter tous les agents du « judéo-bolchévisme ». Ils en viennent à massacrer des familles entières, comme à Babi-Yar, où 33 771 juifs de Kiev sont fusillés en septembre 1941. Dès avant l’entrée en service des premiers camps d’extermination, plus d’un million de juifs vivants en URSS, en Pologne et dans les pays baltes ont été assassinés dans le cadre de fusillades de masse (shoah par balles). À l’automne 1941, l’échec de la guerre éclair en URSS ne permet plus d’envisager de chasser vers l’Est les millions de juifs jugés indésirables et résidant dans les régions désormais occupées par l’Allemagne. C’est alors qu’Hitler et son entourage décident d’exterminer l’ensemble de la population juive européenne (opération Reinhardt2). Le 20 janvier 1942 se tient la conférence de Wannsee sur la solution finale de la question juive : elle programme la déportation de 11 millions de juifs dans des camps de concentration et d’extermination. C. De la déportation à l’extermination Construites dans les camps d’extermination, les chambres à gaz deviennent « opérationnelles » dans le courant de l’année 1942. Les autorités allemandes procèdent alors à la liquidation des ghettos. À Varsovie, les habitants du ghetto sont ainsi déportés vers le camp de la mort de Treblinka. Les juifs d’Europe occidentale, quant à eux, sont déportés pour la plus part à partir de l’été 1942, dans le camp d’Auschwitz-Birkenau. Fin 1942, début 1943, les hautes autorités allemandes décident face aux nouvelles réalités de la guerre de lancer l’opération 10053, qui est censée effacer les traces du génocide. Une bureaucratie criminelle, la déportation de millions de juifs en provenance de tous les pays d’Europe suppose la mise en place d’une immense machine bureaucratique. Elle est supervisée par Adolf Eichmann. La SS a joué un rôle de premier plan dans l’accomplissement du génocide. Mais elle a pu prendre appui sur de larges secteurs de la société allemande, ainsi que sur l’administration des États qui, comme en France, ont accepté de collaborer avec l’Allemagne. IV. Les espoirs d’un nouvel ordre mondial A. Garantir le droit des peuples et la paix. Pendant la Première Guerre mondiale, les principes du système international contemporain sont posés. Le président américain Wilson expose devant le Sénat de son pays, le 8 janvier 1918, ses 14 points qui prévoient de rompre avec la diplomatie secrète et de fonder une « association générale des nations ». La Seconde Guerre mondiale donne l’occasion aux démocraties de réaffirmer leur attachement à ces principes. En août 1941, le Président américain F.D Roosevelt et le Groupe d’intervention formé de SS. Mise en place des camps d’extermination en Pologne. Elle porte le prénom de Heydrich. http://www.ushmm.org/wlc/fr/article.php?ModuleId=52 3 http://www.histoire.acversailles.fr/IMG/pdf/La_destruction_des_corps_dans_l_operation_1005.pdf 1 2 premier ministre anglais W. Churchill signent la charte de l’Atlantique. Ce message d’espoir qui pose comme évidente la défaite nazie, dessine le monde de l’après-guerre sur la base du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Sans attendre la défaite de l’ennemi, des conférences sont organisées pour préparer ce nouvel ordre mondial. La conférence de Téhéran1, organisée en novembre 1943, évoque la création de « quatre agents de police2 » pour garantir la paix. Celle de Bretton Woods, tenue en juillet 1944, crée la Banque mondiale et le FMI. La conférence de Yalta, réunie en février 1945, pose les principes de la future organisation des Nations Unies et prévoit d’organiser des élections libres dans les pays libérés du nazisme. Enfin celle de Postdam en août 1945 qui finalise le sort réservé aux vaincus. B. Éviter une nouvelle guerre. Les lendemains des deux conflits mondiaux sont favorables à la fondation d’un nouvel ordre mondial. L’hécatombe de la Grande Guerre et celle de la Seconde Guerre mondiale popularisent la cause pacifiste et suscitent chez les peuples le désir de mettre la guerre hors la loi. Les traités de paix de 1919 et 1920 sont élaborés sur la base d’idées du président Wilson. Ils fondent la société des nations. Le traité de Versailles, signé le 28 juin 1919, affaiblit militairement l’Allemagne, la rend responsable de l guerre et lui impose de payer des réparations pour les dégâts qu’elle a causés. Les Allemands parlent alors de Diktat. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un nouvel ordre est instauré par les vainqueurs. La conférence de San Francisco donne naissance à l’ONU. Le nouvel ordre repose aussi sur une révolution juridique avec la naissance, lors du procès de Nuremberg, du crime contre l’humanité. C. Les limites de la SDN et de l’ONU En 1918, la SDN est affaiblie dès sa création. Le refus des Etats-Unis d’y adhérer, l’hostilité allemande à une SDN intégrée dans le traité de Versailles, et la non-application du principe d’origine une nation = un État, laissent en germe de nombreuses difficultés. La minorité allemande de Tchécoslovaquie est un des points de tension. Même si en 1926, l’Allemagne entre dans le SDN, soutenue par la France, et que le pacte BriandKellogg3 signé en août 1928 déclare la guerre illégale, l’espoir de paix s’effondre avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933. Le nouvel ordre mondial de 1945 n’est plus assuré. Les soviétiques ne respectent pas les décisions de Yalta et imposent dans les pays qu’ils occupent des régimes communistes. En Allemagne, ils démontent les usines dans leur zone d’occupation alors que les Occidentaux tentent de faire renaître une Allemagne démocratique. Un rideau de fer Capitale de l’Iran. La France est exclue des négociations, à cause de la collaboration du gouvernement de Vichy. Le débarquement de Normandie y est décidé, ainsi que la création d’une organisation de sécurité regroupant : la Chine, l’URSS, le Royaume-Uni et les Etats-Unis. 3 L’Allemagne signataire du traité s’en servira pour faire remilitariser la Rhénanie, mais en pâtira à la fin de la guerre, puisque l’accusation s’en servira pour les inculper de « crime contre la paix ». A noter que Kellogg se verra décerner le prix Nobel de la paix en 1929. 1 2 tombe finalement sur l’Europe qui s’apprête à vivre divisée pendant près d’un demisiècle.