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RÉVOLUTION ET ÉVOLUTION EN ÉDUCATION MÉDICALE
Jean Gray, MD, FRCPC
Conférence commémorative AMS J. Wendell MacLeod
Assemblée de l’AFMC/ACEM – Halifax (N.-É.) Avril 2004
Le Dr J. Wendell MacLeod est né en Ontario pendant la guerre russo-japonaise. Il a fait
ses études à l’Université McGill (Montréal) et au Barnes Medical Centre (St. Louis),
avant d’ouvrir son cabinet privé en médecine interne/gastroentérologie, d’abord à
Montréal, puis à Winnipeg. Il a fait son service avec distinction pendant la Seconde
Guerre mondiale, se méritant la médaille de l’Ordre de l’Empire britannique. En 1951, il
a été invité à prendre le poste de doyen de la nouvelle faculté de médecine qui devait
ouvrir ses portes à la University of Saskatchewan, où il est resté jusqu’à ce qu’il accepte
le poste de Secrétaire exécutif (pour plus tard devenir Directeur) de l’AFMC, en 1962. Sa
passion manifeste pour l’histoire et son sens des forces externes qui forment le destin de
l’humanité ont servi de fondement pour le contenu historique de cette présentation.
L’optique à travers laquelle les événements ont été examinés est le processus de
transposition de l’événement révolutionnaire ou évolutionnaire vers la pratique commune
de la médecine, ce que les Instituts de recherche en santé du Canada appellent le « Cycle
d’application des connaissances » (1).
La révolution se définit comme suit : un changement fondamental dans la façon de
penser à quelque chose ou de la visualiser : un changement de paradigme. Un événement
évolutionnaire est considéré comme étant le processus d’élaborer ou de développer.
Pendant la présentation, les participants ont été invités à contribuer leurs idées sur ce qui
représente des événements révolutionnaires ou évolutionnaires en éducation médicale, et
ces observations se retrouvent à l’adresse http://www.acmc.ca. Les événements sont
examinés dans le contexte de la science de la médecine (la compréhension des
mécanismes de la maladie), de l’art de la médecine (les soins au patient), et du processus
de l’éducation médicale.
Les révolutions de la science de la médecine
Bien qu’Ignaz Semmelweis ait été le premier à faire le lien entre la contamination et la
maladie chez les humains en 1846, Louis Pasteur a conçu la Théorie des germes et de la
maladie dans les années 1850, grâce à une attention méticuleuse aux expériences et à
leur documentation minutieuse. En 1865, Joseph Lister, chirurgien d’Édimbourg qui était
fort impressionné par les idées de Pasteur, avait publié cinq articles dans la revue de
médecine britannique Lancet, dans lesquels il expliquait les implications de la théorie
pour la chirurgie et présentait le phénol comme agent antiseptique à utiliser dans la salle
d’opération. En 1882, Robert Koch, rival allemand de Pasteur, publiait ses postulats, soit
les quatre conditions nécessaires afin de déterminer qu’un organisme infectieux a causé
une maladie. Pasteur était un homme fascinant : complexe et mystérieux; son
financement venait presqu’exclusivement de ses propres moyens ou de fonds de
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recherche de sources industrielles; il s’intéressait à des questions scientifiques
d’importance pour l’économie française, de la vinification à l’agriculture; il était très
conscient de l’importance du mentorat. Certains de ses disciples ont influé sur notre
compréhension actuelle de la microbiologique (expression qu’il avait inventée) et de
l’immunologie, y compris Chamberland, Roux, Metchnikoff (prix Nobel de 1908 pour
ses études en immunologie), Yersin, Calmette, Guerin, Bordet et Nicolle (prix Nobel de
1928 pour son travail sur le typhus et la leishmaniose). Malgré l’excellence de son travail
de recherche, la profession médicale s’est montrée cinglante dans son scepticisme face à
la théorie des germes. Même bien après le début du 20e siècle, des chirurgiens refusaient
de reconnaître le progrès, comme par exemple Halsted de la John Hopkins University
(inventeur des gants de latex) qui refusait toujours de porter le masque car il le trouvait
trop confinant. Ce n’est que durant la Première Guerre mondiale que l’on a finalement
reconnu l’importance de la septicémie et l’antisepsie (d’autres termes inventés par
Pasteur). L’adoption de ces connaissances révolutionnaires a mis bien plus de 50 ans
avant d’influencer l’exercice quotidien de la médecine (2).
Un autre développement tout aussi passionnant qui a transformé la médecine presque du
jour au lendemain était la science de Wilhelm Roentgen qui a donné lieu aux rayons-x.
Roentgen avait été plutôt inefficace dans pratiquement tout ce qu’il essayait de faire
jusqu’à ce qu’il mène une expérience semblable à celles menées par d’autres. Mais il a
été le premier à reconnaître l’importance de la découverte. Il a fait venir son épouse
effrayée dans son laboratoire, lui a placé la main sur une feuille de papier
photographique, et a pratiqué la première radiographie au monde! Il était déjà trop tard
pour présenter son travail à l’assemblée de la Société de médecine-physique de Wurzburg
mais Roentgen a insisté auprès du rédacteur du procès-verbal pour qu’il en retienne la
publication pendant qu’il préparait son article. L’article a ainsi été publié en
décembre 1895 (une semaine après son achèvement!) et, en janvier 1896, la radiographie
de la main de son épouse faisait la une des journaux viennois. En décembre 1896, des
radiographies étaient admises comme preuve devant un tribunal et l’usage régulier des
radiographies à des fins de diagnostic a suivi peu après. En 1901, Roentgen remportait le
premier prix Nobel jamais décerné en physique (3).
Pourquoi une découverte a-t-elle été adoptée immédiatement par la profession médicale,
tandis que l’autre a dû attendre près de 60 ans avant d’être mise en œuvre pleinement?
Les radiographies ont simplifié la vie des médecins et l’attention des médias soulignait la
nature révolutionnaire de cette découverte, créant ainsi une demande. Par contre, des
systèmes de croyance enracinés, la résistance inhérente au sein de la profession, et la
nécessité de prendre des précautions sanitaires méticuleuses, ont contribué à un rejet
massif de la théorie des germes par les médecins et les chirurgiens.
L’art de la médecine
Bien que Florence Nightingale soit reconnue aujourd’hui comme la fondatrice de la
profession moderne de nursing, c’est également elle qui a défini la nature de
l’administration hospitalière et des dossiers médicaux que nous associons aux hôpitaux.
Elle a été la première femme à devenir membre de la British Statistical Society pour ses
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articles définissant la santé de la population comme on l’entend aujourd’hui et pour avoir
été la première à utiliser le diagramme en secteurs appelé aussi « camembert ». Mais elle
est incluse dans cette présentation pour son service mémorable en Crimée, qui a permis
d’établir l’importance du patient comme centre des soins. En plus de soigner la blessure
ou la maladie du patient, Nightingale s’assurait également que l’environnement
hospitalier favorisait la récupération, avec des salons remplis d’activités récréatives, et
des locaux pour loger les familles des soldats blessés qui venaient s’occuper d’eux. À ses
propres frais, elle a fait venir un chef cuisinier britannique de renom et des aliments frais
afin de s’assurer que les blessés seraient adéquatement et convenablement nourris.
Jusque-là, l’armée britannique avait supposé que les blessés trouveraient moyen de se
nourrir eux-mêmes! Et elle donnait de la valeur au patient individuel, écrivant à sa
famille s’il était incapable de le faire lui-même ou au moment de sa mort. Chose plus
remarquable encore, plus tard dans sa carrière elle a réussi à amener d’importants
changements aux méthodes de soins employées dans les hôpitaux britanniques alors
qu’elle était elle-même alitée pendant de nombreuses années par la fièvre de Crimée, que
l’on croit aujourd’hui être la brucellose chronique. Fille de parents riches et privilégiés,
elle avait beaucoup de contacts bien placés, tant au gouvernement qu’au sein de
l’aristocratie et de l’élite intellectuelle, et elle conjuguait son réseau de contacts à la
couverture médiatique qu’elle avait reçue pendant son séjour en Crimée pour apporter des
changements systémiques, parfois sous les objections de la profession médicale (4).
Le Mouvement pour les soins palliatifs a vu le jour dans bien des endroits au cours des
années 1950 et 60 bien que l’opinion générale veuille que ce soit Dame Cicely Saunders
qui ait été la force motrice pour l’adoption des principes de soins des patients atteints de
cancer. Dame Saunders a entrepris sa vie professionnelle comme infirmière mais une
blessure au dos l’a forcée à réorienter sa carrière et elle s’est recyclée pour devenir
travailleuse sociale. C’est dans ce rôle qu’elle s’est vu lancer le défi par un patient
(patient qui a lui-même fourni une partie de la mise de fonds initiale) de concevoir une
méthode meilleure et plus humanitaire de soigner les malades en phase terminale.
Comprenant qu’elle pourrait réaliser cet objectif plus facilement comme médecin, elle est
encore une fois retournée aux études. Au fur et à mesure que ses connaissances et son
désir d’aider les mourants se développaient, elle en est venue à reconnaître que la gestion
des symptômes, de concert avec une attention au bien-être spirituel et mental du patient,
étaient la pierre de touche des soins palliatifs. Pendant les années 1960, avec l’aide du
gouvernement et d’intérêts privés, elle a fondé le St. Christopher’s Hospice à Londres, où
le soin des patients mourants était jumelé à la préoccupation pour le soignant, y compris
la famille du patient et le personnel professionnel fournissant les soins. Le St.
Christopher’s Hospice offrait une garderie 24 heures sur 24 pour les enfants des
employés afin que les familles des patients et des soignants ne soient pas séparées durant
les moments difficiles. Bien que l’approche des soins palliatifs pour le soin des patients
mourants soit maintenant répandue, d’aucuns pourraient soutenir que cela ne s’est pas fait
tel que l’avait conçu à l’origine Dame Saunders. En effet, la préoccupation qu’elle avait
démontrée pour les familles des infirmières et médecins qui faisaient ce travail n’a pas été
perpétuée à l’extérieur de l’hospice original de Londres (5).
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Ces révolutions sociales n’ont pas été accueillies à bras ouverts par la profession
médicale. Bien qu’elles aient contribué énormément à la qualité des soins et au confort du
patient, les médecins se trouvaient encore une fois obligés de sortir de leur zone de
confort pour fonctionner d’une manière différente. L’adoption totale de ces différentes
méthodes de soins des patients ont nécessité l’intervention du gouvernement et les efforts
d’intervenants, à l’intérieur et à l’extérieur des professions de la santé. Encore
aujourd’hui, les visions originales n’ont pas été pleinement réalisées.
Le processus de l’éducation médicale
Vers le milieu du 19e siècle, l’éducation médicale en Amérique du Nord dépendait
fortement des facultés de médecine indépendantes, qui existaient dans le but de réaliser
des profits et qui souvent n’avaient aucun lien officiel avec un hôpital pour l’éducation à
l’aide de patients. La fondation de la John Hopkins Medical School a brisé cette
tradition en offrant le premier programme d’études qui serait reconnu dans le monde de
l’éducation médicale moderne. Sous la direction du doyen William Walsh, l’on a réuni un
groupe exceptionnel de professeurs cliniques, dont les Drs William Osler (Directeur de
médecine), William Halsted (Directeur de chirurgie), et Howard Kelly (Directeur de
gynécologie). Les principes directeurs de cette nouvelle faculté de médecine et de son
hôpital d’enseignement construit précisément à cette fin (inauguré en 1893) prévoyaient
une grande priorité pour la recherche, des normes d’admission élevées, une année
universitaire de neuf mois (tandis que les facultés de médecine indépendantes
n’enseignaient que sur cinq mois), un programme d’études de quatre ans mettant l’accent
sur l’enseignement de base et clinique, et des normes d’évaluation rigoureuses. En fait,
Osler n’a écrit son célèbre manuel de médecine (Textbook of Medicine) qu’après avoir
été embauché à la Hopkins, alors qu’il attendait l’ouverture de l’hôpital d’enseignement
et l’inscription de sa première classe d’étudiants en médecine. D’autres universités ont
rapidement compris la valeur de cette méthode pédagogique et ont engagé des diplômés
de Hopkins comme professeurs. En dix ans, plusieurs facultés de médecine privées de
renom (p. ex. Harvard) avaient reformulé leur propre programme d’études afin de suivre
le modèle de Hopkins (6).
Cependant, la majorité des plus de 450 facultés de médecine en Amérique du Nord n’ont
pas été affectées par les événements à Hopkins. La American Medical Association,
préoccupée par la qualité et les normes de l’éducation médicale aux États-Unis, a
contacté la Carnegie Foundation pour obtenir des fonds afin de mener une enquête auprès
de toutes les facultés de médecine nord-américaines. Abraham Flexner, un professeur qui
avait déjà mené une enquête sur l’enseignement dans les universités américaines, a été
choisi par la Fondation pour rédiger un rapport sur l’éducation médicale en Amérique du
Nord. Le célèbre Rapport Flexner a été publié en 1910. L’impact de ce rapport n’a pas
tardé. En dix ans, les écoles indépendantes avaient pratiquement disparues, laissant
environ 150 facultés universitaires de médecine, publiques et privées. De plus,
l’insistance de Flexner pour que l’éducation médicale ait de fortes racines scientifiques a
facilité la concentration de la plupart des sciences biomédicales dans les facultés de
médecine, créant ainsi de solides liens avec les industries qui dépendaient de ces
connaissances de base pour la création de nouveaux produits. Le transfert de
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connaissances du laboratoire au chevet du patient est devenu la norme pour la recherche
biomédicale dans les années 1920 (7).
Compte tenu de ces deux exemples, il semble évident que les médecins dans des
positions de leadership savaient qu’il fallait apporter des changements au processus de
l’éducation médicale, mais il fallait actionner des forces externes et obtenir du
financement afin de créer le contexte nécessaire pour faciliter ce changement. La vision
de l’éducation médicale créée à John Hopkins est devenue le critère par lequel toutes les
autres facultés de médecine furent jugées suite au Rapport Flexner, et elle demeure
inchangée 100 ans plus tard.
L’évolution de la science de la médecine
Au cours des années 1950, partout dans le monde industrialisé, l’accès aux fonds des
gouvernements fédéraux a permis d’assurer la croissance et l’importance des sciences
fondamentales dans les facultés de médecine. La culture de la recherche biomédicale a
été établie et la recherche est devenue l’un des piliers des facultés de médecine nord-
américaines. Hélas toutefois, à mesure que l’entreprise scientifique universitaire a pris de
la force, une séparation s’est formée entre la science de la médecine et la pratique de
la médecine. Avec l’arrivée de l’ère de la médecine génomique, cet écart devient encore
plus évident. Toutefois, l’épidémiologie a cherché à combler l’écart entre les principes de
la « compréhension de la maladie » et la « prévention de la maladie », ce qui a mené au
concept des facteurs de risque et à la possibilité de modifier le comportement afin de
prévenir la maladie.
L’évolution de l’art de la médecine
Les deux ou trois dernières décennies ont vu un changement majeur dans les attentes,
chez les patients, les médecins, les étudiants en médecine et les membres de l’équipe de
soignants. Les perceptions traditionnelles de la relation entre patients et soignants ont
évolué, mais la profession médicale ne s’est pas adaptée facilement à ces changements si
rapides. Cependant, l’« establishment » médical universitaire a accepté le principe d’un
contrat social avec la population desservie par la faculté de médecine et l’imputabilité
sociale est maintenant un aspect reconnu de la fonction d’une faculté de médecine. Bien
que les écoles de nursing aient toujours eu une majorité de femmes parmi leurs étudiants
et que les cours de pharmacie aient commencé à avoir une prédominance d’étudiantes
vers les années 1950, la féminisation des professions de la santé, y compris la médecine
(changement qui a débuté au cours des années 1970), est un événement évolutionnaire
qui n’a pas encore atteint son point culminant. Selon les observateurs, plus les femmes
seront nombreuses à entrer dans le domaine, plus les choses vont évoluer en médecine,
des conditions de travail allant jusqu’au choix des spécialités. Il est tout aussi intéressant
de se pencher sur les questions de savoir pourquoi les hommes ne trouvent plus les
professions de la santé attrayantes ou n’arrivent pas à satisfaire les normes requises pour
y être admis.
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