Les changements de structures juridiques et

publicité
Les changements de structures juridiques et financières affectent-elles la santé des
entreprises ?
Par
Essaid Tarbalouti
GREER, Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales
Université Caddi Ayyad, Marrakech
Les principales analyses de cette partie sont la raison du contrat d’entreprise et
les déterminants de sa disparition.
Coase [1937] rappelait qu’une entreprise tend à se développer lorsque les coûts
représentés par l’organisation et la coordination au sein de celle-ci sont inférieurs aux
coûts inhérents à l’exécution de la même transaction au moyen d’un échange sur le
marché ou aux coûts d’organisation au sein d’une autre entreprise. En revanche, lorsque
ces coûts sont supérieurs aux coûts du marché, l’entreprise n’a pas de raison de survivre.
Le chapitre 3 de cette partie est donc une analyse sur les raisons qui permettent
d’augmenter les gains et de réduire les coûts au sein de l’entreprise.
Ainsi, il est habituel de distinguer la spécialisation et l’économie d’échelle
comme deux caractéristiques essentielles dans l’augmentation des gains. Toutefois, ces
éléments ne sont pas sans coûts. Ceux-ci peuvent excéder les coûts du marché entraînant
ainsi la faillite de l’entreprise.
Les causes de l’augmentation de ces coûts (ce que nous verrons dans le chapitre
4), au terme de la loi de faillite sont d’ordre financier. Ainsi, une procédure collective
doit être ouverte à partir du moment où l’entreprise n’est plus en mesure de faire face à
son passif exigible avec son actif disponible. Par conséquent, si l’entreprise pouvait
avoir accès à des ressources financières suffisantes pour faire face à ses échéances, elle
ne serait pas en situation de faillite.
Toutefois, les difficultés financières ou plutôt l’augmentation des coûts au sein
de l’entreprise peuvent résulter de facteurs d’origines macro-économiques et microéconomiques.
Introduction
L’entreprise vit et meurt. Sa constitution comme sa disparition nécessite la
compréhension de sa nature. En effet, pendant longtemps l’entreprise était qualifiée de
«boîte noire». Les décisions prises en son sein étaient considérées comme prises par un
sujet unique ou un groupe unanime226. Depuis l’article célèbre de Coase, «The Nature of
the Firm», Coase [1937]) et à la suite des travaux d’Alchian et Demsetz [1972], on s’est
rendu compte de l’intérêt à traiter l’entreprise comme un contrat qui a pour but de faire
respecter les clauses contractuelles afin de procéder à une allocation des ressources et à
une coordination des décisions individuelles plus efficaces227.
Les économistes, Meckling et Jensen [1976] considèrent que ce contrat est un
lieu de coordination, de spécialisation des tâches. Il est également un lieu de séparation
de la propriété et du contrôle228, où les dirigeants non propriétaires exercent un pouvoir
de décision économique par délégation des propriétaires dont le but de maximiser les
gains à l’échange.
Cette coordination peut confronter des intérêts divergents qui ne vont pas
toujours agir au mieux des intérêts de l’entreprise. Ainsi, par exemple, lorsque les
dirigeants et les actionnaires sont des maximisateurs rationnels d’utilité, les dirigeants
ne vont pas agir dans l’intérêt de leurs mandants. Ceux-ci peuvent limiter les
divergences par rapport à leurs intérêts en investissant dans des coûts de prospection et
des coûts de contrôle des comportements des dirigeants (appelé coûts d’agence). Cet
investissement peut être coûteux.
Lorsque les gains de cette interaction sont supérieurs aux gains produits
séparément et aux coûts d’agence, ils continuent cette coopération. En revanche, lorsque
les gains résultant de cette interaction sont inférieurs aux coûts d’agence, les membres
de l’entreprise peuvent déclencher la dissolution de l’entreprise ou sa faillite.
Les gains au sein de l’entreprise peuvent provenir de la spécialisation des
activités, du rôle que joue la séparation de la propriété dans le contrôle de l’entreprise et
226
ALCHIAN A. A. et WOODWARD S. [1988], «The Firm Is Dead ; Long Live the Firm. A Review of
Oliver E. Williamson's The Economic Institutions of Capitalism», Journal of Economic Literature, vol.
26, n°1, Mars, pp 65-81 ; voir également COBBAUT R. [1994], «Théorie Financière», 3è Ed.,
Economica, pp 310.
227
COASE R. [1937], «The nature of the firm», Economica ; ALCHIAN A. A. et DEMSETZ H. [1972],
«Production, Information Costs, and Economic Organization», The American Economic Review, vol. 62,
pp 777-795 ; à cette conception s’oppose l’approche qui considère l’entreprise plus comme une institution
qu’un contrat. Voir GUYON Y. [1992], «Droit des affaires, Droit commercial général et sociétés», 7è
Edition, Economica, tome 1, pp 91.
228
La relation contractuelle dans laquelle une ou plusieurs personnes (les mandants) engagent une ou
plusieurs autres personnes (les mandataires) en vue de bénéficier pour leur compte d’une ou plusieurs
activités, dont l’exercice implique nécessairement qu’on leur délègue un pouvoir de décision. JENSEN
M. C. et MECKLING W. [1976], «Theory of the Firm : Managerial Behavior, Agency Costs and
Ownership Structure», Journal of Financial Economics, vol. 3, pp 305-360. Pour une revue de littérature
des différentes définitions d’entreprise, le lecteur peut se référer au livre de TIROLE J. [1993], «Théorie
de l’organisation industrielle», Tome I, Ed. Economica, pp. 31-123.
de l’affectation des ressources229. Simultanément, cette multiplicité des fonctions au
sein de l’entreprise engendre des coûts d’agence. Ces coûts peuvent provenir de
l’organisation et de la coordination de l’activité au sein de l’entreprise. Ces coûts
peuvent excéder les gains engendrant ainsi la disparition de l’entreprise.
Une interrogation se pose ainsi : comment le droit de faillite peut-il les réduire ?
Avant d’y répondre, nous pensons qu’il est judicieux de comprendre l’intérêt de
constituer une entreprise et comment la divergence d’intérêts entraîne des coûts
d’agence. Nous montrons ensuite comment le droit de faillite qui est propre au contrat
de l’entreprise peut réduire ces coûts.
Ainsi, l’article sera organisé de la manière suivante : la première section sera
consacrée à l’analyse du rôle des gains et des coûts de la spécialisation, de la
complémentarité dans la constitution de l’entreprise et de sa disparition. La deuxième
section s’intéresse au rôle de l’introduction de la dette dans la structure du capital dans
la réduction des coûts d’agence qui résultent de l’organisation de la production au sein
de l’entreprise et les coûts qu’elle génère. Enfin, la troisième section traitera le rôle du
droit de la faillite dans la réduction de ces coûts.
SECTION 1 - LE CONTRAT D’ENTREPRISE
Les raisons qui incitent les parties à constituer un contrat d’entreprise sont
multiples : les économies d’échelle ou d’envergure, la complémentarité des
compétences et la spécialisation des tâches. Toutes ces raisons peuvent inciter les
individus à coopérer afin d’économiser les coûts qu’ils auraient supportés s’ils avaient
décidé de créer une entreprise individuelle (§1). Toutefois, si les conséquences de ces
raisons sont bénéfiques pour la constitution de l’entreprise, elles engendrent des coûts
liés à la divergence d’intérêts et qui peuvent être réduits par le recours au droit de la
faillite (§2).
§1 - Economies d’échelle, spécialisation et complémentarité
Dans leurs travaux sur la nature de l’entreprise, Alchian et Demsetz [1972]
définissent l’entreprise comme une équipe composée de plusieurs individus de
compétences variées. Sa constitution est fondée sur les gains de la production en
équipe230.
229
POSNER R. A. [1986], assimile la dette à la responsabilité limitée. Il considère que la dette constitue
un composant primordial de l’entreprise sinon la responsabilité limitée n’aurait aucun intérêt.
230
ALCHIAN A. et DEMSETZ H. [1972], «Production, Information Costs and Economic Organization»,
The American Economic Review, vol. 62, pp 777 à 779 (777-795) ; voir également LEHN K. [1982],
«Property Rights, Risk Sharing, and Player Disability in Major League Baseball», The Journal of Law
and Economics, vol. 25, Octobre, pp 343-344 (343-366) ; DE ALESSI L. [1983], «Property Rights,
Transaction Costs, and X-Efficiency : An Essay in Economic Theory», The American Economic Review,
vol. 73, n° 1, pp 64-65 (64-79), sur le rôle des coûts de transaction et des droits de propriété sur la
maximisation de la richesse.
En ce sens, l’entreprise est constituée lorsque les gains au sein de cette entité
sont supérieurs aux gains de la production individuelle. Ces gains sont le produit de la
division de travail et de la complémentarité des facteurs de production231.
La division du travail constitue un moyen qui permet de produire plus en équipe
ou dans une entreprise qu’individuellement. L’entreprise est souvent conditionnée par la
spécialisation des tâches. L’individu se spécialise dans une fonction de production
lorsqu’il a un avantage comparatif, c’est-à-dire lorsque le prix du produit sur le marché
est supérieur au coût d’opportunité232.
D’une manière générale, lorsque l’ensemble des individus au sein de l’entreprise
ont chacun un avantage comparatif absolu dans une fonction précise de production de
l’entreprise, celle-ci a de forte chance d’avoir des possibilités de production supérieures
à la production du même produit par un individu non spécialisé. Pour illustrer cette
analyse, supposons que si un patron spécialiste dans la commercialisation du produit
consacre tout son temps à la gestion administrative, alors qu’il devrait se consacrer à la
commercialisation du produit en raison de son avantage comparatif, la perte est telle que
l’entreprise vend moins de produits et fournit moins d’efficacité dans la gestion
administrative.
Toutefois, si la spécialisation constitue un élément déterminant dans la
constitution de l’entreprise, la complémentarité des facteurs de production et le savoir
spécifique de l’entreprise paraissent également un élément explicatif de la constitution
de l’entreprise. En effet, la complémentarité des facteurs de production est réalisée
lorsque les gains de ces facteurs de production au sein de l’entreprise sont supérieurs
aux gains de ces mêmes facteurs pris séparément. Cette complémentarité dépend des
facteurs de production et du résultat de la coopération.
Toutefois, si la coordination entre l’ensemble des facteurs de production permet
de produire plus que la production séparée de ceux-ci, l’équipe sera la forme
d’entreprise qui permettra de profiter des gains de la complémentarité.
A long terme et avec la combinaison de ces facteurs de production, l’entreprise
observe un rendement croissant au cours du temps et trouve peu à peu des tâches qui
leur conviennent le mieux. Cette spécialisation crée un savoir faire spécifique à
l’entreprise et augmente sa valeur233.
Ainsi, si les gains de la spécialisation et de la complémentarité constituent un
mécanisme incitatif pour un ensemble d’individus à constituer une entreprise, les coûts
d’organisation, d’opportunisme et d’entente paraissent être un obstacle qui peut peser
lourdement sur la création de l’entreprise ou sa continuation234.
231
JENSEN M. C. et FAMA E. F. [1983], «Agency Problems And Residual Claims», The Journal of Law
and Economics, vol. 26, Juin, pp 345 (327-349) ; KLEIN P. G. [1996], «Economic calculation and the
limits of organisation», The Review of Austrian Economics, vol. 9, n°2, pp 3-28
232
FAMA E. F. [1980], «Agency Problems And The Theory of The Firm», The Journal of Political
Economy, vol. 88, n°2, pp 290 à 292 (288-307).
233
PRESCOTT et VISSCHER [1980], «Organization Capital», The Journal of Political Economy, 88, pp
446-461.
234
WILLIAMSON O. E. [1984], «Corporate Governance», The Yale Law Journal, vol. 93, pp 1200 à
§2 - Les coûts de l’entreprise
Coase [1937] considère que la principale raison pour laquelle il est rentable de
constituer une entreprise réside dans le fait qu’il est coûteux d’utiliser le mécanisme des
prix pour coordonner les facteurs de production235. Toutefois, si une entreprise permet
d’économiser des coûts de transaction, elle affronte en revanche des coûts
d’organisation interne. Ces coûts peuvent excéder les gains de l’entreprise. Ces coûts
peuvent être résumés comme suit : les coûts de prospection et d’information, les coûts
d’opportunisme236.
Les premiers concernent les coûts qui résultent de l’incompatibilité des compétences en
raison de l’asymétrie d’information. Quant aux coûts opportunistes, il s’agit du
comportement caché de l’individu au sein de l’entreprise durant la vie de celle-ci.
A - Les coûts de prospection
L’entreprise constitue donc un arrangement contractuel fondé sur une relation de
coordination, de dépendance, de contrôle, de pouvoirs et de devoirs 237. Le but de cette
coordination est la maximisation des gains à l’échange qui résulte de la division du
travail et de la complémentarité des facteurs de production. Toutefois, l’allocation des
rôles au sein de l’entreprise dépend des préférences des individus et de leurs
compétences vis-à-vis des différentes fonctions de l’entreprise.
En absence de coûts de transaction, le choix des individus pour les fonctions
correspondantes n’est pas coûteux et la décision de spécialisation au sein de l’entreprise
est indépendante de la décision de consommation. En revanche, en présence de coûts de
transaction positifs, la division du travail et le choix des individus pour des fonctions
spécifiques peuvent engendrer une divergence d’intérêts entre les membres de
l’entreprise quant aux objectifs et aux efforts fournis. Cela conduira à une
incompatibilité de préférences et à la création de conflits. Ce qui bien sûr réduira les
gains de l’entreprise238.
1213 (1197-1232)
235
ALCHIAN A. A. et WOODWARD S. [1988], «The Firm Is Dead ; Long Live the Firm. A Review of
Oliver E. Williamson's The Economic Institutions of Capitalism», Op. Cit.
236
WILLIAMSON, GROSSMAN S. J. et HART O. D. [1981], «Implicit Contract, Moral Hazard, and
Unemployment», Review of Economic Studies, vol. 71, n°2, Mai, pp 301-307 ; GROSSMAN S. J. et
HART O. D.[1986], «The Costs and Benefits of Ownership : A Theory of Vertical and Lateral
Integration», The Journal of Political Economy, vol. 94, n°4, pp 691-719
237
COASE R. [1937], The nature of the firm, p 140 ; voir également DEMSETZ H. et LEHN
KENNETH. [1985], «The Structure of Corporate Ownership : Causes and Consequences», The Journal of
Political Economy, vol. 93, n°6, Décembre, pp 1155-1177
238
Pour une vision assez complète de l’incertitude et du moral hasard dans la littérature économique, on
pourra se reporter aux articles de GROSSMAN S. J. and HART O. D. [1982], «Implicit Contract, Moral
Hazard, and Unemployment», Quartely Journal of Economic Review, vol.71, pp 301-307. BENGT
HOLMOSTROM [1981], «Contractual Models of Labor Market», Review of Economic Studies Vol.71,
n°2, pp 308-313. HART O. D. [1983], «Optimal labour Contract Under Asymetric Information : an
Introduction», Review of Economics Studies, pp 3-35. RIORDAN M. H. [1984], «Uncertainty, Asymetric
Information and Bilateral Contracts», Review of Economic Studies , pp 83-93 ; AZARIADIS C. [1975],
«Implicit Contracts and Underemployment Equilibria», Journal of Political and Economic, vol.83, pp
1183-1202, qui montrent les conditions d’optimalité du contrat en présence de l’incertitude et du moral
En absence de droit ou de règles qui régissent les échanges et qui font respecter
les engagements conclus entre les parties, l’une d’elles supporte les coûts de prospection
ou les pertes des gains attendus dus à la défection des tâches accomplies par l’une des
parties en raison de l’incompatibilité des compétences ou de l’opportunisme. En ce sens,
la partie potentiellement déficiente, ex-post, sera indifférente au choix de la fonction en
raison des coûts faibles qu’elle supporte tandis que la partie principale sera incitée à
investir dans des coûts de prospection afin de coordonner et de rendre compatible les
différentes fonctions de l’entreprise239.
Cette analyse peut s’illustrer par l’exemple célèbre d’Akerlof [1970]240
concernant le marché des voitures d’occasion qui peut être parfaitement assimilé au
marché du travail ou à la relation au sein de l’entreprise. En effet, il est bien connu que
ce marché comporte des vendeurs honnêtes, qui proposent des voitures (services) en état
de marche satisfaisant, et des intermédiaires beaucoup moins scrupuleux qui mettent en
vente des voitures qui ne manqueront pas de s’avérer des «nids à problèmes» pour leur
acquéreur.
On suppose que les revendeurs sont classés en deux catégories : les «bons» et les
«mauvais». Les candidats acquéreurs, quant à eux dépourvus de compétences
techniques, sont incapables d’apprécier l’état d’une voiture et de discriminer entre les
«bons» et «mauvais» revendeurs. Ils se trouvent dans ce que l’on appelle une situation
de risque moral. Si les candidats acheteurs sont absolument incapables de distinguer les
bonnes occasions des mauvaises, il s’établira un prix unique d’équilibre pour toutes les
voitures d’occasion correspondant au prix moyen des mauvaises voitures. Ceci ne
satisfera ni les acheteurs, ni les bons revendeurs et pourra conduire à la disparition du
marché.
En présence de ce risque, les bons revendeurs peuvent choisir de signaler aux
candidats acheteurs les bonnes des mauvaises occasions en adoptant une activité qui
permettra de faire la différence et empêchera toute imitation chez les mauvais
revendeurs.
Toutefois, un signal adéquat est coûteux, et d’autant plus coûteux que la qualité
de la voiture est plus basse, et ne peut résulter en un transfert de gain d’informations à
l’acheteur. Il consistera par exemple en une garantie qui permet de séparer les bonnes
voitures des mauvaises. Une autre solution possible, dans laquelle le coût peut, cette
fois, être assumé par l’acheteur, est de recourir aux services d’un expert qui émettra un
avis sur la qualité de la voiture.
Les coûts des relations au sein de l’entreprise sont souvent similaires à ce type
de coûts. L’entreprise ne connaissant pas son partenaire peut courir un risque
d’asymétrie d’information. Pour prévenir contre ces coûts, l’entreprise investit dans la
hasard.
239
Pour une discussion sur les raisons de la conclusion des règles ex-ante et qui devraient régir les
échanges ex-post, voir TIROLE J. [1993], «Théorie de l’organisation industrielle», Tome I, Op. Cit., pp
44, 47 et 48.
240
AKERLOF G. A. [1970], «The Market For ''Lemons'' : Quality Uncertainty and The Market
Mechanism», The Quarterly Journal of Economics, vol. 84, Août, pp 489 à 490 (488-500).
prospection. Ces coûts de prospection peuvent être les services des cabinets de
recrutement dans le cadre d’embauche de ses salariés. Ils peuvent également être les
services des cabinets de conseil dans leurs relations avec ses fournisseurs.
B - Le risque moral
Les relations à long terme (entreprise) qui permettent de profiter de la
spécialisation et de la complémentarité des facteurs de production sont souvent
associées à des investissements spécifiques241. En effet, ceux-ci sont le produit de cette
combinaison de facteurs de production. Ils augmentent la valeur de l’entreprise mais
disparaissent avec celle-ci242.
Toutefois, la spécificité des investissements incite souvent la partie qui détient le
monopole à s’approprier le surplus commun ex-post, mettant en danger le gain ex-post
de l’autre partie243. Ainsi, par exemple, lorsqu’un salarié occupe une fonction spécifique
dans une entreprise pendant un certain temps, il acquiert un investissement spécifique
qui permet l’augmentation de la production et donc des gains de l’entrepreneur et du
salarié. Toutefois, lorsque ce salarié est licencié pour une raison ou une autre, la valeur
de cet investissement spécifique devient nulle ou faible en raison même de la spécificité
de l’investissement. Le salarié se trouve avec un revenu inférieur à celui du marché244.
Ainsi, au sein de l’entreprise et en absence de règles qui régissent les échanges,
chaque partie veut s’approprier le surplus commun ex-post, mettant en péril l’allocation
des ressources ex-post et le niveau d’investissements spécifiques ex-ante.
Ce risque augmente la méfiance et les coûts pour la partie perdante. Les
contractants futurs, quant à eux, ne rentrent dans une relation contractuelle ou
n’investissent dans un investissement spécifique que si le coût de cet investissement est
inférieur au gain attendu.
Par conséquent, si la création et la disparition de l’entreprise sont conditionnées
par les gains de la spécialisation, de la complémentarité et les coûts d’agence, la dette
qui est composant de l’entreprise et élément déterminant dans la création de
l’entreprise245, joue également un rôle déterminant dans la saisie des opportunités des
projets. Cependant, cette création d’entreprise n’est pas sans coûts.
241
Par investissement spécifique, nous signifions à la fois les investissements dont les caractéristiques
sont propres à l’entreprise, les investissements liés à la proximité de l’échange «spécificité de site», et les
investissements spécifiques en capital humain : ancienneté, expérience.
242
GROSSMAN S. J. et HART O. D. [1981], «Implicit Contract, Moral Hazard, and Unemployment»,
Review of Economic Studies, vol. 71, n°2, Mai, pp 303 (301-307) ; RIORDAN M. H. [1984],
«Uncertainty, Asymmetric Information and Bilateral Contracts», Review of Economic Studies, vol. 51, pp
83-93; TIROLE J., «The Theory of Industriel Organization», MIT Press Op. cit. p 44
243
COHEN L. [1987], «Marriage, Divorce, and Quasi Rents; Or, '' I Gave Him the Best Years of My
Life''», Journal of Legal Studies, vol. 16, Juin, pp 271, 278 et 279 (267-304).
244
Souvent les salariés âgés qui ont été licenciés ont du mal à trouver du travail avec un salaire
correspondant à leur emploi initial. En ce sens, le revenu du salarié est inférieur au revenu du marché
après le licenciement.
245
Le recours à l’endettement peut être utilisé comme un mécanisme du partage du risque. Il permet aux
dirigeants-propriétaires de substituer un investissement moins risqué par un investissement risqué dont le
rendement en cas de réussite est élevé et faible en cas d’échec.
SECTION II - LA STRUCTURE DU CAPITAL
La littérature sur la raison de la dette dans la structure du capital a trouvé son
fondement dans l’article de Modigliani et Miller [1958]246, qui a donné naissance à une
série d’articles distincts. Mais elle a incontestablement trouvé une autre dimension avec
la publication de l’article de Meckling et Jensen [1976], relative à la théorie d’agence247.
Ainsi, si la dette constitue un instrument de financement pour les entreprises qui offrent
à ses propriétaires des opportunités de profit considérables, elle traduit en même temps
une augmentation prévisible dans les rendements futurs et un risque important en
présence de faillite248. Elle permet aussi de minimiser les inefficacités liées à la présence
des coûts d’agence249.
Ces opportunités de profits peuvent être matérielles. Elles vont du financement
d’un projet qui procure un rendement plus élevé que celui du marché, au contrôle de
l’entreprise ou du signal qui fournit une information précise sur l’entreprise. Ces
avantages sont le résultat de l’introduction de la dette dans la structure du capital. Ils
peuvent être produits en absence de la dette, mais les coûts qu’ils génèrent semblent
prohibitifs de telle sorte que les avantages produits en absence de la dette n’excèdent
pas les coûts250.
Par conséquent, la différence entre les gains et les coûts en présence et en
absence de la dette permet de comprendre la nature de celle-ci. Toutefois, si
l’introduction de la dette procure des avantages251, elle génère également un coût lié au
246
MODIGLIANI et MILLER [1958], «The Cost of Capital, Corporation Finance and The Theory of
Investment», American Economic Review, vol. 48, n°3, pp 268-269 (261-297).
247
JENSEN M. and Meckling G. William [1976], «Theory of the Firm : Managerial Behavior, Agency
Costs, and Capital Structure», Op. Cit.
248
MODIGLIANI F. and MILLER M. H. [1958], «The Cost of Capital, Corporation Finance and The
Theory of Investment», American Economic Review, vol. 48,. n°3, pp 268-269 (261-297). Ces auteurs
considèrent que la dette n’a pas d’impact sur la richesse de l’entreprise en présence d’un marché parfait.
D’autres auteurs ont insisté sur l’invalidité de la neutralité en présence de risque de faillite. Parmi les
travaux les plus importants, STIGLITZ J. E. [1974], «On the Irrelevance of Corporate Financial Policy»,
American Economic Review, vol.64, pp 856 (851-866) ; HIGGINS R. C. and LAWRENCE D. [1975],
«Corporate Bankruptcy and Conglomerate Merger», The Journal of Finance, vol.30, n°1, pp 96 (94-113)
; JENSEN M. and MECKLING G. WILLIAM [1976], «Theory of the Firm : Managerial Behavior,
Agency Costs, and Capital Structure», Journal of Financial Economics, vol. 3, pp 305-360.
249
Pour une vision assez complète du rôle de la dette sur les coûts de transaction dans la littérature de
finance, on pourra se reporter au survey de HARRIS M. and RAVIV A. [1991], «The Theory of Capital
Structure», The Journal of Finance, vol. 46, n°1, pp (297-355) et de l’article de JENSEN M. and
MECKLING WILLIAM [1976], Op. Cit.
250
MARTEL J. [1996], «Solution au Stress Financier : un Survol de la littérature», L’actualité
Economique, Revue d’Analyse Economique, vol. 72, n°1, pp 56 (51-78) ; JENSEN M. and MECKLING
W. [1976], Op. Cit.,
251
MYERS S. C. [1984], «The Capital Structure Puzzle», The Journal of Finance, vol. 39, n°3, Juillet, pp
575 (575-591) ; HARRIS M. et RAVIV A. [1990], «Capital Structure And The Informational Role of
Debt», The Journal of Finance, vol.45, n°2, Juin, pp 321-349 ; ces auteurs considèrent que le changement
de la structure du capital permet de transmettre l’information aux investisseurs. Harris et Raviv montrent
que la dette permet de discipliner les dirigeants parce que la faillite fournit aux créanciers un moyen pour
forcer l’entreprise en liquidation et génère ainsi une information pleinement utile pour les investisseurs.
risque moral et à l’asymétrie d’information. Le rôle du droit de la faillite est de le
réduire.
§1 - L’intérêt de la dette
Posner [1986], dans son livre intitulé «Economic Analysis of Law», définit
l’entreprise comme une méthode qui permet de résoudre les problèmes de
l’augmentation du capital. Il considère que la forme de l’entreprise permet aux
investisseurs d’investir des capitaux à risque variés, de réduire leur risque à travers la
diversification et de liquider leur investissement à un coût faible252. En ce sens,
l’entreprise s’apparente au marché boursier où les investisseurs investissent en fonction
de leur richesse253.
Les raisons de la composition mixte de capitaux dans l’entreprise (fonds propres
et dettes) sont multiples. On distingue généralement cinq raisons principales au recours
à l’endettement254.
A - Le rôle du niveau d’endettement sur la réduction du risque moral
De nombreuses études ont été effectuées sur le rôle de la dette dans
l’entreprise255. L’une d’elles, réalisée par Ross [1977], a analysé le rôle de la dette sur le
risque moral256. Cette étude vise à rendre compte, dans un marché parfait composé
d’individus indifférents au risque et d’horizon temporel limité à une période, de
l’impact du facteur endogène (la décision de la politique d’endettement) dans la
réduction du risque moral.
Pour montrer le rôle de l’endettement, l’auteur considère deux catégories
d’entreprises : les entreprises de type A (performantes) dont le profit est a, et les
entreprises de type B (non performantes) dont le profit est b, avec :
a>b
(1)
Les valeurs du temps initial sont :
V0A 
a
1  Rf
(2a)
V0B 
b
 V0A
1  Rf
(2b)
Si l’on suppose que les individus sont incapables de distinguer les entreprises A
des entreprises B, mais savent seulement qu’une proportion p des entreprises sont de
type A au temps t 0 , toutes les entreprises auront la même valeur :
252
POSNER R. A., [1986], «Economic Analysis of Law», 3d. Ed., Chapitre 14 : Corporations (With
Glance At Lending and Bankruptcy), pp 369-370
253
POSNER considère que cette diversification du capital s’apparente à la responsabilité limitée dans la
mesure où la responsabilité des actionnaires pour les dettes de l’entreprise est limitée à la valeur de leurs
parts.
254
HARRIS M. et RAVIV A., [1991], «The Theory of Capital Structure», Op. Cit.
255
La discussion suivante s’inspire, en particulier, de COBBAUT R. [1994], «Théorie Financière»,Op.
Cit.
256
ROSS S. A. [1978], «Some Notes on Financial Incentive- Signalling Models, Activity Choice and
Risk Preferences», The Journal of Finance, vol. 33, n°3, Juin, pp 777-794
V0 
pa  (1  p)b
1  Rf
(3)
avec :
V0A  V0  V0B
(4)
Dans les termes où le problème a été posé jusqu’à présent, il n’y aurait aucun
intérêt pour qu’une entreprise donnée se livre à des actions quelconques. Toutefois, le
problème naît du risque moral, c’est-à-dire lorsque l’entreprise de type B peut donner
des informations fausses sans que les individus puissent en distinguer avec certitude
l’inexactitude. Dans ce cadre, les individus se trouvent dans la situation décrite par
l’équation (3).
Ainsi, lorsqu’il existe une activité X A , par exemple une structure financière qui
confère à l’entreprise qui l’adopte une valeur V0 ( X A )  V0 , les opérateurs seront incités
à acheter des entreprises de type B pour V0 ( X B ) et de se refinancer en adoptant une
activité X A , réalisant par là un profit d’arbitrage égal à (V0 ( X A )  V0 ( X B )).
Pour se prémunir contre ce comportement, les dirigeants de l’entreprise de type
A (supposés être rationnels, capables d’identifier sans erreur le type auquel appartient
l’entreprise) incités par un système d’intéressement du type :
V1

M  (1  R f ) 0V0  
V  L
1

si
V1  D
V1  D
où :  0 ,  1 , sont des facteurs de pondération positifs,
D est la valeur nominale de la dette,
L est la pénalité imposée aux dirigeants si l’entreprise tombe en faillite,
déterminent le niveau d’endettement critique, c’est-à-dire celui au delà duquel le marché
va permettre de distinguer l’entreprise qui est de type A de celle de type B. La
détermination de ce niveau d’endettement est constituée par le montant de la dette, soit :
b  D *. Les entreprises de type B choisissent le niveau d’endettement D*, tandis que
les entreprises de type A, à valeur élevée, choisissent une proportion de dette plus
grande (D > D*), afin d’éviter toutes incitations d’une entreprise de faible valeur de
l’imiter257.
Si les dirigeants jouent un rôle primordial dans la réduction du risque moral par
257
ROSS S. [1978], «Some Notes Financial Incentive-Signalling Models, Activity Choice and Risk
Preferences», The Journal of Finance, vol.33, n° 3, pp 777-792
la détermination du niveau de l’endettement, il semble que ces derniers pourraient avoir
intérêt à émettre des signaux fallacieux entraînant des coûts qui peuvent excéder les
gains de l’endettement. (nous reviendrons sur ce point dans le sous paragraphe D)
B - La dette et l’aversion au risque
La diversification et la signalisation du risque sont les deux arguments qui ont
été avancés pour justifier la présence de la dette dans l’entreprise. Le premier argument
permet d’inciter ceux qui ont une aversion pour le risque à participer à l’activité de
l’entreprise, alors que le deuxième argument permet de signaler là où le risque est
important.
a) La diversification du risque
La présence de la dette dans une structure de capital permet de fournir un panier varié
de risque et de rendement pour satisfaire les préférences des investisseurs258. La
présence de plusieurs propriétaires au sein de l’entreprise engendre une répartition
inégale de préférence pour le risque. Chaque investisseur choisit le type d’actifs en
fonction de ses préférences pour le risque. Ainsi, on peut distinguer dans cette structure,
d’un côté, celui qui a une aversion pour le risque et qui loue son argent moyennant une
rémunération fixe ; de l’autre, celui que nous appelons propriétaire (actionnaire) qui voit
ses rendements et ses risques supérieurs au premier puisqu’il supporte le risque de
faillite et est responsable de la coordination des compétences spécialisées des différents
acteurs nécessaires à la production. Cette différence dans les gains et les risques
correspond simplement aux capacités des uns et des autres à supporter le coût du risque,
de percevoir les opportunités de profit, et de se spécialiser dans les prises de décision.
Cette attribution des rôles fait de l’entrepreneur un preneur de risque et du créancier un
financier de ce risque.
Cet outil qui permet la diversification du risque sert à augmenter la richesse de
l’entreprise259 puisque la diversification du capital facilite l’accumulation du capital, en
raison de l’incitation des individus qui ont une aversion pour le risque à investir dans
l’entreprise260, et permet des économies d’échelle261. D’où l’intérêt de la diversification
du capital262.
258
POSNER R. A. [1986], «Economics Analysis of Law», 3è Edition, Little Brown Company, Ch. 14, p
374
259
POSNER R A. [1976], «The Rights of Creditors of Affiliated Corporations», The University of
Chicago Law Review, vol. 43, pp 501à 509 (499-526). Il considère que l’objectif ultime du processus de
crédit est de minimiser le coût social du capital à travers une allocation des coûts complexe qui inclut la
préférence pour le risque entre le créancier et l’emprunteur. Il constate que le risque peut être supporté par
les créanciers à moindre coût puisqu’ils sont dans une meilleure position pour estimer le risque de faillite.
Il considère que toute règle différente à la règle de la décharge fera supporter à la collectivité un coût
social important.
260
POSNER R. A. [1976], Op. Cit., pp 501 et 502
261
MANNE [1967], «Our Tow Corporation Systems : Law and Economics», Vanderbilt Law Review, p
1967. Il considère que sans la responsabilité limitée des petits porteurs de capitaux, les sociétés qui font
appel à l’épargne publique n’auraient pas existé.
262
Pour une analyse complète voir FAMA E. F. [1980], «Agency Problems and the Theory of the Firm»,
Journal of Political Economy, vol. 88, n° 2, pp 288-307
b) La signalisation du risque
La raison pour laquelle Leland et Pyle [1977] considèrent que la dette joue un rôle
déterminant dans la signalisation du risque est fondée sur l’aversion au risque des
dirigeants. En effet, selon ces auteurs, la qualité d’une entreprise est signalée par la
fraction du capital dans l’entreprise que détiennent ses dirigeants.
Cette valeur d’entreprise est fonction croissante de la part qu’ils détiennent dans
l’actif de l’entreprise : plus la part qu’ils détiennent est importante dans une entreprise,
plus la valeur de l’entreprise est grande263. Cette détention de fonds propres que les
dirigeants détiennent constitue un signal sur la qualité de l’entreprise puisque plus cette
détention est importante, plus l’entreprise révèle une information positive sur sa
santé264.
Il en résulte, selon ces auteurs, que lorsque les fonds propres détenus par les
dirigeants sont importants, l’entreprise attirera une clientèle large et aura une capacité
d’endettement plus importante lorsque l’entreprise fait appel à l’épargne publique.
C - L’interdépendance entre les décisions d’investissement et de financement
Modigliani et Miller [1958] ont formulé l’interdépendance entre la décision
d’investissement et de financement. Myers et Majluf [1984] ont été les premiers à
introduire ces considérations dans un modèle de signalisation, dans lequel ils
considèrent que les propriétaires ont une parfaite estimation de la vrai valeur future de
l’entreprise265.
En effet, les actionnaires de la firme possèdent une information privée quant à la
valeur de l’entreprise. Lorsque l’investissement est de meilleure qualité, les
propriétaires vont recourir à leurs fonds propres. En revanche, lorsque l’investissement
est mauvais, ceux-ci vont émettre des émissions obligataires.
Cette émission est interprétée comme une surévaluation de la richesse de
l’entreprise et également comme un mauvais signal sur le marché.
Il s’ensuit, selon Myers [1984], que les individus suivent un «ordre de préférence dans
le choix des sources de financement» pour financer leurs investissements. Ils utilisent
les fonds propres (l’autofinancement : les liquidités disponibles) lorsque
l’investissement est bon ; la dette lorsque le projet est moins bon et enfin l’augmentation
de capital.
En ce qui concerne l’impact négatif de l’introduction de l’émission des actions et
de la dette, les très nombreuses recherches portant sur les effets d'émission des actions
n’ont pas abouti à des conclusions similaires. Ainsi, d’une part, Brennan et Kraus
263
LELAND H. E. and PYLE D. H. [1977], «Information Asymetrics, Financial Structure, and Financial
Intermediation», Journal of Finance, 44, pp. 371-787, cité par Martel Op. Cit. p 55 ; HARRIS et RAVIV
[1991], Op. Cit. p 311 et par COBBAUT R. [1994], «Théorie Financière», Ed. Economica, pp 308 à 310.
264
BUCKLEY F. H. [1986], «The Bankruptcy Priority Puzzle», Virginia Law Review, vol. 72, n°8,
Novembre, pp 1421 à 1426 (1393-1470)
265
MYERS S. C. et MAJLUF S. [1984], «Corporate Financing and Investment Decisions when Firms
Have Information that Investors do not Have», Journal of Financial Economics, vol. 13, juin
[1987], Constantinides et Grundy [1989], ont élaboré des modèles menant à des règles
de décision incompatibles avec la théorie de l’ordre de préférence dans le choix des
sources de financement. Ils démontrent que l’effet de l’émission des actions décrit par
Myers et Majluf n’est pas toujours négatif266. Il s’ensuit selon Constantinides et Grundy
[1989], que lorsque cette émission a pour objet d’acheter la dette et de financer les
projets, elle n’est pas considérée comme un signal négatif. Elle ne l’est que si on
n’utilise pas une partie du produit de l’émission pour racheter de la dette267.
D - La dette et les coûts de contrôle.
La présence de la dette dans la structure du capital est l’un des mécanismes qui
permet de réduire les coûts d’agence liés à la complémentarité et à la spécialisation des
activités268. Ces coûts peuvent être des coûts de contrôle des comportements
opportunistes au sein de l’entreprise. Ces coûts sont fonction croissante de la
participation matérielle et immatérielle de l’individu au sein de l’entreprise. Ils sont
importants lorsque la part de la participation de l’individu dans l’entreprise est
importante et inversement.
Il s’ensuit qu’un accroissement de l’endettement permet de réduire la part du
propriétaire, dont la participation au capital avant la dette est importante, et de réduire
son coût de contrôle au sein de l’entreprise. Simultanément, cette augmentation de dette
permet d’augmenter les coûts de contrôle des créanciers.
Les conséquences de cette diversification de contrôle au sein de l’entreprise sont
qu’elle permet de discipliner les dirigeants de l’entreprise et de réduire les
comportements opportunistes. En effet, lorsqu’il y a diversification du capital au sein de
l’entreprise, les créanciers qui contrôlent détiennent une information sur la gestion de
l’entreprise qu’ils révèlent aux actionnaires de l’entreprise à travers des procédures
courantes (baisse de commandes, conflits sociaux)269. Ainsi, pour chaque changement
de comportement des créanciers, on verra s’établir un prix d’équilibre différent qui
reflète la réalité de l’entreprise.
Les actionnaires qui contrôlent de moins en moins leur entreprise s’apercevront
de la relation qui existe entre ces informations et la valeur de l’entreprise. Dès lors,
chaque actionnaire pourra inférer à la valeur de l’entreprise pour en tirer les conclusions
266
BRENNAN M. et KRAUS A.[1987], «Efficient Financing Under Asymetric Information», The
Journal of Finance, vol 42, n°5, Décembre, pp 1225-1243
267
MYERS S. C. [1984], « The Capital Structure Puzzle», The Journal of Finance, vol. 3, pp. 587 (575592) ; MAYERS S. C. and MAJLUF [1984], «Corporate Financing and Investment Decisions When
Firms Have Information That Investors Do Not Have.», The Journal of Financial Economics, 13, pp 187221. A cette approche s’oppose celle de la dette comme un signal positif en présence d’asymétrie
d’information. Parmi les partisans de cette thèse, BRENNAN M. and KRAUSS A. [1987], «Efficient
Financing under Asymetric Information», The Journal of Finance, vol. 42, n°5, pp 1225-1243 ;
CONSTANTINTINIDES C. M. and GRUNDY B. D. [1989], «Optimal Investment with Stock repurchase
and financing as signals», The Review of Financial Studies, 2, pp 445-466
268
BUCKLEY F. H. [1986], «The Bankruptcy Priority Puzzle», Virginia Law Review, vol. 72, n°8,
Novembre, pp 1426 à 1431 (1393-1470)
269
La baisse des promesses des contrats futurs, les garanties juridiques croissantes... sont des signes qui
révèlent les difficultés de l’entreprise et qui signalent la valeur de l’entreprise.
suivantes : soit en licenciant les dirigeants, soit en l’incitant à fournir plus d’efforts.
Un autre avantage de la dette est que les dirigeants ont tendance à préconiser la
poursuite de l’activité de l’entreprise même s’il est dans l’intérêt des investisseurs que
l’entreprise soit mise en liquidation judiciaire270. Afin de prévenir les coûts de ce
conflit, l’endettement apparaît comme une solution qui permet aux actionnaires de
provoquer la faillite et de prendre une décision de liquidation malgré les réticences des
dirigeants de l’entreprise271.
Ainsi, la présence de la dette au sein de l’entreprise est essentielle pour pallier
aux problèmes liés à l’aversion au risque, et pour profiter des gains de la diversification
du capital. En effet, en présence de divergence dans les préférences pour le risque, le
recours à la dette est plus profitable qu’en son absence. Lorsque l’entreprise contient
une dette, les dirigeants maximisent le bien être des investisseurs en investissant dans
des projets qui procurent une espérance de gain élevée.
Toutefois, les gains de cette diversification du capital peuvent être
contrebalancés par les coûts de la maximisation d’utilité des dirigeants. Ces coûts seront
minimes quand les dirigeants - investisseurs se soucieront de la maximisation des
propriétaires de l’entreprise. Ils seront substantiels lorsqu’ils chercheront à maximiser
leur utilité.
§2 - Les coûts de la dette
L’existence de la dette au sein de l’entreprise constitue une source parmi
d’autres nécessaire à la production. La coopération entre les détenteurs de ces
différentes ressources permet de réduire les coûts d’agence liés à la division du travail.
Toutefois, cette combinaison de facteurs de production peut engendrer un coût élevé
aux propriétaires ou aux créanciers. Ce coût peut correspondre à une substitution
d’actifs par les dirigeants aux dépens des actionnaires ou à un sous investissement de la
part des actionnaires.
A - Le sous investissement
Ce coût peut s’expliquer par les comportements des actionnaires-dirigeants en
matière de prise de décision d’investissement lorsqu’ils sont en présence des projets à
rendement variable dans le temps. En effet, les actionnaires de l’entreprise cherchent à
maximiser leur utilité272. Pour cela, ils disposent de la valeur de l’entreprise qui est
composée de la valeur de capitalisation des revenus des actifs déjà en place V0 et de la
valeur actuelle des revenus attendus de la réalisation d’activités nouvelles VG . La
valeur de ces dernières peut être considérée comme la valeur d’options que l’entreprise
peut ne pas lever si elle n’y a pas intérêt.
270
ACKERMAN S. R. [1991], «Risk Taking and Ruin : Bankruptcy and Investment Choice» , Journal of
Legal Studies, vol. 20, Juin, pp 277-311
271
HARRIS M. et RAVIV A. [1991], «The Theory of Capital Structure», The Journal of Finance, vol.
46, n°1, Mars, pp 297-355
272
BUCKLEY F. H. [1986], «The Bankruptcy Priority Puzzle», Virginia Law Review, vol. 72, n°8,
Novembre, pp 1418 (1393-1470)
Lorsque l’entreprise est endettée et si l’échéance de la dette est postérieure à la
date où la décision d’investir doit être prise, les actionnaires ne prendront cette décision
que si les opportunités de profit ( o ) à ce moment sont telles que la valeur actuelle nette
du projet (P) est de ( Vo  P ) . Cette valeur est supérieure à la valeur actuelle du montant
à rembourser aux créanciers ( D0 ). Si ( Vo  P )  D0 , les actionnaires renonceront à
entreprendre le projet bien que sa valeur actuelle nette soit positive. Leur créance
n’étant pas échue, les prêteurs ne pourront en aucun cas prendre le contrôle de
l’entreprise pour réaliser le projet273.
B - La substitution d’actifs
Tout autre est en effet les coûts liés à la substitution d’actifs. Ces coûts prennent
deux formes : la première forme consiste à transférer la richesse des créanciers vers les
dirigeants - actionnaires ; quant à la deuxième forme, elle traite du transfert de richesse
des actionnaires et créanciers vers les dirigeants.
La première forme de substitution d’actifs a été analysée par Jensen et Meckling
[1976]. Ces auteurs ont montré que le choix des projets d’investissement n’est pas
indépendant du mode de financement. Ils ont démontré que lorsque les actionnairesdirigeants recourent au financement externe de leurs projets, ils choisissent des projets
qui maximisent leur utilité aux dépens des créanciers. Cette maximisation peut prendre
la forme de substitution d’un actif destiné à un projet moins risqué par un projet risqué.
Il en résulte un transfert de richesse des créanciers aux dirigeants-actionnaires274.
La deuxième forme de substitution d’actifs postule que les managers sont des
individus qui consacrent tout leur temps à l’activité de l’entreprise. Le risque de la
faillite de l’entreprise leur fait supporter un coût élevé en raison de l’absence de
diversification du risque. Quant aux actionnaires qui ont un portefeuille diversifié, la
faillite d’une entreprise constitue une baisse de rendement et par conséquent leur permet
d’orienter les ressources vers des entreprises performantes (Rose-Ackerman [1991])275.
Lorsqu’il y a risque de faillite, les dirigeants de l’entreprise qui ont une aversion
pour le risque adoptent une attitude plus risquée. Ce changement de comportement peut
s’expliquer par le coût que les dirigeants supportent en cas de faillite. Ce coût réside
dans la perte de carrière et les investissements spécifiques.
Il en résulte que lorsque l’entreprise est en difficultés financières, les dirigeants
cherchent à éviter à tout prix le trouble financier de l’entreprise puisqu’en présence ou
non de prise de risque élevé ils perdent la valeur liée à leur carrière et les
investissements spécifiques. Mais ont tout à gagner en cas de succès de prise de risque
élevé276.
273
MYERS [1977], Voir aussi COBBAUT R. [1994], «Théorie Financière», 3è. Ed. Economica , p 404.
MECKLING G. WILLIAM [1976], «Theory of the Firm : Managerial Behavior, Agency Costs, and
Capital Structure», Op. Cit.
275
ACKERMAN S. R. [1991], «Risk Taking Ruin : Bankruptcy and Investment Choice», Journal of
Legal Studies, vol.20, Juin, pp 281-282
276
L’absence de droit de faillite et donc de responsabilité, incite les dirigeants en cas de crise à prendre
274
Ainsi, lorsqu’il y a faillite potentielle, les dirigeants cherchent à minimiser la
probabilité de survenance de l’événement de faillite et non plus la variance de gain des
projets de l’entreprise. En revanche, lorsque le risque de faillite est postérieur, les
dirigeants choisissent les projets en fonction de la variance des gains. Ils entreprennent
des projets moins risqués et rejettent les projets risqués277.
Ainsi, en absence de clauses contractuelles et de droit de faillite qui limitent les
responsabilités individuelles, on peut s’attendre à une augmentation des coûts d’agence.
Ces coûts seront d’autant plus importants que ces manœuvres dilatoires sont
importantes. Le fait de recourir au droit de la faillite est de nature à apporter une
solution à ce problème.
SECTION III - LE ROLE DU DROIT DE LA FAILLITE
On voit, à travers la constitution de l’entreprise, que la séparation des décisions
et la spécialisation au sein de l’entreprise entraînent une augmentation des coûts. Le fait
de recourir au droit de la faillite, qui fait respecter les responsabilités fixées à l’avance
par le contrat d’entreprises, est de nature à apporter une solution à ce problème278.
En effet, pour les dirigeants-propriétaires, le droit de faillite est une incitation à
prévenir le risque de faillite. Si une entreprise disparaît suite à une faillite, les
dirigeants-propriétaires supporteront le risque qu’ils ont consenti. Ceux-ci auront
tendance à réduire les coûts d’agence liés aux comportements opportunistes279.
La réduction de ces comportements passe par le contrat qui fixe et engage les
responsabilités. Le rôle du droit de la faillite est de faire respecter les engagements
contractuels et faire supporter le fardeau de faillite à la personne faillie. Ce rôle permet
de faciliter l’organisation au sein de l’entreprise et réduire les coûts d’agence280. Cette
réduction apparaît à travers plusieurs fonctions du droit de la faillite. On distingue deux
fonctions : l’internalisation des coûts (§1) et le contrôle des activités au sein de
l’entreprise (§2).
des risques élevés aux dépens des propriétaires et des créanciers.
277
-ACKERMAN S. R. [1991], «Risk Taking Ruin : Bankruptcy and Investment Choice», Op. Cit., pp
294 (277-310).
278
KIRAT T. et VILLEVAL Marie-C. [1995], «L'insaisissable entreprise de l'économie et du droit»,
Revue Française d'Economie, vol.10, n°4, Automne, pp 157-203
279
DIAMOND [1984], «Financial Intermediation and Delegates Monitoring», Review of Economic
Studies, vol.51, pp 393-414 considère que dans la relation de crédit, les parties dans un contrat non
contingent peuvent retenir deux situations : soit l’emprunteur verse à la banque une somme forfaitaire et
cette dernière n’intervient pas dans la conduite de l’emprunteur, soit l’emprunteur fait défaut et la
sanction se concrétise par une pénalité qui peut prendre des formes non pécuniaires comme la mise en
faillite. Voir aussi GALE et HELLWING [1985]; «Incentive Compatible Debt-Contract : The OnePeriod Problem», Review of Economic Studies, pp 647-663. LEMENNICIER B. [1992], Op. Cit., p 75 ;
COOTER R. D. et ULEN T., Law and Economics, Harper Collins Publishers, 1988, 644 p
280
SCHWARTZ W. F. et TULLOCK G. [1975], «The Costs of A Legal System», The Journal of Legal
Studies, vol. 4, n°1, pp 75 (75-82) ; les auteurs démontrent que le système légal permet d’accroître
l’efficience en réduisant les coûts de contrôle.
§1 - Le droit de la faillite et l’internalisation des coûts
Selon Weistard [1977], lorsqu’il n’y a pas de droit de faillite, la divergence
d’intérêts entre actionnaires et dirigeants incite ces derniers à se comporter d’une façon
qui maximise leur utilité aux dépens des actionnaires. Il y a donc un risque de
comportement opportuniste. Le comportement opportuniste peut surgir d’une relation
entre un créancier et un débiteur281. C’est une action qui a pour objet de s’approprier les
revenus de l’une des parties. C’est un acte qui a également un impact sur les rendements
attendus.
Ce comportement est souvent soulevé lorsque l’entreprise, par exemple,
emprunte à un taux d’intérêt qui reflète précisément le risque de l’entreprise. Une fois le
prêt effectué, l’entreprise reste libre d’entreprendre un risque élevé qui accroîtra le
risque de faillite. L’entreprise, en prenant un risque élevé, accroît son gain si le projet à
risque élevé réussit. Toutefois, elle supporte une part de perte si le projet échoue282.
Réciproquement, une prise de risque élevé de faillite par le débiteur baisse les
rendements du créancier. En cas de faillite, le créancier supportera une perte qu’il n’a
pas consentie.
Lorsque le droit de faillite existe, les engagements pris et les responsabilités
engagées dans le cadre contractuel se trouvent respectées, les dirigeants ne sont pas
incités à prendre des risques élevés puisque le droit de faillite ne va pas épargner les
dirigeants de l’entreprise des conséquences de telles décisions.
En ce sens, le droit de faillite internalise les coûts et prévient le risque de la
faillite inhérent au comportement des dirigeants ou propriétaires de l’entreprise283.
Selon Demsetz [1977], le concept d’internalisation signifie que chacun doit
supporter les coûts de ses actions et bénéficier de celles-ci284. Le droit de faillite
apparaît lorsque le coût d’internaliser ses externalités sera inférieur aux gains attendus
de cette internalisation.
Les gains de cette internalisation sont les gains à l’échange qui permettent une
compatibilité des plans des parties d’atteindre leur fins privées qu’elles se sont fixées
ex-ante en coopérant avec d’autres individus pour saisir les gains de la division de
travail et de la complémentarité ex-post. Le droit de faillite facilite cette coordination en
281
WEISTARD J. C. [1977] , «The Costs of Bankruptcy», Law Contemporary Problems, vol. 41, n°4,
1977, pp. 107-122 ; voir également HART O. D. [1983], «Optimal Labour Contracts Under Asymmetric
Information : An Introduction», Review of Economic Studies, vol.50, pp 3-35
282
HARRIS M. et RAVIV A. [1991], «The Theory of Capital Structure», The Journal of Finance, vol.
46, n°1, Mars, pp 297-355
283
Selon DAHLMAN [1979], si les coûts de transaction sont bien connus des agents et sont strictement
proportionnels à la valeur de la transaction, il n’y aura aucune externalité dans le sens d’une déviation à
partir de l’optimum de Pareto. DAHLMAN C. J. [1979], «The Problem of Externality», The Journal of
Law and Economics, pp 145 (141-162)
284
DEMSETZ [1977] ; COASE R. H. [1960], «The Problem of Social Cost», The Journal of Law
Economics, vol. 3, Octobre, pp 1-44
faisant respecter les engagements établis285.
Les coûts d’internalisation peuvent être d’ordre privé. Mais ces coûts peuvent
aussi être d’ordre législatif286. Selon Klein, Crawford et Alchian ([1978], p 303), les
coûts pour internaliser les externalités négatives par le gouvernement ou toute autre
institution sont composés de coûts de contrôle, de coûts de rédaction des termes du
contrat et de coûts de litige devant le tribunal287. Ces coûts pour établir ce droit et le
spécifier sont «des coûts d’exclusion»288 qui ont pour objet d’économiser les coûts de
litige et de bénéficier des revenus de ce droit.
Ainsi, il en résulte que la fonction du droit de la faillite serait de faire respecter
les engagements établis par les parties des comportements opportunistes des débiteurs
ou des créanciers. L’usage de la contrainte publique, dans le cadre du droit de la faillite,
est l’un des instruments par lequel les créanciers réduisent le coût à l’échange et incitent
les parties à continuer leurs activités.
Il s’ensuit que si le droit de faillite semble avoir pour fonction de faire respecter
les engagements pris dans un contrat d’entreprises, celui-ci apparaît comme un
dispositif efficient pour préciser les fonctions des parties, donc de les spécialiser et de
diversifier leur risque.
§2 - Le droit de faillite, la spécialisation dans le contrôle et la diversification du
risque
Lorsqu’il y a droit de faillite, les responsabilités et les rôles sont bien définis et
respectés. De ce respect découle la spécialisation dans le contrôle des activités de
l’entreprise (A) et la diversification du risque (B).
A - La spécialisation dans le contrôle de l’activité de l’entreprise
Les engagements contractuels fixent les responsabilités. Le droit de faillite
devrait respecter ceux-ci. Pourquoi ? Certains individus qui ne détiennent pas de sûretés
au sein de l’entreprise sont incités à contrôler les activités de l’entreprise puisqu’ils
n’ont aucune priorité juridique de remboursement en cas de faillite. En revanche, les
créanciers qui détiennent des sûretés ne sont pas incités à surveiller l’activité de
l’entreprise puisqu’ils bénéficient du principe de priorité de remboursement.
285
BECKER G. S. et STIGLITZ G. J. [1974], «Law Enforcement, Malfeasance and Compensation of
Enforcers», The Journal of Legal Studies, pp 5 (1-18) ; ces auteurs considèrent que l’internalisation de ces
coûts dépend d’une part de la manière et la régularité de préjudice et d’autre part des intérêts des victimes.
286
Sur l’efficience de chacune des règles, voir BECKER G. S. et STIGLITZ G. J. [1974], «Law
Enforcement, Malfeasance and Compensation of Enforcers», The Journal of Legal Studies, pp 1-18 ;
LANDES W. M. et POSNER R. A. [1975], «The Private Enforcement of Law», The Journal of Legal
Studies, vol. 1, pp 1-46.
287
KLEIN B., CRAWFORD R. G. et ALCHIAN A. A. [1978], «Vertical Integration, Appropriable Rents,
and The Competitive Contracting Process», The Journal of Law and Economics, n°21, pp 297-326 ; voir
également REHNERT G. S. [1989], «The Executive Compensation Contract : Creating Incentives to
Reduce Agency Costs», Stanford Law Review, vol. 41, pp 1147-1180, sur le rôle du marché et des règles
légales sur le contrôle des comportements stratégiques des dirigeants.
288
LEMENNICIER B. [1991], «Analyse économique du droit», Op. Cit.
Le fait de recourir au droit de la faillite est de nature à préciser les fonctions de
chacun au sein de l’entreprise. Les créanciers qui ne détiennent pas de sûretés vont se
spécialiser dans le contrôle des activités de l’entreprise afin de se prémunir contre la
faillite et les conséquences négatives qui en résultent.
B - La diversification du risque et réduction des coûts de faillite
Le droit de la faillite limite le risque des créanciers et débiteurs. En absence de
droit de la faillite, les créanciers qui ont une aversion pour le risque perdent leurs
richesses suite aux actions des débiteurs. Si le risque de faillite est important, les
créanciers investissent dans les coûts de contrôle d’agence. L’investissement dans ces
coûts d’agence dépend du risque entrepris. En effet, plus le risque est important, plus les
coûts de contrôle sont importants. Les créanciers qui ont une aversion pour le risque
vont réduire leurs investissements. Ceux qui sont neutres vis-à-vis du risque vont se
spécialiser dans l’investissement dans une entreprise risquée.
Il en résulte que lorsque les coûts de contrôle affectent la décision
d’investissement des investisseurs, ceux qui ont une aversion pour le risque vont réduire
leur investissement.
Toutefois, lorsqu’il y a droit de faillite, les créanciers qui ont une aversion pour
le risque vont prendre des sûretés qui leur garantissent en cas de faillite un revenu sûr.
Ceux qui sont neutres envers le risque vont se contenter d’un contrat simple qui leur
inflige en cas de faillite un risque élevé. Le degré de sûreté rédigé dans le contrat permet
d’instaurer une priorité entre les créanciers en cas de faillite et en même temps d’établir
leur niveau d’aversion pour le risque.
Cet argument entre en conflit avec celui qui consiste à considérer que les parties
qui détiennent des sûretés vont demander un taux d’intérêt élevé. Ceux qui n’en
détiennent pas vont demander un taux d’intérêt faible. Cette divergence dans les taux
d’intérêts compense le risque de faillite. Néanmoins, cet argument n’est valide que
lorsque le coût de la faillite est nul. Or, selon Modigliani et Miller [1958] et [1960],
Stiglitz [1974],289 ce coût est loin d’être nul et il n’est pas sans conséquence sur le
montant des remboursements des créanciers qui détiennent des sûretés et ceux qui n’en
détiennent pas, sinon la faillite n’aurait pas existé. Afin de corroborer notre analyse,
une étude de la SFAC a estimé le taux de récupération ou de remboursement des
créanciers qui détiennent des sûretés à 40% contre 5% pour les créanciers qui ne
détiennent pas de sûretés290. Cette perte incite probablement les créanciers qui ne
détiennent pas de garanties à surveiller l’activité de l’entreprise et à déclencher une
procédure de reprise ou de faillite dès que l’entreprise est menacée par une faillite de
type comportemental ou autre.
Ainsi, le rôle du respect des engagements contractuels par le droit de la faillite
289
STIGLITZ J. E. [1974], «On the Irrelevance of Corporate Financial Policy», The American Economic
Review, vol. 64, Décembre, pp 851-66
290
DENIEUIL P. H. [1993], «Faillites : une réforme nécessaire», Bulletin Economique de la SFAC,
n°970, octobre, pp 1-18
est qu’il permet d’identifier le risque et de le limiter selon le degré d’aversion pour le
risque de chaque partie au contrat. Il permet également d’inciter les créanciers qui ne
détiennent pas de sûretés à exercer un contrôle sur l’activité de l’entreprise et à réduire
l’asymétrie d’information en fixant le risque supporté par chacune des parties.
Conclusion
Cet article présente une réflexion sur les raisons pouvant amener l’entreprise à se
constituer ou à faire faillite. Une motivation essentielle est identifiable : l’entreprise
trouve sa raison d’être ou plutôt se substitue au marché lorsque les coûts d’organisation
au sein de l’entreprise sont inférieurs aux coûts de transaction sur le marché.
L’entreprise, certes, procure un avantage comparatif par rapport au marché (cet
avantage résulte des gains de la spécialisation et de la complémentarité de l’organisation
de l’entreprise), mais elle engendre d’autres coûts qui peuvent être préjudiciables à
l’une des parties (les coûts d’agence).
En absence du droit de la faillite, les responsabilités ne sont pas limitées et le
risque de comportement opportuniste est élevé. En revanche, lorsqu’il y a droit de
faillite qui fait respecter les engagements contractuels, les coûts d’agence sont
internalisés et les gains sont maximisés.
Cependant, si le droit de faillite permet de réduire les coûts d’agence, il ne
constitue pas une solution unique aux problèmes d’agence. Les individus au sein de
l’entreprise peuvent recourir à l’assurance pour se protéger contre le comportement
opportuniste des parties. (Nous discuterons de ce point dans le chapitre 8).
Il en résulte que le droit de la faillite fait respecter les engagements contractuels
semble être l’instrument utilisé pour se protéger contre les aléas de cet échange. La
liberté contractuelle apparaît comme un outil qui permet l’émergence de l’entreprise et
les responsabilités qui en découlent. Le droit de la faillite va faire en sorte que les plans
des individus qui poursuivent des fins différentes, puissent être compatibles entre eux au
sein du contrat l’entreprise.
Ainsi, le contrat d’entreprise semble donc fondé d’une part, pour se «préserver»
contre l’incertitude des comportements individuels et le droit de faillite semble faire
respecter ce fondement. En absence du contrat d’entreprise et du droit de faillite qui fait
respecter ces engagements, le risque opportuniste291 est important et l’incitation à
investir au sein de l’entreprise est faible.
Il apparaît à partir de cette analyse que le contrat d’entreprise trouve sa raison
d’être ou plutôt se substitue au marché par la force obligatoire de ses termes consentis à
l'échange qui assure les attentes des individus. Ces attentes sont le résultat d’un choix
WILLIAMSON [1985], Op. Cit, la thèse de Williamson de la ‘‘séquentialité’’ de l’entreprise qui
garantit contre les risques de l’opportunisme, prête toutefois à discussion. Ainsi, l’entreprise ne permet
pas d’atténuer les aléas de moralité. La relation durable incite toujours à des comportements
opportunistes. La ’’séquentialité’’ des échanges ne réduit pas les coûts de transaction mais elle les
augmente. Voir la critique à ce sujet ALCHIAN A. A. et WOODWARD S. [1988], Op. Cit., p 66
291
dans un univers incertain. L’échec et la réussite de ce qu’il entreprend dépendent de ses
choix et des règles d’échange.
Néanmoins, derrière la nature de l’entreprise et le rôle du droit de la faillite (les
gains et les coûts de la spécialisation, d’économie d’échelle et de la complémentarité),
se pose le problème des déterminants et des caractéristiques des facteurs qui
conditionnent la continuation ou la faillite de l’entreprise. Il conviendrait d’y apporter
une réponse. C’est l’objet du chapitre 4 .
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