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de se voir donner le droit de cité.
Pourtant une observation attentive montre que les marchés d’Athènes se rétrécissent progressivement au
cours du siècle, du fait du développement industriel des vieilles terres coloniales qui renoncent à faire venir
d’Athènes ce qu’elles peuvent produire elles-mêmes. En Italie méridionale, par exemple, est apparue, à la fin du
Ve siècle, une céramique imitée non sans charme de celle d’Athènes, qui supplante les vases attiques. Partout
ailleurs, en Scythie, en Thrace, dans l’Empire perse les importations d’Athènes se raréfient, tandis que les besoins
en vivres de la cité restent constants. Un déséquilibre foncier tend ainsi à s’instaurer, prémices d’une crise
économique grave qui ne laisse pas de faire sentir ses effets pernicieux sur le plan social.
L’Athènes péricléenne n’est plus: plus d’équilibre entre la campagne et la ville, plus de commerce aux
innombrables débouchés, plus de peuple roi. L’équilibre social est rompu: plus de classe moyenne, mais des riches
très riches – dont l’opulence est rognée par les liturgies et par l’eisphora (e‘isfor´a, impôt sur le capital) – et des
pauvres très pauvres, qu’il s’agisse des paysans, dont Aristophane trace un sinistre portrait dans ses deux dernières
comédies, ou du prolétariat urbain. On ne peut s’étonner de voir éclater la cité: les citoyens n’ont plus les mêmes
intérêts, n’ont plus les mêmes visées. Il n’y a plus d’unité nationale, sauf dans le bref intermède de l’ultime lutte
contre Philippe II. Ces lendemains d’un grand siècle ne sont pas sans mélancolie...
La crise des consciences
Les aspirations religieuses que nous avons notées dans le dernier tiers du Ve siècle se font sentir avec plus de
violence. En 404, c’est comme si Athéna avait trahi sa ville bien-aimée. Le peuple a besoin de dieux plus présents
et il les trouve d’abord dans des divinités helléniques, Dionysos qui s’introduit jusque dans les mystères d’Éleusis,
Asclépios pour qui l’on construit un nouveau sanctuaire, Aphrodite qui apparaît si souvent au flanc des vases.
Mais ils ne suffisent pas eux non plus et les dieux étrangers continuent à conquérir Athènes: la Thrace
Bendis, l’Anatolien Sabazios – en l’honneur de qui se déroulent de ridicules pratiques –, l’Égyptienne Isis, la
Phénicienne Astarté s’installent à Athènes ou au Pirée. L’astrologie séduit les âmes inquiètes, doublée de la
croyance dans la divinité des astres dont on trouve la trace jusque dans la dernière œuvre de Platon. La superstition
fait d’étonnants progrès.
C’est tout un mysticisme jusqu’ici inconnu qui s’exprime naturellement dans des mystères, comme ceux de
Sabazios dont Démosthène a laissé la piquante description. Les fidèles de ces nouveaux dieux se sentent proches
les uns des autres et se réunissent dans des associations cultuelles (thiases) où s’exalte le sentiment de fraternité.
L’Académie et le Lycée
Ce même mysticisme s’exprime dans la pensée du plus important des philosophes du siècle, l’Athénien
Platon. Disciple de Socrate, maître à son tour dans cette Académie qu’il a ouverte aux portes d’Athènes , il
élabore une œuvre monumentale qu’il ne cesse d’enrichir jusqu’à sa mort. Ontologie, eschatologie, morale,
politique, aucun domaine ne lui reste étranger. Partout s’affirme le même enthousiasme pour un monde idéal sur
lequel il convient aux cités comme aux individus de se modeler. Une doctrine aussi austère, et qui fait bien peu de
concessions à l’humaine nature, trouve l’expression la plus délicate et la plus appropriée: dialogues où l’adversaire
est peu à peu enfermé dans ses propres contradictions – mais où transparaît aussi tout le charme de la conversation
attique –, grands mythes qui, devant la carence de la seule raison, donnent accès aux réalités transcendantes.
Disciple de Platon, Aristote n’est pas un mathématicien comme son maître, mais un naturaliste, soucieux
d’une observation minutieuse et qui a laissé de remarquables traités de sciences naturelles. Mais cet esprit universel
ne néglige aucune des disciplines: il donne leurs lois à la poésie comme à la cité, il fonde une nouvelle philosophie
première et préfère le juste milieu à l’ascétisme platonicien. Ce Stagirite exerce une influence profonde à Athènes
où il s’est installé après avoir été le précepteur d’Alexandre et où il a fondé une école promise à un long avenir, le
Lycée.
Une littérature engagée
Athènes reste donc le foyer le plus ardent de la vie de l’esprit, ce qui apparaît aussi dans sa riche littérature.
La tragédie se meurt, mais on voit apparaître une nouvelle forme dramatique, la «comédie moyenne» avec une
intrigue solide et des personnages mieux étudiés.
La littérature est tout entière orientée vers l’action. L’éloquence devient le genre primordial: éloquence
judiciaire des logographes, ces «faiseurs de discours» qui vendent leurs plaidoyers, éloquence d’apparat avec
Isocrate, éloquence politique avec Démosthène. Isocrate s’illustre dans des discours fictifs où il cherche à définir la
politique qui conviendrait le mieux à une Grèce déchirée: d’abord partisan de l’hégémonie athénienne, il en voit