Investissements directs de l`étranger et inégalités dans les

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Séminaire du GREITD
27 Avril 2001
Des Liens entre IDE et Inégalités internes dans les PED : Une Revue de la littérature.
Par Mamadou Camara1
La question du financement du développement qui avait retenu l’attention des
économistes du développement notamment ceux de la Banque Mondiale dans les
années 1970 semblait s’être résolue à la suite des disponibilités financières
importantes issues du recyclage des pétrodollars. Le recours à l’emprunt des
capitaux internationaux pour financer la croissance avait permis à un certain nombre
de PED ( pays en développement) de combler le déficit d’épargne interne. Mais un
autre déséquilibre qui est celui du compte courant persistait et s’est accentué,
notamment pour les PED d’Amérique Latine, à la suite de la montée des taux
d’intérêt et du cours du dollar à partir des années 1980. Ce que l’on appelé la crise
de la dette déclenchée à partir du Mexique en 1982 fera que l’attention des
institutions internationales et de nombreux économistes du développement ,au
cours de la décennie 1980, se focalisera sur la question de l’ajustement et de la
stabilisation dans la plupart des économies en développement hors de la Zone
d’Asie du Sud –Est. L’échec des politiques d’ajustement de première génération et
leurs effets pervers, vont remettre au goût du jour le débat sur la croissance. Dans
un tel débat, la question de « comment pallier le déficit d’épargne dans les PED sans
avoir recours à l’endettement public interne ( vu comme source d’inflation) ? » va
progressivement mettre les projecteurs sur le financement par investissement
étranger. Forts de l’argument d’une croissance soutenue et d’une industrialisation
accélérée dans les pays d’Asie du Sud Est grâce aux capitaux japonais et
Américains, Androuais (1985), Lim et Fang (1991), l’IDE ( l’investissement direct de
l’étranger) va être mis au cœur du débat sur la croissance et le développement dans
les années 1990. Dans le cadre de l’hypothèse du petit pays une reformulation du
modèle de strout et Chenry (1966) dans une perspective néo structuraliste,
Bacha (1984) permet de donner un fondement aux effets théoriquement attendus par
un IDE entrant sur l’économie hôte A cette vision de l’IDE comme source de
modernisation , on oppose une vision nourrie par les arguments de l’école de la
dépendance pour souligner les effets déstructurants du capital étranger sur
l’économie hôte notamment en terme de croissance des inégalités.
1) Intégration par l’IDE à l’économie mondiale et croissance des inégalités.
Les Firmes multinationales jadis vues comme les sorcières de l’économie mondiale,
vont arriver à retourner l’opinion publique en leur faveur à partir du début des années
1980, Andreff (1996). Cette période correspond à la montée des idées libérales dont
la critique principale consiste à discréditer les stratégies de développement dans les
quelles l’Etat joue un rôle prépondérant ( Substitution d’importations, Secteur public
important, répression financière etc..). Dans cette perspective, le courant dit de la
« Rent seeking » avec comme chef de file A.O Krueger (1974) va établir un lien de
causalité entre la politique commerciale, la croissance et la redistribution des
revenus. C’est sur cette base que les auteurs de courant voient au protectionnisme
A.T.E.R. à l’université Paris XIII, membre du CEPN ( Centre d’Economie de Paris Nord, FRE –CNRS 2148) et du
GREITD. Email : [email protected] ou [email protected]
1
commercial une source de constitution de rentes de monopole, de développement
d’un marché improductif de chercheurs de rente, éléments nuisibles à la croissance
et à une distribution plus égalitaire du revenu national. Par ailleurs les pays qui ont
choisi de s’intégrer à l’économie mondiale, (Bhagwati 1982) par le biais du
commerce et de l’investissement) par une stratégie de promotion d’exportation ( et
par la suite de substitution aux exportations) sont présentés comme ceux
connaissant une vigoureuse croissance et une distribution de revenus moins
inégalitaire. Cette liaison entre intégration à l’économie mondiale et inégalités
internes ,si elle est soutenable a plutôt fonctionné au cours des années 1990 comme
une relation positive. L’intégration des NPI à l’économie mondiale en s’intensifiant ,
notamment par le biais de l’IDE et de la libéralisation commerciale2 s’est soldée par
une montée des inégalités dans la distribution du revenu dans la plupart de ces
économies, Berry (1997). Il y’ a donc lieu de s’interroger sur la pertinence d’un lien
entre IDE ( en tant que vecteur d’intégration à l’économie mondiale ) et évolution des
inégalités dans les NPI. Une bonne partie de travaux qui ne retiennent que l’aspect
positif des IDE sur le développement , insiste sur la croissance. C’est ainsi que le
rapport annuel sur l’investissement direct étranger dans le monde établi par la
CNUCED en 1992 s’intitule « les Firmes multinationales comme moteurs de la
croissance économique » vient couronner les travaux allant dans ce sens. Le rapport
de la même institution pour l’année 1994 insiste sur le rôle des IDE dans le
processus d’industrialisation en Asie Pacifique, alors tributaire d’une forte croissance
économique. Il faut attendre 1997, pour voir la CNUCED, dans son rapport sur le
commerce et le développement discuter des liens entre « globalisation, distribution
et croissance ». La discussion menée dans le chapitre 3 de ce rapport part du
constat selon lequel, la croissance économique s’accompagne parfois d’une
croissance des inégalités et parfois d’une réduction. Dans un tableau (P 112), ils
montrent que pour la période 1965-1980, la croissance du revenu par tête s’est
accompagnée d’une augmentation des inégalités dans 40% des cas et de leur
diminution dans 51% des cas. Alors que pour la période 1980-1995, une croissance
positive du revenu par tête s’est soldée par une hausse des inégalités dans 49% des
cas et par une baisse des inégalités dans seulement 26% des cas. Ce qui semble
indiquer que la croissance a perdu beaucoup de son rôle de modérateur des
inégalités. Ce fait est donc attribuable à la globalisation. En insistant sur le cas des
NPI, on remarque que les inégalités entre la part de la classe moyenne dans le
revenu national et celle du quartile le plus riche s’est accentuée dans les pays
comme :le Brésil ( de 13 points entre 1982 et 1989), le Chili ( de 19 points entre 1971
et 1989), le Mexique (de 10 points entre 1977-1989), pour la Thailande ( de 16 points
entre 1975-1992) et le Venezuela ( de 16 points entre 1979 et 1990) . Dans d’autres
NPI, on a assisté à un phénomène de convergence entre les parts de la classe
moyenne et du quartile le plus riche. Par exemple en Colombie l’écart s’est réduit de
7 points entre 1978 et 1991, en Malaisie de 6 points entre 1976 et 1989,de 3points
en Corée ( 1980-88) et en Indonésie, de 4 points à Hong- Kong
Il faut noter que la libéralisation commerciale devrait voir certains flux d’IDE enregistrer un rythme de croissance
ralentie notamment ceux qui ont eu pour objectif de contourner les barrières commerciales ( cf les IDE Japonais en
Grande Bretagne au cours des années 1980). A cette thèse de substitution entre flux d’IDE et flux commerciaux
s’oppose la thèse de complémentarité qui explique comment la montée des IDE a entraîne une intensification des
échanges commerciaux. Il s’agit dans ce cas d’IDE se localisant pour exploiter un avantage comparatif donnant lieu à
des exportations de biens vers le marché d’origine de la firme ou d’autres marchés tiers. Même dans le cas où l’idée
vient se substituer aux importations du pays d’accueil ( aux exportations du pays d’origine), il est source de création de
flux commerciaux notamment en terme d’importation de biens intermédiaires. Ce dernier cas permet de réfuter
l’argument de ceux qui voient en l’IDE une source de desserrement de la contrainte externe.
2
( entre 1971 et 1991). On sait que ces NPI ( en plus de la Chine) accueillent près de
80% des flux d’ IDE en direction de l’ensemble des pays en développement,
CNUCED (1996). IL est donc intéressant de constater si l’on prend chacun de ces
pays pris individuellement et en croisant les courbes d’évolution des inégalités
( mesurées par les coefficients de Gini) et l’entrée des capitaux étrangers au cours
des années 1990, on pourrait se faire une opinion sur la robustesse d’un tel lien et
chercher à mettre en évidence les mécanismes par lesquels les IDE entrant affectent
la distribution des revenus dans les PED d’accueil ?.
Pour un certain nombre de pays, l’évolution des inégalités mesurées par
L’indice de Gini montre bien leur accentuation à partir des années 1980, c’est le cas
du Chili, du Venezuela, du Brésil, de la Thailande , du Mexique. En observant l’allure
des différentes courbes retraçant l’évolution des inégalités, une forme tendancielle
en U inversée semble se dégager au cours du temps ( voir annexes), c’est le cas
notamment pour le Brésil, l’Indonésie, le Chili, la Thailande, la colombie ( à partir des
années 1970). Pour analyser les causes dans l’évolution des inégalités, les
économistes du développement se sont longtemps focalisés sur la vérification de
cette courbe dite de Kuznets. Selon Bourguignon et Morrisson (1989) trois phases
sont à distinguer dans la chronologie des recherches sur cette question:
Le début des années 1970 voit se développer la discussion sur la validité d’une
courbe de Kuznets ( courbe en U inversée) pour chaque pays telle que testée par
Paukert ( 1973) et Ahluwalia (1976). Cette courbe établit un lien entre les phases de
la croissance économique et l’évolution des inégalités entre différents groupes de
revenus.
Compte tenu de l’absence des données temporelles pour les PED, les auteurs ont
progressivement introduit d’autres variables ( en plus du PIB par tête) aux fins
d’augmenter le pouvoir explicatif de la courbe en U inversée .Comme variables
complémentaires, ils introduisent le taux de scolarisation dans le secondaire , le
pourcentage de la population alphabétisée, le poids de l’agriculture dans la valeur
ajoutée entre autres. Malgré une incidence ( à posteriori ) soulignée de ces facteurs
sur la croissance de l’inégalité , les études ne reposait pas sur un cadre d’analyse
théorique pouvant justifier l’ensemble de ces variables.
Dans les années 1980, l’étude d’Ahluwalia qui avait enregistré un certain succès
auprès d’auteurs comme Robinson (1976) va faire l’objet d’une critique virulente par
des auteurs comme Anand et Kanbur (1984), Saith (198 3). Ils estiment que les
chiffres utilisés ne sont pas fiables, que les techniques économétriques, et que
l’hypothèse selon laquelle le transfert de la population active du secteur agricole vers
la ville induirait une réduction des inégalités ( rural/ urbain ) n’est pas toujours
soutenable.
Sans nier, l’importance des facteurs comme la croissance, le taux de scolarisation, et
les relations agriculture –industrie, l’ouverture croissante de ces économies au
commerce et à l’investissement international ayant correspondu avec une montée
des inégalités internes à ces pays fondent la pertinence d’une interrogation liant IDE
et Inégalités.
2) La croissance des inégalités dans le pays « investisseur » à l’étranger et /ou
importateur de biens : l’effet des flux commerciaux.
Le débat sur la libéralisation commerciale et les inégalités tel qu'il a été abordé par
Wood (1994) met en avant comme variable explicative (du développement des
inégalités) la mobilité du capital sous la forme de délocalisations d'activités
industrielles donc d'emplois.
Les enseignements du modèle de Wood (1994)
Le modèle HOS admet comme résultat le fait que toute modification des rapports
d'échanges entraîne une modification des prix relatifs. Le théorème de Rybczinsky
stipule que la présence ou l'utilisation d'un facteur spécifique dans la production
d'une marchandise a pour conséquence de diminuer les proportions des autres
facteurs sans entraîner une hausse de leurs prix relatifs. Si l'on devrait se conformer
à ces résultats, dans le cadre d'un modèle de commerce Nord / Sud, le mouvement
de biens intensifs en travail du Nord vers le Sud devrait conduire à raréfier le travail
(surtout non qualifié) au Nord et à son abondance dans le Sud. Par conséquent le
prix relatif du travail non qualifié devrait baisser au Sud et augmenter au Nord. Avec
l'hypothèse traditionnelle d'immobilité internationale du capital ( pas d'IDE) le modèle
se serait contenté de souligner le renforcement de la spécialisation du Sud dans la
production des biens intensifs en travail non qualifié et le Nord dans la fourniture de
biens intensifs en travail qualifié (ou en capital). L'originalité du modèle de Wood
vient du fait qu'elle ne s'arrête pas à cette conclusion assez banale. Il faut tenir
compte de la croissance rapide des importations de produits manufacturés en
provenance du Sud comme une réponse à la rareté ou à l'économie de travail non
qualifié de la part du Nord . Une telle rareté ( ou cherté) a pour conséquence une
delocalisation du Nord vers le Sud. Wood (1994, P 175) soutient qu'en supposant
que les salaires relatifs sont déterminés par l'intersection entre les courbes d'offre et
de demande de travail imparfaitement élastiques, quatre possibilités de combinaison
entre mouvement du salaire relatif et dotation relative travail non qualifié/travail
qualifié se présentent :
Cas 1) : l'élasticité de l'offre de travail d'un segment par rapport à son salaire relatif
est forte: ici le commerce en augmentant la demande de cette catégorie de travail(i) 3
par rapport aux autres catégories (U) accroît l'emploi relatif et le salaire relatif de (i).
Le commerce devient alors une source d'inégalités internes. On ignore, ici, les effets
d'entraînement entre les secteurs et le marché de travail est supposé segmenté en
fonction de l'appareil productif.
Cas 2) : L'offre de travail de la catégorie (i) est parfaitement inélastique à son salaire
relatif (cas Lewis ?). Le commerce n'affecte pas le salaire relatif mais contribue à
améliorer l'emploi relatif des non qualifiés. Il s'agit donc d'effet multiplicateur du
commerce extérieur qui permet d'absorber le surplus de main d’œuvre. Les
inégalités liées au commerce s'observent en terme d'écarts de taux de chômage ou
d'emploi de différentes catégories de qualifications.
Cas 3) : L 'offre de travail est parfaitement élastique au salaire relatif: Dans ce cas
précis, le nombre de travailleurs de la catégorie (i) est donné. De sorte que toute
croissance de la demande de travail liée au commerce international se traduit par
Il s’agit généralement des ouvriers non qualifiés dans le Sud et travailleurs qualifiés ( dont ingénieurs
et techniciens ) dans le cas du Nord, en vertu des spécialisations commerciales.
3
une hausse du salaire relatif de la catégorie (i) par rapport aux autres catégories.
L'emploi relatif n'est pas affecté car on a une hypothèse implicite selon laquelle les
travailleurs d'un secteur ou ayant une qualification particulière sont immobiles. On
peut substituer à cette dernière hypothèse une autre en terme de taille de la
population ( petit pays ou grand pays) ou de structure de l'économie ( Pays avec un
secteur rural et pays sans secteur rural) pour discuter des cas 2 et 3 et de leurs
implications en terme de mesure et d'indicateurs d'inégalités.
Cas 4) L'élasticité de l'offre de travail au salaire est nulle. Pour des raisons d'ordre
institutionnel le niveau du salaire relatif de la catégorie (i) est fixé. Si le commerce
contribue ou induit une croissance de la demande de travail, celle ci se traduit par
une augmentation de l'emploi relatif au profit de la catégorie (i). Comme dans le cas
2 les inégalités ne peuvent s'observer qu'en terme d'écarts de taux de chômage
intercatégoriels.
Dans cette façon de lier commerce Nord/ Sud et inégalités, l'auteur suppose que les
prix relatifs des autres facteurs de production comme le capital, la terre et les
ressources naturelles ne sont pas affectés par le commerce. Par conséquent si on
considère que la plupart des travailleurs sans qualifications dans les PED se trouvent
employés dans l'agriculture, on peut être amené à conclure que les effets du
commerce et de l'IDE sur l'inégalité au Sud sont limités. Ces effets dépendraient des
élasticités d'offre et de demande de travail par rapport à la structure sectorielle du
travail. L'auteur soutient « que dans l'ensemble de l'économie le salaire moyen des
peu qualifiés ( Bas-Ed) pourrait croître par rapport à celui des non qualifiés ( No-Ed)
sans qu'il n y ait aucune variation entre le salaire des peu qualifiés dans l'industrie
par rapport à celui de la même catégorie employée dans l'agriculture » Wood (1994,
P215).Cet exemple peut, à notre avis, s'interpréter de deux façons: - soit la hausse
du salaire relatif d'une catégorie est répartie de façon uniforme entre tous les
travailleurs de la catégorie quelque soit leur secteur d'activité. - Soit les travailleurs
de la catégorie (i) sont mobiles d'un secteur à l'autre de sorte que la hausse du
salaire dans un secteur attire d'autres travailleurs de même qualification le temps que
s'égalisent les salaires entre tous les secteurs pour cette catégorie.
Ce mécanisme de péréquation intersectorielle et intra catégorielle du salaire est il
garanti par une législation ou transite il par le fonctionnement du marché du travail?.
Dans ce dernier cas l'auteur devrait nous amener vers une théorie des marchés de
travail selon le niveau de développement et démontrer que les relations villescampagnes à la base d'une mobilité intersectorielle n'ont pas d’incidence sur les
inégalités intragroupes. Wood ne donne pas de réponse à ces questions. Il se sert
de l'exemple que nous venons de souligner pour justifier pourquoi, on doit considérer
que les élasticités de l'offre des qualifications au salaire relatif ne sont pas infinies, à
la différence du modèle de Lewis (1954). Dans beaucoup de PED coexistent les
situations d'abondance de non qualifiés (se trouvant pour la plupart dans
l'agriculture) et de rareté de peu qualifiés pourtant demandés par le secteur moderne
de l'industrie. Or le secteur moderne est celui qui est le plus affecté par l'insertion
dans l'économie mondiale. Cependant il ne nie pas que des facteurs, comme
l'éducation ou la formation, qu’il qualifie d’« autonomes » puissent affecter les écarts
de salaires relatifs du fait de la modification des quantités relatives entre différentes
catégories de qualifications. Ces changements autonomes qui s'opèrent altèrent
pourtant les avantages comparatifs qui déterminent la nature et l'intensité du
commerce avec l'extérieur. Mais comme l'auteur le soutient (P217), dans un pays
qui est toujours exposé au commerce international les liens directs entre marchés du
travail et ouverture devraient être également importants.
Wood ne se pose pas la question dans les termes qui nous importent, les
conclusions de son analyse ont plutôt servies aux tenants du protectionnisme dans le
Nord pour expliquer les effets néfastes de la montée des NPI dans le commerce de
produits manufacturés sur les inégalités de salaire au Nord4 et prôner comme
remède une forme de substitution aux importations. Cette critique indique que si
Wood peut servir pour expliquer les inégalités dans le pays d'origine de l'IDE ou
importateur de biens manufacturé fragilisant la situation des travailleurs du secteur
exposé, Giraud (1997), il n'apporte pas d'éléments nouveaux quant à une recherche
de lien entre inégalités et IDE dans un pays d'accueil. Dans le cadre d'une
problématique qui traite de l’intégration régionale, son approche peut être utile pour
expliquer la dynamique des inégalités dans les pays qui ont plus la caractéristique de
pays- source que de celle de récipient des IDE intra régionaux. Ce qui suppose que
la portée explicative des inégalités par l'IDE dans l'optique de Wood impose comme
condition aux pays participant à un processus d'intégration une certaine inégalité de
développement.
Cette analyse peut donc servir pour expliquer la croissance des inégalités dans les
NPI de la première génération ( Corée et Taiwan notamment ) devenus eux même
investisseurs vis a vis des pays de la seconde génération. Pour ce qui concerne les
NPI de l’Amérique Latine, les flux d’IDE intra zones restent assez limités ( CEPALC
1999) pour que l’approche de wood soit fondée à expliquer la croissance des
inégalités au Brésil et en Argentine du fait des IDE sortants.
Quelle que soit la mesure utilisée, les études de plusieurs autres auteurs convergent
sur le fait que les inégalités de salaires entre travailleurs qualifiés et travailleurs non
qualifiés s'accentuent. Cependant on trouve une grande divergence quant aux
facteurs qui sont avancés pour expliquer ce fait. Selon Ramey et Borjas (1994)
l'ensemble des explications peuvent se ramener à quatre grands types d'arguments:
Une première explication s'intéresse à la mutation de l'industrie ( américaine par
exemple) par rapport au secteur des services et déduit les implications en terme de
dispersion de salaires. Ce sont les travaux de Bluestone et Harrisson (1988).
une deuxième série d'explications avancée par des auteurs comme Borjas, Freeman
et Katz (1992) insistent sur le rôle de l'internationalisation de l'économie et du fait de
l’effet l'immigration sur le marché du travail. Freeman ( 1991) et Bishop (1991)
cherchent l'origine de la croissance des inégalités de salaires dans le recul du
syndicalisme et dans la baisse relative de la qualité de l'éducation de base par
rapport aux niveaux secondaire et supérieur.
Enfin, un certain nombre d'auteurs comme Bound et Johnson (1992), Davis et
Haltiwanger (1991) attribuent la montée des inégalités à un biais technologique qui
favorise les qualifiés par rapport aux autres catégories de travailleurs.
En plus de ces arguments, Ramey et Borjas (1994) soutiennent l'argumentation
selon laquelle l'entrée des firmes étrangères dans les marchés concentrés constitue
un déterminant à la croissance des inégalités. Ils effectuent d'abord l'analyse de la
cointégration pour prouver qu'à long terme la croissance des inégalités s'explique par
un plus grand déficit commercial dans le secteur des biens durables. Ensuite cette
hypothèse est discutée de façon plus théorique en admettant que la concurrence des
importations dans un secteur comme l'automobile a beaucoup plus d'impact négatif
4
Cette conclusion fondée sur le calcul d'un contenu en emplois d'un montant donné des importations en
provenance du Sud a été réfutée du fait que ce ne sont pas les mêmes fonctions de production ( donc pas les
même combinaisons des facteurs travail et capital) qui se trouvent au Nord qu'au Sud mais il s'agit
d'implantations d'usines du Nord au Sud, Bonaz (1995).
sur les salaires ( du fait du niveau d'éducation des salariés) que dans le secteur des
biens d'équipements par exemple.
D'autres auteurs américains se sont intéressés aux liens inégalités de salaire et
ouverture notamment en insistant sur le rôle que la productivité ou le changement
technologique peuvent exercer en que intermédiaires. Katz et Murphy (1992) ,
Murphy et Welch (1992), Karni et Zilcha (1994), Hayes et Slottje (1994), Kosters (1
994), Bhagwati et Deheja (1 994). Deardorff et Hakura (1 994). A partir d'une
interrogation a priori toute simple, Deardorff et Hakura ( 1994), discute du lien entre
le commerce international et les salaires en se demandant « comment le commerce
affecte les salaires ?».
La majorité de ces auteurs , bien qu’apportant des explications à la montée des
inégalités du fait de l’investissement et du commerce, se placent généralement du
point de vue du pays investisseur et laissent parfois croire que les inégalités
notamment salariales dans les pays qui accueillent ces capitaux ou qui exportent ces
biens ont tendance à se réduire. Ce qui est loin d’être le cas.
3) Ouverture, Croissance et inégalités dans les pays « récepteurs » d’IDE et/ou
exportateurs de biens.
Pour lier IDE et inégalités , deux types d’hypothèses permettent de départager ceux
qui pensent que les capitaux étrangers sont source de bien être et donc de réducteur
d’inégalités ( la thèse modernisante) de ceux qui insistent sur les aspects en terme
de déstructuration.
a) L’hypothèse dite « modernisante » :
Elle voit en à la croissance des inégalités , un processus inhérent au développement.
La hausse de la part du profit dans le revenu national ( au détriment de la part des
salaires) en contribuant à augmenter le taux d’épargne ( des capitalistes) va
permettre de financer un investissement de plus en plus important. La hausse du
produit qui en découle s’accompagne d’une absorption du surplus de main d’œuvre ,
principal frein à la hausse des salaires. La hausse des revenus salariaux ainsi que la
nécessité de la démocratisation de la société ( qui est analysée comme un produit du
développement économique) vont concourir à rendre la distribution des revenus plus
égalitaires. Dans la perspective de ces auteurs, l’entrée des capitaux étrangers en
contribuant à une croissance économique plus forte réduit le temps d’une distribution
inégalitaire du revenu. Selon De Mello (1997) plusieurs études empiriques ont
cherché à lier théories de la croissance et IDE. L’amendement qu’ils font par rapport
à la problématique néoclassique de base consiste à considérer la croissance à long
terme comme susceptible d’être affectée par divers éléments et notamment l’IDE. En
effet comme le suggère Balasubramanyan et ailii (1996)5 “ Si tous les déterminants
de la croissance sont supposés endogènes et que l’IDE est conçu comme
“ composite bundle 6” du stock de capital, du savoir et de la technologie alors sa
contribution peut être perceptible à travers les économies d’échelles réalisées, les
inputs à technologie élevée dans la fonction de production de l’économie pénétrée ”.
5
Cité par DE Mello (1997) Opcit
L’expréssion bundle est conservée et signifie littéralement une liasse.L’idée qui peut y être contenue peut se
traduire par le fait qu’un montant donné de capital provenant de l’étranger est comme une liasse comprenant
plusieurs formes et dont les effets sur l’économie locale soient tributaires de cette forme, de sa destination
sectorielle par exemple.
6
Dans cette perspective on ajoute aux arguments traditionnels (A , K et L ) d’une
fonction de production l’argument (F) qui représente les flux de capitaux étrangers.
En variation logarithmique , on exprime le taux de croissance de l’économie pénétrée
(Gy) comme la somme des taux de croissance de la productivité totale des facteurs,
du taux d’investissement interne, de celui lié aux capitaux étrangers. Par déduction
on observe que le résidu de Solow ( taux de croissance de A) ou la part de la
croissance non expliquée perd en effet d’importance au fur et à mesure que des
nouvelles variables interviennent dans la formalisation de la fonction de production.
Cette première méthode de formaliser le rôle des capitaux étrangers préjuge que les
effets positifs de l’IDE l’emportent sur ses effets néfastes car l’élasticité de la
croissance du PIB par rapport aux flux de capitaux étrangers est supposée positive.
Or cette élasticité qui traduit les externalités contenues dans le capital étranger non
seulement diffère d’un secteur à l’autre mais il peut, dans certains cas, se substituer
à d’autres externalités qui auraient été plus structurantes si l’Etat avait investi en lieu
et place des investisseurs étrangers.
Une autre formalisation de la contribution des IDE dans l’économie d’accueil consiste
dans la perspective des modèles “ AK ” à dissocier le stock de capital d’une part
entre stock national et stock d’origine étrangère et de considérer, à la suite de
Dunning (1981), que l’IDE apporte à l’économie hôte des actifs intangibles qui ont la
caractéristique de permettre, aux firmes implantées dans un premier temps et aux
firmes domestiques par la suite, d’obtenir des rendements croissants source d’une
croissance de la productivité et donc de croissance économique. En lieu et place de
l’argument (F) dans la formalisation précédente ,les auteurs introduisent un stock de
connaissances (H)7 qui est lui même une espèce de fonction de “ matching ” ou de
liaison entre les stock de capital domestique et le stock de capital étranger .Liaison
dont la nature est déterminée par une élasticité du capital étranger à la variation du
stock de connaissances et par une élasticité inter temporelle de substitution entre les
deux flux de capitaux (domestique et étranger). La résolution du modèle consiste à
déterminer les valeurs de ces élasticités et d’enduire l’impact sur l’économie selon
les signes obtenus. Ainsi, en supposant que l’élasticité d’un flux d’IDE à la croissance
du stock de capital est positive, une élasticité inter temporelle de substitution positive
exprime un lien de complémentarité (ou effet de « crowding in » souligné par nous )
ou de crowding out entre capitaux nationaux et étrangers. Ces résultats sont ceux
mis en avant par Rosenstein-Rodan et les économistes du développement. Le taux
de croissance de l’économie est positivement affecté par les capitaux étrangers si la
condition nécessaire et non suffisante de complémentarité existe mais de surcroît les
rendements du capital domestique à l’échelle doivent être croissants.
Or pour arriver à un tel résultat, l’économie en question doit connaître un certain
degré d’industrialisation. Ce qui signifie que l’IDE ne peut expliquer le décollage
industriel. Un tel résultat est très intéressant car il admet implicitement que l’IDE
contribue positivement à la croissance des pays qui connaissent déjà la croissance
(est ce le cas des économies d’Asie du Sud Est à partir de la fin des années 1970 ?).
De même l’idée selon laquelle les capitaux étrangers contribuent à augmenter le
stock de connaissances sous entend une certaine capacité du pays d’accueil à
maîtriser les technologies étrangères par imitation. Ce qui rejoint en quelque sorte
l’interprétation du rattrapage que fait Abramovitz(1986)consistant à considérer que
A l’instar des modèles de Romer (1988) et Romer-Rivera Batiz (1991) et à la seule différence que les
connaissances au lieu d’être fonction des proportions de chercheurs et de travailleurs hautement qualifiés se
réflètent dans le dégré de compatibilité entre les structures de production nationales et la structure du capital
étranger.
7
les pays dont les techniques de production sont les moins avancées bénéficient d’un
potentiel de croissance plus élevé , dans la mesure où ils peuvent intégrer
(appliquer) les techniques mises en œuvre par les pays en pointe du progrès
technique. Or il est admis que pour pouvoir bénéficier de la technologie existante le
pays en question doit posséder une certaine “ capacité sociale ” à maîtriser les
compétences. Capacité qui se définit en fonction des variables comme le nombre
d’années de scolarisation, l’efficacité des institutions financières, politiques,
commerciales et industrielles. En fait ces éléments sont pour la plupart ceux que
Adelman et Morris (1973) ont avancé comme facteurs explicatifs d’une différenciation
internationale de l’inégalité.
Pour de rendre compte de l’impact de l’IDE sur la réduction des inégalités , une autre
méthode consiste à évaluer le effets directs et indirects des implantations étrangères
sur l’emploi local, CNUCED ( rapport sur l’investissement 1994), même si il est
difficile de déterminer quantitativement les rapports exacts entre ces deux agrégats,
Lall (1995).Ces effets dépendent d’un certain nombre de facteurs comme la taille
mais surtout le mode d’implantation. Une création à partir de zero crée une nouvelle
unité de production qui contribue à augmenter la capacité de production de
l’économie hôte et permet donc de générer des emplois nouveaux. Par contre, un
IDE ayant simplement la forme d’une acquisition (en cas de privatisation) peut, dans
un cas extrême, provoquer des restructurations qui induisent des destructions
d’emplois préexistants. En plus de ces effets immédiats, les effets « ultérieurs »
dépendent selon Lall (1995) d’une série d’autres facteurs comme la stratégie de
l’investisseur étranger concernant le niveau et la rapidité d’incorporation des
technologies nouvelles, l’orientation commerciale ainsi que des liens avec les
entreprises locales.
Partant, de cette hypothèse, on admet l’idée selon laquelle l’implantation des zones
franches d’exportation dans plusieurs PED en contribuant à l’augmentation de
l’emploi tend à rendre la répartition fonctionnelle du revenu national plus favorable
aux salariés. Mais cet argument occulte le fait que les salaires dans les filiales
étrangères
(notamment des expatriés) sont généralement plus élevés que ceux en vigueur dans
les entreprises purement domestiques. Plusieurs études monographiques du BIT
concernant les effets en terme d’emplois des multinationales dans les PED
permettent de fonder l’idée d’une contribution positive (dans le sens de défavorable)
de l’IDE sur les inégalités. C’est ainsi que pour la Malaisie, l’étude de Yew
(1988) montre que le salaire moyen des locaux dans les filiales des firmes
multinationales est plus élevé que salaire moyen dans des firmes locales dans 3 cas
sur 5 dans l’alimentation, dans 4 cas sur 5 dans la chimie et dans les produits
minéraux non ferreux et 7cas sur 9 dans la branche de l’équipement électrique. En
effectuant une comparaison entre expatriés et employés locaux dans les filiales des
firmes multinationales, il trouve que dans seulement un cas sur 31, le salaire des
locaux est supérieur à celui des étrangers ( dans le secteur des produits minéraux
non ferreux), tandis dans 4 cas , les étrangers sont mieux rémunérés que les locaux ,
dans 50% des cas le salaire est le même quelque soit le statut de l’employé. Ces
résultats légitiment donc la portée de la thèse qui voit en l’IDE une source de
croissance des inégalités dans les pays d’accueil.
b) L’hypothèse de la « dépendance » ou l’IDE comme source de domination de
la périphérie et producteur d’inégalités
La position relative d’un pays dans l’économie mondiale détermine l’incidence que
son insertion internationale peut avoir sur sa distribution interne du revenu.
Selon cette vision, les firmes multinationales emploient pour l’essentiel l’élite locale
qui peut parfois gagner plus de dix (10) fois le salaire moyen. De plus, l’implantation
des filiales qui utilisent des technologies plus intensives en capital contribue à
détruire des emplois notamment non qualifiés par substitution du capital au travail. La
coalition entre l’élite locale cherchant à maintenir et accroître ses privilèges et les
investisseurs étrangers, si elle aboutit parfois à une hausse de la part des revenus
salariaux ( ceux des locaux) n’aboutit pas à une baisse de l’inégalite, Tsai (1995).
Cette coalition à trois ( Etat, élite locale et investisseurs étrangers)constitue une
entrave à la mise en œuvre des politiques redistributives plus favorables aux
couches inférieures de la population.
Sur le plan théorique, une telle causalité entre degré de contrôle par le capital
étranger et niveau d’inégalité a été mise en évidence par des auteurs comme
Bornschier et Chase- Dun (1975), Bornschier (1983). Cet auteur fut l’un des premiers
à expliquer que les IDE participent à réduire les inégalités dans le pays d’origine et à
les augmenter dans le pays d’accueil. IL s’agit donc d’un renversement de
l’hypothèse qui va être défendue par les économistes internationalistes dans les
années 1990, notamment ceux dans la lignée de Wood. Bornchier (1983) se propose
de fusionner en une seule approche les deux paradigmes qui ont été mobilisés pour
expliquer la croissance des inégalités dans les années 1970 –80. Le premier
paradigme fondé sur la relation entre niveau de développement et inégalité ( courbe
de Kuznets), décrit le passage d’une économie dominée par les activités agricoles et
un faible niveau du PIB par tête vers une économie qualifiée de « système industriel
périphérique » dans lequel subsiste un système agricole important. Dans ce type
d’économie la hausse du PIB par tête se traduit par une hausse de l’inégalité.
Lorsque cette économie à « système industriel périphérique » voit diminuer le poids
du secteur agricole sa courbe d’inégalité amorce une pente descendante. C’est ainsi
que les économies qui arrivent au stade de « système industriel du centre » se
caractérisent par un niveau de PIB par tête élevé et une inégalité fortement réduite
par rapport aux phases antérieures. Le second paradigme dit « d’économie
mondiale » repose sur l’hypothèse selon la quelle, il existe une division mondiale et
hiérarchisée du travail, que la firme multinationale constitue un acteur important dans
la structuration de la division du travail au niveau mondial. Dans cette économie
mondiale, le centre est spécialisé dans le contrôle du capital ,de la technologie et de
l’innovation tandis que la périphérie est cantonnée dans la production de biens
standardisés pour le centre et son propre marché interne. La montée de l’IDE
contribue à une hiérarchisation croissante du contrôle du capital et à une
hétérogénéité croissante dans l’ensemble du système d’organisation. La
conséquence est une accentuation de la dispersion des revenus et une
complexification de la structure des revenus. Ce lien entre firmes multinationales et
distribution inégalitaire du revenu ne vient pas uniquement de la nécessité d’une
correspondance entre « hiérarchie spatio-économique » et « hiérarchie socioéconomique » , il est également soutenu par un aspect socio politique venant du fait
de la coalition entre l’Etat périphérique, l’élite économique locale et les investisseurs
étrangers. Selon Bornschier (1983) cette coalition d’une classe minoritaire opposée à
la majorité de la population contribue à marginaliser davantage cette dernière par le
processus de la production mondiale. L’auteur suggère d’intégrer ces deux
paradigmes en partant du concept de pouvoir de Lenski selon lequel « le surplus
croit avec la complexité des systèmes de production », « la répartition de ce surplus
est fonction du pouvoir que l’on détient dans le système », ce qui a pour tendance
une augmentation de l’inégalité à l’intérieur du système de production.
Pour fonder une telle hypothèse, les auteurs ont effectué une étude empirique qui
permet de lier croissance des inégalités et pénétration du capital étranger (dont on
verra un extrait dans l’annexe). En estimant une équation qui a comme variable
expliquée les coefficients de Gini, et comme variables explicatives, le PIB par tête, le
PIB par tête au carré, le type de système économique mesuré par le ratio
(investissement public) sur (investissement total) le taux de pénétration de capitaux
étrangers mesuré comme la pondération entre le ratio du (stock de l’ IDE / capital
national) fois (IDE/ population active). Il introduit également dans l’équation ratio de
la pénétration étrangère pour les pays industrialisés .La régression aboutit au résultat
selon lequel : l’inégalité croit au fur et à mesure que la pénétration étrangère croit
dans les PED. Pour la période 1961-1967, une hausse du capital étranger d’un pour
cent induit une croissance de l’indice de Gini de 0.108 %. Pour les pays développés
le coefficient de corrélation négatif montre qu’une sortie du capital vers la périphérie
permet de réduire les inégalités. Ce raisonnement peut trouver un fondement dans
l’idée selon laquelle le contrôle par l’ IDE accroît les perpectives de croissance au
centre et profite à ses salariés.
L’hypothèse de Kuznets semble se vérifier dans la régression faite par Bornschier
(1983) comme le montrent le changement du coefficient de corrélation lorsque la
croissance s’accélère.
Pour justifier l’évidence d’un impact négatif de l’IDE sur la distribution de revenus,
Dixon et Boswell (1996) suggère de faire la différence en terme de productivité entre
un investissement domestique et un investissement étranger. Leur raisonnement est
fondé sur l’observation selon laquelle ,les profits réalisés à la suite d’un
investissement se réinvestissent de moins en moins (voir nos calculs en annexe) , ce
qui constitue une ponction sur l’économie d’accueil qui enregistrera ainsi une faible
croissance et une augmentation de l’inégalité. En réfutant la vision conventionnelle
selon laquelle l’IDE contribue à plus de croissance, ils s’en prennent à un tenant de
cette thèse optimiste qu’est Firebaugh G (1992) qui considère que le taux
d’investissement étranger se calcule comme le rapport entre le flux annuel et le stock
d’IDE et ne cherche pas à dissocier capitaux de long terme ( source d’accumulation
du capital) de capitaux de court terme. Ils révèlent l’erreur d’interprétation des
auteurs de l’école « modernisante » qui ne se rendent pas compte qu’une diminution
du stock d’IDE se traduit mécaniquement par une hausse du taux d’investissement
étranger tel qu’ils le calculent. Ce simple effet de « dénominateur » qui constitue en
réalité un manque pour l’accumulation du capital permet de remettre en question
l’idée qui fonde un lien positif entre capitaux étrangers et croissance . D’ailleurs
d’autres auteurs comme J Kentor (1998) montre que les PED qui ont une forte
dépendance vis a vis de l’IDE sont ceux qui ont enregistré les taux de croissance les
plus faibles entre 1945 et 1965.
Dans la même perpective d’une mise en évidence des effets néfastes de l’IDE sur la
distribution des revenus, les auteurs comme Crotty, Epstein et Kelly (1999) mettent
en avant le rôle de trois facteurs qui sont : le faible niveau de la demande effective
dans le pays d’accueil, la nature de la concurrence et les rôles qui reviennent au
pays et à l’étranger dans le jeu mondial. Leur modèle part de l’hypothèse selon
laquelle la concurrence entre pays (ou communautés) pour attirer les
investissements étrangers les met en position de faiblesse par rapport aux firmes
multinationales. Les pays qui ne possèdent pas de stock d’IDE sur leur territoire ont
tendance à offrir des incitations fiscales et salariales susceptibles d’attirer des
capitaux. Cette volonté d’attirer des capitaux étrangers est encore plus forte dans
des pays touchés par le sous emploi massif.
Ces mesures d’incitation interviennent donc lorsque deux régions au moins offrent
les mêmes avantages à la localisation. Il s’agit donc d’un engagement de ressources
par la communauté qui sans être déterminant pour la décision de s’implanter ou non
de la part de la firme multinationale lui permet d’empocher au passage des
ressources financières parfois importantes. Michalet (1999), parle ainsi de l’illusion
des incitations comme facteurs d’attractivité des capitaux étrangers car « la décision
de s'implanter est prise indépendamment de l'existence des incitations (…) dans les
cas où le projet est rentable, l'investisseur viendra de toute façon si les avantages de
localisation offerts correspondent à sa stratégie de croissance global » . Pour réduire
leur coût d’installation , les investisseurs étrangers font jouer la surenchère entre
plusieurs sites potentiellement équivalents situés dans des pays différents ou dans
un même pays. Comme le rappellent Crotty, Epstein et Kelly (1999) l’Etat de la
concurrence, dans ce qu’ils appellent le « neo liberal regime », qui est de type
coercitive, influe sur le pouvoir de négociations des syndicats et des pays . Ce qu’ils
obtiennent en contrepartie de l’implantation des firmes étrangères n’est pas souvent
à la hauteur des ressources engagées et des concessions faites. C’est ainsi que la
Banque Mondiale (2000) reconnaît que les politiques d'incitations peuvent parfois
attirer quelques investissements, mais pour la société les pertes sont globalement
souvent plus fortes que les gains8.
c)Vers une réconciliation des approches « optimiste » et de la « dépendance ».
On a eu à présenter deux courants d’opinion opposés quant à la nature du lien entre
IDE et inégalités. Les uns (qualifiés ) d’optimistes à travers une vision néoclassique
de l’investissement estiment que les capitaux étrangers au même titre que
l’investissement local en permettant une croissance économique plus soutenue et
plus rapide accélère la transition d’une société inégalitaire ( peu développée et plus
agraire) vers une société à « système industriel » se rapprochant de la norme du
centre et par conséquent plus égalitaire. Le second courant qui s’appuie sur l’idée de
la dépendance cherche à mettre en évidence les mécanismes à travers lesquels,
l’IDE engendre une croissance plus faible, des inégalités plus importantes. La prise
en compte des phénomènes de pouvoir et de hiérarchie dans la structuration de
l’économie mondiale, le type et le comportement des élites locales sont vues comme
des facteurs fondant la pertinence d’un lien néfaste entre IDE et développement de
manière générale. Une série d’études empiriques ont cherché à trancher la
controverse entre ces deux courants. C’est le cas de Tsai (1995), qui teste l’évolution
de l’inégalité mesurée par le GINI ( en %)en fonction du PIB par tête, du ration
(IDE/PIB),du ratio (Dépenses publiques sur PIB), du ratio (Main d’ouvre
agricole/main d’œuvre totale), le ratio ((exportations +importations)/ PIB) et d’un ratio
mesurant le capital humain. Ce qui nous importe ici est le signe de l’élasticité du Gini
au ratio (IDE/PIB) . Les tenants de la vision conventionnelle s’attende à ce que son
signe négatif alors que ceux de la dépendance s’attendent à un signe positif. A partir
d’un échantillon 53 observations, l’auteur présente des spécifications de plus en plus
fines cherchant à confirmer les deux types d’hypothèses. De façon générale , il
ressort que pris globalement les PED dans l’accueil des IDE accentuent leurs
inégalités. L’élasticité du Gini au ratio (IDE/PIB) est positive . La prise en compte de
8
World Bank (2000), Development Report, p. 8.
seuls PED qui ont
la caractéristique d’avoir respectivement : un stock
d’investissement étranger dépassant un point du PIB (Cas 2), une ouverture
croissante à l’économie mondiale ( cas 3), un investissement public conséquent
dépassant le seuil de 23% de la FBCF, cas 4) laissent le coefficient inchangé.
Cependant la prise en compte des spécificités géographiques avec une introduction
dans l’équation d’un ratio (IDE/PIB) spécifique pour l’Amérique Latine et pour l’Asie
du Sud , entraîne pour les autres PED une élasticité négative du Gini au ratio
(IDE/PIB). Ce qui signifie que dans les deux zones les plus dynamiques, la montée
de l’IDE se traduit par une croissance des inégalités tandis que dans les autres PED
qui enregistrent sans doute un stock d’IDE plus faible, l’apport d’un investissement
nouveau contribue à améliorer la répartition du revenu. Ce qui nous ramène à penser
que les liens entre IDE et inégalités internes sont donc fonction du niveau de
développement atteint, des investissements passés. Dans les NPI qui ont accueilli le
plus d’IDE , les filiales des firmes étrangères ont vu leur part dans les profits réalisés
par l’ensemble des firmes augmenter. Cette part est passée pour celles installées au
Mexique de 12.7% à 34.3 % entre 1985 et 1993, à Singapour de 39.2% à 44.6%
entre 1987 et 1996. Pour ce qui est du Mexique la montée de l’IDE dans les
maquilladoras a contribué à une montée des inégalités salariales, Feenstra et
Hanson (1997), Robertson (2000). Cette liaison entre inégalités salariales et IDE
dans le cas du Mexique trouve un fondement dans le fait que le « déplacement de la
frontière » ( en tant que zone de localisation d’industries intensives en travail) créée à
l’intérieur du pays plusieurs zones de différenciation en terme de niveaux techniques
de production utilisées, de qualifications exigées et de salaires pratiquées, Salama
(1999). Dans les nouvelles régions du Mexique qui accueillent les maquilladoras
comme le Yucatan, on observe à la fois une contribution positive de l’IDE sur l’emploi
et le commerce et une croissance des inégalités salariales entre ouvriers de la même
catégorie selon qu’ils travaillent dans le textile, l’électronique ou dans les industries
manufacturières à techniques de production plus complexes, Perez et Camara
(2000).
Pour conclure, on peut dire que les pays en développement dans leur volonté
d’attirer des capitaux étrangers aux fins d’intégration à l’économie mondiale et
d’industrialisation doivent s’inspirer davantage des pays d’Asie du Sud Est qui ont
réussi (jusqu’avant la crise de 1997) à concilier attractivité des IDE et modération des
inégalités. Les NPI de la première génération comme la Corée en ayant atteint une
certaine maturité de développement ont préféré se défaire des industries intensives
en travail au profit d’autres pays de la région comme l’Indonésie. Un tel
comportement tout en permettant à la Corée d’éviter un dualisme de son économie ,
constitue un moyen de renforcer l’intégration régionale. Les IDE accueillis par les
pays doivent donc concorder avec la hiérarchie des avantages comparatifs.
Construire de tels avantages en investissant dans les infrastructures et dans
l’éducation semble être la voie qui permet de concilier développement et équité. Les
pays d’Amérique Latine qui ont accueilli l’IDE de façon passive ont pu s’industrialiser
sans sortir du sous développement dont les corollaires sont la pauvreté et les
inégalités.
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