Le mythe de la fondation de Rome

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Le Mythe
de la
fondation de Rome.
Rome, aujourd’hui capitale d’une jeune et peu puissante Italie, fut autrefois le centre
du monde et la maîtresse de la Mediterranée. Attirant toutes les convoitises et inspirant crainte
et respect, son histoire se retrouve connue de tous à notre époque. Symbole de la période
antique, elle a su garder certains secrets notamment sur le fait de sa création : Mythe ou
réalité ? Beaucoup de personnes parlent en effet d’un récit faux, mensongé, suspect d’un point
de vue trop rationnel car basé uniquement sur des symboles : le mythe !
Nous pourrions en effet nous demander si la création de Rome par Romulus et son
frère Remus relève plutôt du mythe ou de l’Histoire, au sens très scientifique du terme. Mais à
cette question peut s’ajouter cette autre : quelles ont été et quelles sont les retombées de ce
récit sur notre quotidien, notre civilisation ?
Dans le but de donner réponse à ces interrogations nous verrons tout ce qui rapproche
le récit de la fondation de Rome au mythe propement parlé, puis les traces historiques et
scientifiques qui confirment cet écrit et enfin nous terminerons par une interprétation
“ actualisée ” de cette trace écrite.
I)Approche mythologique de la fondation de Rome :
A : La multiplicité des récits légendaires.
Les historiens ne sont d’accord ni sur l’auteur ni sur le nom de Rome et encore moins
sur les causes qui firent devenir une cité si grande.
Pour certains, ce sont les Peslages qui, après avoir parcouru la plus grande partie de la
terre et dompté plusieurs nations, s’arrêtèrent sur le lieu où se trouve Rome aujourd’hui. Dans
le but de marquer la force de leurs armes, ils donnèrent pour nom Rome à la ville qu’ils
bâtirent.
Pour d’autres, ce sont certains Troyens qui fuyant la prise de leur ville se retrouvèrent
sur les côtes de la Toscane près du Tibre. Leurs épouses étant fatiguées par le voyage et hors
d’état de pousser plus loin cette expédition, manifestèrent tout leur mécontentement et
brulèrent les vaisseaux. Parmi elles se distingua Roma, la plus acharnée d’entre les femmes.
Cédant à la nécessité, les fuyards se seraient installés près du mont Palatin. Il se rendirent
rapidement compte que le terrain y était fertile et le climat doux. Ils rendirent grâce à Roma
qui fut couverte d’honneur et c’est pour cela que l’on nomma la nouvelle cité Rome.
D’autres opinions, très diverses ont été entendues comme Rome bâtie par Romanus,
fils d’Ulysse et de Circé, par Romus, fils d’Emathion, par un autre Romus, roi des Latins qui
bâtit Rome après avoir chassé les Tyrrhéniens…
Dans l’Histoire d’Italie de Promathion, Torchetius, roi des Albins eut dans son palais
une apparition divine. Il consulta un oracle qui ordonna que l’on fit approcher de cette figure
une jeune fille, qu’il naîtrait ensuite d’elle, un fils qui deviendrait très célèbre, par son
courage, sa force, son bonheur et qui surpasserait tous les hommes de son temps. Le roi
ordonna cela à une de ses filles mais celle-ci refusa et elle fit envoyer une de ses servantes. Le
roi l’apprenant, il les enferma toutes les deux. Il leur donna pour punition la création d’une
toile qui, finie, leur donnerait droit de liberté et de mariage. Les deux femmes y travaillaient
ardemment le jour tandis que le roi la faisait défaire la nuit. La servante eu deux jumeaux que
le roi ordonna de tuer (forte analogie à Romulus et Remus, on les abandonna au bord du Tibre
mais une louve vint les allaiter…). Adultes ces deux enfants attaquèrent le roi et l’évincèrent
du pouvoir.
B : Virgile, Tite-Live, Pepareth…de multiples auteurs pour un mythe des
origines.
Selon Virgile, tout débute avec Enée, fils d’Anchise et de la déesse Vénus fuyant Troie
prise par les grecs. Il arriva à l’embouchure du Tibre. Voici comment les évènements sont
censés s’être déroulés au XIIe siècle av JC.
Ainsi installé, Enée épouse Lavina, fille d’un roi local : Latinus. Après ses exploits
contre les Tutules, il fonde la ville Lavinium du nom de sa femme. Le récit de Virgile s’arrête
ici.
La suite fut sans doutes écrite par Tite-Live. Ascagne (également appelé Iule) fils
d’Enée (d’ un précedent mariage avec une troyenne,Creüse) fonda Albe sur la Longue. Treize
générations de rois se succédèrent.
La suite du récit est racontée par Dioclèse de Préparethe (1er grec à le publier). Ce récit
commence à l’époque de Numitor et d’Amulius, deux frères descendant d’Enée. Amulius
hérita de l’or et de l’argent et Numitor du royaume. Ce dernier ne tarda pas a perdre son bien
au profit de son frère. Amulius craignant que sa nièce Rhéa Silvia ne donne une descendance
à Numitor, l’envoya chez les Vestales, la contraignant ainsi au célibat. Mais visitée par Mars,
Dieu de la guerre, elle mit au monde deux jumeaux : Romulus et Remus. Faustulus un
serviteur d’Amulius ( on dit aussi que ce serait lui qui aurait recueilli les enfants) chargé par
son maître de les faire disparaître, n’osa pas devant le Tibre en crue jeter les enfants. Il se
contenta de les déposer sur la rive.
Leur berceau gagna la berge du mont Palatin et les enfants se trouvèrent sous le figuier
(sauvage) Ruminal (de la mamelle ruma).Une louve vint les allaiter et un pic-vert leur amena
de quoi subsister (ces deux animaux sont consacrés à Mars le père des enfants). Faustulus,
berger du mont Palatin et d’Amulius, trouva alors les nouveaux nés et les éleva chez lui en
cachette avec l’aide de sa femme Acca Laurentia. Les enfants furent nommés Romulus et
Remus en rapport avec la mamelle (ruma) de la louve qui les avait sauvés.
Un jour les bergers de Numitor se querellèrent avec ceux d’Amulius et leur dérobèrent
des troupeaux. Romulus et Remus poursuivirent les voleurs et ramenèrent les troupeaux. Mais
le jour des Lupercalia, Remus tombé dans une embuscade, se fit emprisonner par des
partisans de Numitor et il fut amené devant leur roi. Mais celui-ci par crainte d’Amulius ne
pouvait rien entreprendre sans son accord. Amulius lui donna toutes libertés et Numitor
entreprit alors de questionner Remus quant à ses origines. Numitor le reconnaissant s’emplit
d’espérance. Faustulus le berger pressa alors Romulus d’aller au secours de son frère.
Amulius qui commençait à avoir des doutes envoya un émissaire vers son frère pour lui
demander s’il n’avait pas entendu dire que les fils de Rhéa Silvia étaient vivants. Cet
émissaire fit irruption chez Numitor lorsque celui-ci embrassait son petit fils.
Romulus de son côté s’empressant de soulever les peuples voisins d’Albe contre
Amulius rejoignit son frère qui lui, était à la tête de la population même de la ville. Amulius
fut déchu et mis à mort. Numitor fut rétabli et rendit les honneurs à sa fille. Alors âgés de 18
ans, Romulus et Remus résolurent de s’établir ailleurs et de bâtir une ville au lieu même où la
louve les avaient nourris. Ils entreprirent de donner refuge aux bannis et aux fugitifs qui les
avaient aidés à renverser Amulius. Tout le monde fut reçu sans distinction.
Quand on fut prêt à bâtir la villa, il s’éleva une dispute entre les deux frères sur le lieu
où on la placerait. Romulus voulut l’ériger à l’endroit où il avait construit « Rome Carée »
tandis que Remus avait désigné le mont Avantin. ( en effet ce site domine le Tibre où transit
cuivre, sel de Méditerranée…) Suivant le rite étrusque, on s’en rapporta aux vols des oiseaux
que l’on consultait ordinairement pour les augures. Remus fut le premier à apercevoir six
vautours mais ensuite son frère déclara en avoir vu douze. Lorsque Remus, qui avait accepté
les augures appris qu’il avait été trompé, il en fut si mécontent qu’il ne cessa de provoquer et
de gêner Romulus pendant qu’il creusait le Pomoerium (= enceinte sacrée), jusqu’au moment
où il franchit le fossé. Romulus alors aurait fendu le crâne de son frère, Faustulus et son frère
auraient péris en tentant de s’interposer.
Quand la ville fut achevée, Romulus divisa d’abord en plusieurs corps militaires tous
les citoyens qui se trouvaient en âge de porter une arme. Chaque division fut composée de
trois milles hommes à pieds et de trois cents cavaliers. Les autres hommes formèrent le
peuple. Il prit parmi ceux-ci une centaine de personnages, ayant soin de choisir les plus
honnêtes pour former son conseil appelé le Conseil des Patriciens. Le restant des hommes
forma le sénat ; sénat qui explique les lois et siège dans les tribunaux.
Quatre mois après la fondation de Rome, Romulus entreprit l’enlèvement des Sabines
afin de pourvoir son peuple en femmes. Celui-ci fit courir le bruit qu’il avait mis à jour l’autel
d’un dieu ancien : Consus (dieu des projets secrets). Lors d’ une fête qu’il lui était consacrée
Romulus fit enlever toutes les filles et femmes sabines Les Sabins envoyèrent des diplomates
mais Romulus refusa toute négociation. Romulus après de nombreuses guerres dont il sortit
victorieux, se trouva alors un ennemi de taille. Suite à la trahison de Tarpéia, les Sabins
guidés par Tatius s’introduisirent de nuit dans la citadelle et prirent le contrôle de la
forteresse. Au court de l’ultime combat les Sabines s’interposèrent et demandèrent un arrêt
des combats. Cela eut lieu et un traité fut signé. Dès lors les deux peuples s’allièrent et les
deux chefs régnèrent ensemble.
Rome resta Rome mais ses habitants d’origine prirent le nom de Quirites, du nom de
Cure d’où était originaire Tatius. Après quarante années de prospérité Romulus s’éteignit.
II) Approche historico-scientifique du mythe :
A : L’âge de la philologie
Le récit de la fondation de Rome est perçu avant tout comme légendaire, et beaucoup
d’éléments semblent en effet dépasser largement le cadre de la stricte réalité historique. On
parle ainsi de “ mythe de la fondation ”, mais le terme de mythe renvoie précisément à toute la
richesse du récit, ses nuances, ambiguïtés et mystères quant à la part de vérité historique
contenue dans le récit légendaire.
Le mot “ mythe ” revêt de multiples facettes et s’accorde parfaitement au thème de la
fondation de Rome : longtemps, on entendait par mythe un récit faux et mensonger, puis le
terme s’est nuancé et, bien qu’étant en général invérifiable, le mythe est considéré aujourd’hui
comme chargé de vérités, retranscrites de façon plus ou moins codées ou symboliques, à
travers le prisme déformant d’une époque donnée qui injecte dans l’interprétation qu’elle en
fait ses propres référents.
Le mythe de la fondation de Rome s’avère particulièrement propice à une
interrogation concernant la part de réalité contenue dans les mythes, voire de réalité
historique. En effet, les historiens se sont intéressés très tôt aux temps de la fondation de
Rome, cherchant à en dégager les aspects véridiques. Les évolutions de ces recherches et leurs
difficultés témoignent de la complexité et des zones d’ombre planant sur un récit pour lequel
la frontière entre mythe et réalité est aujourd’hui encore particulièrement difficile à cerner.
Ainsi, dès la Renaissance, avec la diffusion de textes antiques qui caractérise cette
période, deux courants opposés apparaissent dans le cadre de l’interprétation du mythe de la
fondation de Rome : pour le premier, il est possible de retrouver dans la légende les traces
d’une très ancienne histoire alors que le second soutient que le récit des origines de Rome n’a
rien d’historique et relève entièrement de la fiction. Opposés par leur point de vue, ces
courants ont tous deux recours à une nouvelle analyse comparative des textes, la philologie, et
ouvrent la voie à un renouveau des études portant sur le mythe de la fondation. Cependant, les
obstacles majeurs à toute connaissance des commencements de Rome se faisaient déjà
ressentir : l’existence, tout d’abord, d’un hiatus chronologique d’au moins 5 siècles entre les
temps de la fondation et l’apparition des premiers historiens la relatant et, ensuite, le manque
cruel de documents ou monuments historiques, du fait notamment de l’incendie de Rome par
les Gaulois de Brennus. Dès lors, le doute jeté sur l’histoire des origines vit sa pratique
prolongée au siècle suivant ; doute qui peut se résumer par ces questions : comment aller audelà du récit initial tel qu’il avait été rapporté, notamment par Tite-Live? Pourquoi chercher à
savoir puisqu’on ne peut rien savoir ? La présence unique du mythe brut, en-dehors de tout
document historique datant des temps de la fondation, semblait un obstacle insurmontable à
toute interprétation sûre.
Dans cette optique, au 19ème siècle, beaucoup d’auteurs ne consacreront dans leurs
études qu’un rapide survol à la fondation, considérant qu’une telle analyse ne pouvait se baser
sur aucun fait avéré, mais au mieux sur des documents assimilés à des inventions ou de la
propagande. Le problème des sources restait entier : comment écrire une histoire de la
fondation de Rome ou ce qui l’a précédée lorsque l’on doit partir de sources essentiellement
romaines, et donc largement postérieures aux origines ?
Le renouveau d’intérêt pour les origines de Rome arrivera avec un nouveau courant
appelé l’hypercritique (“ excès de la critique ”), représenté notamment par un auteur italien,
Ettore Pais, et son ouvrage “ Storia di Roma ”(1898). Les tenants de ce courant se donnaient
pour but de soumettre les légendes romaines à une vérification systématique, une analyse
impitoyable, aboutissant à l’affirmation qu’une grande partie du récit de la fondation “ n’est
que le fruit d’une spéculation littéraire tardive et même d’une falsification délibérée ”.
Ainsi, les belles légendes ne seraient que des inventions destinées à la propagande des grandes
familles patriciennes et les ambitions de la République romaine. Tout le premier siècle avant
notre ère et le Principat de l’empereur Auguste furent traversés par une nostalgie des origines
qui poussa chaque empereur ambitieux, dont Jules César, à se réclamer de Romulus. Or, une
bonne partie des sources dont disposent les historiens, et notamment celles concernant le
pomerium (la limite sacrée délimitant la ville qui aurait, selon le mythe, été tracée par
Romulus), remontent à cette période, ce qui implique évidemment un doute légitime quant à
leur exacte véracité historique.
Le début de découvertes archéologiques sur le sol de Rome donnant consistance aux
récits légendaires porta cependant un rude coup à ce courant. Il n’en reste pas moins que Pais
eut le mérite d’imposer l’idée que la légende n’existait pas “ pour rien ”, que le discours sur le
passé légendaire était avant tout, dans l’Antiquité, un discours sur le présent dont il constitue
une traduction symbolique et sublimée. Mais c’est bien l’archéologie qui, au début du 20éme
siècle, entre en scène pour éclairer les temps des origines de Rome.
B : Triomphe de l’archéologie et fin d’un mythe ?
Dès la fin du 19ème siècle, des découvertes commencèrent à se faire jour, notamment
sur le Forum romain, avec l’apparition de traces probables d’une enceinte consacrée et d’un
cippe (pierre) recouvert sur ses 4 faces de caractères gravés, correspondant alors à la plus
ancienne inscription romaine. Cette découverte fut accompagnée de nombreuses autres, telle
celle des vestiges d’une ancienne nécropole en 1902, et l’idée d’une confirmation décisive de
la tradition prit de plus en plus d’importance au fur et à mesure des découvertes des fouilles
menées sur le sol romain. Les temps de la fondation semblaient ainsi sortir de l’ombre
mythique du récit légendaire initial. Dès lors, cette “ science auxiliaire de l’histoire ” que
devenait l’archéologie semblait supplanter dans ce rôle la philologie, et une idée simple se
répandait : la tradition disait vrai et l’archéologie le prouvait de manière irréfutable parce qu’
objective. Cette tradition se trouvait également renforcée par la découverte en 1907 de fonds
de cabanes, qui témoigneraient de la présence d’un village de bergers sur la colline du Palatin
vers 750 avant Jésus-Christ.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les recherches se multiplièrent, non
seulement à Rome, mais également sur tout le territoire du Latium.
Une découverte relativement récente (1985) sembla cependant plus que toutes les
autres confirmer le mythe de la fondation, dans ce qu’il avait de plus fragile et de plus
inaccessible.
En effet, avec la découverte, au pied du Palatin, de traces superposées de 3 murs
successifs, le dernier d’entre eux étant daté des années 730-720 avant notre ère, date à
rapprocher de celle, célèbre, attribuée à la fondation de Rome (-753), la réalité historique
semblait faire une nouvelle irruption dans le récit du mythe.
Les fouilles mirent à jour les traces d’une palissade de bois contemporaine du dernier
mur d’enceinte, mais édifiée à une quinzaine de mètres de distance. Elément curieux : cette
palissade, entretenue et refaite à plusieurs reprises après son édification, était séparée du mur
par un espace de terrain demeuré libre de toute occupation du 8ème au 6ème siècle. Ce respect et
ce maintien d’une bande de terrain vierge revêt un aspect sacré qu’il est difficile de ne pas
rapprocher du pomerium, fortification constituant la limite sacrée de la nouvelle ville et dont
le tracé est attribué par la tradition à Romulus…En effet, le pomerium, limite sacrée, est vue
par certains comme ayant été sacralisée par le sang de Rémus se répandant dans le tracé du
pomerium, après le meurtre commis par Romulus.
Dès lors, les 2 siècles et demi de critique historique des textes de la fondation, se
trouvaient ébranlés par une réalité matérielle.
Cependant, il convient de nuancer et distinguer la réalité du pomerium mis à jour et ce
qui a pu être rêvé à son propos : le mythe de la fondation n’est pas authentifié dans sa totalité
par ces fouilles, d’autant plus que l ‘archéologie implique des incertitudes et permet des
interprétations diverses.
Aussi le débat est-il loin d’être clos, les historiens se trouvant en face d’un dilemme :
faut-il s’appuyer sur ces découvertes spectaculaires pour conclure à la validité définitive de
l’ensemble de la tradition ou bien, en raison de l’incertitude liée à l'archéologie, renoncer à
pouvoir établir un jour une vérité générale et universelle concernant la fondation de Rome ?
La question des origines restait donc entière : la découverte de l’éventuelle limite sacrée de la
ville semblait certes laisser à penser que Rome avait été fondée sur le Palatin au 8 ème siècle
avant notre ère par un fondateur, en accord avec la légende. De même, Rome semblait alors
résulter de l’extension progressive d’une communauté sur la colline du Palatin , cette colline
étroitement liée au mythe, au pied de laquelle le berceau contenant Romulus et Rémus s’était
échoué. Cette colline sur laquelle on pouvait encore voir, à l’époque classique, une cabane où
auraient vécu les deux frère jumeaux, élevés au milieu des bergers. Cette colline, enfin, que
Romulus choisit pour observer les augures, alors que Rémus avait choisi celle de l’Aventin.
Tout semble donc confirmer la légende, d’autant plus que de nombreuses découvertes
archéologique ont effectivement été faites sur le Palatin.
Cependant, la thèse opposée, selon laquelle Rome serait née de la jonction, autour du Palatin,
de communautés et villages étrusques jusque-là séparés, restait bien présente, renforcée même
dans une certaine mesure par les découvertes : l’origine étrusque des rites de fondation de la
ville semblait confirmée par le pomerium , l’établissement d’une telle limite revêtent un
caractère étrusque dans la mesure où de telles délimitations sacrées des confins de la cité
existait déjà en Etrurie. De plus, le récit des augures vues par Romulus et Rémus sous la
forme des vautours empruntait aussi des éléments aux rites religieux étrusques.
Ainsi, l’influence étrusque est présente jusque dans le récit lui-même et les diverses
interprétations de la légende qui peuvent être faites dépendent du contexte dans lequel le
mythe a été rapporté, jusqu’à ce qu’il nous parvienne.
III) Autres regards sur le mythe :
A :Un mythe rapporté soumis à influences
Les divers récits du mythe parvenus jusqu’à nous traduisent tous de façon plus ou
moins codée des réalités confirmées par les découvertes archéologiques récentes. Les
différents chercheurs qui se penchent sur les textes de la fondation tentent, en ayant recours à
la linguistique ou à la mythologie comparée notamment, de percer ces mystères, souvent dus
au fait que les mythes, soumis aux influences de l’époque à laquelle ils sont rapportés, sont
bien plus qu’un ensemble d’événements passés figés dans le temps.
Les diverses influences présentes dans le mythe de la fondation de Rome permettent
cependant de mettre en relation, au-delà des codes et symboles, les événements réels et la
façon dont ils sont rapportés dans le récit mythique.
Ainsi, le mythe de la fondation commence avec la fuite d’Enée de Troie et son arrivée
dans le Latium. Or, les historiens ont établi qu’au milieu du 2ème millénaire avant Jésus-Christ,
des peuples indo-européens arrivent en Italie, ce qui semble correspondre à la période et donc
à l’épisode de l’occupation du Latium par le prince troyen.
Les peuples latins(dont le nom provient selon la légende du roi Latinus) occupent alors
les collines de la future Rome et s’unissent au 7ème siècle pour former une coalition, la “ Ligue
septimontiale ” (se référant aux 7 collines) laissant de côté le Capitole, le Quirinal et le
Viminal, probablement occupés par les Sabins, également présents dans le récit légendaire,
notamment à travers l’épisode de l’enlèvement des Sabines.
Un changement majeur intervient aux 7ème-6ème siècle avant notre ère, avec
l’occupation d’une partie de la péninsule italienne par les Etrusques, peuple non indoeuropéen aux origines encore floues.
Ces derniers investissent le site de la future Rome et réunissent les villages latins et
sabins déjà présents ; c’est alors que serait fondée la ville attribuée par la légende à
Romulus…
Ce mythe de la fondation, comme on l’a vu, répond au rite étrusque (le nom de Rome
lui-même serait d’origine étrusque) et les 3 peuples différents à l’origine de Rome sont
également présents dans la tradition, mais placés sous l’égide d’un unique fondateur,
Romulus, qui aurait réparti le peuple de sa ville en trois tribus, les Ramnes (Latins), les
Luceres (Etrusques) et les Tities (Sabins). Ainsi le mythe ne nie-t-il pas la présence de ces
peuples, mais les présente comme étant issue d’une simple décision de Romulus de répartir
les romains en différentes tribus. Ces dernières rentrent donc dans le cadre d’une ville déjà
fondée, ce qui peut être expliqué par la priorité que veulent se donner les romains sur leurs
dominateurs étrusques, en se présentant comme un peuple original, né de la fondation ex
nihilo d’une ville, et non comme le simple rassemblement de peuples préexistants. Cela se
comprend d’autant plus facilement que bon nombre de source relatives au mythe remontent à
une époque à laquelle la nostalgie des traditions était forte, entretenue, on l’a vu, par les
empereurs qui se réclamaient du fondateur légendaire Romulus, ce qui expliquerait que le
récit de la fondation soit, au-delà de traces d’événements réels, bel et bien un mythe, qui n’est
pas exempt de rajouts à la gloire de Rome et de ses dirigeants, dont le premier, Romulus, se
voit ainsi considéré comme le fondateur de la ville, et même élevé par sa mort au rang de
Dieu, puisqu’il “ disparaît ” littéralement aux yeux des mortels.
Enfin, la prépondérance et la supériorité de fait du Palatin sur les autres collines de la
future Rome était certes une réalité : après la formation de la Ligue septimontiale, seules les
deux monts principaux, le Palatin et la Velia, accueillent la célébration d’un important
sacrifice dit du “ palatuar ”. Ces deux monts rassemblaient également la majorité des habitats,
et étaient au cœur du système. Ainsi, le Palatin se trouvait dès la fondation de Rome au cœur
de la ville et y imposa rapidement sa suprématie.
L’importance du Palatin est très largement reprise dans le récit du mythe, comme on
l’a déjà vu, et son histoire se trouve liée à Romulus et Rémus dès leur plus jeune âge. C’est au
pied du Palatin que se trouve la grotte de Lupercal, dans laquelle la louve nourrira les deux
jumeaux et c’est autour du Palatin que Romulus tracera son pomerium. La légende dit que le
site fut choisi par Romulus en souvenir de leur petite-enfance, lorsqu’ils furent élevés par la
louve, alors que Cicéron, par exemple, affirme déjà que la commodité du site était la raison du
choix, et non l’aspect sentimental que pouvait revêtir le lieu.
Ainsi, si le mythe parle de “ fondation ” de Rome par Romulus, c’est , pour beaucoup,
qu’il transpose sur le plan mythique la suprématie de fait du Palatin, en l’adaptant au schéma,
emprunté au monde grec, de la création d’une ville par un héros-fondateur. Le personnage de
Romulus, par l’étroit rapport qu’il entretient avec le Palatin, retranscrit l’importance de cette
colline dans le processus de fondation. En réalité, pour les historiens, les faits imposeraient
plus le terme de “ formation ”.
B : L’influence du mythe.
Tout d’abord, il faut se remémorer que ce texte fut écrit pour honorer les empereurs
romains et qu’il s’inspire très largement des mythes hélléniques et autres. C’est pourquoi le
parallèle entre Moïse abandonné sur le Nil dans un panier et Romulus et Remus abandonnés
quant à eux, sur le Tibre, est aisé à établir et l’on s’aperçoit bien vite que ce n’est pas une
coïncidence. D’autre part, les auteurs de ce mythe ont pris soin de se rattacher au monde grec,
la principale muse de Rome, par le lignage à Enée et Iule, descendants de la grande Troie.
Ensuite, tout au long de ce mythe, on remarque de nombreux symboles bien loin d’être
innocents. Ainsi, les enfants sont nourris par une louve et un pic-vert, deux animaux consacrés
à Mars ; Enée est fis de Vénus, encore une divinité que les auteurs ont pris soin de faire entrer
dans les ancêtres de Romulus et Remus. Par ailleurs, les écrits font beaucoup référence aux
rites étrusques grâce aux augures qui permettent de désigner Romulus comme roi de Rome, et
grâce aussi au Pomoerium (enceinte sacrée)…
Enfin, ce texte est très fort d’un point de vue éthymologique. En effet, de nombreux
termes sont très explicites et d’autres ont su donner naissance à des expressions. Ainsi, le mot
louve, du latin lupa, désigne également une dame tenant commerce de ses charmes d’où le
terme de lupanard (bordel), on pourrait alors faire allusion à Rhéa Silvia qui bien que Vestale,
s’est offerte à Mars… Sinon, du nom du roi Latinium vint le terme latin, de même que
Romulus donna Rome. Le terme Rome serait issu, dit-on par ailleurs, des Etrusques voire
même du mot latin amor (amour) dont il est l’anagramme. Comme dernier exemple, nous
citerons le nom du roi belliqueux Tullus Hostilius qui donna à n’en pas douter l’adjectif
hostile.
CONCLUSION :
Le mythe de la fondation de Rome est donc complet et complexe : si en lui substiste
une part de mystère nécessaire lorsque l’on souhaite parler de mythe, on lui trouve aussi une
grande part de vérité qui tend donc à renforcer ce récit bien que la science ne soit pas sûre de
l’ensemble de ces découvertes sur cet épineux sujet. Et bien que soumis à une propagande
impériale, ce récit a également su laisser un large patrimoine éthymologique.
Mais quoi qu’il arrive, nous pouvons être certains que dans nos mémoires Romulus est
et restera le fondateur de Rome, aux dépends de son frère Remus après avoir été tous deux
allaités par une louve.
Mais qu’adviendrait-il si ce mythe venait à être mis à nu ? Notre imaginaire n’en
souffrerait-il pas ?
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