Le mythe de la fondation de Rome s’avère particulièrement propice à une
interrogation concernant la part de réalité contenue dans les mythes, voire de réalité
historique. En effet, les historiens se sont intéressés très tôt aux temps de la fondation de
Rome, cherchant à en dégager les aspects véridiques. Les évolutions de ces recherches et leurs
difficultés témoignent de la complexité et des zones d’ombre planant sur un récit pour lequel
la frontière entre mythe et réalité est aujourd’hui encore particulièrement difficile à cerner.
Ainsi, dès la Renaissance, avec la diffusion de textes antiques qui caractérise cette
période, deux courants opposés apparaissent dans le cadre de l’interprétation du mythe de la
fondation de Rome : pour le premier, il est possible de retrouver dans la légende les traces
d’une très ancienne histoire alors que le second soutient que le récit des origines de Rome n’a
rien d’historique et relève entièrement de la fiction. Opposés par leur point de vue, ces
courants ont tous deux recours à une nouvelle analyse comparative des textes, la philologie, et
ouvrent la voie à un renouveau des études portant sur le mythe de la fondation. Cependant, les
obstacles majeurs à toute connaissance des commencements de Rome se faisaient déjà
ressentir : l’existence, tout d’abord, d’un hiatus chronologique d’au moins 5 siècles entre les
temps de la fondation et l’apparition des premiers historiens la relatant et, ensuite, le manque
cruel de documents ou monuments historiques, du fait notamment de l’incendie de Rome par
les Gaulois de Brennus. Dès lors, le doute jeté sur l’histoire des origines vit sa pratique
prolongée au siècle suivant ; doute qui peut se résumer par ces questions : comment aller au-
delà du récit initial tel qu’il avait été rapporté, notamment par Tite-Live? Pourquoi chercher à
savoir puisqu’on ne peut rien savoir ? La présence unique du mythe brut, en-dehors de tout
document historique datant des temps de la fondation, semblait un obstacle insurmontable à
toute interprétation sûre.
Dans cette optique, au 19ème siècle, beaucoup d’auteurs ne consacreront dans leurs
études qu’un rapide survol à la fondation, considérant qu’une telle analyse ne pouvait se baser
sur aucun fait avéré, mais au mieux sur des documents assimilés à des inventions ou de la
propagande. Le problème des sources restait entier : comment écrire une histoire de la
fondation de Rome ou ce qui l’a précédée lorsque l’on doit partir de sources essentiellement
romaines, et donc largement postérieures aux origines ?
Le renouveau d’intérêt pour les origines de Rome arrivera avec un nouveau courant
appelé l’hypercritique (“ excès de la critique ”), représenté notamment par un auteur italien,
Ettore Pais, et son ouvrage “ Storia di Roma ”(1898). Les tenants de ce courant se donnaient
pour but de soumettre les légendes romaines à une vérification systématique, une analyse
impitoyable, aboutissant à l’affirmation qu’une grande partie du récit de la fondation “ n’est
que le fruit d’une spéculation littéraire tardive et même d’une falsification délibérée ”.
Ainsi, les belles légendes ne seraient que des inventions destinées à la propagande des grandes
familles patriciennes et les ambitions de la République romaine. Tout le premier siècle avant
notre ère et le Principat de l’empereur Auguste furent traversés par une nostalgie des origines
qui poussa chaque empereur ambitieux, dont Jules César, à se réclamer de Romulus. Or, une
bonne partie des sources dont disposent les historiens, et notamment celles concernant le
pomerium (la limite sacrée délimitant la ville qui aurait, selon le mythe, été tracée par
Romulus), remontent à cette période, ce qui implique évidemment un doute légitime quant à
leur exacte véracité historique.
Le début de découvertes archéologiques sur le sol de Rome donnant consistance aux
récits légendaires porta cependant un rude coup à ce courant. Il n’en reste pas moins que Pais
eut le mérite d’imposer l’idée que la légende n’existait pas “ pour rien ”, que le discours sur le
passé légendaire était avant tout, dans l’Antiquité, un discours sur le présent dont il constitue
une traduction symbolique et sublimée. Mais c’est bien l’archéologie qui, au début du 20éme
siècle, entre en scène pour éclairer les temps des origines de Rome.